L’effet Scrooge.
V’là que ça recommence, que ça leur reprend. Ils n’ont pas encore viré les citrouilles d’leurs fenêtres que déjà les prémisses de cette niaiserie de noël commencent à poindre çà et là, qui son rouge, qui son vert, qui son blanc. Leur a-t-on dit que c’était les couleurs d’une marque de soda qui fait des trous dans l’bide ?
J’n’aime pas noël.
Devant la boulangerie, Madame Plantin bavasse avec cette vieille pie de Bernadette. Elles me toisent comme les dindes farcies qu’elles vont se gaver au réveillon. Ça cause des cadeaux pour leur petits n’enfants. La poupée qu’on maquille et sa vraie fausse carte bancaire, la voiture électrique qui va encombrer le cinquante mètres carré de leur marmaille qui aurait préféré des étrennes que cette daube encombrante. C’est t’y pas que ça tombera en panne le quinze janvier et que ça encombrera le trottoir d’en face pour le mardi gras ?
J’veux que leurs sapins brulent.
Sur le sol, à côté d’une pub pour des paniers bio-équitables, une peau de banane… Je laisse trainer ma canne, décale l’étoile jaune dans cette mer d’immondice et continue mon chemin jusqu’à la poste chercher ma pension. Je les entends les dindes, s’inviter pour l’apéro, mais point d’apéro y aura. Un pas en arrière, des bras maigrelets qui brassent de l’air. C’est que ça vole mal une dinde ! Un popotin qui choit durement sur le sol glacé, et un col du fémur à refaire.
Point de Noël pour M’dame Plantin. Adieu la poupée d’la tite fille et la voiture de kéké du dernier chouchou. Et oui les mioches, l’père noël en a rien à faire d’votre lettre dégoulinante de cœur. Une éclopée et deux frustrés. Vl’a un Noël qui m’plait bien mieux.
La poste, une armée de chieurs devant moi. Et vl’a que ça chipote sur le prix d’un colis. T’envoie rien à ton bon à rien de fils, ça t’couteras moins cher l’ami ! Un lardon babille dans sa poussette, ça commente les jolies cartes de vœux conchiées de paillettes. Pire que le virus Ébola les paillettes. Ta mamie t’envoie une carte, ben t’es certain que l’facteur va en retrouver jusqu’au fond d’son plumard d’la paillette ! Le mouflet me fait une risette. Où il se croit l’môme ? Je vire mon dentier et lui offre l’aven d’Orgnac en sourire. Ça n’fait pas une, ni deux, le lardon s’met à brailler. D’jà ça commente moins d’la carte dorée. Devant c’est toujours pas d’accord sur le prix du colissimo, deux clampins reposent les cartes de vœux qu’ils avaient mis dix plombes à choisir et s’barrent de cet enfer postal. V’la d’la famille qui n’aura pas de nouvelles, autant de mécontents, autant de cadeaux en moins, autant de « on n’est pas prêt de les inviter réveillonner. »
J’veux qu’on renomme l’père noël en l’crétin de noël.
Ma pension a baissé car la CSG a augmenté. Maudit pays. V’la que l’guicheton veut m’refiler des timbres avec joyeux noël écrit d’ssus. Pourquoi pas aux chapons émasculés ? Aux canards cirrhosés p’dant que nous y sommes !
J’n’aime pas noël, c’est fait que pour les heureux.
J’repasse devant la boulangerie. Y a l’ambulance, les pompiers, les flics, les badauds. Bien du monde pour une dinde à la patte cassée. C’est que ça crée un bouchon énorme. Autant d’gens en retard dans leur cadeau et qui se rabattrons sur un truc moche, inutile. Et voilà une nouvelle fournée de futurs frustrés et mécontents. Ça pue noël ! S’moche.
Quoi ? L’papier était plus beau que l’cadeau qu’il cachait ? C’est ballot mon brave monsieur. Ne pleure pas Lucette, avec un peu d’chance l’année prochaine on stoppe cette bêtise.
J’tourne à l’angle de l’Uniprix, y a la flopée de SDF habituels avec leurs clébards. Ça picole à même l’trottoir. J’les aime bien, z’en ont rien à fou’t du noêl. S’pas du cantique qu’ils chantent, mais du paillard. Une maman passe outrée, je talonne un des clebs avec ma canne. L’corniaud gronde, le mouflet d’la maman couine, le chien croque une menotte. En v’la un qui ne va plus vouloir de son doudou en forme de toutou. Et un mioche sans doudou, c’est l’enfer parental, plus de nuit correcte. Ça va s’jeter les huitres à la tête au premier mot d’travers ou mal compris, ça va divorcer au jour de l’an et ça ne sera pas prêt de refêter Noël.
J’veux que noël crève, que les rênes se cassent les pattes, que l’traineau de l’autre barbu ventru s’fasse voler par l’père fouettard.
Bonté divine, sacre bleu, voilà que la chorale du quartier s’est installée à côté d’ma maison pour piailler leur sainteté ding ding dong. Ils vont l’regretter ! C’est qu’il y a neigé. Juste de quoi faire saliver les parisiens qui auront chaussé leurs skis dans l’salon, devant la téloche régionale qui montre la poudre blanche, juste pour s’y croire, pour oublier le prix du forfait qui va les ruiner. Mais mon gars, comprend bien que la merde blanche sera fondue quand tu viendras. Restera de la patauge boueuse et de la fondue d’fromage vendue au prix du caviar.
J’ouvre ma porte, attends qu’ils entament un nouveau cantique. C’est que ça sort du coffre, du baryton bien gras, bien grave. Je rentre et claque méchamment la porte. Au fait j’ai une grande dévotion pour monsieur Newton ! Car en claquant ma porte, toute la neige du toit est descendue direct sur les écorcheurs d’oreilles. Y avait deux ou trois stalactites. Avec un peu d’chance ça nous f’ra quelques chanteur de moins l’an prochain.
J'l’aurais un jour ! J’y arriverai à tuer Noël. Foi de Scrooge.