S'ouvrir ainsi sur ce sujet devenu tabou depuis des mois si ce n'est des années n'est pas une chose aisée. Dick a longtemps tu son avis sur ce que devenait son fils, sur le chemin que prenait le relation qu'il entretien avec ce dernier de peur de se retrouver forcé de prendre des décisions qui ne sauraient lui plaire. Comme mettre son propre môme à la porte de sa maison. Pourtant face à son ami, son frère, il trouve la force de verbaliser ces sentiments contradictoires qui l'étreignent lorsqu'il songe à son garçon.

Troy n'est pas un mauvais larron lancé sur les sentiers de la perdition humaine. Son père refuse de tout miser sur cette conclusion qu'il juge trop hâtive pour être véridique. Son fils, même s'il a failli commettre le pire ne peut pas avoir tant changé pendant ces années. Entre eux se creuse un peu plus chaque jour un grand fossé qui est le fruit d'une incompréhension mutuelle. Cependant en vieillissant Richard a perdu un peu de cette force, ce courage pouvant facilement être confondu avec un excès de témérité qui le caractérisait par le passé. Il semblerait qu'il ait gagné en sagesse au fil des années.

Son expression se fane un peu lorsque Tama fait une brève mention de son propre père, un sujet lui aussi tabou que jamais Richard n'aborderait de son plein gré. Il se tait, encaissant le poids de cette bienveillance que son frère lui offre. Puis se fait violence pour ne pas rétorquer que la tête de Troy est trop dure pour que la sagesse puisse y faire son nid tandis que son ami énonce la possibilité que le gamin puisse croire les paroles de son père comme si ces dernières étaient évangile.

Il ouvre la bouche dans le vide, parfaite imitation de la carpe en cet instant alors qu'il cherche un mot assez sournois pour répondre à ce qui ressemble à une affirmation dénuée de logique tout droit sortie de la bouche d'un homme dont le point de vue serait biaisé dans toute cette affaire. Jamais il n'a jugé utile par le passé de mentionner la relation de son ami et son fils. En gardant le silence sur ce sujet il consent à tout cela.

-Ou vous pouvez ne rien dire.

Le canadien toujours aussi muet hausse un sourcil curieux, intrigué par cette solution que lui dicte celui qui semble être le détenteur de la voix de la raison dans cette maison.  

-Commencer par respirer le même air, faire vos trucs côte à côte, et voir ce qui arrivera ensuite.

Une proposition louable, qui normalement devrait convenir au plus grand nombre. Seul bémol dans cette histoire : il semblerait que la capacité à faire dégénérer cette situation voulue courtoise des deux principaux concernés soit trop grande pour ignorer la possibilité qu'un couac, une respiration plus sonore qu'à l'ordinaire ou un regard jeté dans le mauvais coin ne puisse faire sortir de ses gonds le père comme le fils. Ils sont tout les deux des êtres turbulents, instables quand ils laissent à leurs colères respectives le droit de leur dicter leurs actions. Une simple étincelle pourrait nuire à cet idyllique projet dont Tama vient de faire part à Richard.  

Pourtant ce dernier, éternel optimiste ou presque, à envie de croire que tout pourrait se dérouler à merveille. Que cette chance de reconstruire une relation sur des bases en apparence saine qu'il est prêt à offrir à son garçon pourrait être saisie par le sale môme que Troy est devenu.

Dick vide son verre d'une traite tout en fixant son frère de son regard le plus rond. Puis il délaisse cette mine faussement patibulaire qu'il affichait, lui préférant soudainement une expression plus avenante.

-Faisons ça.

Il est surpris de sa propre décision. Tama semble l'être tout autant. Et cela ne s'arrange pas quand le canadien, prit par l'impulsion du moment se lève de sa chaise, la rangeant sous la table avant d'ajouter qu'il est prêt à se rendre auprès de son fils sans attendre plus longtemps. Cela fait des mois qu'il n'a pas vu son gamin, il l'a bien aperçu aux abords de la mairie le jour de son mariage mais n'avait à ce moment là ni le temps ni l'envie de se rendre auprès de son garçon pour échanger avec lui quelques mots.

-On peut y aller maintenant. Enfin si tu le veux bien.

Il emballe la totalité de l'assiette de scones dans un torchon propre déniché dans le placard qui sert à  ranger le linge de maison, rince son verre d'eau puis le pose cul en l'air pour qu'il s'égoutte sur un second essuie main. C'est déterminé qu'il se retourne pour faire face à son frère après avoir été récupérer sa chemise qui était sagement pendue à la patère.

-Il est de repos, je le serais demain avant d'enchaîner à nouveau cinq nuits de garde. Maf ne rentre pas avant des heures et les scones seront tout durs si on les lui porte demain. C'est le moment où jamais de voir s'il supporte encore la vue de son père. Si on échoue je porterais la moitié de la responsabilité de cet échec.

... Et son fils devra prendre l'autre part pour lui, mais ça Richard le tait pour ne pas jeter d'huile sur le feu avant qu'il ne soit allumé.

S'il agit ainsi, de manière aussi précipitée c'est avant tout parce qu'il craint de ne pas savoir faire preuve d'autant de sagesse demain, samedi prochain ou encore dans une quinzaine quand son ami lui rappellera au détour d'une innocente conversation son accord donné.

-Je suis adulte, je saurais affronter un refus de sa part.

C'est faux car Dick ment encore trop pour son bien. Même si désormais il le fait pour se rassurer et non plus pour protéger ses enfants. Le détecteur de mensonges ambulant qui lui sert de frère lui fait comprendre par un simple regard qu'il n'est absolument pas dupe.

-Bon... Il est adulte, il saura faire la part des choses.

Enfin ça Dick l'espère...

Sur le chemin qui les mène à la demeure d'Henry, Tama lui montre une digue réparée récemment, expliquant brièvement avoir été approché par ceux qui se sont chargés de ce projet pour qu'il puisse leur offrir son aide. Le pouvoir de Tama reste parfois difficile à cerner, même pour Richard qui partage la vie de celui qui est devenu au fil des années un frère. S'il aurait pu se montrer amer en apprenant le réelle nature du gardien de ses enfants, Richard s'est contenté à l'époque d'être rassuré en découvrant que son ami serait préservé des méfaits causés par ce virus qui était en train de chambouler leur existence. La découverte des talents du kitsune n'a rien changé à leur relation, Dick ayant compris depuis bien longtemps que le cœur surpassait de par sa puissance l'impact de la différence causée par la nature d'une bonne partie des citoyens de cette petite ville.

Beacon Hills a toujours attiré les êtres surnaturels en tout genre plus rapidement qu'un pot de confiture laissé ouvert par mégarde ne ferait venir à lui une colonie de fourmis.

Dick sent rapidement que quelque chose d'anormal est arrivé quand ils approchent enfin de cette maison qui est devenue celle de son garçon depuis qu'il l'a mit à la porte du logis familial. Comme tout autre père le ferait à sa place, il craint égoïstement qu'il ne soit arrivé quelque chose à son fils avant de songer aux membres de la famille d'Henry. Le lieu est désert, là où il devrait être normalement animé. Le silence a dérobé sa place à l'agitation qui règne habituellement dans une ferme. Un regard glissé dans la direction de son frère confirme immédiatement à Richard qu'il n'est pas le seul à avoir saisit qu'il se tramait là quelque chose d'étrange. Il presse le pas, plus inquiet qu'il n'est prêt à l'admettre pour son fils mais aussi pour les gens qui l'ont accepté sous leur toit.

C'est à cet instant qu'une silhouette bien connue sort du bâtiment principal, venant à leur rencontre au pas de course.

Troy va bien. Dick respire à nouveau pleinement, inconscient d'avoir cessé de le faire durant un bref instant. Puis regrette dans la foulée d'avoir cru que le pire était passé quand son gamin leur apprend que le docteur est attendu.

-Qu'est ce qui se passe ?

Il devait se taire, garder le silence en espérant que ce dernier puisse aider à panser des blessures qui suintent le pus des non-dits, mais l'urgence de la situation fait qu'il oublierait presque la raison de sa venue dans ce lieu.

Troy l'ignore royalement, Richard se surprend à préférer cette indifférence à l'avalanche de haine qu'il pensait se prendre de plein fouet en ayant l'audace de venir ici.

-Je vais bien. C’est Henry, il a fait une attaque ou une crise de quelque chose.

Alors que Tama les devance pour se rendre au plus vite auprès du vieil homme, Troy quant à lui se fige pour fixer son père. Le désespoir qui anime le gamin, cette vulnérabilité qui ternit son regard en cet instant donne à Richard l'impression d'avoir fait un bond dans le passé. Il est hors de question qu'il laisse Henry quitter ce monde sans tout faire pour l'en empêcher. Cet homme est bon, certes ces manières sont parfois un peu gauches mais il est avant tout quelqu'un de bien avec le cœur sur la main. Et il faut le dire, Dick tenterait de sauver n'importe quel homme, même la pire ordure que la terre ait pu porter s'il en avait la possibilité.

Dick avance à son tour vers la demeure de la famille qui prend soin de son garçon au quotidien, questionnant son fils sans perdre de temps.

-Le cœur bat toujours ?
-Il s'était arrêté mais j'ai réussi à le relancer.
-Henry est conscient ?
-Non...
-Qui est auprès de lui ?
-David. Kourtney est partie chercher un docteur.. Je ne voulais pas qu'elle soit là si...  

Si Henry devait les quitter de manière définitive. Troy a donc toujours en lui une part d'humanité qui lui permet de songer à son prochain avant de penser à lui même. Richard n'a pas le temps d'afficher sa fierté en apprenant qu'il est au moins parvenu à ne pas trop mal éduquer son môme. Le moment présent n'est pas fait pour laisser place à des réjouissances en tout genre.

Ils entrent dans la demeure d'Henry pour trouver ce dernier en position latérale de sécurité sur un des tapis de son salon. Un homme, certainement le prénommé David dont Richard avait oublié la simple existence les attend auprès de celui que Troy a déjà arraché une première fois au monde des morts. Dick le salue d'un simple hochement de tête avant de se précipiter auprès du vieux fermier. Il s'agenouille à ses côtés, se penchant pour s'assurer que ce dernier respire toujours. Une respiration douloureusement sifflante lui parvient, perdant en intensité avant de s'éteindre. L'ancien policier blêmit en constatant qu'Henry est une nouvelle fois en train de leur échapper.

-Merde !

Il bascule sans attendre plus longtemps le vieil homme sur le dos, cherchant une fois de plus une respiration désormais aux abonnés absents. Une brève vérification d'un pouls lui aussi inexistant lui confirme l'urgence de la situation. Richard ne perd pas une seconde de plus, posant ses mains sur le torse du fermier après avoir incliné légèrement la tête de ce dernier en arrière sans craindre de commettre une erreur. Il connaît ces gestes, appris il y a maintenant plus de trente ans et depuis pratiqués à de trop nombreuses reprises. Il presse la poitrine du vieil homme, comptant mentalement pour ne pas commettre d'impair. Quand le compte y est, il pose sa bouche sur celle d'Henry pour lui insuffler un peu d'air. Une fois. Puis deux autres encore. Et se fige durant une fraction de seconde, espérant pour finalement comprendre que ses efforts sont pour l'instant insuffisants.

Il alpague finalement son fils, qu'il devine figé dans son dos, tout en s'appliquant à reprendre son massage.

-Troy ! Ne t'éparpilles pas et tiens toi prêt à prendre le relais si je faiblis !

Richard leur interdit l'échec, ne voulant pas voir le vieil homme les quitter de manière définitive, pour finalement se relever et n'être plus qu'une copie morbide de celui qu'il a été de son vivant.