Sous la Lumière du Soleil Levant [PV Nathan]

Je n’étais pas surpris, je pouvais tout à fait comprendre sa réaction. Ces mots étaient sincères. Cet homme était effrayé. J’avais déduit des choses qu’il n’avait pas dites, et au lieu de tenir ma langue, bien trop français dans mes manières, j’ai parlé ouvertement. Pauvre homme que je venais de mettre au pied du mur dans sa propre demeure, voilà un comportement bien honteux pour un samouraï. Un comportement qu’il fallait corriger. Bien sûr, hors de question que je commette un seppuku. Notamment parce qu’au fur et à mesure de ses paroles, mes poings se sont fermés de frustration. Je pouvais comprendre que par mes regards, il se sente jugé. Mais lui-même se permettait de faire un amalgame en ce qui me concernait. J’ai même légèrement arqué un sourcil, alors que je faisais de mon mieux pour rester impassible, mais je doute qu’il n’est remarqué ce détail lors de sa longue tirade pleine d’angoisse, une angoisse que n’importe qui, même un mort, aurait pu remarquer. Ce qui soit dit en passant est le cas. Mais ça c’est une autre histoire.

Pour le moment, je devais rassembler mes arguments. Lui faire comprendre que je n’étais pas son adversaire, et que je ne cherchais pas à faire pression sur lui, ou à le menacer. Loin de là. Certes, je ne le connaissais pas, je n’aurais pas dû me permettre de dire ce que j’ai dit, surtout chez lui.
Mais lui aussi avance des choses sur moi, en me comparant à ma famille, alliant à ces gens ma personne, comparativement bien plus respectable. Quant à mes regards étranges portés sur lui, je ne le regardais pas lui, mais le fantôme derrière lui, mon respectable grand-père, qui semblait s’émerveiller dans la demeure de mon possible futur patron, même si ce projet semblait être tombé à l’eau définitivement. Un projet qui avait ravi mon ectoplasme ancestral. Ce même ectoplasme était d’ailleurs en train de froncer les sourcils en entortillant sa moustache typiquement japonaise. Il allait falloir que je la joue fine, si je voulais sauver ma relation avec cet homme ainsi que me démerder pour éviter les foudres de mon vieux.

En prenant une simple inspiration, comme on me l’a enseigné, je me suis calmé, me levant simplement à la fin de la tirade de Shin, lui adressant un mouvement de tête en signe de respect, et me dirigeant vers la sortie. Cependant, plutôt que de sortir directement, j’en ai profité pour récupérer mon katana que j’avais laissé à l’entrée. En le prenant, par le manche, le tissu entourant le fourreau, entraîna celui-ci avec le poids, légèrement, révélant la base de la lame. Le soleil vint tout de suite frapper cet endroit de ses rayons, ce qui eut pour effet de réfléchir la lumière tout autour de moi ainsi qu’à quelques endroits là où se trouvait mon compatriote japonais.

C’est alors que lançant un regard furtif à grand-père, un regard que Shin allait sans doute prendre pour lui, je me suis souvenu pourquoi je partais. Je n’étais pas frustré, je ne venais pas de perdre un partenaire d’affaires comme celui qui m’avait invité se plaisait à le croire. Mon honneur venait d’être entaché. Il fallait que je répare cet affront avant de partir. Puis, il n’entendrait plus jamais parler de moi, puisqu’apparemment ma présence, c’était comme un démon pour lui désormais.

– Avec tout le respect que je vous dois, laissez-moi clarifier 23 choses, pour que mon honneur ne reste pas inutilement entaché, au nom de mes ancêtres samouraïs.

Je n’avais clairement pas l’habitude de parler comme ça. Je me sentais muni d’une force, d’une volonté étrange. Était-ce la sensation d’un homme réparant les torts que l’on vient de lui faire, des torts en tachant son honneur. Bonne question… en tout cas c’est agréable.

– Vous avez raison, j’ai manqué de discernement et de respect à votre égard. Mais j’aimerais vous rappeler que je ne suis pas comme vous. Je ne suis pas 100 % japonais. Ce n’est pas ma faute si c’est mon côté français qui a pris le dessus. Les Français ne sont pas aussi respectueux que vous autres, habitants du pays du soleil levant.

Ça, c’était dit… maintenant il fallait passer à la suite, et étrangement, j’avais hâte qu’elle sorte. J’étais amusé par la situation. Parce que j’avais l’impression, à avoir vécu avec l’esprit d’un vieux samouraï, que je me retrouvais face à un petit jeune qui ne connaissait rien de la vie, même si je me doutais bien qu’il avait souffert. J’avais l’impression de devoir le guider avec discernement, car manipulé par ses propres émotions, il avait oublié d’en faire preuve, contrairement à moi qui n’avais fait que l’observer et agir en conséquence. Je ne savais rien de lui, je n’avais fait que supposer.

– Quant à votre famille, comprenez que je n’en savais rien, ce ne sont que de simples suppositions, et vos réactions bien trop émotives n’ont fait que confirmer mes craintes. C’est par amitié que je propose mon aide, pas pour du business.

Il avait le droit de ne pas me croire, mais j’avais un argument plus qu’efficace. Mon existence même était une preuve. J’étais métis. Et pour toute la bonté dont il savait faire preuve, si je lui mettais le fait accompli devant le nez, je suis sûr qu’il comprendrait de lui-même que ma vie a été tout aussi difficile que la sienne, voire pire, et que les Yakuzas ne sont pas mes amis, ni mes camarades.

– Je vous demande juste de comprendre que je suis un Hafu, un métis. Vous m’avez critiqué pour vous avoir jugé, mais vous venez de me faire la même chose. Vous avez selon vos propres idées pu penser que je cherchais à vous manipuler. N’oubliez pas comment sont traités les Hafus au Japon. Imaginez ce que les Yakuzas m’ont fait subir, imaginez le refus que j’ai subi de ma propre belle-famille. Je n’ai jamais rien reçu de leur part, et surtout pas de l’argent. Ensuite, je ne peux pas nier que cet argent je l'ai gagné de façon illégale, mais cela fait partie d’un passé qui désormais fait ma force, au Japon uniquement, et qui m’a permis d’obtenir le respect de mon clan. Cependant, mon clan n’y a jamais été mêlé… J’en viens à me demander si un jour vous avait déjà entendu parler, par votre famille, de Shiroyama no ha… la lame de Shiroyama si vous préférez… cela vous donnera un indice sur comment j’ai pu gagner tout cet argent…

Je n’avais pas vraiment d’autres choses à lui dire, alors j’ai simplement rentré la lame de mon katana dans le fourreau, dans un claquement bien distinctif, avant de m’incliner une dernière fois devant lui, plus profondément qu’avant. J’ai ensuite volontairement murmuré tout bas ceci, en faisant attention qu’il entende. J’étais en train de discuter silencieusement avec mon grand-père, mais cette dernière phrase devait être dite à l’oral. Shin aurait le droit d’y croire ou non, mais mon ancêtre trouvait que c’était une bonne idée.

– Oui, je suis navré Daisuke… je ne vous fixerai plus en présence d’autres personnes… je vous remercie pour votre miséricorde…

Je me suis ensuite retourné, et je suis sorti de cet appartement en refermant la porte derrière moi. J’ai commencé à descendre les escaliers, dans le calme le plus absolu. Mon grand-père était confiant, moi, un peu moins. Et dans le pire des cas, je n’aurais qu’à l’attendre dans ma voiture. Si au bout d’une demi-heure il n’était pas descendu, je partirai.

Assis au soleil, sur le cuir quelque peu vieilli du siège conducteur, tapotant sur le tableau de bord, je laisse les douces notes d’une mélodie d’Hans Zimmer me bercer, mélodie me rappelant ma demeure originelle au Japon. Je repense aux paroles profondes et pleines de sens de mon récent ami et compatriote, Shin. Juste avant que je ne descende, que je ne quitte son appartement, les quelques mots qu’il avait prononcés à mon égard n’étaient que plus justes. Je m’étais laissé emporter par mes émotions. J’avais échoué, en tant qu’élève de mon grand-père, certes, mais surtout humainement. J’avais honte, le regard perdu dans les nuances bleutées de l’océan qu’est le ciel.

Il fallait que je me ressaisisse, tout en essayant ce coup de poker magistral. Faire en sorte qu’il me rejoigne, faire en sorte que nous puissions continuer la discussion, faire en sorte de repartir à zéro, entre guillemets. Je n’étais pas un grand joueur pourtant, mais mon instinct ne cessait de me titiller sur ce point précis. Je n’ai osé imaginer la pression que je venais de lui mettre sur les épaules, sans doute en ayant assumé mes origines. Même si pour le reste de sa famille, je n’ai fait qu’émettre des hypothèses en me basant sur ses réactions, je doute qu’il est apprécié, et ces paroles me l’ont confirmé. Je ne sais pas ce qu’il avait en tête en écoutant les quelques mots sortis de ma bouche. Ce que je savais par contre, au ton de sa voix, c’était qu’il avait peur et qu’il était en colère.

Peut-être est-il en colère parce que, j’avais été fortement impoli à son égard. Il a d’ailleurs souligné. Mais soyons honnêtes quelques instants. Sa colère se basait surtout sur sa peur, à mon avis. La peur qu’il arrive quelque chose à sa petite sœur, par exemple, chose qui serait impossible, mais au vu de la réputation des Yakuzas en général, je ne doutais pas de l’idée qu’il puisse penser que le menacé me vienne à l’esprit, en utilisant sa sœur comme un pivot pour des manipulations futures. Et ce n’est pas un mauvais scénario de film, c’est une réalité obscure qui se cache derrière les masques sociétaux des Japonais et du Japon lui-même.

Mon grand-père, quant à lui, m’observait en silence. J’en avais conscience. Cependant, il ne semblait pas vouloir me punir pour mon comportement. Lui, avait bien conscience que je me punissais déjà moi-même. Notamment avec la musique que j’écoutais, qui pour faire simple était la musique favorite de ma mère. Mais pas la mienne, loin de là. Je ne vais pas rentrer dans les détails mais disons qu’il y a une histoire de famille très spécifique à propos de cette musique. Ne me demandez pas comment mon grand-père a pu être mis au courant, car je n’en sais rien. Et si ça se trouve, il n’est pas au courant, mais à voir la gueule que je tire, il a dû comprendre que j’étais en train de souffrir.

Puis soudainement la surprise s’empare de moi. De mon bras positionné sur la portière, je commence à tapoter doucement. Mon toc est passé d’un bras à l’autre. Il s’approche doucement, mais je peux sentir une certaine hésitation dans sa démarche. Et son visage est un mélange d’expressions à la japonaise. J’y décèle de la peur, mais surtout de la colère, et une dose de « qu’est-ce que je fous là ? ».
Lorsqu’il arrive suffisamment près pour que je l’entende, il se penche et me parle. Je suis impassible. J’ai récupéré ce flegme japonais que j’avais perdu quelques minutes auparavant.

Mon regard l’analyse, dans ses gestes et dans sa posture. Je m’assure bien évidemment qu’il ne s’en rende pas compte. Je repense à ces mots, à la vie difficile qu’il a eue, aux coups qu’il a reçus. À la souffrance qu’il a dû subir, lui, mais aussi sa pauvre sœur. Je sais d’avance que si ma mère apprend quoi que ce soit à ce sujet, les choses risquent d’empirer dans l’ombre, non pas pour Shin, non pas pour sa famille proche, et j’entends, sa sœur, mais pour les coupables. Tout en restant du côté de la loi, il risque d’y avoir des mises au point.
Mais bon, de manière générale, son petit discours m’amuse, et semble rassurer mon ancêtre.

Je cherche cependant mes mots pour lui répondre convenablement sans l’effrayer. Pour lui faire comprendre de quelle famille je fais partie. Parce que ma famille est connue, pour respecter à la lettre le Bushido, l’art de voir la vie en toutes choses. Même dans la mort. À tel point que pendant un moment, des gens ont pensé que c’était marketing. Tous les membres du clan familial sont sincères avec ce genre de choses, libre aux autres de penser ce qu’ils veulent.

– Je ne sais pas quoi répondre, Shin. Je lâche un léger soupir pour ponctuer ma phrase, uniquement pour cela. Quant à ce que vous avez cru mon ami, il y a bien des mystères dans ce monde. Mon monde, quant à lui, dispose de bien d’entre eux. C’est à vous de voir si vous désirez le découvrir ou non. Mais jamais je ne vous forcerais à commettre cet effort.

Je ne savais pas comment il allait le prendre. Cet homme était un miracle en soi. Mon Vieux avait beaucoup d’estime pour lui. Et ma famille allait sans doute l’adorer. Dans le bon sens du terme. Même si j’avais un peu peur que l’oncle Yuji ne dépasse un peu trop les bornes, une fois alcoolisé. C’était un risque à prendre, surtout en considérant que si le voyage se faisait, ce serait un prétexte pour faire la fête dans les bonnes vieilles traditions des samouraïs.

L’alcool risquait de couler à flot, entre autres. Et comme à son habitude, l’oncle finirait dans un fût de saké. J’ai sans doute esquissé un sourire en y pensant, le regard mélancolique. J’espérais sincèrement que c’était passé inaperçu.

– Parlons plutôt de vos inquiétudes, mon cher. Elles me préoccupent bien plus que vous ne le pensez, notamment car ma mère m’a mise la pression lorsque je l’ai appelée. Je ne dis pas que vos inquiétudes sont infondées, car elles sont véridiques si pour la plupart des clans. Mais laissez-moi effacer ce poids sur votre cœur. Il n’y a aucun Kaishakunin qui attendra, au-dessus de votre tête ou au-dessus de la tête de votre sœur, pour vous décapiter. Vous ne risquez rien. Le clan Densetsu, nom qui vient du sabre, au passage, ne vous posera jamais de problème. Mais je suppose que vous avez déjà entendu parler de ce clan, et j’espère que c’est en bien… Maintenant, j’espère que nous pourrons reprendre la discussion. À moins que vous soyez perturbé à l’idée que le Yūrei du dernier véritable samouraï de l’histoire nous écoute… quant à lui, il vous salue en ce moment même et me demande de vous passer ces quelques mots. « Dōjō no shishō, kokoroyori owabi mōshiagemasu »

Je n’avais pas besoin d’en rajouter plus. C’était à lui de décider de son destin. À lui seul…

Les mots de Shin sont désormais clairs dans mon esprit. Cependant, j'estime pouvoir quand même faire quelque chose pour lui, en attendant la réponse des parents de ses élèves. Ça va juste me coûter un peu plus d'argent vis-à-vis de mon forfait téléphonique, par rapport à d'habitude. Mais c'est un bien faible prix à payer quand des vies sont en jeu. Surtout pour moi, avec la philosophie qui devient la mienne. D'un autre côté, je vais devoir me résoudre à accepter des conditions qui me déplaisent. On ne peut jamais tout obtenir sans contrepartie, après tout.

Je me saisis prestement de mon téléphone, et compose les yeux fermés un numéro que je ne connais que trop bien, laissant la mélodie provoquée par mes doigts agiles sur les touches me bercer, légèrement. J'active ensuite le haut-parleur, pour me simplifier la vie. De toute façon, mon camarade est beaucoup trop loin pour entendre ce que je vais dire. Il faut quand même dire que ma mère met un petit moment répondre, ce qui me laisse le temps pour réfléchir à comment je vais lui annoncer le deal auquel j'ai pensé. À tous les coups, elle va sortir son plus beau français pour me dire que je ressemble énormément à mon père, plus que ce que je le désire, par moment.

Après tout, c'est un homme d'affaires. Il sait jouer des mots pour obtenir ce qu'il veut. J'ai su hériter de ce trait familial. Disons que ma mère peut le faire aussi, mais qu'elle est plus à l'aise dans sa langue natale. Espérons juste que la discussion ne dure pas trop longtemps, parce que je commence à cuire au soleil. Mais finalement, ce n'est pas ma mère qui me répond mais bien mon oncle. À force, je vais finir par me demander si l'inceste n'est pas une chose commune dans ma famille, étant donné qu'il se retrouve souvent à avoir le téléphone portable de ma mère entre les mains. Et je trouve ça louche, à force…

– Mon oncle… oui, je sais… oui, je vais appeler plus souvent. Non, ce n'est pas une question d'argent... disons que je veux honorer les conditions que je refuse depuis si longtemps…

Je vais vous expliquer un peu plus loin, mais ce que je peux garantir à ce moment-là, c'est que j'ai entendu les mouches voler de l'autre côté du téléphone, si tant est qu'il y ait des mouches. Puis soudainement, la voix affreusement douce et charmante de ma mère. Je dis ça parce que j'ai bien conscience que beaucoup des choses que le clan familial a réussies à faire, c'est grâce à cette voix horriblement séductrice pour une femme qui table sur la cinquantaine et qui en parait trente, mais ce n'est pas étonnant, c'est le Japon… et j'ai bien le droit de critiquer ma propre mère.

– Oui ? Oui mère… Oui ! Mais non, ce n'est pas une blague ! Mais en échange, il faut que vous fassiez quelque chose pour moi, en direct. Et j'honorais définitivement mes engagements envers le clan.

Elle n'a pas cherché plus loin. Elle m'a demandé directement ce que je voulais, ce qui m'a permis de lui expliquer ma situation, ou du moins la situation de mon ami japonais. Je n'allais pas me mêler en détail de la vie de sa famille, mais au vu de l'inquiétude dans sa voix et dans son regard, j'ai fait promettre à ma mère que sa jeune sœur serait discrètement placée sous protection, mais que ça devait être quelque chose où les clans s'arrangeraient entre eux. Et elle savait exactement où je voulais en venir. J'ai eu sa promesse quant à cet arrangement privé entre elle et moi, ainsi que la voix de mon oncle hurlant en arrière-plan des ordres dans un japonais qui aurait pu ressembler à de l'allemand du troisième Reich tellement il parlait fort. Ou, à un mexicain ayant abusé de la tequila pour un peu trop de temps. Complètement bourré. Esta Cabron ! Comme dirait ce cher Gabriel Iglesias... mon Dieu, que j'adore ses shows...

Ce n'est qu'après une bonne vingtaine de minutes que j'ai pu raccrocher le téléphone, le poser sur mon tableau de bord, et démarrer ma voiture. Je reverrai ce cher Shin, lorsque ce sera le moment. Et si jamais ce voyage se fait, il nous changera tous les deux, j'en suis convaincu. Au final, ce qui m'effraie le plus, ce n'est pas sa colère… c'est de devoir terminer le tatouage qui a été inscrit en partie, il y a de cela des années, sur ma peau… nous verrons bien où cela me mène…