Chapitre I
La branche craqua lorsque la lourde botte de cuir l’écrasa. La jambe s’immobilisa aussitôt et seuls quelques bruissements alentour résonnèrent dans l’immensité forestière. L’homme à qui appartenait la botte déglutit légèrement et força ses épaules à se détendre. C’était un coup à être trop nerveux et tirer accidentellement un coup de son fusil à platine à silex, qu’il tenait fermement contre lui. Il joua de sa glotte à nouveau et s’attira un regard mauvais de son commandant, le Capitaine Jean Baptiste de La Lande. Le milicien se sentit blêmir et baissa les yeux, impressionné par l’apparence du capitaine. L’alsacien débarqué moins de six mois plutôt sur la côte américaine détonait des miliciens, vêtus de quelques vêtements d’épais tissus et de leurs compagnons indiens couverts de tissus. Le français lui préférait un solide pantalon de lin teint en marrons et engoncés dans de délicates bottes cavalières couvrant ses mollets. Un long manteau de cuir noir couvrait une chemise épaisse bleue nuit et son visage était couvert par l’ombre de son chapeau dont un des bords était relevé et maintenue par une délicate broche d’argent. Mais cela n’empêchait pas de deviner la mâchoire carrée et bien dessinée de l’homme, ni ses lèvres gercées par le rude froid de la Nouvelle France. Son menton, sans être glabre, était des plus délicatement rasés et on imaginait sans peine ce regard vert et aussi malicieux qu’assassin qui se cachait dans l’ombre. Sentant que son regard s’attardait sur l’homme, le milicien déporta ses yeux vers les boucles châtains de l’homme puis détourna enfin la tête pour reprendre sa route.
Jean Baptiste, quant à lui, n’avait rien entendu. Il répétait un de ses mantras dans sa tête pour la tâche à venir et son regard courroucé pour le milicien était dû à son interruption. Ainsi recommença t’il. Notre Père qui est aux cieux ! Que ton nom soit sanctifié ; que ton règne vienne ; que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien ; pardonne-nous nos offenses, comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ; ne nous induis pas en tentation, mais délivre-nous du mal. Car c'est à toi qu'appartiennent, dans tous les siècles, le règne, la puissance et la gloire. Amen ! Il leva son pouce à son cou et caressa la croix huguenote qui se trouvait nichée sous son vêtement. Le jeune français était de ses protestants qui malgré la persécution que les siens subissaient se voulait patriote et loyal. C’était une raison parmi d’autres qui l’avaient poussé à se rendre en Nouvelle France pour combattre l’ennemi. Voilà des années que la guerre faisait rage entre le Régime de Sa Majesté Louis XV de Bourbon et le Roi Georges III d’Hanovre, souverain de Grande Bretagne. Conflit qui avait autrefois enflammé l’Europe tout entière suite à la brutale attaque de la Prusse sur la Saxe, il n’en restait aujourd’hui que les ennemis héréditaires qu’étaient la France et l’Angleterre. La guerre aurait pu s’achever s’il n’y avait pas eu les combats d’outre-mer pour le contrôle des précieuses colonies. Ainsi si de prestigieux comptoirs d’Inde tels que Chandernagore n’avait résisté aux assauts britanniques, d’autres s’étaient battus vaillamment renversant bien souvent les conflits locaux en faveur des français.
Mais si les Compagnies des Indes Orientales s’étaient enlisées dans un conflit sans réel vainqueur, les choses étaient différentes aux Amériques. Allant de victoires en victoires, l’armée française avait été soudainement défaite par une violente contre-offensive britannique, forçant de nombreux forts à capituler… Mais cela s’était achevée sous les murailles de Québec. Là, le Général Montcalm avait vaillamment et au prix de sa vie repoussait les anglais des sanglantes plaines d’Abraham. Le blocus du Saint Laurent s’était délité de lui-même et une flotte française avait écrasée l’escadre anglaise permettant l’arrivée des renforts tant espérés, délivrant la Terre Neuve et le port primordial de Louisbourg. En cette année de grâce 1763, la guerre – lointain écho pour les habitants de l’Europe protégés des combats par l’incapacité de l’un et l’autre pays à traverser la Manche – ravageait ainsi les Amériques anglaises et françaises.
Lorsque le capitaine était arrivé, fort de sa toute modeste noblesse, en ces terres, le conflit en était revenu aux frontières d’origine des colonies. Chaque camp s’observait de part et d’autre des profondes vallées qui séparaient Nouvelle France et les Treize Colonies. Au Nord-est, les derniers bastions anglais de Terre-Neuve et de Nouvelle Ecosse tombaient aux mains des français. Ainsi s’était-il retrouvé à la tête d’une compagnie, son droit de capitainerie acheté avec ses quelques deniers et se rappelant les dires de son père, le haranguant de chercher la gloire en France et non en Outre-Mer. Les premiers combats avaient été violents, souvent emporter grâce à de judicieuses charges à la baïonnette, aiguisées par habitude par les basques de l’armée. Peu à peu, Jean Baptiste avait trouvé ses marques à travers les hommes et femmes endurcis et épuisés par le conflit. Alors lui était venu une idée. Il avait ainsi regroupé plusieurs irréguliers indiens et une cinquantaine de miliciens, avait traversé la vallée de l’Ohio pour bifurquer droit vers le Nord Est, se retrouvant derrière les lignes anglaises. Là depuis six semaines, ses troupes menaient la vie dure aux colons britannique et aux convois de l’armée. Un hennissement retentit sous les frondaisons et la dizaine d’hommes qui composaient la compagnie s’arrêtèrent. Tous semblèrent retenir leurs souffles tandis que les hommes jetaient des coups d’œil inquiets autour d’eux. Les mains moites se resserrèrent sur les fusils et les visages blêmirent.
«
Aye ils approchent. »
Les regards se tournèrent aussitôt vers le géant rouquin qui venait de prendre la parole. Son français était rocailleux et maladroit mais à son allure on devinait l’écossais en lui. James MacAulay était un fier Highlander, exilé depuis plus de vingt années aux Amériques françaises après avoir participé dans sa jeunesse aux révoltes jacobites. Blessé à l’œil à la tristement célèbre bataille de Culloden, il n’avait dû sa survie qu’à son immense taille, mesurant une toise de hauteur, et à la force dont la nature l’avait dotée. C’était un homme taciturne, souvent plongé dans ses étranges pensées outre-Atlantique, qui ne semblait vivre que pour vaincre les anglais, comme en témoignait la lourde claymore harnachée dans son dos. Il avait cependant appris des erreurs du passé et portait un pistolet à platine à la ceinture qui enserrait son kilt traditionnel. Rares étaient les sourires qui éclairaient son visage taillé à la serpe et au regard cruel et même lorsque cela arrivait l’inquiétude faisait frémir les cibles du sourire.
« Par la mort dieu ! Nous ferions mieux d’avancer. »
Le grondement sembla donner une impulsion à la bande qui s’enfonça sous l’épais feuillage des hêtres. Moins de cinq minutes plus tard, la troupe s’était étalée sur le flanc d’une colline qui dominait une vallée traversée par un des nombreux affluents de l’Hudson voisin. Là, ils s’étaient cachées derrière les arbres, les troncs abattus et avaient tournés leurs fusils vers la route qui reliait New York et Albany. L’attente serait de courte durée à en juger par l’étroit filet de poussière qui s’élevait non loin de leur position et cela rassura Jean Baptiste qui vérifia que sa rapière et son pistolet étaient bien en place à sa ceinture et se força à respirer doucement. Les moments d’attente avant le feu était à son avis l’un des pires moments et des plus angoissants. Il essuya ses mains moites, sachant qu’elles seraient sèches lors du combat, contre son manteau et adressa un regard à l’écossais qui le lui rendit. Ils avaient combattu dos à dos lors des premiers affrontements du capitaine et le géant était devenu un ami, un gardien et le second de l’alsacien. Ce dernier était taciturne et ne parlait guère en présence de ses hommes – même si lorsqu’il était entouré de ses proches il était intarissable – et laissait le highlander s’exprimait pour lui. Cela créait une atmosphère autoritaire et mystérieuse autour de La Lande qui considérait cela comme nécessaire et qui semblait convenir à ses hommes. Le bruit d’un sabot frappant le sol lui fit redresser la tête et il sentit l’excitation du combat montait en lui. Ses muscles se tendirent tandis que son poil s’hérissait. Son cœur battit plus fort à ses oreilles alors qu’apparaissait au détour d’un virage les premiers cavaliers d’un convoi. Sept lourds chariots tirés par des bœufs, protégés par une quinzaine de Tuniques Rouges à pieds et trois officiers à cheval s’avançaient sur la route poussiéreuse.
L’ennemi approchait. Le cœur de Jean Baptiste s’accélérait. Sa prise se resserra sur son fusil tandis qu’il alignait l’homme qui commandait la troupe au bout de son canon. Il coupa sa respiration, ferma l’œil et pressa la gâchette. Dans un claquement sonore, le chien vient frapper la batterie qui déclencha une étincelle qui enflamma dans un petit souffle la poudre, et la détonation résonna sous la frondaison des arbres. La balle, petite bille de plomb, fusa. Toucha l’homme. Et fit exploser la partie supérieure de son crâne dans un craquement sonore. Tandis que l’écho du tir se dissipait, le temps sembla se figer tandis que les britanniques, abasourdi, prenaient conscience de ce qui se passait. Les miliciens firent feu et sur la dizaine de fusils que comptaient leur groupe, cinq réussirent à faire feu à leur tour pour autant d’anglais mis à terre. Les deux indiens qui accompagnaient les français tirèrent de leurs puissants arcs mais les survivants du convoi s’étaient d’ores et déjà mis sous la protection des chariots. Jean Baptiste sentit plus qu’il ne le vit James surgit à sa droite, épée au poing et hurlant.
« Aonaibh ri cheile' ! Pìos a chur ris a 'Bheurla ! Death gus an claoidh ! »Si nul ne comprenant l’étrange idiome de l’écossais, la haine, le courage et la soif de sang transpiraient derrière chacun des mots, soulevant le cœur des hommes qui chargèrent en un seul chœur. Deux soldats anglais passèrent la tête par-dessus un chariot et firent rapidement feu, touchant un homme de la compagnie à la jambe. En contrepartie deux flèches frappèrent le bois, refroidissant aussitôt toute velléité britannique. Les hommes atteignirent les maigres couvertures anglaises et des combats se déclenchèrent un peu partout. Les soldats ennemis avaient dégainé dagues et épées et faisaient face aux baïonnettes françaises qui les transperçaient aussi sûrement qu’une abeille piquait. Alors qu’il approchait derrière un adversaire, Jean Baptiste perçut une cavalcade à sa gauche et bondit de justesse pour éviter la charge d’un des officiers à cheval. L’homme jura dans sa langue et fit faire demi-tour avec à sa monture. Le capitaine respira profondément en faisant tourner sa poignée dans sa main, tandis que sa gauche se glissait distraitement dans son dos. L’anglais chargea à nouveau, leva haut son sabre pour trancher et… La détonation résonna à nouveau sous les arbres tandis que la balle déchirait la chair tendre de sa gorge et qu’il s’écroulait sur le dos. Effrayé par les bruits, l’odeur du sang et enfin libre, sa monture fit un bond de côté et s’enfuit au galop, entraînant le corps de son maître derrière elle. En moins de cinq minutes, l’affaire fut conclue et dix-sept corps vêtus de rouges couvraient le sol pour seulement deux blessés français. Les conducteurs des chariots avaient été regroupé sous un arbre et était surveillé par trois hommes aux regards alertes. Les autres avaient commencés à fouiller le contenu des véhicules, découvrant pommes, farines, sac de poudres et caisses d’armes. Ils partagèrent les armes et la poudre et commencèrent à réunir les vivres qu’ils ne pourraient emporter. De la poudre, de l’eau de vie et des morceaux de bois furent incorporés au tas qui se formait peu à peu, pour former un funeste bûcher auxquels furent ajoutés les corps. Jean Baptiste supervisa les opérations tout du long et adressa une rapide prière aux défunts avant d’embrasser son pouce et de signer sa croix. Il aperçut James s’approchant de lui et attendit que l’écossais se place à sa droite.
« Capitaine, nous avons trouvé quelque chose d’assez intriguant.
– Bien. Merci James, répondit Jean Baptiste sur le ton de la conversation qui ne cachait en rien son léger accent alsacien.
– Ainsi que ceci. »
L’homme glissa dans la main de son frère d’arme une bouteille et le capitaine la détailla. Du vin de Bordeaux de... 1739. Il leva un sourcil intrigué et échangea un regard ainsi qu’un sourire complice avec l’écossais. Tous deux savaient que la bouteille serait vidée avant l’aube et ce, en plaisante compagnie. Il passa la bouteille à sa ceinture et suivit son second jusqu’à un des chariots. L’un des français fouillait dans un sac rempli de papiers divers mais ce fut celui que l’on avait mis de côté, cacheté d’armoiries peu connues par la piétaille mais que Jean Baptiste avait eu l’occasion d’apercevoir alors qu’il était encore sous le précepte de son père. Les Marlborough… Fière et digne famille de la noblesse anglaise qui n’avait aucun intérêt dans les colonies britanniques d’Indes Occidentales. Le front soucieux, le capitaine brisa le cachet et parcourut la lettre en long en large avant de relever les yeux vers son second.
« C’est une lettre de Georges Spencer, frère du Duc de Malbourough écrivant à son officier en second le Lieutenant Lettow. Il lui ordonne par la présente de se rendre à Lexington pour l’assister à une réunion au sein du camp anglais de la place. Ce qui veut dire qu’un haut dignitaire britannique se trouve à seulement une vingt huitaine lieues d’ici… »
Le regard de l’écossais s’enflamma et l’alsacien put presque sentir la haine qui bouillonna en lui. Il posa une main sur l’épaule de l’homme et secoua la tête. Cela ne servait à rien. Vingt-huit lieues restaient une distance plus qu’importante. Jean Baptiste rangea la lettre à sa ceinture et soupira, tout en ordonnant aux hommes de se préparer à se mettre en route, tout en relâchant les prisonniers, non sans avoir avant tout brisé les roues des chariots. Il attrapa une pomme charnue et croqua dedans tandis que la compagnie se préparait à repartir…
***
« Halte là !
– Capitaine Jean Baptiste de Lande, votre commandant. Mais je vous félicite pour votre garde soldat. »
L’homme sourit de toutes ses dents en apparaissant à travers le feuillage d’un hêtre qu’il avait escaladé et depuis lequel il surveillait les alentour. L’alsacien leva distraitement les yeux au ciel et ne fit pas la remarque qu’il aurait pu très bien s’agir d’une troupe anglaise qui aurait pu le mettre au silence et envahir ainsi le campement. Il se contenta de redresser le sac qui barrait ses épaules et avança d’un pas lourd. Les quatre heures de marche depuis le lieu de l’attaque avaient été harassantes après l’épuisement du combat puis le poids des affaires qu’ils avaient ainsi pu récupérer. L’un des désavantages des franc tireurs était qu’ils n’avaient pu emporter qu’un matériel minimal. Des fusils, des vivres mais rien de plus. Pas de poudre en trop, ni de canons et la troupe devait vivre sur le terrain généralement. Ils avaient harcelé et pris d’assaut des fermes fortifiées anglais, des convois de ravitaillement ainsi que de nombreux petits villages laissés sans défense. Ils ne le savaient guère mais en ces quelques semaines de guérilla, une légende s’était créée autour des Diables français.
Tout cela grâce à leur férocité au combat et à leur organisation quasi-militaire comme le prouvait leur campement. Monté au cœur d’une clairière, il se composait d’une trentaine de tentes, solidement installées en cercle autour de plusieurs foyers de feux. Des barricades avaient été montées à des endroits stratégiques et dans les arbres alentour une dizaine de sentinelles étaient toujours à l’affût du moindre mouvement. Cinquante-trois miliciens et huit Iroquois composaient la compagnie de franc tireurs qui semaient le chaos dans les arrières britanniques et ils vivaient une vie relativement paisible. Tous étaient de solides colons de la Nouvelle France à l’exception de quelques hommes de Louisiane et se contentaient du rude confort qu’apportait une tente, une solide fourrure pour dormir et un simple sac pour reposer la tête. Jamais la compagnie ne restait plus de quelques jours à un emplacement, craignant des représailles britanniques. Si les anglais s’inquiétaient des franc tireurs, ils ne l’avaient encore jamais débusqué à ce jour.
Les hommes sortirent peu à peu des tentes et se regroupèrent autour des arrivants, les déchargeant et partageant le travail. Deux hommes à l’allure plus respectable que les soldats et les trappeurs qui composaient la troupe commencèrent à fouiller le contenu des sacs et à compter la récolte de ce jour. Malgré les allures rustres des Diables ils n’en restaient pas moins fondée sur une organisation quasi-militaire. Ainsi Jean Baptiste était-il le capitaine de la troupe, secondé par deux lieutenants dont James, et pouvait compter sur l’aide de deux anciens commerçants ayant vu leurs boutiques ruinées par le siège de Québec en 1759 et rêvant de prendre vengeance. Si nul prêtre ne les accompagnait, les plus fervents protestants pouvaient toujours compter sur un prêche rapide mais intense de la part de leur capitaine et les catholiques devaient se contenter de prier sans accompagnement. Un toussotement agacé et bien que léger couvrit le brouhaha et tous se tournèrent vers la silhouette qui approchait. Long manteau de cuir noir, chemise blanche sous un juste marron. Les chausses de laine noire s’échappaient dans des cuissardes portées à la mousquetaire, c’est-à-dire rabattues sur le mollet. Le nouvel arrivant arborait un tricorne, rabattu sur son visage le plongeant dans l’ombre. Jean Baptiste haussa un sourcil surpris à la vue de son lieutenant qui secoua la tête et s’éloigna d’un pas agacé. Le capitaine ne put lui rendre de compte tandis que les hommes invitaient les revenants à se restaurer et raconter les événements de la journée.
***
Ce ne fut que bien plus tard lorsque Jean Baptiste revint à la tente, repus et bienheureux, qu’il fit de nouveau face à son second. Lorsque il rabattit l’entrée de sa tente, avec le seul désir de se dévêtir et s’endormir aussitôt, il eut la surprise de découvrir le lieutenant appuyé contre un des piliers du pavillon. Bien qu’elle eût toujours sa rapière au côté, la jeune femme avait délaissé son tricorne découvrant son épaisse chevelure brune, tressée à la Française, son joli visage et un sourire mutin comme à son habitude.
« Le capitaine est donc de retour. Vive le capitaine qui n’ose pas annoncer à sa plus fidèle lieutenant qu’il part à l’assaut de l’ennemi.
– Paix Iris. Tu dormais du sommeil du juste à mon départ ce matin. Ne m’accuse pas d’un tort dont je me sais innocent.
– Oh vraiment… Alors j’imagine que je te dois mes excuses… »
Elle s’approcha de lui, l’éclat brillant dans ses yeux le faisant rompre tout désir de contrôle de soi, et il la laissa baiser doucement ses lèvres. Il n’avait jamais rien su refuser à la jeune femme depuis qu’il avait partagé leur premier baiser au cœur même du palais du gouverneur. Cela s’était fait plusieurs mois auparavant, peu de temps après l’arrivée du jeune homme. En sa qualité de capitaine de l’armée royale du Canada, et membre de la petite noblesse alsacienne, Jean Baptiste s’était vu accordé de côtoyer l’entourage immédiat de Sa Seigneurie le Lieutenant-Gouverneur de Montréal François-Pierre Rigaud de Vaudreuil. Or ce dernier avait une fille, au caractère de feu et forgée à l’esprit de la Nouvelle France qui s’était attachée à l’alsacien qui en avait fait de même. Ainsi lorsqu’il avait décidé de quitter Montréal pour traverser les lignes anglaises, elle l’avait suppliée, au point de tomber à genoux devant lui. Profondément attaché à elle, il n’avait su résister et tous deux avaient rejoint la compagnie. Pendant les premiers jours, Jean Baptiste avait profondément regretter ses choix mais les semaines passant les avaient rapprochés au point qu’ils n’avaient guère de secret l’un pour l’autre. Même les hommes, tant que la jeune femme était vêtue en homme et se montrait discrète, la tolérait bien qu’ignorant totalement son identité réelle. Elle porta la main à sa ceinture et commença à la déboucler, sourire taquin aux lèvres qui s’accentua lorsqu’elle découvrit la bouteille et l’agita sous le nez du capitaine.
« Et de cela aussi tu comptais oublier de m’en parler ? »
***
Plus tard, alors que les effets de l’alcool et d’une soirée avec son amante se dissipaient, Jean Baptiste gardait les yeux grands ouverts, fixant la toile de la tente. Alors qu’Iris s’agitait doucement pour se lover contre lui, une phrase revenait incessamment dans son esprit. Rien qu’il n’eût entendu. Mais plutôt un ressentiment d’une chose lue. Et qui le chamboulait désormais. Cela tenait en quelques mots mais était largement suffisamment pour le maintenir en éveil.
Vous avez pour ordre de me rejoindre présentement au camp de Lexington, en tant que partisan de notre Cause, pour rencontrer des émissaires de nos alliés.
Vive la République. Vive l’Angleterre. Gloire au Commonwealth. Mais même le pressentiment qu’il pouvait ressentir à cette idée n’aurait su l’empêcher de sombrer peu à peu dans un sommeil profond et réparateur…