Nounou Graal [FT Avalon O'Connor]

Il traque la saleté à travers son appartement. Il demeure maniaque malgré la présence de sa fille qui semble prendre le plus malin des plaisirs lorsque vient le moment de salir son habitat naturel. Il a repris l'habitude qui avait déjà été la sienne presque vingt ans plus tôt. Profiter de l'heure de la sieste. À l'aide d'un chiffon doux, il essuie les traces des petits doigts sucrés qui se sont déposés sur la laque de son piano noir. Là où il ne voit dans cet objet qu'un instrument pour passer ses frustrations, sa fille a quand à elle décrété que le meuble n'était qu'un tremplin comme un autre, dont la seule vocation était de l'aider à se hisser toujours plus haut. Marcher comme une grande est devenu une obsession pour l'enfant qui ne cesse de grandir sous le regard impuissant de son papa.

Là où le britannique prendrait habituellement tout son temps pour vaquer à cette occupation des plus ménagères, aujourd'hui il tente de faire vite. Et bien si possible. Ils vont avoir de la visite et pas n'importe laquelle. Une des personnes qui a jugé bon de répondre à une des nombreuses annonces qu'il a disséminées à travers le campus de la ville. Wesley brille toujours par son absence, cesse même de donner des nouvelles depuis déjà trois longues journées. Trois jours de trop pour le doux libraire qui avait pourtant prit l'habitude de les contacter régulièrement. Tobias imagine le pire. Sombre malédiction, ceux qu'il aime finissent par fuir sa vie à un moment ou un autre. Comme si en s'attachant à eux, l'anglais ne faisait rien d'autre que leur sceller un sort des plus malheureux. Visage morne et sombre, il jette un bref regard à sa montre. Dans quinze minutes qui sait une perle fera peut être son entrée dans leur vie à lui et Alice ? C'est terrible mais il commence à douter d'un possible retour de son homme près de lui alors il s'est mit en quête d'un peu de renfort. Quelqu'un pour gérer la petite certains soirs où des obligations jugées comme étant immorales pourraient forcer le père de famille à quitter son appartement et s'éloigner de sa princesse.

Une personne qu'il souhaite peu regardante. Assez à cran financièrement pour accepter de venir à sa rescousse sans poser de questions. Sans se mêler de ce qui ne la concerne pas. Une personne qui à défaut de pouvoir mériter sa confiance, serait suffisamment aux abois pour tout faire pour lui plaire.

Le professeur en termine avec la poussière, puis passe à la prochaine étape de son périple à travers le salon. Bac en osier entre les mains, il cherche les inconscients qui auraient pu s'échapper de la caisse à jouets. Enfin... Les traces d'Alice et de ses passages réguliers à travers le salon. Avec l'apprentissage récent de la démarche à quatre pattes, la petite gagne en vitesse. Et augmente donc la dimension de son champ d'action pas la même occasion.

Le jumeau de doudou lapin trône sur le canapé alors que le triplé demeure toujours bien caché dans un des tiroirs de la penderie de Tobias. Tel un magicien, l'anglais est toujours prêt à faire apparaître une de ces bestioles à grandes oreilles. Pour éviter des crises de nerfs de la part de la furie blonde qui est toujours dans les bras de Morphée. Alice a du caractère. Seul le temps qui passe montrera si c'est une bonne chose ou non.

Les voitures sous la table basse, l'éléphant bleu ciel, dernier caprice en date de la petite niché non loin du meuble TV. Tout ce petit monde chemine vers le panier, puis Tobias fronce les sourcils en voyant l'intrus. Un boudoir pré-mâché planqué dans les poils longs et duveteux du tapis crème.

-Merde...

Du bout des doigts, Tobias frôle l'abject présent de sa fille. Le cœur au bord des lèvres, il fait de son mieux pour ne pas pâlir quand le biscuit se désagrège au contact de son épiderme. C'est poisseux donc récent. Le tueur qui n'a jamais eu de soucis avec le contact de la tripe fraîche et d'autres choses joyeuses rentrant de le même registre, celui de l'ignoble, est proche de la nausée. En tenant le trésor d'Alice du bout des doigts, il se dirige vers la cuisine en quête de la poubelle la plus proche de son actuelle position.

Il en est à jeter les restes alimentaires de sa fille quand on frappe à la porte. Oh. La demoiselle qu'il a eu au téléphone la veille est en avance. Ponctuelle. Une bonne chose, excellente même. Un bon point qui ne va pas de paire avec le désordre de jouets qui règne encore dans le salon. Et ce coup donné à la porte est bon signe lui aussi. Une preuve de jugeote de la part de cette demoiselle qui vient passer un entretien pour garder un bébé. Tobias blêmit quand un second coup à la porte retentit. Plus vif cette fois. Il doit se dépêcher pour ne pas prendre le risque que la jeune femme ne se lasse et décide d'utiliser la sonnette pour être certaine d'avoir été entendue. Sans se donner le temps de se laver les mains qui sont à présent couvertes miettes molles, le professeur se presse en direction de la porte. Tout de noir vêtu il ouvre enfin. Une demoiselle lui fait face. Brune et aussi fine que petite. 

Sans forcer un sourire qui ne serait pas naturel, Tobias baisse les yeux pour attraper le regard brun de la jeune femme. Puis lâche quelques mots sur le ton de le sérénité.

-Bonjour. Mademoiselle O'Connor je suppose ?

Il suppose bien. L'étudiante lui rend la politesse, se prend rapidement elle aussi au jeu des salutations d'usage. Le chasseur ne perd pas de temps avant de se décaler pour laisser la demoiselle entrer. Il fixe sa main souillée qui lui donne la meilleure des excuses pour ne pas avoir à s'infliger un contact physique indésiré.

-Je ne vous serre pas la main. J'ai du ramasser un vieux biscuit abandonné par ma fille. J'étais sur le point de me laver les mains au moment où vous êtes arrivée. D'ailleurs je vous remercie d'avoir eu la présence d'esprit de ne pas utiliser la sonnette. Alice fait sa sieste.

Le regard de la jeune femme parcourt sans attendre l'appartement qui n'est pas suffisamment bien rangé au goût de son propriétaire. Ici et là traînent encore des traces des passages répétés d'Alice dans les parages. Un enfant joue, c'est là tout ce qu'il y de plus normal. Et comme ils ne reçoivent que peu de visiteurs, Tobias a prit pour habitude de ranger sommairement les jouets seulement au moment où dehors la nuit dérobe sa place au jour. Mais c'est plus fort que lui, il se sent mal à l'idée de permettre à une étrangère de découvrir ainsi son intimité. Il referme la porte d'un geste posé, se fustige mentalement pour parvenir à faire naître sur ses traits froids une expression chaleureuse. Ne pas effrayer la baby-sitter dès leur première rencontre serait un plus s'il veut pouvoir la garder sous la main. C'est avec un pâle sourire aux lèvres qu'il baisse les yeux sur cette demoiselle qui a eu la bonne idée de répondre à son annonce.

Elle n'est pas la seule à l'avoir fait. Quelques uns de ses camarades ont eux aussi tenté de se faire embaucher. La ruine semble être un mal courant chez les jeunes gens de cet âge. Tobias ne juge pas, il a lui même fait d'étranges petits boulots pour parvenir à payer ses charges quand il était étudiant. Des moyens de subsister parfois honteux et souvent douteux. Mais il y a des moments dans une vie où il faut savoir revenir sur certains de ses principes pour parvenir à survivre.

-Oui. Des questions. J'ai évidemment quelques questions à vous poser. Rassurez-vous Mademoiselle aucune ne sera notée.

Il vient de tenter de se fendre d'un trait d'humour. Plutôt fier de se découvrir ainsi un nouveau talent pour le comique l'anglais sourit. Puis croise le regard de l'étudiante. Cette expression figée qu'affiche la demoiselle n'est pas un sourire. Elle semble hésitante et un peu crispée. Comme si elle ne savait comment réagir. Comme une proie acculée par un dangereux prédateur. Tobias soupire, se passe une main sur le bas du visage. Il murmure quelques mots. Presque des excuses.

-Comme à l'université ?

Le silence dure. Le visage d'Avalon perd quelques couleurs.

-Je suis navré. Je ne ferais plus ça. C'était gênant de ma part de m'essayer à l'humour. On va s'installer dans le salon, nous y serons plus à l'aise.

La demoiselle le suit, s'installe dans un des grands canapés du salon. Il ne sert à rien au professeur d'avoir acheté d'aussi gros meubles. La folie des grandeurs l'a prit quand il s'est mit à aménager les lieux à son goût. Il s'installe seul sur le second canapé après avoir été récupérer une feuille de papier dans la sacoche qu'il lui sert de cartable quand il va au lycée et depuis deux semaines à l'université pour y dispenser ses cours. Stylo noir en main, il se prépare avec des gestes précautionneux puis après un long silence non loin de devenir gênant il ouvre la bouche. En quête d'informations.

-J'aurais aimé savoir plusieurs choses avant de vous parler d'Alice et de vous faire visiter l'appartement. Des questions somme toute assez banales. Vous m'avez indiqué avoir déjà gardé des enfants donc je pense que vous avez l'habitude de vous prêter à l'exercice.

Il brandit son stylo puis en dépose la pointe contre le papier immaculé. Prêt à tout retranscrire dans les moindres détails.

-Avalon, chère Avalon. J'aurais aimé connaître votre âge, l'âge des enfants que vous avez déjà pu garder. Savoir de quelle filière vous suivez les cours. Si vous avez un petit ami ou son équivalent féminin. De possibles liens avec la police et les forces armées ? Avez vous certaines affinités avec le gui ? Buvez vous de l'alcool en grande quantité ? Vous avez déjà testé le cannabis récréatif ? La cocaïne peut-être ? Votre niveau de connaissance des numéros d'urgences et des premiers secours se situe où ?  Il me faudrait aussi votre adresse et j'aurais également aimé savoir si vous aviez oui ou non le permis de conduire.

Il n'y va pas de main morte. Refuse de laisser la place à une possible approximation. Sans se douter du fait que certaines de ses interrogations peuvent avoir l'air étranges, Tobias ne se départ pas de son sourire. Trouve même amusant d'ajouter quelques mots de plus.

-Après ces quelques questions je vous offrirais un rafraîchissement de votre goût.

Les réponses de la jeune femme la mettent immédiatement dans la catégorie des gardiens d'enfants acceptables aux yeux de Tobias. Le trouble de cette dernière à la question sur le gui, glissée malicieusement par l'anglais entre deux interrogations plus légères montre qu'elle ne doit rien connaître du surnaturel. En effet, à part la surprise, aucune autre expression n'est venue envahir le faciès de l'étudiante quand cette fourberie du professeur s'est fait entendre. C'est satisfait que l'homme regarde sa feuille couverte de notes prises à la va-vite. Son écriture habituellement régulière s'est faite déborder par sa vitesse de transcription par moment. Mais c'est toutefois sans mal qu'il parviendra à se relire si le besoin devait se faire ressentir.

Visage toujours intact, vide d'émotions qui pourraient être handicapantes dans un tel instant, il plie son feuillet, le dépose enfin sur un coin de la table basse. Puis il se lève, invitant d'un geste de la main l'étudiante à le suivre. Un verre d'eau, réaliser un souhait aussi simpliste est dans ses cordes. Il pourrait lui signifier que son réfrigérateur contient du soda, que sa cafetière est fonctionnelle mais il refuse de s'en donner la peine. Avalon joue le jeu de la sobriété et Tobias mentirait s'il disait que cela lui déplaît.

Il fourre une dosette dans la machine à café, attend que la lumière cesse de clignoter pour glisser sa tasse au bon endroit et enfin actionner la bête. Se servir un verre d'alcool ferait mauvais genre dans moment pareil. Donc il imite la demoiselle, prend les traits de cet homme qu'il a été dans un passé lointain. Un homme qui n'avait pas encore été gagné par de multiples vices. Le verre d'eau termine posé sur l’îlot de la cuisine, puis enfin le professeur inspire, souffle sur son café après l'avoir lourdement sucré, tout en dardant la jeune femme de son regard sombre.

-Vous présentez bien. Et je pense futile de préciser que vos réponses correspondent à merveille à mes critères de recherche. Le fait que vous soyez étudiante en médecine est même un bonus que je n'avais osé espérer.

Il trempe ses lèvres dans son café, se brûle la langue au passage. C'est après quelques secondes qu'il reprend enfin. Rapidement coupé par une voix fluette qui se fait entendre grâce au babyphone.

-D'autres personnes ont appelé pour l'annonce. Si certains candidats étaient risibles d'autres se contentaient d'être...

... Aussi inconvenants qu'insipides. Il sourit en reposant sa tasse sur l’îlot de la cuisine.

-Alice filoute souvent à l'heure de la sieste. Vous allez la rencontrer plus vite que je ne l'aurais pensé. Suivez moi, je vais vous présenter la raison de votre venue.

Sans plus de manières il traverse son appartement, file à travers le couloir qui mène aux chambres et à son bureau. En douceur il pousse la porte déjà entrouverte de la pièce qui a été naturellement dédiée à sa fille. Assise dans son lit et en partie sortie de son nid d'ange, cette dernière lui offre un sourire éclatant, ses petites mains frappant l'une contre l'autre. Tobias entre, se dirige vers la fenêtre pour relever le volet électrique. Dans son dos Alice se fige et quand il tourne la tête vers elle, il voit l'enfant fixer celle qui lui est encore inconnue.

-Alice, je te présente Avalon. Normalement vous devriez devenir très vite amies elle et toi. Avalon, je vous présente Alice. Vous pouvez la sortir de son lit si vous voulez, elle vous en sera certainement reconnaissante.

C'est là un test de plus que Tobias propose à l'étudiante. Sans doute le dernier. Sans prendre la peine de se cacher, il se tourne dos au mur pour ne rien manquer de la scène. Il veut savoir si la jeune femme saura passer outre la barrière de sorbier modulable qu'il a fait installer autour du lit de sa fille.

C'est finalement sans surprise qu'il voit la jeune femme tirer Alice hors de son berceau. Si Avalon ne se doute pas de l'exploit qu'elle vient de réaliser, elle ignore sûrement aussi qu'elle vient de signer son contrat d'embauche par la même occasion. La petite ne bronche pas, peu perturbée de se retrouvée ainsi lovée dans des bras inconnus. C'est une lutte qui débute entre les femelles de la chambre pour savoir laquelle des deux aura le sourire le plus resplendissant. Alice soupire d'aise puis se perd en babillages enfantins. Tobias essaie de lui apprendre à dire papa ces derniers temps, mais toutes ses tentatives échouent les unes après les autres.  Les "Pa" deviennent généralement des "Da" ou bien des "Gra". Les premiers sont souvent destinés aux pieds de la petite alors que les seconds servent à désigner Alessandro quand il est dans les parages. Si les crocs de l'italien peuvent impressionner, il ne font qu'amuser l'enfant qui ne comprend pas pourquoi son père n'est pas doté de pareils attributs.

-Adorable oui. Mais vous découvrirez bien vite qu'elle sait aussi user de malice pour obtenir ce qu'elle veut. Chipie à cet âge, je n'ose imaginer ce qui va se passer quand elle sera plus grande.

Il laisse le temps à ces demoiselles de faire connaissance. Un visage de plus dans le décor que la vie offre au regard d'Alice, cela ne peut pas être une mauvaise chose. Et cette jeune femme n'a pas l'air méchante, semble avoir été bien éduquée. Suffisamment pour savoir se tenir et parler convenablement. Si la jeunesse est bien souvent imparfaite, il semblerait que Tobias ait trouvé une perle. Cette jeune femme a prit le temps de répondre à son annonce et c'est une véritable chance pour lui. S'il refuse de s'imaginer devenir père célibataire, s'il refuse de penser que peut être, Wesley ne reviendra jamais, il sait qu'il doit pourtant se préparer à toutes ces éventualités. Parfois il sort le soir et ne peut emmener sa fille avec lui, que ce soit pour contribuer au chiffre d'affaire du Pink ou bien même pour aller au fight club, voir de ses propres yeux ce qui s'y passe. Il ne désespère pas d'y croiser Isaac. Le gamin a disparu de la circulation et la dernière fois qu'ils se sont croisés il était au fond du trou. Tobias devine sans mal ce qui a pu se passer et ne peut s'empêcher de craindre que son élève soit mort dans une ruelle. Et puis parfois Ryan lui fait part des affaires qui se jouent en ville. Il ne faut que peu de mots à Tobias pour comprendre quand on a besoin de ses services. Même si cela arrive rarement. À croire qu'il est devenu homme fragile dans le regard de ses compères de misère depuis que Gabriel lui a fait souffrir milles sévices dans cette cave glaciale.

Il redresse la tête, coupe ses pensées criminelles à la hâte quand Avalon lui propose de prendre Alice. L'anglais balaie d'un geste de la main cette idée, lance d'une voix presque chaleureuse.

-Je la trouve très bien entre vos bras. On va même pouvoir passer à la partie pratique de l'entretien. Sa couche est sûrement sale. Vous vous en chargez et je vous donne les lingettes ?

La demoiselle qui semble un peu surprise par cette prise de position britannique aux premiers abords, approuve toutefois assez vite la suite des opérations. En quelques minutes Alice finit sur la table à langer, collant baissé, body déboutonné et fesses à l'air. La petite gesticule puis se fige quand d'une main habitée par l'habitude, sa future baby-sitter lui bloque les jambes en l'air. Tobias soupire, échange un sourire avec Avalon.

-Un tout petit pipi alors que j'ai eu le droit à la cacatastrophe la dernière fois que je l'ai changée. C'est du favoritisme où je ne m'y connais pas.

Il colle une lingette dans la main de l'étudiante. Précis sont les gestes d'Avalon quand cette dernière nettoie consciencieusement chaque pli et repli de peau. Cette fois c'est une couche que Tobias tend à la jeune femme.

-Je crois qu'on va bientôt passer à celles qui se lavent. Mon frère m'en offre pour Alice, le colis est parti d'Angleterre il y a quelques jours. J'ai cédé quand il m'a dit que mon comportement irresponsable allait détruire la planète. Il oublie qu'il a lui même mit des couches jetables à ses enfants. Devenir grand père l'a rendu marteau.

George avait de toute façon déjà prit sa décision sans même chercher à savoir si son petit frère était ou non tenté par cette avancée écologique. Car c'est avec ces arguments qu'il lui a vendu son idée. La modernité. Alors qu'aux yeux de son cadet tout cela n'est rien d'autre qu'un retour en arrière que son frère lui impose. Si ce cadeau se révèle aussi empoisonné qu'il en a l'air, il finira caché au fond d'un tiroir.

-Pour votre rémunération j'avais pensé à 15 dollars de l'heure. J'ignore si c'est un montant convenable ou pas. Si c'est pingre à vos yeux, cela peut être négocié. J'ai été étudiant fauché, je sais qu'il faut payer un loyer et remplir son réfrigérateur tout en demeurant studieux.

Si j’avais pu passer l’épreuve théorique sans aucun problème, le professeur m'accorde le droit de prendre le jolie petite fille dans mes bras. J’avais hâte de voir la réaction du bébé, de voir quelqu’un qui lui était inconnue. Pourtant, celle-ci eu l’air de m’appréciait et continuait de porter le magnifique sourire qu’elle arborait sur le visage. J’avais toujours eu le contact facile avec les jeunes enfants et j’étais contente que ce talent continue à fonctionner avec Alice.
L’enfant était un vrai petit ange, elle devait être capable de charmer n’importe qui avec un sourire pareil. Elle devait être aussi capable de faire sourire son père, pour qui sourire ne devait pas être une grande habitude. Néanmoins, je ne fis aucun commentaire, je tenais à obtenir ce boulot. J’en avais bien besoin.

L’homme ajouta que sa fille était aussi belle que malicieuse, que cela pourrait être pire avec l’âge. Il avait lui aussi, un caractère assez particulier, qui lui permettrait de faire fuir les futurs prétendants de sa charmante petite fille.
Même si elle me réservait quelques bêtises, garder cette enfant serait quelque chose de positif qu’une réel corvée. Peut-être que je parlais trop vite mais j’attendais d’être seule avec elle pour voir de quoi elle était capable.

Après quelques minutes dans mes bras, la petite semblait m’avoir adoptée et c’était une bonne chose. Elle n'essaiera pas de faire des bêtises tout de suite, ce qui m'arrivait pour être honnête.
Si son père avait eu besoin d’une personne pour garder sa fille, c’était parce qu’il devait être plutôt occupé. Peut-être élevait-t-il sa fille seul ? Ce qui expliquait les jouets qui trainait partout dans l’appartement.
Quand je lui proposa de lui rendre sa fille, il préféra me la laisser, ce qui me fit sourire de nouveau. Quelque chose me disait que j’aurais droit à un autre exercice.
Je parti donc pour la changer, ce qui était un exercice plutôt habituelle. Je n’avais pas une sainte horreur de cette tâche, comparée à d’autres qui préfèrent passer leurs tours.
La remarque de Monsieur Rapier concernant le contenue de la couche de sa fille me fit sourire de nouveau. Je savais qu’il y aurait un jour ou je ne saurais pas aussi chanceuse.

- Ne vous en fait pas Monsieur Rapier, je vais finir par y avoir droit moi aussi.

Je ne voulais pas prétendre que le job était acquis, même si je n’avais pas commis de faute jusqu'à présent.
Je continuais à changer Alice et prenant ce que son père me donnait. Je faisais ça sans réfléchir, tout en faisant attention aux gestes quand j’étais en présence de la petite fille.
Il parla un peu de sa famille, de son frère qui allait lui donner des couches jetables pour sauver la planète. Je n’avais pas vraiment d’avis sur la question , je faisais toujours attention bien entendu mais je faisais rien de plus pour la planète bleue.

Il me proposa une rémunération convenable, peut-être qu’avec le temps, j’aurais droit à une augmentation. Je me sentais comme dans une mise à l’épreuve, une période d’essai. Je ne voulais pas me montrer trop gourmande, j’avais encore des économies que j’avais faites avant de partir de ma ville natale en plus des job d’été que j’avais accumulé. D’autant plus que mon loyer était divisé par deux grâce à ma charmante colocataire.

- Cela me satisfera Monsieur Rapier. J’ai toujours su me débrouiller, même avec un loyer à payer.

Je repris la petite fille dans mes bras et son sourire enfantin était devenu contagieux. Ce devait être un super pouvoir qu’elle avait dû avoir, ce serait d’autant plus amusant de savoir si elle était la seule à faire sourire son père. Il était impossible de résister à cette fillette.

La jeune femme qui lui fait face est discrète. Tant qu'il est compliqué pour Tobias de deviner si celle-ci est réellement satisfaite du maigre salaire qu'il vient de lui proposer. Lui qui a les moyens de s'offrir un train de vie qui ne va pourtant pas de paire avec son poste de professeur se demande pendant un bref instant s'il n'est pas en train de jouer une parfaite imitation d'Harpagon. Plus pingre encore que l'oncle Picsou. Pourtant comme il vient de le sous-entendre une fois de plus, il a lui même connu les fins de mois difficiles quand il est arrivé avec ses deux valises sous le bras dans la ville de tout les rêves. En tout cas son équivalent anglais. Ses cours le jour, quelques revenus facilement gagnés mais inavouables le soir venu. Le jeune homme qu'il était avait du renier certains des principes inculqués par ses parents pour survivre dans cette jungle urbaine qui offrait milles tentations à son regard qui pourtant se voulait déjà blasé.

Il est compliqué de devenir riche à Londres. Alors que finir locataire d'une chambre de bonne, le réfrigérateur aussi vide que l'estomac y est si aisé. Sans papa et maman dans les parages, Tobias, enfin cette plus jeune version de lui même, plus innocente et moins fermée au monde, avait vécu au rythme de cette nouvelle terre d’accueil. Rapidement et avec puissance.

Sourcils haussés, plongé dans ses pensées, l'homme met un peu de temps à réagir. Avant de se rendre compte que sa fille a maintenant une couche propre sur les fesses. Il ne doit son regain d'attention qu'à la jeune Avalon qui le fixe, Alice dans les bras. La gamine semble aux anges, la vision du visage encore marqué par l'enfance de sa future gardienne la plonge dans une joie sincère. Tobias inspire, amusé. Apaisé d'avoir pu mettre la main sur celle qui semble tout avoir d'une perle.

-Vous avez l'air d'être plus raisonnable que je ne l'étais à votre âge. C'est une excellente chose. Une qualité qui s'ajoute à toutes celles dont vous avez fait preuve depuis votre arrivée chez nous. Si cette liste parvient à grandir encore, votre rémunération devrait sans mal suivre le même chemin.

D'un geste vif, il attrape la couche sale, la roule en boule tout en prenant soin de glisser les lingettes souillées à l'intérieur. Une fois le paquet soigneusement emballé, il le soupèse un bref instant en le faisant passer d'une de ses mains à l'autre. Quand son regard glisse sans qu'il ne le veuille sur le duo qui lui fait face, un sourire fugace illumine ses traits. C'est rapide, mais pas assez s'il se fie au regard surpris que vient de lui offrir l'étudiante à qui il se sent prêt à laisser la garde d'Alice quelques heures par semaine. C'est plus par habitude que par un réel agacement qu'il lève les yeux au ciel. Sa bouche retrouve un pli acceptable. Le seul qui le soit selon le chasseur. Ligne droite. Aussi fine que froide.

-Je vous fais visiter quelques pièces. Vous avez déjà vu les plus importantes. L'appartement sera tout à vous durant vos horaires de travail. Les seules exceptions seront ma chambre et mon bureau.  

Des pièces qui seront fatalement verrouillées. La prudence, toujours la prudence. Ces endroits sont les siens, ce qui se trouve dans ces lieux pourrait faire douter le plus naïf des visiteurs. Même un jeune homme aussi candide que monsieur McLear trouverait qu'une partie de la garde robe du professeur n'a rien de classique.  

-Je lèverais la sécurité du piano si vous savez en jouer. Il faudra juste empêcher Alice d'aller y coincer ses petits doigts.

[...]

Sa fille entre les bras, Tobias termine son café qui n'est plus chaud depuis longtemps. C'est mauvais, mais ça a l’intérêt de lui occuper la bouche. Il ne sait plus quoi dire après cette rencontre qui s'est avérée au delà de toutes ses espérances. C'est un comble, professeur de lettres, il demeure pourtant incapable de s'exprimer de façon convenable. C'est là son éducation qui refait surface. Enfant roi, petit dernier d'une grande fratrie. On n'a pas prit la peine de lui inculquer le tact et toutes ces autres manières délicates qui permettent aux Hommes de vivre en harmonie. Quand il parle, il le fait toujours avec franchise. Une de ses rares fiertés, il ne ment pas. Jamais. C'est de tout les vices, celui qui attise le plus sa colère. Pourtant grand collectionneur de tares en tout genre, il se refuse à ce dernier. Il faudra qu'il songe à demander à Mafdet si Bonaparte éprouvait également une haine viscérale pour le mensonge. Sa collègue qu'il jugeait agaçante sans même la connaître est une compagnie qui s'est étrangement révélée agréable. Tout chez elle n'est que défi. Elle sort le tueur de sa zone de confort. Il aime avoir raison, mais il devine que face à un pareil spécimen il faut parfois faire profil bas pour s'en sortir indemne. Fou mais loin d'être bête, l'anglais sait se plier aux règles quand l'instant requiert un tel sacrifice. Comme les prémices d'un drôle de jeu. Il se dit que cette femme pourrait lui montrer certaines choses qu'il refuse de voir en temps normal.

Jeu de chat et de souris où il refuse d'avoir le rôle de proie.

Tobias soupire, pense à ce restaurant indien qu'il chérit. Toutes ces épices, toutes ces saveurs sont autant de souvenirs de sa jeunesse dans les quartiers du nord de Londres. Puis une idée effleure sa cervelle, y fait son nid. Avant qu'il n'ait eu le temps d'y songer plus longtemps, il ouvre la bouche et délivre sans filtre la fond de sa pensée.

-Demain soir je vais au restaurant. La place est à vous. Si vous êtes disponible nous pouvons voir ça comme une période d'essai.

Restaurant en solo. Voilà un bien triste programme qui se dessine à l'horizon. S'il espère toujours voir Wesley revenir dans les délais les plus brefs, il n'ose toutefois croire en un retour si proche. Son doux libraire lui aurait déjà fait part de cette nouvelle. Mais le blond est toujours absent. Son téléphone sonne dans le vide, ses fils de conversations sur les réseaux sociaux sont comme morts.

Dans le pire des cas, il emmènera Lewis. Tobias réglera la note, maigre dédommagement pour toutes les mousses au chocolat qu'il dérobe à son ancien colocataire durant ses fringales nocturnes.