Pourquoi je n’y arrive pas ? Pourquoi l’ancien moi revient toujours ? Même en essayant de changer, je me redeviens ce moi imaginaire crée de toute pièce durant mon enfance. Un moi inutile qui refuse de se défendre, qui refuse d’être lui, par peur… Peur qu’on découvre ma vie, mon passé, qu’on m’en veuille… Peur de voir toutes ses personnes une nouvelle fois dispa… Pourquoi je me suis attaché si facilement avant, alors que j’aurais simplement dû me taire, m’effacer. Et pourquoi, maintenant qu’il n’est plus là, je n’arrive pas à me montrer, et souris simplement…
J’accepte tout sans ciller : insulte comme compliment. Je garde tout pour moi et me tais, sans me défendre. Je ne désire plus être cet être faible. Je veux évoluer, être plus souvent comme lors du stage, mais mon ancien moi revient toujours à la charge. Il ne me lâche pas, jamais. Il veut être là, vivre, survivre à l’évolution que je désire. Pourquoi il ne désire pas me lâcher ? Pourquoi je ne peux pas l’effacer en un rien de temps ? Pourquoi il gagne toujours…
Pourquoi il gagne toujours ? Ou plutôt, pourquoi je le laisse gagner ?
Après ma longue et lente réflexion, j’ouvre les yeux et me lève pour me préparer ; sac, douche, vêtement et petit déjeuner. Prêt, je sors de la maison et cours contre le vent. Le souffle me rafraîchit et me réveille de ma nuit de cauchemars… L’école n’est pas loin et mes amis non plus. Je sais qui je vais y retrouver ; je sais aussi que je vais leur parler, être ami avec eux, mais garder un faible écart avec ce sourire. Pourtant je les apprécie, je le sais, mais eux qui aiment-ils ? Ce sourire benné ou l’autre. Le moi caché…
Je secoue la tête, me moque de moi. Comment pourraient-ils le connaître si je ne leur montre pas ? Je vais tenter de l’être, au moins une fois… Je m’approche de mes amis, essaie de montrer le vrai moi, mais le sourire gagne. La peur de le voir surgir après un simple écart me force à me cacher… Pourquoi ne l’ai-je pas fait avec le médecin légiste alors ? Je secoue la tête doucement et me remets à la discussion du moment. La fuite d’eau… Puis Will et le départ d’Amance. Je n’ose même pas imaginer le chagrin que ressent Will à cause de cette double perte. Amance et son enfant. J’aimerais être là pour lui, tout comme la meute, mais il s’éloigne. Je le remarque… Il a besoin d’être seul ! J’ai besoin de lui ! Je m’approche ; il s’éloigne.
***
La sonnerie coupe la discussion, pas très passionnante, du professeur d’économie, même si ce dernier y met du sien et continue son monologue, avec une pointe d’ironie dans la voix. Les élèves, eux retiennent leur enthousiasme, de peur d’être punis, mais sont prêts à sortir de la classe. Leur pied hors du bureau, prêts à s’élancer dans une course pour la médaille d’or de la liberté des cours. Un mauvais plan. Le professeur, après son énième retour d’une maison de repos, décide de nous garder un peu plus longtemps : il a des éléments à nous donner. Contrôle ? Cours de rattrapage ? Des cours à apprendre.
Les feuilles de cours en poche, il nous rend notre liberté. La joie s’installe et les gens sortent. J’attends la fin du remue-ménage pour partir, regarde ma montre, un air un peu déçu. Ka’adan m’attend toujours pour partir au travail : une sorte de rituel entre nous. Cela nous permet de passer plus de temps ensemble, de rattraper le temps perdu après la mort de Cahir. Un moment de pur bonheur qui n’aurait pas lieu aujourd’hui. La sortie en retard empêche ce moment de calme. Je ne souhaite pas être en retard au travail, surtout que je m’y sens bien. La présence de Charlie doit y être pour quelque chose, tout comme celle de Ka’adan, ou Andy, quand elle sait que je travaille ici et qu’elle est présente. Parfois, elle grignote et me parle en même temps.
Je cours pour la deuxième fois, Ka’adan me suit de près et, par miracle (un miracle appelé morsure), on arrive à l’heure. Elle entre en salle pour servir les clients ; j’entre dans l’arrière-boutique pour faire la vaisselle. Devant les machines, je me remémore mon arrivée et les questions que m’a posé mon futur patron. Par chance, j’avais déjà fait mes preuves avec Charlie et après un essai, il m’avait accepté dans l’équipe du Pink. Maintenant, je tente de ne commettre aucune erreur, repensant à la fin du stage, où j’avais cassé une assiette…
La vaisselle arrive doucement et s’empile. La machine s’active et je m’occupe d’elle, offrant la nourriture que les clients*1 n’ont pas voulue dans la poubelle pour le composte et le reste au nettoyage. Mes soirées, au Pink sont toujours ainsi, agrémentées, certain jour, de la présence d’autre personne, mais pas cette fois. Déçu par le manque d’animation, une routine s’installe et s’impose. Je lave et laisse mon esprit vagabonder un peu, repensant aux moments de bonheur ressentis lors du stage de légiste. Un stage qui m’a conforté dans mon choix… Je fais évoluer une partie de moi, je me montre doucement… Et j’apprécie cette personne… Et je dois encore travailler pour le montrer à tous.
Une autre fournée arrive, me coupe de mes pensées et m’informe d’une nouveauté. Mon téléphone sonne depuis dix minutes. Vu la sonnerie, j’ai reçu une multitude de sms. J’ouvre le téléphone puis me fige. L’image face à moi. Impossible. Je la regarde un long moment. Je reconnais la personne. Mon cœur s’emballe. Je transpire, paniqué par ce que je vois.
Will ?
Une cible se dessine sur son visage et s’efface après… Puis du sang s’installe. Un GIF. Et cela se répète en boucle. Figé devant l’image, j’hésite. Mes yeux s’illuminent de jaune. Je sais d’où vient ce message. Une seule personne peut me vouloir du mal ainsi. Pas encore, pas lui… Je tremble, m’énerve doucement.
— Je ne te pais pas pour jouer sur ton téléphone.
La voix du patron traverse mon esprit sans s’arrêter. Seule l’image accapare mon esprit. Rien d’autre que Will et le danger qui l’encercle doucement. Je ne désire pas revivre cela. Que faire ? Je m’apprête à partir quand une main me sort de ma torpeur et me retourne vers Alessandro. Je le regarde droit dans les yeux et lui livre ma panique. La peur s’évade en mot et ces mots apportent les réponses.
— Va voir Will ! Tu rattraperas le travail plus tard.
***
Je cours sans me soucier du regard des autres ; je fonce, vole presque par-dessus la route, usant des toits des voitures et des maisons. Le temps m’est compté. Une vingtaine de minute avant d’atteindre la maison. Mon esprit, lui, s’imagine le pire. Will, la meute. Je secoue la tête, efface tout cela. J’ai le temps. Je le sauverai, même si pour cela, je dois fuir… Non ! Je ne peux pas le laisser à mon tour… Les toits continuent d’être présent, mais la lisière de la forêt apparait. Avec elle, la maison. Elle ne paie pas de mine, mais ses propriétaires la rendent agréable. Je ne m’en occupe pas plus longtemps. Will n’est pas loin. Je fonce le voir, le regarde un long moment rassuré. Il respire, mais il n’est pas pour autant hors de danger. Je regarde partout autour de moi, Will semble se demander ce que je fous ici. Il a sûrement raison. J’ai perdu toute notion de réalité. Je ne vois que l’avenir qu’il m’a promis par cette simple photo et je ne désire pas qu’elle se réalise.
— Will ? Tu vas bien ? Il ne t’est rien arrivé aujourd’hui ? Pas l’impression d’être suivie ?
Je zieute à droite, à gauche, recherche quelqu’un, une caméra, ou autre. La réalité n’existe plus, seule la peur raisonne en moi. Mon corps en alerte, impose le côté garou. Comment les protéger ?
— Il est revenu, mon père biologique. Il recommence, il veut me récupérer… Il vous menace… Si je fais ce qu’il demande, il ne vous fera pas de mal…
Je me rappelle ma rencontre avec Cahir. Un alpha qui s’était retrouvé avec moi dans une sorte de ring, pour qu’il me morde. Je n’ai jamais su comment il l’avait capturé… Mais s’il était arrivé… Il pourrait recommencer.
— Je ne veux pas que vous disparaissiez vous aussi, par ma faute…
*1 une honte de gâcher la nourriture préparer par Charlie.