Une nounou d’enfer Feat Andy

On médit dans le dos d'Andy depuis que la dernière nouvelle à son sujet a fait le tour du bordel. L'annonce n'a pas fait que surprendre Alessandro, les autres filles vivant à l'étage ne comprenant pas elles non plus ce qui a bien pu passer par la tête de la belle blonde pour qu'elle en arrive à accepter cette proposition peu commune. La féline qui jusqu'à il y a une semaine était bienheureuse de vivre une existence qu'elle jugeait paisible loin de tout bambins n'en revient pas de ce culot dont elle a fait preuve. Sans saisir tout des projets de Derek Hale, elle ressent pourtant un plaisir non dissimulé lorsqu'elle tient entre ses bras la douce Lisbeth. Comme si en elle naissait une vague de chaleur, traversant tout son être sans qu'elle ne puisse lutter contre cet étrange maléfice qui la pousse à vouloir être proche de cette petite chose d'un ordinaire braillard mais qui près d'elle devient la plus sage des poupées.

Elle fait de son mieux pour ne pas donner de crédit aux ragots qui éclosent dans son dos lorsqu'elle se rend au ranch. Non elle ne couchera pas avec le premier palefrenier venu dans la paille et encore moins gratuitement. Le bénévolat et la charité sont des notions totalement inconnues pour la puma. Elle ne baisse pas les yeux face à l'oncle de celui qui lui a sauvé fesses et vie quand ce dernier croise son chemin. Cet homme ronchon aux propos acides ne saura pas lui causer le moindre chagrin. Elle ne se rend au ranch que pour s'occuper de la jeune Lisbeth, échanger quelques mots avec Helen lorsque l'occasion se présente. La seule personne qui avec les enfants et leur père a su depuis le début se montrer aimable avec la prostituée. Et ce sans attendre quelque chose en retour. Helen lui apprend de nombreuses choses entre deux biberons donnés à Lisbeth. À ses côtés la prostituée découvre que la vie d'une ménagère n'est pas faite que d'ennui et de corvées.

Puis quand arrive l'heure de quitter le ranch, la jolie blonde change de vie en passant d'un extrême à l'autre. Une dichotomie presque parfaite et qui permet à la puma de se sentir plus complète qu'elle ne l'a jamais été. Andy se sent apaisée, elle qui il y a encore dix jours pensait que sa vie de catin savait pleinement la satisfaire.

Auprès de Lisbeth la jeune femme compense un manque dont elle n'avait jamais soupçonné l'existence quand le bordel lui permet d'avoir l'impression illusoire de conserver sa liberté.

Andy espère simplement que Derek ne changera pas d'avis à son sujet, que les ragots et les mots douteux qui ont tous pour cible la féline ne sauront pas le pousser à renvoyer de manière définitive la prostituée dans son bordel. Si un tel drame devait se produire, Andy prédit en étant certaine de ne pas se tromper qu'il lui serait ardu de tourner la page.

Assise devant sa coiffeuse, elle coiffe ses longs cheveux blonds après avoir changé sa robe. Elle a acheté du tissu et demandé à l'ainée du croquemort de lui confectionner une nouvelle tenue qui lui donne un air plus respectable que les atours qui sont généralement les siens. Une partie de l'argent trouvé dans sa besace a servit à financer cette folie. Judith est une fille bien, une enfant qui tente de contrecarrer les plans d'une mère qui songe déjà à la marier. Durant un de leurs brefs échanges, Andy a assuré à la jeune femme qu'elle était pourtant chanceuse dans ce qui lui semble être un vrai malheur. Les Rapier sont des gens biens et discrets. Rendre leur fille malheureuse ne semble pas être dans leurs projets alors que ceux de la féline n'avaient pas fait cas de l'avis de leur unique fille.

Concentrée la belle blonde fixe une boucle en se servant de ses barrettes en fer blanc, elle ajoute encore une épingle puis cache ce qui n'est pas parfait en glissant dans ses cheveux un peigne décoratif. Ses lèvres se parent d'un rouge profond. Son reflet lui plaît. Ce qui est un bon début lorsque l'on se doit de plaire aux autres.

Elle quitte sa chambre puis en ferme la porte en poussant le verrou avant de glisser la clé dans son corsage. Puis se fige quand la voix de Derek mêlée à celle d'Alessandro lui parvient. Sans que cela ne soit volontaire, la prostituée sourit. Elle tend l'oreille et apprend sans surprise qu'elle est au cœur de cette conversation que partagent les deux hommes. Curieuse elle s'accoude au balcon, puis rit sans se cacher. Derek lève les yeux, son regard croisant celui de la puma. Un échange de clin d'œil plus tard et voilà la jeune femme qui descend rejoindre ses deux patrons sans avoir attendu que l'on ne l'invite à se joindre à cette discussion. Elle n'est pas facile à impressionner et s'est forgée au fil des années et des mésaventures une carapace qui peut paraître dure à percer. Pourtant il n'en est rien. Résident encore dans son esprit et son cœur quelques rêves auxquels elle pourrait à nouveau accorder un peu d'attention si c'était là son souhait.

-C'était un emprunt, pas un vol.

Elle nuance son délit, se trouve des excuses qui n'en sont pas vraiment. Sans jamais perdre son sourire et son entrain, elle commande auprès de Barney un verre sans craindre que l'on puisse confondre ses manières avec celles d'un homme.

-Le châtiment est le même.
-C'est donc une erreur de la justice. Je suis une femme de parole qui tient toujours ses promesses.

Alessandro est un homme bien et ce même si parfois il peut sembler être dur et morose. La blonde ne sait rien du passif de son patron, il ignore tout autant de choses à son sujet. Si elle a réussi à fuir la justice une fois et éviter la corde après le meurtre de son fiancé violent, elle aurait pu s'en sortir une fois de plus en cas de problème. Un bordel est une bonne planque.

-Lisbeth est une petite fille qui sait se montrer adorable. En tout cas lorsque les bras qui la bercent lui conviennent. Elle deviendra une femme forte.

Les hommes ne semblent pas rassurés. Andy leur sourit, sans chercher à apaiser les craintes que pourraient causer en eux ces paroles qui sont les siennes et qui n'ont rien de futiles. Les propos d'une femme qui apprécie sa liberté ne conviennent pas toujours à ces messieurs. Elle trempe ses lèvres dans son verre et manque de s'étrangler sous la force du breuvage. On est là bien loin des thés que sert la vieille Betty. Mais ça la prostituée se contente de le deviner, cette bonne femme aigrie ayant décidé que son salon de thé ne devait pas être fréquenté par des femmes de petite vertu.

La féline capte depuis une des tables reculées dans un des recoins du saloon des regards insistants de la part d'un homme qui fixe sa poitrine et la vision qu'elle en offre. Un atout qui n'est pas le plus imposant que la blonde ait à sa disposition, mais qu'elle sait mettre en valeur. Elle sourit à l'homme, ose un clin d'œil qu'elle assorti d'une moue provocatrice. Le client en devenir rougit, se levant pour venir à sa rencontre. Andy pose sa main sur une de celles de Derek.

-À demain, le devoir m'appelle. J'ai dit à Helen que Lisbeth n'avait presque plus de langes propres. Ceux qui lui restent sont trop élimés pour faire leur office. Il en faudrait plus.

La jeune femme s'éloigne, invitant son nouveau client à la suivre sans attendre plus longtemps. Sans jeter le moindre regard en arrière, elle déverrouille la porte de sa chambre après avoir extirpé de son corsage la petite clé de métal.

L'homme la suit, fermant la porte derrière lui. Andy se dévoile, se dénude, laissant l'homme coller sa bouche sur un de ses seins, puis son cou.

Entre ces deux vies qui sont désormais siennes, elle ne sait laquelle choisir.

Les jours qui suivent confirment à la prostituée que sa place est tout autant auprès de la jeune Lisbeth qu'au saloon, ce qui n'arrange en rien la situation de celle qui voit ses certitudes être remises en question.

Sa vie qu'elle appréciait pour son calme il y a encore un mois n'a rien de comparable avec l'existence qu'elle mène depuis sa mésaventure à Calico. Alessandro ne semble pas avoir été mit au vent des évènements qui s'y sont déroulés et cela n'est pas sans arranger celle qui ne veut pas avoir à assumer ses fautes si elle peut éviter de s'infliger ce mal. Son escapade même si elle ne remonte pas à bien longtemps lui semble avoir été le projet d'une autre femme. Ce bébé que Derek lui a mit dans les bras change sa vie, comble un manque dont la féline n'aurait jamais soupçonné qu'il puisse être présent en elle. Neuf longues années à tout faire pour éviter de porter la vie en elle et la voilà confrontée à ses propres démons qui ont su prendre la forme du plus inoffensif des êtres que la jeune femme ait pu rencontrer dans sa vie.

Quitter le ranch pour rejoindre sa chambre et sa place au saloon lui est chaque jour plus ardu. Helen a l'air bien consciente du mal être soudain de celle à qui la vie démontre qu'elle peut espérer devenir plus qu'une simple catin. Cette louve est douce, tendresse et fermeté à la fois lorsqu'elle s'adresse à la prostituée. Une amie, une femme qui ne la juge pas pour son métier et ce depuis qu'elles se sont rencontrées. Une étrange confidente à qui Andy n'ose rien dire de sa vie de peur de trop se dévoiler. Mais surtout une femme fascinante qui anime leurs discussions pour deux tout en essayant d'apprendre à la féline toutes les ficelles qui pourraient faire d'elle une bonne ménagère. Un vaste projet.

Berçant dans ses bras Lisbeth qui doucement s'endort contre sa poitrine plus couverte qu'à l'accoutumée, Andy observe les faits et gestes d'Helen. Elle pétrit une brioche dont elle a promit une part à la blonde. La préparation n'attire pas encore les gourmands et ce même si Helen lui affirme que la pâte crue est déjà un délice à elle seule. Curieuse la blonde s'approche, tend une main rapidement claquée par sa complice devenue soudainement rieuse elle aussi.

-Tu ne vaux pas mieux que les enfants !
-En es-tu surprise ?

Un duel de regards se joue dans la cuisine, vite coupé par l'arrivée bruyante d'Arthur venu voir s'il n'y avait pas dans les environs quelque chose qu'il pourrait se mettre sous la dent. L'agitation causée par le jeune garçon réveille Lisbeth qui fronce un sourcil surprit avant de se mettre à hurler sans crier gare. Andy calle la petite contre elle, ronronnant pour essayer de la calmer au plus vite. Une petite main se referme sur une de ses longues mèches blondes qu'elle a aujourd'hui laissées dénouées mais la féline décide de tout ignorer de ce supplice que lui impose sa douce poupée. Arthur chouine à propos de ce bébé braillard qui lui hérisse le poil puis prend la fuite, un crouton de  pain dans une main.

Le ronronnement puissant de la prostituée finit par faire son effet, Lisbeth détend la prise qu'elle opérait dans la chevelure de sa nourrice, soupire et finalement se rendort en bavant sereinement.

-Elle fait ses nuits maintenant. C'est grâce à toi.
-Je ne suis pas là la nuit, Lisbeth ne doit son exploit qu'à elle même.
-Andy...
-Helen...
-Tu pourrais être là la nuit si tu le voulais.

La féline se fige, glissant sur son amie un regard terrifié qui bien vite se fait finalement outré. Elle n'aime pas ces paroles qui la poussent soudainement à douter de la raison de sa présence dans cet endroit. Et ce même si à aucun moment il ne lui viendrait à l'esprit l'idée de douter des intentions premières que Derek a pu avoir à son égard. La féline se terre dans un silence parfait ce qui ne décourage en rien Helen qui choisit de discourir plus longtemps sur ce sujet épineux.

-Tu sais ma belle Derek t'apprécie. Plus qu'il ne le montre et dans le ranch les rumeurs courent vite.
-Il ne se passe rien entre Derek et moi. S'il voulait coucher avec une des filles du saloon payer Alessandro lui aurait suffit. Même un tordu ne proposerait pas à une prostituée de venir s'occuper de son bébé pour obtenir un beau geste de la pute en retour. Derek vaut mieux que ça.

Fâchée la féline change de pièce sans regarder derrière elle. La gorge nouée et sèche elle part trouver refuge dans la chambre qui fut la sienne durant la seule nuit qu'elle a passé dans ce logis. Helen ne se donne pas la peine de la suivre et la puma lui en est reconnaissante.

[...]

Deux jours après ce rude échange de mots dont ni elle ni Helen n'ont voulu reparler, Derek ayant à faire en ville propose à la féline de la raccompagner au saloon. Sans dissimuler sa joie de se voir ainsi être dispensée d'une longue marche, Andy suit son ami et grimpe dans le chariot après avoir légèrement relevé sa robe pour ne pas se prendre les pieds dedans. Ne possédant pas la légendaire adresse des félins, elle prend gare à ne pas se tourner en ridicule si elle peut l'éviter. Posant ses mains sur son jupon, elle apprécie ce gain de temps tout en songeant à son proche retour au saloon. Marier ces deux existences est parfois compliqué, la jeune femme espère que son après-midi et sa soirée seront calmes.

Derek rompt le silence, Andy ne sait pas ce qu'il est bon de répondre au loup. Sournoisement, les dires d'Helen lui reviennent en tête. Oui elle se plaît au ranch, auprès de Lisbeth et de ces gens qui se montrent désormais charmants en sa présence. Elle est même parvenue à arracher à Peter un sourire après avoir cloué avec malice le museau de ce dernier. Après avoir jeté un regard souhaité furtif dans la direction de Derek, la puma répond tout en cherchant à dissimuler les émotions qui la traversent quand elle fait mention du bébé.

-Oui. Je l'apprécie sincèrement. Un jour elle n'aura plus besoin de nourrice et je pense que j'aurais bien du mal à l'accepter.

Elle refuse de penser que cette aventure pourrait prendre fin d'une autre manière. Si Derek se rendait compte que c'est peut-être une sottise de confier son enfant à une prostituée par exemple. Elle espère qu'un pareil drame ne se produira pas car il lui faudrait faire preuve de courage pour parvenir à oublier cette joie qu'elle ressent quand entre ses bras fins elle tient cette jeune enfant. Une petite fille qui n'aura pas eu la chance de connaître sa maman, une femme bien et aimée par ses autres enfants à qui elle manque. Andy ne la connaissait pas, ne cherchant généralement pas à se mêler à ceux qui ne vivent pas au saloon.

Derek est une exception, ces gens qui font vivre le ranch le deviennent également. Tout comme la fille ainée du croque-mort avec qui Andy a prit l'habitude de partager, quand l'occasion se présente, une tasse de thé chez Betty qui n'a eu d'autres choix que de tolérer la puma dans son salon.

-Il y a un mois j'étais heureuse de me tenir loin des enfants, de ne pas en avoir moi même. En me mettant cette petite dans les bras tu m'as poussée à repenser une large part de ma vie. Certains jours retourner au saloon est compliqué. Je pourrais prendre une chambre en ville mais jamais Alessandro n'acceptera que je parte et je ne veux pas nuire à votre bonne entente.

Sans laisser à Derek la possibilité de lui répondre quoi que ce soit, la féline reprend, sa voix non loin de se briser quand elle met un point final à ses confidences qu'elle juge déplacées.

-Je suis pute depuis neuf ans, j'ai semé le trouble et la discorde dans de nombreux mariages. Mais je refuse d'être celle qui brisera une amitié entre deux hommes qui me sont chers.

Elle baisse la tête pour camoufler de la vue de son ami ces larmes qui menacent de couler sur ses joues et qui déjà sont en train d'embuer son regard. Rabattant les longues mèches qui se sont échappées de son chignon devant son visage pour en faire un rideau assez opaque pour camoufler son trouble, Andy souffle doucement pour tenter de retrouver son calme habituel.

La féline se sentant incapable de conserver la maitrise de ces émotions qui l'habitent se tait, se contentant d'écouter le loup tout en tachant de renouer avec ses propres emotions. Elle frémit, craignant que cette nouvelle vie que Derek lui offre ne soit pas meilleure que celle qu'elle menait il y a encore un mois. Au saloon les choses sont aisées lorsque l'on a su prendre goût au mode de vie qu'on y mène. Avec le temps les filles comme leurs clients ne se posent plus la moindre question quand vient le moment de se retrouver dans une chambre de l'étage. Alessandro et même Barney veillent au quotidien à la sécurité des filles qui font vivre le bordel. Certes ce métier n'est pas de ceux qui font rêver les jeunes filles quand elles songent à leur avenir, mais c'était jusqu'à il y a encore peu de temps un mode de vie acceptable aux yeux de la puma.

Cette croisée des chemins qui s'offre à elle terrifie autant Andy qu'elle ne la charme. Si certains soirs elle regrette sa virée à Calico et toutes les complications qu'elle a apporté dans son existence, elle bénit la folle idée qu'a eu Derek en lui confiant sa fille lorsqu'elle retrouve cette dernière. Lisbeth souffre d'un manque d'affection qu'Andy se dévoue entièrement à lui offrir. La perte de sa mère au jour de sa naissance fait d'elle une meurtrière dans les esprits de bons nombre de personnes qui vivent au ranch. Mais au yeux de sa nourrice elle demeure une innocente enfant à protéger.

Elle ne répond rien à la proposition que Derek est en train de lui faire, se mordant l'intérieur des joues pour ne pas accepter cette folie. Ce choix qui semble si aisé à prendre dans l'immédiat ne sera pas sans apporter son lot de conséquences dans l'existence de la jeune femme. Elle baisse les yeux pour être certaine de ne pas croiser le regard du loup, jouant machinalement avec le tissu rose pâle de sa robe. Ainsi cachée de la vue de celui qu'elle considère plus comme un ami que comme son patron, elle soupire, un doux sourire égaillant ses traits fins.

Cette proposition semble folle mais elle ne l'est pas moins que ne le fut la première qui lui a faite Derek. Elle apprécie ce loup avare de sourires, s'est fait des amies au ranch et craint de ne pas savoir continuer à vivre de cette façon plus longtemps.

Il va falloir qu'elle s'entretienne avec Alessandro, qu'elle lui parle de cette nouvelle vie qui s'offre à elle et qu'elle se surprend à désirer plus qu'il ne serait raisonnable de le faire. Elle espère qu'il saura l'écouter, qu'il pourra la comprendre et que la discorde ne viendra pas envenimer ce qui était jusqu'ici une belle histoire basée sur la confiance.

Derek arrête son chariot devant le saloon, tout les regards convergent dans leur direction. Des langues de vipères prononcent des paroles qui ne plairaient pas au bon dieu, mais il faut dire que Derek est un beau parti. Nombreuses sont les mères de famille dans les environs qui rêvent de le voir épouser leur fille. Mettre une catin dans cette histoire doit sembler déloyal aux yeux de ces bonnes âmes souillées par l'appât du gain. Sans s'en soucier plus longtemps ni accorder à ces gens une importance qu'ils ne méritent pas, Andy saute du chariot et salue le père de Lisbeth.

-Au revoir et à demain Derek !

Elle opine du chef en prenant connaissance du message que Derek lui demande de transmettre. Quand elle rentre dans le saloon, elle salue Barney qui débarrasse des tables et Alessandro qui s'affaire derrière le comptoir en remplissant une rangée de verres sans faire tomber la moindre goutte sur le bar. L'italien lève les yeux vers elle, souriant d'un air ,narquois.

-Si tu as fini de jouer à la poupée tu peux monter défaire les lits.
-Derek passera avant de rentrer chez lui, il a des achats à faire.

C'est sans s'attarder plus longtemps qu'Andy grimpe à l'étage pour rejoindre sa chambre.

[...]

La suite de sa journée a été semblable à toutes les autres, elle a fait ses corvées qu'elle a tendance à négliger ces derniers temps, enchaîné avec son office de catin quand le client se présentait. Ces occupations lui ont permit de ranger dans un des coins de son esprit la discussion qu'elle a pu entretenir avec le père de Lisbeth. C'est sereine et souriante qu'elle descend dans le saloon après le départ des derniers clients de la journée. Rebecca est allée se trouver de nouveaux rubans, Barney est sorti après avoir nettoyé les lieux et Alessandro fait les comptes de la journée. À pas de chat la féline s'en approche et demande.

-As-tu eu l'occasion de parler avec Derek ?

L'italien répond par la négative, le saloon n'a pas désemplit de la journée et les âneries de l'adjoint Turner n'ont pas permit aux deux loups d'y trouver le calme nécessaire pour discuter ensemble. Andy fait la moue, inconsciente manière de sa part de montrer son trouble. Elle aurait souhaité ne pas être la première à parler avec Alessandro de la proposition qui lui a été faite par le père de la petite Lisbeth.

-Moi j'ai pu parler avec lui quand il m'a raccompagnée. De choses et d'autres. De choses importantes...

Le doute qu'elle laisse planer ne tarde pas avant de s'insinuer dans le regard de son ami. Il doit sentir poindre la prévisible annonce du départ de la puma. Tout cela achève de m'être mal à l'aise celle qui regrette déjà d'avoir eu le courage de sortir de sa chambre pour parler avec Alessandro. Si elle a généralement le verbe habile ce n'est que pour frôler le futile du bout de sa langue mutine. Ce qui n'est pas le cas en cet instant. Non la proposition que lui a fait Derek est importante, elle est heureuse dans ce ranch qui donne à son existence un semblant de normalité et de respectabilité. Si au début les commérages qui naissaient sur son passage n'étaient pas rares, elle a désormais l'impression de ne plus être une simple catin dans le regard des gens qu'elle côtoie là bas. Elle n'y est rien de plus qu'Andy, la nourrice qui a su faire cesser les pleurs stridents de Lisbeth. Une femme loin d'être aussi sotte qu'elle ne le laisse paraître, une petite blonde au sourire facile et dotée d'un esprit sarcastique.

Une survivante qui tait son passé de crainte de devoir payer le prix de ses propres erreurs. Mais ça personne ne doit l'apprendre.

-J'ai beaucoup de mal à laisser Lisbeth pour revenir ici. Elle me donne l'impression d'être utile, importante aux yeux de mon prochain. Même si ce prochain est un bébé de quelques mois. La tenir dans mes bras me rend plus heureuse que je ne l'avais jamais été avant aujourd'hui. C'est comme si je me sentais enfin complète. J'ignorais que j'avais besoin d'elle avant que son père ne me la mette dans les bras.

Andy baisse les yeux, puis se redresse après s'être brièvement offerte à cette faiblesse qui lui souffle qu'elle est en train de commettre une erreur en crachant ainsi dans cette soupe gracieusement, ou presque, offerte par Alessandro depuis tant de temps.

-Derek m'a proposé de vivre chez lui. Je vais accepter. Entre les langes sales de Lisbeth et mon travail ici, je choisis cette petite fille qui a besoin de bras aimants pour grandir. Je suis désolée de te dire tout cela de manière si crue, mais je ne connais pas d'autre façon de le faire.

Andy tait ces excuses qui lui dévorent pourtant la langue, craignant d'envenimer la situation en agissant ainsi. En évoquant des regrets qui ne seraient pas les siens. Incapable de revenir sur sa décision qu'elle juge être la plus juste qui soit, elle espère toutefois que son choix ne creusera pas un large fossé entre elle et Alessandro. Elle a de bons amis dans cette drôle de bâtisse, apprécie d'échanger que modestes mots avec Barney et les parties de cartes qu'elle joue régulièrement le soir avec les autres filles de l'étage. Les décisions importantes sont bien souvent les plus dures à prendre.

Alessandro ne prononce pas le moindre mot, se contentant de refermer le livre de comptes auquel sa pleine attention était donnée avant qu'Andy ne pointe le bout de son nez. Il leur sert deux verres, trinque avant de délivrer ce qui a des airs de bénédiction à celle qui n'est désormais plus son employée. Le lourd poids de l'appréhension qui rendait fébrile la féline s'efface, elle renoue avec la sérénité, soulagée que le loup qui lui fait face sache lui aussi comprendre qu'elle ne pouvait pas refuser cette proposition qui va bouleverser son existence.

La puma opine du chef, soulageant son verre d'une longue gorgée de son côté sans qu'aucune grimace ne vienne déformer ses traits délicats. En quelques mots cette affaire, une page de son histoire dont elle refuse d'avoir honte, se clôt. Elle n'aime pas les adieux larmoyants, les mots tendres ne sont pas sa spécialité. Alessandro met fin à cette discussion en ouvrant une nouvelle fois son livre. Andy vide son verre et le laisse auprès de son ancien patron, remerciant rapidement ce dernier avant de filer dans sa chambre pour régler les dernières affaires qui l'y attendent.

Il est tard mais elle doit faire ses valises, sans rien oublier derrière elle car elle ne compte pas revenir fréquenter cet endroit dans un futur proche. Une certaine distance s'est instaurée entre elle et les autres filles de l'étage depuis que la féline travaille auprès de Lisbeth. Elle ne peut leur en vouloir, ignorant quelle serait sa manière de réagir si les rôles étaient inversés. Au fil des imprévus la vie de la puma se retrouve chamboulée, si vite qu'elle a l'impression de perdre la maitrise de sa propre destinée. Un sensation grisante dont elle ne peut nier qu'elle lui plaît.

[...]

Andy n'a que peu dormit lorsque point le soleil à l'horizon. Sa chambre est propre, ses effets personnels ont tous trouvé place dans ces deux valises qui contiennent sa vie entière. Elle serre Barney contre elle sans retenue quand elle le croise dans le saloon. Le loup a été mit au vent de son proche départ et redoute de ne plus jamais croiser la blonde sur son chemin. Incapable de lui promettre que ce jour arrivera tôt ou tard, la féline se contente de baiser la joue de celui qui était devenu lui aussi un ami. Sans faire durer les choses plus longtemps, elle récupère son dernier solde, puis quitte le saloon. Elle est retard, Derek ne sait pas quelles sont les décisions qui ont été prises depuis la veille. Andy espère que le loup n'a pas changé son avis sur la question entre temps.

Un doute, une nouvelle angoisse enfle en elle avant qu'elle ne se souvienne que Derek est un homme droit qui respecte sa parole une fois qu'elle est donnée. Chargée l'ancienne prostituée progresse avec lenteur, sort de la ville avant qu'un chariot ne s'arrête à sa hauteur. Redoutant l'apparition d'un des clients du saloon, elle retrouve son sourire ainsi que son souffle lorsqu'une voix douce et calme s'adresse à elle.

-Bonjour mademoiselle. Puis-je vous aider ?

La féline se tourne et lève les yeux vers le père de Judith Rapier. Ce dernier l'observe avec bienveillance. Le britannique est impressionnant, lettré et bien différent de part ses manières de la plupart des hommes qui vivent dans cette ville. Un homme fait moult fois cocu par sa femme mais qui élève d'une façon identique tout les marmots qui mangent à sa table.

-Bonjour. Je me rends au ranch Hale mais je ne veux pas vous déranger.
-Montez. La dame qui m'attend ne me tiendra pas rigueur de mon manque de ponctualité.

Andy grimace, mal à l'aise avec le métier de celui qui lui fait face. Elle hésite un bref instant mais ne se fait pas prier bien longtemps et ne tarde pas à monter ses valises à l'arrière du chariot quand elle voit que l'homme tient en main les rênes de ses bêtes, déjà prêt à prendre le départ. Elle grimpe aux côtés du croquemort, posant ses mains sur ses cuisses tout en conservant le silence pour ne pas déranger celui qui s'est proposé pour lui rendre un inespéré service. Ainsi le trajet est bien plus rapide qu'il n'aurait dû l'être. Quand à l'horizon se dévoile la silhouette du ranch, le père de Judith stoppe ses chevaux.

-Ai-je des nouvelles à transmettre à Judith ? Elle m'a dit que vous étiez amies.
-Dites lui simplement que je vais bien. Et que je vais être moins disponible pour boire le thé.

Andy sourit, remerciant encore une fois l'homme avant de descendre du chariot sans y oublier ses effets. Déjà ce dernier s'en va, repartant pour faire son office. La puma ne met que peu de temps à parcourir la distance qui la sépare encore du ranch, elle entre dans la cuisine sans y trouver personne, délaissant ses valises près de la porte pour aller trouver Helen. Lisbeth qui pleure l'appelle, ce qui la pousse à modifier son programme initial. Une fois qu'elle a été récupérer la petite fille qui s'égosillait dans son berceau, la blonde se dévoue à la préparation d'un biberon après avoir callé la jeune enfant sur une de ses hanches. Attentive la poupée aux yeux rougis ne quitte pas du regard celle qui s'active pour son bien être. Les derniers sanglots trouvent leur fin quand enfin il est permit à la gloutonne de se repaître.

Un bruit, celui de pas se figeant sur le seuil de la porte, fait lever les yeux à la puma. Si elle s'attendait à faire face à Helen ou encore Cora, il n'en est rien. La cadence de son cœur se fausse le temps d'un battement. Ou deux.

Derek l'observe en silence, il a déjà dû remarquer la présence des bagages de la blonde qui attendent qu'elle daigne venir les vider. Andy sourit, puis salue son ami.

-Bonjour Derek. J'accepte ta proposition. J'ai pu parler à Alessandro. Ma place est ici et pas au bordel.

Lisbeth mécontente d'avoir perdu la pleine attention de sa nourrice agrippe une mèche des cheveux blonds dénoués de cette dernière pour la rappeler à elle. Machinalement Andy desserre un à un ces petits doigts qui savent se montrer bien agiles quand le besoin se présente. Lisbeth repue relâche son biberon dans un "pop" burlesque, avant d'ouvrir sa bouche dans laquelle perlent de premières dents de lait.

-Mama !

Abasourdie, la féline fixe la petite qui lui sourit largement en la fixant avec un regard dans lequel se mêlent amour et admiration. Interdite, Andy peine à réagir, sa surprise manquant de la rendre maladroite. Elle s'assied brusquement sur une chaise non loin d'elle, incapable de réellement réfléchir alors qu'elle balbutie sa surprise.

-Il va falloir lui apprendre mon prénom.

-Je l'ignore, je viens d'arriver.

Derek s'affaire en silence, préparant du café sans que la féline ne se permette de le couper pour remplir le vide de cette discussion avec un flot de futilités. Si le loup est un taiseux de nature, la puma aime quand à elle parler, parfois pour ne rien dire. Elle le faisait avec certains de ses clients, plus souvent encore avec les autres filles de l'étage et même avec Helen et Cora lorsque l'occasion peut s'y prêter. Elle ne prend cependant que peu souvent cette liberté quand elle est en compagnie de représentants de la gente masculine, consciente que ses tracas ne sont pas faits pour intéresser ces messieurs.

Tout en couvant de son regard habité par la plus pure des tendresses la petite fille qui s'endort dans ses bras, elle lève tête et regard vers le père de Lisbeth quand ce dernier s'adresse à elle.

-Tout cela ne me pose pas de problèmes.

Elle fera ce qu'on lui demande, jouera les ménagères si c'est ce qu'on attend d'elle. Docile et peu amène à l'idée de se faire remarquer, la féline veut se fondre dans la masse de ce ranch remplit de loups tout en sachant que la chose ne lui sera pas aisée. Si pour y parvenir elle doit laver le linge et nettoyer la vaisselle, c'est sans se plaindre qu'elle assumera la liste de corvées qui lui sera attribuée.

-Je veux bien.

Derek verse du café dans un second bol, tout en prenant gare à ne pas y intégrer des grumeaux de marc. Puis il le pose devant la féline qui ne tarde pas à s'en saisir en se servant de sa main libre. Le liquide chaud et amer la réveille un peu plus qu'elle ne l'était déjà. Elle n'a que peu dormi durant la nuit qui vient de s'écouler, trop occupée à ranger ses effets et remettre sa chambre dans un état de propreté assez convenable pour qu'elle puisse accueillir une nouvelle fille. Elle ne doute pas un seul instant de la facilité qu'aura Alessandro à lui trouver une remplaçante.

La vie est faite de cycles, d'histoires et d'opportunités. Andy sait avec certitude qu'elle ne regrettera pas le choix qu'elle vient de faire. Continuer à mêler deux activités aussi différentes était bien trop compliqué pour que cette situation ne dure plus longtemps.

Lisbeth bave sereinement dans les bras de sa nourrice. Ses paupières bougent, trahissant cet esprit juvénile qui rêve de choses dont l'enfant est encore bien trop jeune pour qu'elle ne puisse en parler à autrui. La féline subjuguée par l'innocence de la petite fille affiche un sourire charmé.

-Monsieur Rapier m'a offert de m'accompagner jusqu'ici. J'apprécie sa fille, elle est déterminée et brillante. Elle lutte contre une mère qui veut la marier tandis qu'elle rêve de prendre la suite de son père. Ma propre mère ne songeait qu'à me marier. Elle m'a apprit à tenir une maison, à me plier aux désirs d'un potentiel époux... J'ai perdu le contact avec elle quand j'ai décidé de suivre mon propre chemin.

Sa mère est sans aucun doute furieuse d'avoir perdu sa fille, l'occasion de marier cette dernière et les avantages que lui aurait permit d'obtenir une union avantageuse sur le plan financier. Ou peut-être s'est-elle laissée emporter par le chagrin suite à la perte de celui qui était un bon gendre mais un piètre fiancé. Andy l'ignore et ne tient pas à savoir ce qu'il est advenu de sa famille après sa fuite. Sa mère était dure, ses frères tenaient plus des rustres que des gentlemen et son père était quand à lui trop naïf pour saisir l'ampleur de ces plans que son épouse fomentait dans son dos.

En se confiant de cette manière auprès de son ami, Andy se doute bien qu'elle en dit peut-être trop. Ses parents, son passé sont autant de secrets qu'elle entretient pour assurer la sérénité de son quotidien. Toutefois elle se sent en confiance en compagnie du loup, en sécurité depuis qu'il lui a sauvé mise et vie à Calico.

-Je prendrais soin de Lisbeth et de tes autres enfants si tu me le demandais. Je ne connaissais pas leur maman mais ils en parlent avec admiration et amour. C'est terrible ce qui vous est arrivé, toutefois Lisbeth a besoin de bras aimants pour grandir. Je pense pouvoir accomplir cette tâche, mais je refuse de prendre la place qui était celle de ton épouse. J'en ai parlé avec Helen qui semble penser que cette place pourrait m'être donnée. Nos avis divergent sur ce sujet.

Il est rare que la féline se sente assez en sécurité pour se confier au sujet de son passé comme elle vient de le faire. Même si ses paroles sont banales et reflètent ce qui peut être la vie d'un bon nombre de jeunes femmes, c'est consciente du risque qu'elle pourrait encourir en décidant d'en dire plus qu'elle prend la juste décision de se taire avant d'avoir à regretter d'en avoir trop dit. Lisbeth est calme, soupirant son aise dans les bras de sa nourrice et loin de se soucier des tracas qui peuvent animer ceux qui l'entoure. Une douce et jolie poupée à la voix criarde qui a fait sans mal chavirer le cœur de celle qui n'est plus une prostituée depuis peu. Andy imite l'enfant, souriant timidement à son tour. Pour finalement se faire surprendre par le père de Lisbeth quand ce dernier approche et prend la petite dans ses bras.

C'est la première fois qu'elle voit Derek agir de cette façon. La petite fille ne pleure pas comme elle le ferait dans les bras d'Helen ou encore Cora, elle conserve son calme et se contente de fixer celui qui la tient. Si Andy est l'unique personne dans ce ranch à réellement donner de l'attention et de l'affection à ce petit être, il se pourrait que les choses changent. Rares sont les hommes qui prennent à cœur le fait de s'occuper de leurs enfants, en tout cas pas de cette manière. Ce travail est généralement celui d'une mère ou dans le cas de Lisbeth une nourrice, mais Andy n'est pas contre un peu de nouveauté et donc de modernité. L'actuelle société n'est pas parfaite, la puma aimerait voir les femmes gagner en importance et indépendance dans ce monde créé par les hommes et conçu pour les mâles.

Silencieuse Andy récupère Lisbeth, laissant Derek porter ses valises puisqu'il s'est proposé pour le faire avant de suivre ce dernier pour découvrir la chambre qui a été préparée à son intention. Elle devra remercier Cora et Helen lorsque l'occasion se présentera.

La chambre est belle et grande. Lumineuse également, la fenêtre offrant une vue agréable sur les prés. Le lieu est propre et ne sent pas la poussière, la main libre de la féline s'attarde sur quelques détails, caresse la courtepointe, puis le bois dont est fait le lit. Cette chambre n'a rien de comparable avec ce qu'était celle encore récemment occupée par la jeune femme au saloon. C'est un lieu fait pour une femme respectable, dont le métier est approuvé par l'église et les femmes austères qui fréquentent le salon de thé de la vieille Betty. Jamais Andy n'aurait cru un jour devenir une de ces femmes, mais ces deux derniers mois lui ont permit de découvrir que rien n'était jamais définitif en ce monde. S'enfermer dans un bordel comme d'autres le font dans un couvent n'aura été qu'une étape dans son existence. Un chemin laborieux, un choix dont elle juge avec un peu de recul qu'il fut presque courageux.

La poupée de porcelaine attire son attention, elle en avait une enfant. Un jouet qu'elle a laissé chez ses parents, un onéreux cadeau qui lui avait été fait pour sa communion. Elle a passé beaucoup de temps à jouer avec son unique jouet quand elle était enfant, elle espère pouvoir transmettre à Lisbeth ce plaisir quand cette dernière sera assez grande pour ne pas briser cet objet délicat.

-C'est une jolie chambre, elle me plaît beaucoup.

Andy opine du chef en réponse aux dires de Derek. Aucun besoin et pas plus de questions ne lui viennent pour le moment. Elle n'a pas non plus la moindre idée de ce que doit être le salaire d'une nourrice. Tout cela est si nouveau pour elle qu'Andy n'a pas prit le temps de songer sérieusement à tout ces détails dont tout son être lui crie sans doute à tord qu'ils ne sont que des futilités.

-Merci Derek, pour tout ça. Nous parlerons des détails quand tu en auras le temps. Rien ne presse, je reste ici.

Et elle ne compte pas quitter le ranch sur un coup de tête. La féline aime les routines pour leur aspect apaisant. Si elle peut parfois se montrer imprévisible, elle n'agit que rarement en se fiant uniquement à son instinct. Un instinct qu'elle a parfois bien mauvais au vu des ennuis qu'elle a rencontré lors de son escapade à Calico.

Elle installe Lisbeth sur le lit, callant la petite fille entre deux oreillers pour éviter qu'elle ne se retourne et chute. Puis déballe ses effets sans perdre de temps. Ses sens viennent de lui indiquer qu'Helen est en train de s'affairer dans la cuisine et il est possible que la louve ait besoin d'aide. Lisbeth s'amuse des atours de sa nourrice, jouant avec un boa, puis des fanfreluches en dentelle avant de jeter son dévolu sur un long morceau de ruban blanc. L'enfant se fait les dents en mâchouillant tout ce qui passe à sa portée, gazouillant son ravissement sans oublier de baver sur les effets de la féline qui veille à ce qu'elle ne se passe pas le ruban autour du cou.

[...]

Ses affaires ont facilement trouvé leur place dans la commode mise à sa disposition. Quand elle a eu fini de prendre possession de sa nouvelle chambre, Lisbeth s'était finalement endormie, confortablement callée entre les deux coussins disposés autour d'elle pour sa sécurité. Andy s'est alors rendue utile, autant qu'il lui était possible de le faire, en allant rejoindre Helen dans la cuisine pour lui proposer son aide. La louve ne s'est pas faite prier pour distribuer à la féline des tâches diverses et peu divertissantes, puis est arrivée l'heure de passer à table.

Il est toujours ardu pour la blonde de se retrouver ainsi entourée de loups, d'ignorer les regards qui s'attardent sur sa personne, les sourires en coin qu'on lui adresse et dont elle doute qu'ils soient bienveillants. Pour ne pas plier et céder à la détresse, elle tait ses humeurs et avis, se contentant d'écouter ce qui se dit autour d'elle sans songer à ce que l'on peut dire à son sujet quand elle tourne le dos. Armée d'un sourire fade et de façade qui lui sert de carapace, elle écoute les consignes données par Cora à propos du linge, sachant que chacun de ses pas seront observés, surtout les faux, durant les jours à venir.

Les questions qui lui sont posées ne trouvent que des réponses trop vagues pour qu'elles ne puissent satisfaire les curieux. C'est en se protégeant de cette manière qu'elle évite les ennuis depuis dix longues années, il lui faudra bien du temps pour s'ouvrir aux autres et enfin oser se dévoiler. Quand ce long repas prend fin, Andy se lève pour débarrasser les tables avec les autres femmes. Certaines se chargent de la vaisselle mais la féline n'a pas le temps de les imiter car déjà Lisbeth se réveille et appelle en chouinant. La blonde ravie de pouvoir saisir cette occasion de fuir cette animation dont elle n'apprécie pas d'être le centre, se rue vers la chambre des enfants et attrape celle qui rougit sous l'effet de la colère naissante.

Lisbeth a un caractère fort et il n'est pas toujours aussi bon qu'il ne devrait l'être. La petite fille refuse le biberon, s'accrochant aux longs cheveux blonds de sa nourrice sans parvenir à se calmer. Andy prend alors la décision d'aller dehors avec la petite pour l'aider à se calmer. Il pleut déjà, elles ne resteront pas longtemps ainsi mais les gouttes et le vent qui se lève semblent apaiser l'enfant. Quand elle aperçoit Derek au loin, Andy s'en sert comme d'une habile diversion pour amuser Lisbeth.

-Regarde chérie, c'est ton papa là bas.

Elle agite le bras de la petite, souriant tout en peinant à afficher une joie réelle.

-Et c'est comme ça qu'on dit au revoir à son papa. Bravo Lisbeth.

Derek approche, se plie tout en restant fermement installé sur son cheval et finalement embrasse le font de la petite qui ne cache pas son plaisir.

-À demain !
-À demain, sois prudent !

[...]

Elle n'a pas eu le temps de s'ennuyer durant cette première journée passée au ranch. Les enfants dorment même si Arthur, particulièrement inquiet de savoir son père dehors par ce temps, a été long à rassurer. Andy se fait elle aussi du mouron au sujet de Derek et des autres loups qui sont partis avec lui. Dehors le déluge prend des airs de punition divine. La féline ne serait presque pas surprise si elle voyait au loin passer une arche.

Quand elle approche d'une fenêtre, ce n'est que pour tenter de discerner l'horizon à travers ce rideau épais de pluie qui lui barre la vue. L'angoisse fait s'agiter de soubresauts les mains de la jeune femme qui ne se sent pas d'aller retrouver son lit même en sachant que la nuit précédente fut courte et que la prochaine journée sera épuisante. Quand des pas se font entendre dans son dos, elle reconnaît immédiatement l'odeur du tabac dont Peter se sert pour bourrer sa pipe. Elle décide de l'ignorer mais il ne lui facilite pas l'affaire en s'adressant directement à elle.

-Tout va bien se passer, ils ont l'habitude.
-J'me doute bien.

Son ton est sac, cassant sans que ce ne soit pourtant volontaire. Angoisse et fatigue ne font pas un bon mariage. Elle sent dans son dos Peter se tendre et le souffle de ce dernier se figer. Ils restent ainsi de longues secondes à fixer cette pluie qui obsède autant qu'elle pétrifie la jeune femme. Les chats n'aiment pas l'eau et ce qu'ils aient ou non l'apparence d'un humain.

Alors que l'ancienne prostituée songe à se faire violence et rejoindre sa chambre pour la nuit, Peter la surprend en s'inquiétant de ses états d'âmes. Andy se retourne enfin quand échappe à l'oncle de Derek une drôle de proposition.

-Sais-tu jouer aux échecs ? Normalement je joue avec Ray, mais il est parti lui aussi.
-Je sais jouer. Un peu.

De la part de tout autre homme ou loup cette proposition ferait craindre à la féline qu'une idée n'ait pu faire son chemin dans l'esprit de son interlocuteur. Mais ce n'est pas le cas avec le père de Ian. Certes le loup n'est pas facile de caractère et peut paraître dur, mais Andy ne craint pas ses réactions. Depuis Calico elle a prit pour habitude de se montrer plus prudente qu'elle ne l'était auparavant. Mais son petit doigt lui dit qu'elle ne risque rien dans cette maison. Après une brève hésitation, elle accepte la proposition d'un petit hochement de tête.

La suite est amusante, voir déroutante si on prend le point de vue du loup. Sournoise, la féline lui laisse la première victoire sans chercher à montrer son plein potentiel. La seconde partie n'est que plus amusante quand elle y met fin brutalement en moins de dix coups. Peter demeure éberlué, fixant le plateau de jeu pour y déceler les clés de sa défaite. Andy rit quant à elle, d'un éclat léger et détendu. Elle est enfin prête pour trouver le sommeil sans tourner pendant de longues minutes dans son lit à la recherche d'un peu de repos. Peter et son expression désabusée auront su la distraire et alléger les tracas qui parasitaient son esprit.

-Comment as-tu fais ça en ne savant qu'un peu jouer ?
-Bonne nuit Peter.
-Mais Andy !
-À demain. Merci pour ce moment.

La féline s'en va, riant dans cette barbe qu'elle n'a pas. Elle se change, soulage ses besoins naturels et enfin se couche. Quelques minutes lui sont suffisantes pour trouver le sommeil. Une nuit dont elle ne songe pas un seul moment qu'elle sera vite coupée par les prochains pleurs de Lisbeth.

Le réveil n'a rien de comparable avec celui auquel la jeune femme s'attendait. Elle qui pensait être tirée du lit par les pleurs de Lisbeth s'éveille avec difficulté quand une forte agitation secoue le ranch. Quelques bêtes du troupeau qui était placé sous la surveillance de Derek et Cliff sont revenues d'elles même au ranch, montrant là qu'il s'était passé quelque chose d'anormal durant la nuit. Incapable de proposer une aide réelle pour arranger cette situation, la féline a assisté impuissante au départ d'un chariot et de plusieurs loups qui n'ont pas mit de temps à prendre la décision d'aller porter secours à ceux qui ne donnaient plus de nouvelles depuis la veille.

Tout le reste a été bien vite, si vite que la féline a choisi de trouver refuge dans la chambre occupée par les plus jeunes enfants de son patron pour ne pas traîner dans les pattes de ceux dont chaque acte semblait comme nourrit par l'appréhension et la crainte d'avoir subit des pertes humaines durant la nuit. Les enfants eux aussi ne sont guère assurés par le sort qu'a pu être celui de leur père et Andy ne sait quoi répondre aux questions qui lui sont posées. Elle se tait alors, agissant comme un automate dont chacun des gestes serait dicté par un instinct de survie déjà trop souvent mis à l'épreuve. La boule qui enfle dans son ventre est faite d'une angoisse qui la dévore de l'intérieur sème le doute dans son esprit. Ses dernières décisions pourraient-elles se faire porteuses de regrets dans un futur proche ? Son instinct qui parfois lui fait déjà défaut aurait-il été berné par la proposition inattendue que lui a fait Derek il y a maintenant un long mois.

Un mois, c'est là tout ce qu'il lui aura fallu comme temps pour qu'elle en vienne à repenser son existence alors qu'il y a encore peu elle pensait être plus heureuse qu'elle ne l'avait jamais été. Certes la féline n'a pas eu une enfance facile. Elle fut aisée mais dénuée d'affection. La marâtre qui lui sert de mère ne voulait pas son bien, mais uniquement voir leur nom devenir synonyme de réussite sociale et de richesse. Andy n'était aux yeux de cette femme qu'un bien destiné à être cédé au plus offrant. Un sort peu enviable que la puma ne souhaite à aucun enfant de sa connaissance.

Sa nouvelle vie est bien meilleure que celle que sa mère lui destinait, tout comme l'était la précédente. Mais là où les putes ont parfois une triste réputation, ce n'est pas le cas des nourrices.

Et puis... Andy se sent si bien quand contre elle dort la petite Lisbeth. Le cœur l'a mené vers ce qui semble être un choix de raison. Ressentir le moindre regret à ce sujet serait une insulte faite à ceux qui l'ont accueilli au Ranch.

[...]

Une heure plus tard, peut-être deux et voilà que les hommes sont de retour. Cliff est dans un piètre état et confié aux bons soins du barbier. Dehors, Derek défile avec un convoi fait de morts et d'hères qui ne seront bientôt plus de ce monde. La corde aurait également pu être le sort d'Andy sans la clémence de Derek, elle le sait sans jamais se risquer à s'exprimer sur ce point. Libseth chouine, troublée par cette agitation peu commune. Andy échange un sourire pincée et sans joie avec le père de la petite qu'elle est heureuse de savoir vivant et capable de chevaucher. Elle a tant craint hier et plus encore ce matin qu'un malheur ne lui soit arrivé. Elle a pleuré également après s'être cachée pour ne pas dévoiler aux autres loups qui vivent ici ses faiblesses. Andy après s'être forgé une carapace durant tant d'années pour ne pas laisser les tracas des autres la toucher se rend compte que tout ces efforts étaient finalement vains.

Lisbeth s'agite contre la poitrine de sa nourrice, l'air est trop frais pour que cela ne convienne à la petite fille qui cherche un peu de chaleur en enfouissant une de ses mains dans le corsage d'Andy qui n'a que faire des amusantes manières de cette petite poupée trop innocente pour savoir que d'autres mains que la sienne sont passées par ici avant qu'elle n'ait cette idée.

Andy souffle, puis rentre quand il lui semble que le spectacle donné dehors n'est pas convenable pour une si jeune enfant. Elle même dérangée par tout cela préfère ne pas être dans les jambes de tout ceux qui s'affairent pour permettre au ranch de retrouver un semblant de normalité.

[...]

Lisbeth est dans son berceau, elle ne dort pas mais elle est sage et sous la garde de ses aînés qui savent qu'ils doivent venir chercher la féline si leur petite sœur devait être prise par une envie de les ennuyer. Andy approche de la cuisine avec l'idée d'y trouver du café, son pas se pressant quand la voix de Derek lui parvient. Le cri qu'il vient de pousser montre que Cliff n'est pas l'unique blessé suite à l'attaque des voleurs de bétail.  

-Tu veux bien m’aider à porter cette bassine jusqu’à la baignoire ? Et...

Un échange de regards suffit à la féline pour qu'elle saisisse que Derek souhaite que sa blessure reste un secret. Ce qui ne la dérange en rien, tant que tout cela n'a pas de conséquences en tout cas. Elle est consciente de devoir faire ses preuves dans cet endroit si elle veut y être acceptée. On la tolère, on la scrute comme si on attendait qu'elle fasse une erreur digne de lui être reprochée. En tout cas c'est le sentiment de la jeune femme qui veut montrer au reste de cette meute qu'elle est bien plus qu'une prostituée que Derek a sorti du bordel. Des cachotteries ne joueraient pas en sa faveur si elles étaient découvertes.

-Je te rejoins, prépare toi.

Elle agit avec rapidité, va chercher de l'eau au puit après avoir déversé le baquet d'eau brûlante dans la baignoire. La jeune femme s'affaire, s'adapte plus vite qu'elle ne l'aurait pensé à cette existence plus mouvementée que celle qu'elle a pu mener au saloon. Andy reste silencieuse, par peur d'attirer les curieux. Elle évite également de croiser le regard de celui qui cesse de se dénuder quand il ne porte plus que son caleçon long. Une délicate attention pour la féline, un geste qui lui aurait inspiré un mot d'esprit sarcastique si l'instant était à la plaisanterie. Elle se contente d'opiner du chef avant de frôler une des mains du loup du bout de ses doigts fins. Pour lui transmettre un peu de chaleur, de réconfort quand elle ne sait si elle doit être heureuse qu'il soit revenu en étant simplement blessé ou bien si elle doit lui en vouloir pour tout ces tracas que son état lui a inspiré depuis la veille.

Cuisiner la distrait, la forçant à ne songer à rien si ce n'est au reste de ragoût qui se réchauffe et dont elle doit éviter qu'il ne finisse brûlé. Elle casse trois œufs dans une poêle, met le tout dans une assiette quand la cuisson lui semble juste. De larges tranches de pain, un bol de café puis un second sont ensuite mis à table. Derek ne s'est pas assoupi, elle le sait car elle surveille de loin le loup depuis qu'elle l'a quitté avant qu'il ne rentre dans la baignoire. Parfois il râle, se reprenant bien vite quand il doit songer aux nombreuses oreilles qui traînent dans cette maison. Andy a envoyé les enfants jouer dehors, tous ici sont occupés à l'extérieur pour gèrer l'imprévu dramatique qui leur est tombé dessus. Trop affairés pour penser que leur alpha pourrait être en train de leur cacher son état.

Andy prend place sur une des chaises de la cuisine, attendant que Derek ne pointe le bout de son museau mais ce dernier se fait attendre ce qui finit par émousser la patience de la féline. Au bout de quelques minutes qu'elle se donne le droit de juger bien longues, la puma n'en peut plus et se donne la permission d'aller jouer les curieuses. Après tout peut-être Derek est-il en difficulté ? Peut-être s'est-il même endormi dans la baignoire ? La féline se lève, quitte la cuisine et file à la recherche du loup. Elle fait escale dans la chambre des plus jeunes enfants, y trouvant Lisbeth plongée dans son activité favorite après manger et crier : La petite fille dort d'un sommeil profond, son pouce droit rangé dans la bouche. Sa nourrice sourit, satisfaite de voir la petite poupée aussi calme malgré l'agitation ambiante.

Doucement Andy ferme la porte, puis en approche une autre.

Sa main se lève, elle toque. Aucune réponse ne lui parvient. Andy réitère l'opération, toussant pour la forme avant de s'exclamer.

-Derek, c'est moi. Puis-je ?

Le silence toujours et encore. Et la patience n'est toujours pas le point fort des félins. Andy frappe alors plus fort le battant de bois de son poing serré. Si cette fois encore aucune réponse ne lui est donnée, elle entrera sans attendre qu'une invitation ne lui soit transmise.

Derek ne donnant toujours pas de réponse, la féline choisit d'ouvrir la porte sans attendre qu'une autorisation ne lui soit donnée. Le piètre spectacle qui lui apparaît alors lui fait comprendre qu'elle avait déjà trop tardé avant d'entrer dans la salle de bain. Le loup tangue, faiblement cramponné à la table devant le miroir. Quand les jambes de Derek le lâchent, Andy laisse quant à elle choir au sol le plateau qu'elle était venue porter au père de Lisbeth pour tenter de lui offrir un secours malheureusement trop tardif pour qu'il ne puisse éviter à son ami une mauvaise chute.

La panique point chez la jeune femme, cependant ce sentiment qui rend sot est bien vite remplacé par la raison qui dicte à la féline qu'elle se doit d'agir avec empressement si elle souhaite que ne soit pas dévoilé le secret au sujet de l'état de Derek à tout ceux qui vivent au ranch. Cacher le loup au fond de son lit devient une priorité, ranger ce gâchis qui orne désormais le sol passe au second plan. Sans ce soucier de la nudité de Derek la puma s'active, peinant à soulever celui qui n'est pas léger pour le trainer jusqu'à sa chambre sans attirer sur eux l'attention de tout ces loups qui vivent ici.

[...]

Derek est au fond son lit, sa blessure est désormais bandée pour éviter qu'il ne souille ses draps de son sang et la salle de bain a été nettoyée par celle qui juge que tout cela dépasse largement les attributions de la simple nourrice qu'elle est récemment devenue. Elle a également préparé un second repas pour le père de Lisbeth. Quand elle le rejoint dans sa chambre sans cette fois avoir prévenu de son arrivée, elle le trouve réveillé. L'expression un peu perdue affichée par le loup pourrait être touchante si la situation n'était pas aussi dramatique.

-Tu es tombé dans les pommes quand j'entrais dans la salle de bain. J'ai fait au mieux et au plus rapide pour éviter qu'on ne te voie ainsi. La salle de bain est propre, j'ai rincé le sang. Personne ne m'a vu. Personne ne sait pour ta blessure.

Andy tend une assiette remplie d'un reste de ragoût chaud de la veille et de trois œufs qu'elle a fait cuire. Elle y a ajouté du fromage, du pain, tout ce qui lui tombait sous la main dans l'espoir que cela puisse aider à remettre sur pied son ami. Elle brodera d'aussi vagues que jolies explications destinées à Helen si cette dernière en venait à s'inquiéter de la disparition de toute cette nourriture dont une bonne partie a finit par orner le sol de la salle de bain.

Derek mange enfin, en faisant preuve d'un appétit qui plaît à la féline car il la rassure. Elle lui rend son sourire sans vraiment y penser, tellement habituée à afficher une bienveillance niaise qu'elle le fait à présent sans même avoir besoin de songer à ce masque charmeur qu'elle affiche en toutes circonstances. Il lui faudra bien du temps pour prendre de nouvelles habitudes, pour parvenir à s'adapter à cette existence qu'elle va pouvoir vivre dans cette maison. Elle n'a cependant pas le cœur à rire lorsque le père de Lisbeth la complimente. Si la tentation est alors grande de prendre cela sous le ton de la légèreté et de répondre avec malice, la jeune femme décide qu'il est meilleur pour elle d'opter pour la franchise.

-Merci. C'était naturel. Tu as dit toi même hier que ma vie ici n'allait pas uniquement tourner autour de Lisbeth. Et cela me convient.

Il est également évident que ce qui se passe aujourd'hui sort de l'ordinaire et que la vie ici est généralement plus douce qu'elle ne l'est en ce moment. En tout cas c'est ce que la jeune femme espère. Elle perd son sourire qu'elle troque contre une expression plus neutre, moins heureuse que celles qui lui sont habituelles.

-Je me suis inquiétée pour toi hier, pour Cliff également mais pas de la même façon. Je n'aimais pas te savoir dehors sous le déluge même si je sais que c'était nécessaire. Et ce matin j'ai découvert que mes inquiétudes étaient fondées. Avant que tu ne me mettes ta fille dans les bras, j'avais cessé de me faire du mouron pour les autres. J'avais moins de soucis quand mes problèmes étaient les seuls par lesquels je me sentais concernée. Il va falloir que je m'adapte à tout ça car j'aime être ici, près de vous. J'ai atteint un âge auquel l'égoïsme n'est plus permis.

Il n'est pas aisé pour la féline d'évoquer de cette façon des sentiments qu'elle n'est pas certaine de vraiment comprendre. S'il fut facile de s'attacher à Lisbeth au moment même où on père lui a mit dans les bras, elle a bien du mal à comprendre cette inquiétude qu'elle a ressenti la veille lorsque Derek s'en est allé en compagnie de Cliff pour surveiller le bétail. Depuis peu se mêlent en elle des émotions qu'elle peine à nommer. Un véritable tabou dont elle pense connaître le nom mais dont elle refuse d'admettre l'existence.

Donc oui, c'est une évidence son existence était plus paisible il y a encore une mois, quand elle était la seule et unique personne dont le sort avait de l'importance ou presque à ses yeux. Un mode de vie plus simple, dont elle maitrisait tout ou presque. Plus simple mais pas forcément plus heureux. Derek lui sourit, avec tendresse et sans vraiment y songer elle lui offre à son tour une expression apaisée. Sa main s'élève, prête à aller frôler celle de son patron et ami avant qu'elle n'ait à excuser son départ de cette chambre dans laquelle elle est entrée depuis déjà trop longtemps à son goût. Elle ne veut pas que l'on jase au sujet de sa proximité avec le père de sa charge, le hasard faisant bien mal les choses c'est cet instant que Cora juge être le bon pour entrer dans la chambre de son frère sans même avoir trouvé juste l'idée de frapper à la porte.

-Derek ! On a besoin de toi pour…

Andy sursaute, soudainement rougissante comme si son amie l'avait prise en faute. Derek quant à lui remonte les draps pour dissimuler sa blessure à sa sœur. La féline baisse les yeux pour ne pas avoir à croiser le regard de ces deux personnes qui lui tiennent compagnie. Elle a comme l'impression que Cora vient de ruiner un moment qui aurait pu être précieux s'il en avait eu la possibilité. Vivement rabrouée par son ainé, la louve quitte les lieux sans donner la raison de son irruption dans la chambre. Andy ne peut s'empêcher de craindre que toute la maisonnée entendre parler de sa présence dans cette pièce.

-Parfois j'ai également cette impression. Je trouve cela amusant à observer.

Derek détend l'atmosphère comme il le peut, il est aimable et a de l'esprit. Des qualités parmi tant d'autres plaisent à l'ancienne prostituée. La féline récupère le plateau désormais soulagé de ses vivres avant de quitter la pièce sans rien ajouter.

Dans le couloir l'attend Cora qui n'est pas partie bien loin. Leurs regards se croisent. L'instant est long, comme fait de plomb. Les lèvres de sa féline se plissent et prennent la forme d'un sourire fatigué tandis qu'elle passe près de la louve pour rapporter le plateau dans la cuisine. La puma se mord la langue pour ne pas relancer la soeur de Derek, ne pas affirmer qu'il serait sot de sa part de se faire des idées au sujet de ce qui ne s'est pas passé et qui n'aura sans doute jamais lieu dans cette maison. Ou encore ailleurs.  Andy n'a pas quitté le bordel en ayant en tête comme projet d'aller réchauffer le lit du maître des lieux.

[...]

Aux drôles de sourires de Cora se sont rapidement ajoutés ceux d'Helen avant que midi ne sonne dans le ranch. Cette dernière a eu la riche idée d'installer près de l'alpha la chaise haute de Lisbeth, Andy n'a eu d'autres choix que de suivre le mouvement pour éviter que la jeune enfant ne finisse par rendre son père fou. Peter n'est pas revenu, personne ne fait toutefois mention de son absence. Il doit être retenu par le shérif pour une bonne raison. Andy mange, ses oreilles cassées par les percussions jouées par une Lisbeth déchaînée. La féline joue les innocentes, ce qu'elle est finalement, évitant le regard de Cora qui les fixe elle et Derek.

Derek qui lassé par sa fille bruyante vient de lui confisquer la cuillère en bois qu'Andy avait confié à la jeune enfant dans l'espoir de pouvoir manger en paix. Sans cesser de manger, la féline tend un doigt à la petite qui cesse dans la foulée de hurler, amusée par ce nouveau jouet. Les enfants sont plus simples à comprendre que ne le sont les adultes, plus aisés à manœuvrer également. Sur ce point la petite braillarde dont Andy a la charge ne diffère pas des autres jeunes gens de son âge. Si elle est le premier bébé que l'on a confié à la blonde, ce n'est pas pour autant qu'elle a eu du mal à en saisir le fonctionnement.  

Le repas se termine, sans que plus jamais Lisbeth n'ait l'idée de se mettre à pleurer. Peter revient au moment du café, annonçant des nouvelles qui ne savent pas plaire à la féline. Si les voleurs se mettent à préférer les bovins aux équins, cette première mauvaise nuit qu'ont vécu Derek et Cliff ne sera pas la dernière.

Les hommes qui ce matin étaient encore saufs lorsqu'on les a rejoint n'auront peut-être pas cette chance la prochaine fois. Andy blêmit, songeant au pire et ce qu'il impliquerait. Son inquiétude trouve sa jumelle dans le regard de Derek lorsque ce dernier croise le sien. Le nœud qui tordait le ventre de la jeune femme la veille et à son réveil signe son grand retour. N'en pouvant plus, la puma se lève, excusant sa fuite en prétextant qu'elle doit aller changer Lisbeth dont les langes sont pourtant propres.

[...]

Andy n'a pas eu le temps de songer plus longtemps qu'il n'aurait été raisonnable de le faire à ces troubles qui ne cessent d'agiter son esprit. Après s'être chargée de nourrir et coucher Lisbeth, elle s'est rendue dans la cuisine pour aider Helen dans la préparation du prochain repas. Ont suivi des lessives dont il fallait se charger, les devoirs d'écriture des enfants qu'elle s'était proposée pour encadrer, puis Lisbeth s'est réveillée avec ses langes si souillés que tout le bébé dû être lavé avant que la féline ne puisse ne serait-ce que penser à s'asseoir. Si le saloon laissait parfois du temps à octroyer à l'oisiveté à la jeune femme, ce n'est plus le cas au ranch. Pourtant la féline ne regrette en rien ses choix, elle apprécie cette nouvelle vie qu'elle avait pourtant passé la dernière décennie à redouter et dénigrer.

Á présent Lisbeth babille dans son parc, confortablement installée sur une épaisse couverture tandis que sa nourrice s'affaire sans jamais quitter sa charge des yeux. Derek les rejoints, mentionnant une discussion à reprendre. Conversation que la jeune femme pensait close avec l'arrivée de Cora dans la chambre de son patron. Elle délaisse son écheveau de laine, se penchant pour cajoler une des joues rebondies de Lisbeth avant de suivre le père de la petite.

-Je te suis.

Leurs pas les mènent au potager, un endroit d'où elle peut continuer à surveiller celle qui ne risque rien en cet instant au vu de sa position. Un bras se pose sur ses épaules, elle frémit sans maitriser ses gestes, son regard se lève vers le ciel pour mieux rencontrer celui du père de la petite Lisbeth.

-Je ne me suis pas inquiétée qu'à ton sujet.

Le bras qui couvre ses épaules se tend, elle pose sa main sur une de celles de son ami pour contrer son recul. Andy sourit avant d'ajuster ses dires.

-Mais il est vrai que j'ai eu particulièrement peur qu'il ne t'arrives un malheur. Ce qui s'est passé m'a donné raison, j'aurais pourtant aimé que ce ne soit pas le cas. Tu es une belle personne, tu as fait demi-tour à Calico, je serais morte dans ce fourbi sans toi. Tu m'as offert un emploi, confié ta dernière née. Tout cela à la catin que je suis, enfin que j'étais.

C'est comme faire l'aveu d'une faiblesse à laquelle elle a bien du mal à admettre être sujette, s'ouvrir à autrui comme elle ne l'a pas fait depuis des années. Andy s'est rarement sentie évoluer dans un climat de confiance comme c'est le cas depuis qu'elle officie au ranch en tant que nourrice. Certes au saloon elle était protégée, mais sa position n'y était que peu enviable. Certains clients étaient charmants, les autres filles n'étaient pas méchantes mais la féline sentait peser sur elle le poids du regard d'une société qui ne tolère que très mal le commerce de chair.

Elle hausse les yeux, souriant pour tenter de rassurer celui qui se demande peut-être où vont bien pouvoir les mener les confidences qu'est en train de lui faire la jeune femme. Elle n'est point entrée dans cette maison avec en tête l'idée de dérober la place de celle qui n'est plus là. Pourtant son cœur lui joue des tours, ses songes se faisant  tant lourds que sombres quand elle pense à ce qui pourrait advenir d'elle si le pire arrivait.

-Tu sais, j'ai fait beaucoup de sottises, des erreurs et des choix douteux dont je finirais par le te parler un jour.

Ou bien jamais, cette possibilité sied également à la jeune femme.

-Mais je ne regrette pas d'être venue "emprunter" une jument. Auprès de toi je me sens en sécurité, protégée. C'est appréciable et doux comme sentiment. Mais également effrayant car j'ai peur que demain tu ne sois plus là.

Elle oserait bien faire la comparaison avec son père, premier et dernier homme de sa vie à lui avoir fait ressentir ce sentiment, mais son cœur ainsi que son esprit lui dictent que la comparaison serait douteuse et malvenue dans une pareille situation.

Évoquer à voix haute et devant le principal concerné ces troublants sentiments qui poussent la féline à agir avec déraison n'est pas une chose aisée. Sans doute est-ce la peur d'être repoussée ou encore moquée qui font trembler sa voix quand elle mentionne l'impensable. Elle lève les yeux vers son ami qui se montre rassurant tout en retirant ce bras avec lequel il entourait ses frêles épaules. Seraient-ce les dires d'Andy qui le font agir ainsi ? Elle l'ignore, mais sa cervelle parasitée par son cœur lui souffle immédiatement cette idée. Une triste conclusion, mais Andy saura s'en remettre. Après tout elle a vécu bien pire et il était sot de sa part de s'amouracher d'un homme qui vient de perdre son épouse.

Elle tente de croire les dires du père de Lisbeth, s'il est certain que l'heure de sa fin n'est pas arrivée elle devrait elle aussi pouvoir s'en persuader. Mais la vie n'est pas faite ainsi, elle est pleine de surprises. Parfois bonnes mais trop souvent mauvaises malheureusement. Elle ignore si un jour elle osera confier son passé à celui qui désormais l'observe en lui souriant avec maladresse. Tuer des hommes qui en ont après votre bétail et votre vie est une affaire, arracher sa vie à un homme violent à quelques heures de son mariage en est une autre que le shérif ou même le pasteur ne sauraient pas pardonner. Ici hommes et femmes ne sont pas jugés avec équité. La dame est un objet de compagnie conçu pour procréer et récurer tandis que l'homme lui est encouragé et guidé dans le but d'obtenir un statut social élevé.

Si jamais avant ce jour la jeune femme n'a confié son lourd passif à un autre, c'était avant tout pour éviter qu'une corde ne soit passée autour de son cou. Andy soupire, désabusée quand une main effleure sa joue du bout des doigts. Le sourire qu'elle affichait alors jusqu'à cet instant se fait soudainement plus franc, comme apaisé par ce bref contact.

-C'est compliqué, j'aimerais pouvoir mettre des mots sur tout cela mais j'en suis..
-Je ne regrette pas non plus mes actes. Tu es un rayon de soleil dans ce ranch et je…

Sa voix qui se mêlait à celle de son ami se fige tout comme le fait celle de Derek quand Lisbeth leur rappelle son existence par un cri aigu. La féline sursaute, se précipitant dans la direction de celle qui l'appelle en tirant sur ses langes. La petite fille pleure à chaudes larmes quand sa nourrice se penche au dessus de son parc pour le prendre contre elle. Le regard rendu brillant par les pleurs, l'enfant tire les cheveux de la puma, mécontente d'avoir été dérangée dans ses jeux par ce besoin naturel qui souille désormais ses langes.

Andy berce l'enfant contre elle, ronronnant pour l'apaiser entre deux paroles empruntes de douceur qu'elle murmure à l'attention de Lisbeth. Elle se rue dans la maison d'un pas aussi prudent que précipité. Prête à feuler sur le premier fou qui pourrait avoir l'idée de reprocher à la petite fille la puissance de ses cris dans un pareil instant.

[...]

Lisbeth a retrouvé sa bonne humeur une fois changée par les bons soins de sa nourrice. Désormais allongée sur le lit de la féline l'enfant babille tout en essayant d'attraper ses pieds nus pour les porter à sa bouche. La petite fille s'esclaffe, prise par les plaisirs de son jeu elle ne s'inquiète pas du manque de proximité avec sa nourrice qui profite de ce moment calme pour ranger ses derniers effets dans cette chambre qui est à présent sienne. La puma murmure une chanson douce, un rythme qu'elle a dû entendre quand elle était elle aussi jeune enfant et qui lui revient sans qu'elle n'ait réellement à y penser.

Parfois elle fige sa mélodie, faisant la conversation à cette petite qui n'est pourtant pas en capacité de lui répondre. Andy sourit, jetant de nombreux regards emprunts de douceur à Lisbeth, soufflant quand cette dernière l'appelle d'une manière qui ne lui convient pas.

-Mama ! Mama...

Son cœur s'agite, battant alors une cadence désordonnée. Un sourcil gracieux se hausse sur le front de la belle blonde qui prend rapidement l'enfant dans ses bras.

-Non, non chérie. Andy.
-Mama !

Il existe sûrement de bonnes façons de réagir dans ce type de situation mais Andy n'a pas été mise au vent des manœuvres à mettre en place pour contrer ce qui dans l'avenir pourrait devenir un soucis. Cette enfant que la féline tient contre sa poitrine cherche une mère qui n'est plus là et a finit par jeter son dévolu sur celle à qui on confie la charge de veiller à son bien-être. Jamais la puma n'a eu comme projet de donner la vie, pire encore elle a à de multiples reprises dû aller à l'encontre de la loi pour éviter qu'une telle catastrophe ne puisse se produire. Et cela sans que jamais ne lui vienne la sotte idée de regretter d'avoir dû agir ainsi pour se protéger mais aussi préserver la vie d'un enfant qu'elle n'aurait pas su rendre heureux dans ce monde dangereux.

Andy sourit, songeant à cette nouvelle vie dont elle découvre chaque jour les nuances. Son existence ici sera meilleure qu'elle le fut avant ce jour, paisible et douce. En tout cas c'est ce qu'elle espère.

La jeune femme se penche au dessus de la poupée qu'elle tient dans ses bras, déposant ses lèvres sur le front de ce précieux fardeau que Derek lui a confié il y maintenant un mois.

-Je reste ici Lisbeth, avec toi. Je prend soin de toi. Et je t'aime...

À défaut de pouvoir avouer les sentiments qu'elle ressent pour le père de la petite, elle se déclare à voix haute et sans crainte d'être jugée à la petite braillarde qui la fixe de ses grands yeux émerveillés par la complexité de ce monde qui s'offre à elle.