Le négociateur [FT Evelyn]

Leur arrivée dans cette colonie qui fut un temps la ville d'adoption du britannique remonte déjà à il y a une semaine. Habituellement les Rapier devraient déjà être en train de songer à leur prochain départ, prêts à repartir sur les routes pour évoluer en suivant le fil de cette vie qui n'est plus. Mais à Beacon Hills rien ne se passe jamais comme prévu, une évidence que Tobias était parvenu à oublier durant cette dernière décennie. Des imprévus, des coups en douce du destin les ont forcé à considérablement allonger leur séjour, ce dernier passant d'une dizaine de jours à presque deux mois.

Cheval est toujours chez l'éleveur en train de se remettre des misères qui lui imposent la carrure de son propriétaire, la période des chaleurs est quant à elle trop lointaine pour que l'ancien professeur ne puisse faire le moindre projet viable à court terme. Alors il n'a eu d'autres choix que de devoir s'adapter à ce quotidien qui n'est plus le sien. Un travail, celui de garde, un poste où savoir tuer et se battre n'est pas un talent négligeable. Une fois déjà il est allé aider à reconstruire ces barrières qui avaient été mises à mal par l'arrivée soudaine d'une horde. Celle qu'ils ont suivi, celle qui d'une certaine manière leur a permit d'entrer dans cette colonie en passant par la grande porte. Pat s'est quant à lui vu proposer un poste à l'hopital, et Alice découvre un lieu dans lequel elle n'avait jamais mit les pieds jusque réccement. L'école. Même si l'enfant sait lire, compter, possède des bases de sciences, géographie et même en histoire, rien ne pouvait remplacer ce bain de sociabilité dans lequel la blondinette se plonge avec délice.

À 10 ans il est aisé de se faire des amis. Un fait aussi rassurant qu'inquiétant car qui dit amis, dit également adieux larmoyants. L'alpha redoute malgré lui le jour où ils devront partir de cet endroit. La vie lui a apprit beaucoup de choses, lui a imposé moult situations compliquées mais voir sa fille triste et les joues baignées de larmes, demeure intolérable pour celui qui compense au quotidien l'absence d'un premier enfant qu'il n'a pas pu chérir à sa guise.

Dans un demi-sommeil, l'oreille tendue vers l'extérieur pour ne rien louper des actions de sa progéniture, l'anglais soupire, ronfle tout en restant éveillé. Dehors le soleil est haut dans le ciel, brille si fort qu'il est compliqué pour celui qui vit en rythme décalé depuis tant d'années de rester aux aguets. La nuit passée près de la porte nord a été rude, mais Patrick n'étant pas là l'alpha ne peut se résoudre à rejoindre les bras de Morphée. Le loup vrille sur le matelas, baille pour la forme. Sa grande carcasse s'étend lorsqu'il s'étire une nouvelle fois, puis doucement le voilà qui enfin se laisse bercer par la quiétude de cet instant. Marmonnant, le brun bave un peu sur le coussin du canapé qui lui sert d'oreiller. Une de ses mains glisse sur son visage, il se fricasse le nez du bout des doigts, fouille une narine.

Un cri le fait se redresser brusquement. Le loup tourne la tête, s'ébroue. Du matelas il échoue au sol tant ses gestes se font désorganisés. Il râle pour la forme, se redresse pieds nus, peu vêtu de manière générale. Un boxer distendu au niveau de l'arrière train suffit à dissimuler sa nudité à sa fille qui de toute façon l'a déjà vu dans le plus simple appareil.

-ALICE !

Ce n'est pourtant pas sa fille qu'il a entendu crier, mais la terreur parle plus vite que la raison de l'ancien professeur. Dehors ça couine et les pleurs ne font que se rapprocher. Tobias n'a que le temps de s'offrir le luxe d'un peu de flegme monté de toutes pièces que déjà la porte de la maison claque contre le mur en s'ouvrant brusquement. Un enfant, puis un de plus et finalement deux autres. À croire que tout les gamins du quartier se sont donnés le mot pour lui servir de réveil-goûter.

-Daddy ! Marcus est tombé sur un bâton.

Sourcils froncés le loup attend que l'on daigne lui en apprendre plus, à commencer par lui expliquer qui est ce Marcus dont il doute avoir déjà pu faire la connaissance. Alice s'approche, tire sur le bras de l'ancien chasseur pour le forcer à suivre le mouvement. Peu éveillé et donc fatalement peu aimable, le loup grogne pour la forme. Son regard noir tombe sur un môme trop jeune pour être laissé sans surveillance. Les joues baignées de larmes le marmot qui ne doit pas avoir plus de cinq ou six ans le fixe comme s'il attendait un geste de sa part. Tobias observe sa fille, puis à nouveau le gamin.

-File chez tes parents.
-Ils... Ils sont morts...

Il n'en fallait pas plus pour que le petit se permette de pleurer à nouveau. Entre deux sanglots qui brisent les tympans du britannique, Jean-qui-pleure explique une situation à laquelle celui qui un jour fut professeur ne saisit rien. Le mercenaire panique malgré lui, maudit celui qui n'est pas là et qui aurait su gérer cette situation mieux qu'il n'est en train de le faire. Patrick saurait quoi dire dans un pareil instant. C'est un coup de pied donné dans son mollet qui pousse à réagir celui qui tue pour survivre depuis des années maintenant. Son regard noir s'adoucit tandis que son insolente personnelle lui sourit. Alice explique que ce môme vit dans le coin depuis quelques jours.

-Il s'est fait mal.
-Pas mon problème.
-Ça aurait pu être moi Daddy.

La fourberie de la petite Alice dépasse allègrement celle de ses deux pères réunis. Tobias peine à ravaler un mot qui n'aurait rien de poli, soupire avant de se pencher vers sa progéniture.

-Il est où ce bâton ?

La fillette ne perd pas temps avant de saisir la main de son père, il suit cette dernière à l'extérieur sans se faire prier. À une dizaine de mètres de leur habitation temporaire l'enfant se fige, désigne ce qui ressemble à une racine déformant la chaussée. Sans prononcer le moindre mot, l'anglais sort les griffes et se penche pour saisir ce qui vient de causer la chute de l'ami de sa princesse. Il use d'une force qui ne sera jamais celle d'un humain lambda, tire, arrache finalement un bout de bois. La fissure dans le bitume déjà abimé s'est agrandie sous l'effet de ce qui peut ressembler à une prouesse.  

-C'est à qui ?

Le silence fait son nid. Tobias peine à se montrer de bonne humeur après ce réveil trop mouvementé à son goût dont il a été la victime. Une petite voix murmure enfin quelques mots, un nom si ridicule qu'il ne peut être réel. Un doigt délateur désigne une maison un peu plus loin dans la rue. L'anglais fixe son bâton, ne prend pas le temps d'écouter sa fille qui l'intime à se calmer alors qu'il n'est même pas énervé. Le loup file dans la direction donnée par l'ami de sa progéniture, s'approche de ce qui ressemble à quelques arbres fruitiers. Du bout des doigts il dérobe une pomme, un remboursement pour le préjudice qui vient de le forcer à mettre fin à sa sieste.

Vif il saute par dessus une barrière, son cœur s'emballe tandis qu'une fragrance aussi féminine qu'animale lui parvient. Au loin il discerne une silhouette mince surmontée par un grand chapeau.

-Miss ? Ce sont les enfants qui m'envoient. L'un d'entre eux vient de se blesser en chutant sur une racine qui vous appartient. Je pense que vous devriez aller présenter vos excuses au gamin dont les genoux sont en sang.

Derrière lui, la meute d'enfants ne le lâche pas d'un pouce. Représentée par le seul adulte qui ait bien voulu prendre un peu de temps pour défendre leurs droits.