Et si les Ours avaient du courage?

Alex avait encore largement le temps de se rendre à son cours, mais il n'en marchait pas moins à longues enjambées rapides pour autant.  L'adolescent avait toujours été nerveux et il ne pouvait pas combattre cette nature.  Il se dirigeait donc vers son cours, son sac en bandoulière battant le rythme de ses pas sur ses hanches, lorsqu'il fut interrompu un pied en l'air par une main qui s'était posée avec autorité sur son épaule et l'avait fait pivoter sur ses pieds.  Un instant plus tard, Alex s'était retrouvé plaqué contre les cases par Charlie Crowley, qui le gardait en place de son avant-bras.  L'autre adolescent était pour ainsi dire la brute de la bande de bad boys du lycée et si ils lui avait fichu la paix pour l'instant, l'intellectuel avait toujours su que ce n'était que temporaire et que son temps viendrait, et il semblait que c'était le moment.  Il plissa les yeux en une grimace d'appréhension, ses sourcils se retrouvant de part et d'autre de son visage, alors que sa tête était légèrement pivotée vers la gauche.  Elle fut immédiatement réalignée par une main ferme qui lui prit le menton et alors qu'il commençait à sentir ses dents grincer, le contact vint.  Ce n'était pas tout à fait ce qu'il avait imaginé, et c'était plutôt étrange.  Le contact des lèvres sur les siennes suffit à confondre Alex, qui ouvrit instantanément des yeux étonnés, voir désemparés.  Le contact du philtrum rugueux du tortionnaire contre le duvet naissant de l'intello chatouillait légèrement.  Alex resta interdit quelques secondes, avant de réagir en repoussant  Charlie de toutes ses forces.

-À quoi tu joues? s'énerva-t-il, ridiculisé par la brute.  Il réalisa alors que les élèves autour d'eux avait ralenti leur pas, quand ils ne s'étaient pas carrément arrêtés, et murmuraient entre eux, échangeaient des regards à voix basse, riaient derrière leurs paumes.  Rouge jusqu'à la racine des cheveux, Alex se dégagea et fila aussi rapidement que possible à sa salle de classe, laissant Charlie en plan avant qu'il n'ait eu le temps de dire quoi que ce soit.

Deux heures plus tard, à la sortie de son cours, Alex fut de nouveau plaqué contre les cases.  Et dire qu'il y en a qui toléraient cela quotidiennement!  Alex se promit que ce ne serait pas son cas.  Cette fois-ci, c'était Alessandro Amaro, de deux ans son aîné et la tête, en quelque sorte, de la bande de délinquants du lycée, qu'il quitterait normalement en juin.  Par réflexe, Alex posa ses mains en croix devant son torse, alors que le Sicilien le tenait par l'épaule.  Il n'avait pas l'habitude de se salir les mains et Alex craignait le pire.  Peut-être était-ce leur nouveau jeu, que de l'embrasser dans l'espoir de le décoincer.  Ou une connerie du genre.

-J'te garantie que si tu m'embrasses, j'...
-La ferme, putana d'intello.  Pourquoi je ferais ça?
-J'croyais que c'était votre nouveau truc.
-Mais tu vas te taire?  T'as ridiculisé mon pote, je laisserai pas ça passer.
-Mais c'est lui qui m'a...
-Tu vas te faire pardonner, sinon tu vas le regretter.  Il y a ce film qui vient de sortir, il devrait l'aimer.
-Tu veux que je?
-Che stupido, si!  Tu lui paies le ciné, et s'il me dit qu'il a passé une bonne soirée, tu es pardonné.

Alex se retrouva donc la semaine suivante à acheter deux billets de cinéma, dans ce qui était probablement le rendez-vous le plus étrange qu'il aurait pu imaginer avoir un jour.  Alessandro avait insisté pour qu'ils aillent voir le dernier opus pour mâles en manque de testostérone : courses de voitures, explosions, mitraillettes et même tanks étaient inclus.  La totale. Alex n'était pas forcément chaud pour ce genre de trucs et il préféra offrir le choix du film à Charlie.

« Je sais pas, moi.  Toi, choisies! »
-Je t'invite, je vais pas t'imposer le film, ce serait con.
« Bah... euh... »
-T'as envie de voir quoi?  C'est pas plus compliqué que ça...
« Pousse pas!  Euhm, on peut toujours aller voir celui-là, mais si on me demande, c'était ton idée. »
-Comme tu veux, soupira Alex en se présentant au comptoir pour acheter une paire de billet pour ce qui semblait être une comédie assez simpliste, peut-être même destinée à un public de la moitié de leur âge.

En fait, il se trouva que certains gags n'étaient définitivement pas orientés vers les enfants.  Les deux adolescents étaient passés au travers leur popcorn avant même la fin du générique d'introduction, et ils s'étaient bien bidonnés pendant les deux heures que dura le film.  Après leur sortie de la salle, Alex offrit à Charlie de passer aux arcades, comme il lui restait un peu d'argent. Lorsque le studieux proposa un jeu de tir, la brute s'opposa mollement, prétendant ne pas y être doué, mais finit par abdiquer.  Une douzaine de minutes plus tard, Alex en était à sa troisième victoire malgré ses scores plutôt faibles.

-Je t'ai dit de pas me laisser gagner. fit Alex avec un sourire tout de même victorieux.
« Pff... »
-Bon, allez, tu veux jouer à quoi maintenant?
« Ça,là. »

Et ils passèrent une bonne partie de la soirée à vaquer entre les arcades, Charlie gagnant la majorité des parties dans lesquelles ils s'affrontaient.  Alex avait passé une bonne soirée et avait découvert une facette de Charlie qu'il n'aurait pas soupçonnée: quand on ne craignait plus pour son dentier, sa compagnie pouvait être agréable. Alex prit le bus pour rentrer chez lui, où sa mère n'était pas particulièrement heureuse de le voir rentrer aussi tard. Elle qui trouvait toujours qu'il ne sortait pas assez souvent, ses reproches lui passèrent lorsqu'il lui expliqua qu'il était simplement au cinéma avec un ami. Elle lui recommanda simplement de l'aviser la prochaine fois et lui imposa un couvre-feu, que le jeune franco-manitobain n'était pas assez fou pour défier.

Le lendemain, Alex avait croisé Amaro à l'entrée de la cour du lycée et l'américano-italien l'avait ignoré aussi superbement qu'il en était capable.  Charlie, pour sa part, lui avait envoyé un sourire ravi qui avait eu le don de faire rougir Alex jusqu'à la moindre cellule épithéliale, lorsqu'ils s'étaient vus un peu plus tard. L'intellectuel ne savait pas trop quoi penser de toute cette histoire. Charlie s'était montré plus agréable que soupçonné, et l'avoir dans sa poche pouvait avoir un effet non négligeable sur sa tranquillité d'esprit au lycée, et accessoirement sa réputation. Par contre, si Crowley ou Amaro se rendait compte de sa supercherie, il risquait de passer un bien mauvais quart d'heure que jamais depuis le début du lycée.  Et puis, Alex avait l'impression que l'occasion ne se présenterait peut-être plus jamais et qu'il finirait sa vie seul, vieux garçon et abandonné.

Aussi, au début de la semaine suivante, Alex prit son courage à deux mains et réinvita Charlie au cinéma.  La brute se trouvait avec le chef de sa bande, qui lui lança un regard torve, l'air de dire qu'il n'avait pas demander de donner de faux espoirs à son brise-dents.  Malgré que ses souliers lui parurent alors immenses, il n'en démordit pas et attendit sagement que le regard de Charlie papillone d'un air de n'y rien comprendre en direction d'Alessandro, puis que la brute capte et accepte l'invitation sans hésiter davantage.

Cette fois, Alex se chargea de choisir la projection.  Il avait choisit un film sur lequel la critique était unanime : il s'agissait d'un navet qui en était, qui plus est, à ses dernières séances de projection.  Ce ne fut pas très long avant que Charlie donne sa propre appréciation.

« Pff!  L'est naze, ton film. »
-J'sais, c'est pour ça que la salle est vide.
« Ben pourquoi tu voulais le voir alors?  J'aurais dû choisir. »
-La salle est vide. répéta Alex en posant sa main sur le genou de Charlie.  Son rythme cardiaque s'était grandement accéléré et il sentait la chaleur envahir ses joues et ses oreilles.  Il n'avait jamais flirté ou fait quoi que ce soit de la sorte, et il n'était plus certain que son plan soit si bien que cela, au final.
« Oh! » fit Charlie en comprenant enfin, un sourire espiègle aux lèvres.  Sourire qui ne lui allait pas si mal, songea Alex avant de se retrouver plaquer sur les lèvres de l'adolescent.  C'était qu'il ne lésinait pas et ne perdait pas son temps pour en arriver à ses fins. Alex se laissa guider dans son premier baiser, un nanard en trame sonore.

Les deux adolescents profitèrent de l'intimité de la salle pour discuter un peu et apprendre à se connaître.  Toutefois, loquaces comme ils étaient, ce ne furent ni les déclarations les plus personnelles, ni les discussions les plus profondes ou longues.  Pour ne pas avoir à écouter le terriblissime film, et parce qu'ils n'étaient pas du genre à se contempler dans le blanc des yeux, les lèvres se croisèrent à quelques reprises jusqu'à ce que Charlie suggère de changer de salle: il avait réellement envie de voir la dernière sortie en salle et lorsqu'il vit les sourcils froncés d'Alex, qui se demandait silencieusement si c'était parce qu'il n'était pas à la hauteur, il l'embrassa une dernière fois avant de l'entraîner par la main dans la salle d'où on entendait des moteurs ronfler. C'était également la première fois qu'Alex brisait sciemment une loi, et il devait bien avouer que c'était excitant.

Les semaines passèrent et Alex dû rapidement admettre qu'il s'était véritablement entiché du mauvais garçon, malgré les regards toujours aussi suspicieux du Sicilien à son égard.  Toujours aussi prude, Alex évitait les démonstrations d'affection en public, mais ne manquait pas une occasion de passer du temps tranquille avec Charlie.  La brute ne l'impliquait pas dans les affaires de sa bande et Alex ne s'en plaignait pas non plus.  C'est un après-midi, quelques semaines après leur deuxième cinéma, qu'Alex fut de nouveau plaquer contre les cases.  Maintenant que ça avait commencé, est-ce que ça allait un jour arrêter?  Amaro se trouvait à quelques centimètres du visage d'Alex, un air bestial sur le visage.  Sa respiration caressait le visage du canadien d'une manière bien moins intéressante que lorsque Charlie le faisait.

-Ragazzo, si j'apprends que tu te fous de sa gueule...
-De quoi tu parles? Laisse-moi tranquille!
-Charlie, c'est mon pote. Et j'aime pas qu'on embête mes potes. Capisci?
-Pourquoi je l'embêterais?  C'est mon...
« Qu'est-ce qui se passe ici, les mecs? »

Suite à l'intervention semi-divine de Charlie, les talons d'Alex rejoignirent le sol et il défroissa son t-shirt pour la forme.  Charlie s'était placé de telle sorte à faire un écran psychologique entre les deux Al.

-Amaro pense que je t'embête.
« Pourquoi tu m'embêterais? »
-C'est exactement ce que j'ai dit!
-Je te fais pas confiance, Cormier.  Je sais reconnaître un manipulateur quand j'en voie un.

Alex grommela, n'ayant pas le courage de l'accuser d'en voir un quotidiennement dans le miroir, pendant qu'Alessandro poursuivait son chemin.  Charlie avait l'air complètement à l'ouest.

« De quoi il parle? »
-Il pense que je te fréquente pour... tu sais... pour profiter de toi.
« Bah non. Pourquoi il pense ça? »
-...
« Il a tort, hein? »
-Oui.  Mais au début, je n'étais pas aussi sûr que toi que tu me plaisais.  On ne s'est jamais apprécié, lui et moi, et il a dû se douter que je... je n'étais pas trop sûr et que j'avais aussi envie de pas me faire embêter par votre bande...
« Et maintenant » demanda Charlie, le faciès sombre et l'air de pas vouloir rigoler du tout.  Alex pria pour ne pas terminer en punching bag.
-Il ne sait pas de quoi il parle. fit Alex et, pilant sur sa pudeur, il plaqua Charlie contre le mur de casiers et l'embrassa devant le couloir bondé.  Si ça, c'en était pas une, preuve...

L'été avait été long : Charlie l'avait passé en centre de détention pour une pacotille, mais comme les flics l'avaient dans le collimateur... Les échanges entre Alex et lui avaient donc été sporadiques. Si leur relation s'était suffisamment renforcée au cours des derniers mois pour qu'ils parviennent à traverser cette épreuve, ceci signifiait d'une part qu'ils avaient découvert qu'ils faisaient une belle équipe. Similaires sur plusieurs aspects fondamentaux, leurs dissimilarités étaient pour la plupart complémentaires. L'autre résultat fut que Michael crut bon d'informer Janet de la relation de son aîné avec le mauvais garçon.
-Mais je te dis, maman, c'est pas un mauvais garçon! Il est juste un peu rude quand on le connaît pas.
Elle n'avait pas même voulu le rencontrer et lorsqu'elle apprit que Charlie avait reçu un ultimatum du lycée selon lequel il serait expulsé si il n'y avait pas une nette amélioration de ses performances scolaires, elle se contenta d'un seul commentaire.

-Elle pense que tu ne peux pas avoir le bac!
«C'est pas la seule»
-Ils te connaissent pas, ils ne savent pas ce que tu vaux vraiment!
«Tu sais, je pense aussi que...»
-Crowley...
«Beh, quoi?»
-On va leur prouver qu'ils ont tort.
«Comment?»
-Ben, tu vas réussir le bac!
«Tu dis ça comme si c'était facile»
-Non, je dis ça comme si j'avais confiance en toi. Il suffit d'étudier un peu.
«Facile a dire pour toi, Alex, t'adores l'école...
-J'aime pas l'école! Personne aime l'école, Charlie! Je veux juste pouvoir faire ce que je veux de ma vie. C'est de la motivation, pas de la passion, ça!

Pour toute réponse, Charlie grogna. Depuis son retour, il était encore plus bourru qu'à son habitude. Alex avait aussi remarqué une lueur légèrement différente dans son regard ainsi qu'une espèce de lourdeur nouvelle dans son pas. L'étudiant avait associé ces minimes changements à une mauvaise expérience au centre et comme Charlie se rebiffait à chaque fois qu'il tentait de lui en parler, il abandonna. Le plus étrange était que tous les autres lycéens semblaient d'accord pour dire que Charlie était encore plus imposant qu'auparavant. À les entendre, il aurait pris quelques centimètres et kilos en ces deux mois, alors qu'il n'en était rien. Au moins, il avait accepté l'aide d'Alex pour éviter le renvoi définitif.


Le soir d'Halloween, Alex avait accompagné Charlie à une fête. Ils avaient bu un peu et s'étaient approprié un fauteuil dans le salon, sur lequel Mario et Luigi Bros faisaient preuve d'une affection plus que fraternelle.  Ils auraient peut-être dû choisir d'autres costumes, à bien y avoir pensé... Mais personne ne semblait s'en soucier, et c'était à peine si on leur accordait de l'importance. Vers la fin de la soirée, la bande de Charlie s'était présentée et leur avait offert de les rejoindre pour leur tradition d'Halloween. En voyant les battes de baseball qu'ils avaient emportées avec eux, Alex paniqua un peu, plusieurs scénarios défilant dans son esprit, mais Charlie lui prit la main et le rassura.

«On ne fait pas de mal à personne, on fait que shooter des citrouilles»
Techniquement, la grande fête était passée et plus personne n'aurait besoin de ces décorations, après tout.  C'est ainsi que le canadien se laissa convaincre.  Ce n'était pas la première fois qu'il se joignait à la bande pour faire des bêtises du genre et Alex dut bien avouer que ça défoulait. Il plaignit vaguement les pauvres gens qui devraient ramasser les morceaux de cucurbitacées, mais s'éclata le reste de la soirée.


Lorsque le trimestre de Charlie fut validé, le jeune couple fêta la bonne nouvelle avec possiblement un peu trop d'entrain. Toutefois, quelques semaines plus tard, Alex craignit que Charlie ait abandonné ses bonnes résolutions : Alex s'était fait poser un lapin alors qu'ils devaient étudier ensemble. Charlie ne l'avait jamais rejoins a la bibliothèque et au bout d'une heure, Alex ramassa ses choses pour rentrer. Ils se rencontraient toujours à cet endroit parce que c'était sur le trajet de bus de Charlie et que les résidences militaires n'étaient pas très loin, à la condition de piquer par le petit boisé.  Le jeune homme rentra donc, légèrement frustré, en prenant le raccourci par la zone forestière.

Arrivé à mi-distance environ, Alex remarqua deux silhouettes éclairées par la lune ronde.  Il n'eut pas trop de mal à les reconnaître.  L'une était reconnaissable parmi un milliard, et l'autre traînait souvent avec la première... Qu'est-ce que Charlie faisait là avec Alessandro, plutôt que d'être à là bibliothèque avec lui, comme il était supposé? Dans quel sordide affaire le sicilien avait-il encore embarqué le naïf Charlie? Ou bien... Avaient-ils une histoire ensemble et était-ce pour cela que l'Italien avait voulu le garder loin du délinquant?  Que trafiquaient-ils, pardi?  Et Alex venait-il de faire une bourde et de s'impliquer dans quelque chose qu'il regretterait, en se cachant dans les buissons pour les épier? Amaro semblait répéter toujours une même phrase, en face de Charlie dont Alex ne voyait que les contours du dos. L'adolescent était soulagé de constater l'absence de pelle ou d'un quelconque instrument glauque, mais quelque chose lui paraissait toujours étrange. Ce n'est que lorsque Alessandro releva le nez pour humer l'air qu'Alex remarqua le scintillement bleuté de ses yeux.
-Il y a quelqu'un, fit le chef de la bande en grognant.  Charlie l'imita, humant l'air, et compléta, l'inquiétude minant sa voix
«C'est Alex! Laisse-le!»
La silhouette d'Amaro changea subitement de façon apparemment douloureuse, alors qu'Alex reprenait son sac en se relevant.
«Cours, Alex!  Fiche le camp! »
Le canadien avait déjà fait quelques enjambés lorsque le hurlement glacial retentit derrière lui, le figeant sur place.
«Mais décampe!» avait invectivé son copain d'un rugissement bestial et méconnaissable en entravant la voie au loup. Alex parvint alors à se ressaisir et prit ses jambes à son cou. Au bout de plusieurs secondes de course, il s'empêtra les pieds et s'affala de tout son long, sa tête heurtant quelque chose de dur. Les glapissements et autres cris qui déchiraient la nuit se turent instantanément dans les ténèbres.

Alex sentit d'abord les doigts dans sa main, avant d'entendre la lourde respiration non loin de son oreille. Il resserra légèrement les phalanges en tentant de reprendre conscience de ce qui venait de se passer et Charlie se réveilla aussitôt.
«Comment tu te sens? Le médecin a dit que tu as été chanceux de bien tomber.»
-Charlie? On est où? s'enquit Alex en réalisant qu'il avait raté une chance de répondre qu'il était bien tombé le jour où Charlie lui était tombé dessus.
«À l'hôpital. Ta mère a dit aux infirmières que je pouvais rester avec toi.  Elle est pas si terrible que tu le dis!» annonça-t-il sur un ton victorieux.
Alex ouvrit les paupières, et son regard se fixa sur les néons au plafond, en lui tirant une grimace. Il plissa les yeux en hésitant, car le souvenir de la forêt était encore frais en sa mémoire, puis se releva sur un coude pour embrasser Charlie. C'était qu'il était mignon quand il s'inquiétait.
-Qu'est-ce qui s'est passé?
«Tu t'es cogné la tête sur une pierre»
-Non, avant ça!
«Tu courais.»
-Me prend pas pour un imbécile, Crowley, je vous ai vu.
« Et qu'est-ce que t'as vu, Cormier? »
-Il y avait Alessandro et toi, mais je n'entendais pas ce que vous disiez.  Juste qu'à un moment, Amaro m'a regardé, tu m'as dit de courir, et j'ai eu l'impression d'être pourchassé par des bêtes.  Et puis, je suis sûr que j'ai vu Amaro se... se transformer.

Charlie lança un regard par-dessus son épaule en direction de la porte close.

« Écoute, il s'est passé un truc cet été et puis... tu dois me promettre de garder le secret. Je sais même pas ce qui peut arriver si je t'en parle. »

Charlie enchaîna sur la façon dont il avait voulu fuguer du centre de détention,  mais s'était perdu dans la forêt. Alex était partagé entre la satisfaction d'avoir enfin le fin mot de cette histoire et l'horreur qui accompagnait ladite histoire. Charlie expliqua comment il avait vu l'esprit de l'ours, qui lui avait conféré son essence, en quelque sorte, et qu'il pouvait désormais se transformer en homme-ours.  Ou adolescent-ours.  L'avantage, c'était que ça expliquait l'attitude distante de Charlie au cours des derniers mois.

-Donc, t'essaies de me dire que t'es un espèce d'ours-garou? interrogea Alex avec beaucoup plus de résignation qu'il ne s'en serait lui-même cru capable.
« Ouais. »
-Et Amaro aussi?
« Non, lui c'est un loup. »
-Évidemment...  Et vous faisiez quoi dans le bois?
« On reste loin des gens.  On a de la difficulté à se contrôler parfois et puis... on est pas des tueurs, hein. »
-Je le sais bien, ça. fit Alex avec un rictus. Et donc quand vous m'avez vu, vous avez décidé que vous aviez une fringale.
« Aless', si. Mais ce n'était pas contre toi, tu sais. »
-Sauf que c'était une belle occasion pour lui.
« Dis pas ça! »
-Bah! Tu sais comment il m'aime
« Mouais.  Non.  M'enfin, j'ai voulu m'interposer pour te défendre, mais Alessandro est plus expérimenté que moi... Sauf que, je sais pas comment expliquer... »
« Parfois, quand je voies des trucs que j'aime pas, c'est comme si il y avait cet instinct qui prend le contrôle.  En général c'est pour protéger des bestioles dans le bois. »
« Et, ben, hier soir, y'a l'instinct qui a fait la même chose, mais pour toi. »
-Tu serais pas en train de me traiter de bestiole, là? fit Alex, perplexe.
« Non!  Ben, peut-être d'une grosse bestiole, en fait. » agaça Charlie alors qu'Alex poussait un soupir faussement outré.
-Ah!Ah!  Et donc, il est arrivé quoi?
« J'ai réussi à retenir Alessandro loin de toi, et quand il est parti, je t'ai emmené le plus loin possible. »
-Et avant que j'arrive, Amaro racontait quoi?
« J'sais pas trop, il arrêtait pas de répéter l'esprit, le cœur, le corps »
-Comment? fit l'humain, un peu plus fort, en se redressant sur ses coudes.  Des souvenirs qu'il aurait cru enterrés depuis longtemps refirent surface.  La voix de son père, qui répétait ces mots à des étrangers venus dans leur maison.  Pourquoi il leur avait dit ça alors, et pourquoi Alessandro répétait ces mêmes mots?  Était-ce une sorte de culte?  Ou un code pour loup-garous?  Gabriel en était-il un?

« Ça va, pichou? »
-Oui. J'ai déjà entendu quelqu'un dire la même chose.  Je ne sais pas si il y a une importance quelconque.
« Ah! »
-Et au fait, d'où ma mère a accepté de te laisser me veiller?
« J'imagine qu'elle déteste pas trop les gendres qui sauvent la vie de son fils. » avait fait Charlie en haussant les épaules, un sourire en coin. Cette conversation n'avait décidément rien d'anormal...

"Qui parle?" fit la voix endormie de Gabriel, à l'autre bout du combiné.
-C'est moi, Alex!  Alors, c'est quoi cette histoire de corps, de cœur et d'esprit? s'impatientait l'adolescent, dans sa chambre d'hôpital.  Il était finalement seul pour quelques instants et avait décidé d'en profiter pour appeler son paternel.  Il y eut un balbutiment d'étonnement, un mot d'excuses, un rappel à l'ordre – tu as conscience de l'heure qu'il est? – et Gabriel pressa Alex de lui fournir plus d'indications.
"D'où te vient cette question?"
-Je me souviens de te l'avoir entendu dire à des gens, quand tu étais à la maison.  Et j'ai entendu quelqu'un dire exactement la même phrase, hier soir.
Le silence était tangible à l'autre bout de la ligne.
-Papa?  Je suis à l'hôpital.  Amaro m'a attaqué après avoir dit ça!
"Et tu as dit quoi à ta mère?"
-Rien de spécial.  C'est quoi cette histoire, papa? C'est vrai cette histoire? demanda-t-il à voix basse.
"Tu es à quel hôpital, fiston?  Je vais venir te voir.  Ne t'inquiète pas."

Alex avait laissé les coordonnées de sa chambre à son père, bougon.  Non seulement il n'avait pas eu droit à ses réponses, mais en plus il obligeait son père à traverser la moitié d'un pays pour une petite commotion cérébrale.  Il avait eu beau protester qu'il allait bien, son père ne démordait plus de l'importance qu'ils se voient et aient cette discussion en tête-à-tête.

Le lendemain, en début d'après-midi, Alex était fort occupé à observer la trotteuse trotter, son activité la plus passionnante de la dernière journée, lorsque l'on cogna à sa chambre.  Il espérait que ce fut le médecin qui venait lui annoncer son congé, prévu pour le soir-même, mais ce fut Gabriel qui entra et alla s'asseoir sur le lit vide à côté de celui d'Alex, après l'avoir salué.  Alex ne put s'empêcher de remarquer que son père semblait bien plus vieux – et moins rigolo – que dans ses souvenirs.

"Alors, c'est qui cet Amaro?"
-Un ami de Charlie.
"Charlie?"
-Mon copain.
"Il était avec toi et Amaro, ou vous étiez seuls?  Que s'est-il passé?"  Gabriel semblait nerveux.
-On était les trois dans le bois.  C'est un raccourci pour retourner chez maman.

Alex se lança à raconter sommairement les événements de l'avant-veille, en omettant volontairement le passage où Charlie était également un garou.  Gabriel semblait préoccupé et il demanda finalement à son aîné, plutôt sèchement, où il pourrait trouver Charlie.

-À l'heure qu'il est, il devrait être à l'école.  Il repassera sûrement avant de rentrer chez lui.  Alors, cette histoire de corps et tout ça?

D'un mouvement de la main, Gabriel balaya la question et conseilla à Alex de se reposer.  Il alla attendre à la cafétéria de l'hôpital et remonta quelques heures plus tard, rapidement rejoins par Crowley qui lui jeta un regard méfiant, à la limite de l'hostilité.

« C'est qui? » demanda Crowley, et Alex fut certain de l'entendre grommeler.
-Charlie, papa. présenta Alex d'un ton blasé.
"Oh, ton petit truc ne marchera pas sur moi" avertit Gabriel à l'adresse de Charlie, avant de se retourner vers sa progéniture, l'air passablement agacé.  Il ferma doucement la porte de la chambre et croisa les bras en s'installant au pied du lit d'Alex.  Derrière lui, le jeune studieux vit son amoureux tout déconfit se dégonfler comme une baudruche.  Ça lui donnait un adorable air de Teddy Bear.

"Tu savais que ton Charlie est un ours, Alex?"  L'adolescent ne cilla pas, bien qu'il fut déconcerté de la façon dont son père avait immédiatement connu la seconde nature de son copain.
-Tu veux me faire la morale?  Après être disparu des années!
L'électrocardiogramme d'Alex émit un signal sonore de plus en plus fréquent, le bip trahissant son énervement.  N'ayant aucunement envie qu'une infirmière ne vienne sortir son père de sa chambre alors qu'il attendait toujours sa réponse, Alex se cala dans ses oreillers de papier en soupirant.  Son père se perdait en excuses et en explications, que le fiston coupa court en s'expliquant à son tour.  Il comprenait suffisamment le monde adulte pour voir qu'il était terrible et que ça situation familiale était presque la norme.
-Je l'ai su hier.  Et il m'a sauvé la vie, en passant. Et oui, le gamin espérait que son père lui accorde la même grâce que sa mère à cette nouvelle.  Gabriel se tourna vers Charlie, l'air perplexe et s'adressa à l'adolescent qui ne semblait pas intimidé du tout.  En fait, égal à lui-même, il avait l'expression impassible et neutre.
"Et à qui d'autre as-tu raconté ça?"
« Beh, personne, j'suis pas dingue non plus. » avait répondu le rebelle en haussant les épaules, l'air blasé.
"Parfait" marmonna Gabriel alors que Alex commençait à s'impatienter.
-Et c'est quoi le rapport avec cette histoire de cœur et tout le machin?  Et comment tu as pu savoir qu'il...  Il y avait mis le temps, mais il venait de percuter.  Son père était au courant de l'existence de garous.
"Déjà, il y a son aura d'ours, mais je t'expliquerai plus tard.  Le corps, le cœur et l'esprit font parti d'un mantra."
« Un quoi? »
"Une formule que l'on se répète et à laquelle on accorde certaines propriétés.  La plupart des loups-garous en ont une pour parvenir à se concentrer et canaliser leurs pouvoirs.  Ca les aide à se contrôler, en somme."
Charlie afficha un air franchement étonné, comme s'il s'agissait de l'idée la plus grotesque qu'il ait jamais entendue (pire que les équations à deux inconnues) et commenta placidement :
« Moi, je trace la grande ourse dans ma tête, c'est plus simple. »  Il affichait sa tête qui voulait dire "Non mais tu te fous de ma gueule, quelle perte de temps" et Alex retint un fou rire.
"C'est blanc bonnet, une façon comme une autre de s'ancrer.  Et les ours se contrôlent souvent mieux que les loups", le sermonna doucement la figure paternelle. "Ce que tu m'as déjà entendu dire, Alex, c'est que chacun est trois outils qui ne doivent jamais être sevrés : un corps, un coeur et un esprit.   C'est le mantra familial, que nous offrons aux loups qui sont sous notre giron.  Libre à eux de l'adopter ou non.  Il y a souvent des frères de meutes qui possèdent des mantras distincts, et..."
-Qu'est-ce que tu veux dire, papa?  Un mantra familial, que nous offrons?  Comment tu sais toutes ces choses?  Est-ce que tu es aussi un...  un je sais pas comment appeler ca moi, un...
"Un surnaturel?  Non.  Je suis un druide, comme mes parents l'étaient.  Les origines de notre famille sont très anciennes.  Du côté de ta grand-mère, elles remontent au peuples celtiques.  Du côté de ton grand-père, on raconte qu'ils ont été chamans de père en fils sur plus de vingt générations."
-Ça, c'est ce qu'il racontait aux touristes pour gagner son pain.  La magie, ça n'existe pas, voyons.  Je le saurais si j'étais un espèce de magicien.
"C'était fondé.  Certains chamans étaient des charlatans ou, au mieux, des sages, mais certains comme mon père étaient issue d'une longue lignée d'initiés au monde surnaturel.  Sans que ce ne soit exactement ce à quoi tu penses en évoquant la magie, c'est un monde qui obéit à ses propres lois, qui semblent parfois défier celles du monde naturel auquel nous sommes habitués."
-Et maman?
"Elle voulait vous garder hors de tout ça, ton frère et toi.  Mais la nature à souvent tendance à nous ramener en face de ce que nous fuyons le plus ardemment.  Elle savait ce que je suis lorsque nous avons décidé de nous installer ensemble, ne t'en fais pas, et l'acceptait, mais son opinion a fini par changer."
-Et moi?

Alex avait la gorge serrée, asséchée, et il avala goulûment le contenu du verre de styromousse qui trônait auprès de son lit.

"Si tu veux, je t'apprends ce que je sais et te guide.  Ça pourrait vous être bénéfiques, à tous les deux."  Il regarda Charlie par-dessus son épaule, qui les écoutait attentivement, bien qu'il était évident qu'il demanderait ensuite un résumé à Alex. "Et puis, dis-toi que j'ai commencé ton apprentissage il y a bien longtemps.  Tu sais déjà bien balancer ton esprit et ton corps, il ne te reste qu'à entrer ton cœur dans l'équation, et mieux y réussir que moi."

Père et fils rougirent simultanément, alors que les sourcils d'Alex s'élançaient en salto-arrières effrénés qui trahissaient sa confusion et son impuissance face à une telle situation.  Que lui revenait-il de dire à son père?  Était-il supposé lui remonter le moral, lui dire que tout irait bien?  Ce fut plutôt Charlie qui brisa le silence en reprenant à sa sauce une parole de sagesse populaire.

« Ho, m'sieur Cormier, faut pas vous en faire, hein.  La rivière est pleine de saumons, vous savez. »

Après une seconde de silence, durant laquelle ils auraient pu entendre une abeille bourdonner, les trois bouches se fendirent tranquillement d'un fou rire qui se généralisa rapidement.  Lorsque le calme fut revenu, Alex demanda à son père de lui enseigner ce qu'il savait.  Il voulait plus que tout être là pour Charlie, et il était aussi très curieux, bien évidemment.  Il y eu une longue discussion au terme de laquelle Gabriel invita Alex à emménager chez lui, dans une ville californienne du nom de Beacon Hills.  Celui-ci refusa, préférant rester à Phoenix avec son ours mal léché, mais suggéra de se trouver un emploi d'été là-bas, l'an prochain.  Ils se mirent d'accord pour attendre un peu avant de parler de tout cela à Michael et Alex espéra secrètement que ce serait à lui que l'honneur reviendrait.

Quelques heures plus tard, Gabriel était reparti vers la Californie et Janet déposait Charlie chez lui, lui souhaitait une bonne soirée et lui conseillait d'être sage.  Charlie la remercia avec le premier sourire timide qu'Alex lui connut et ils rentrèrent à leur tour.

Alex lisait attentivement le manuscrit de son père sur le divan du salon, chez sa mère.  La maison était tranquille, bercée par le souffle paisible de Charlie assoupi la tête sur ses genoux et le grésillement de la télévision qui jouait pour elle-même.  Le jeune intellectuel arrêta un instant de jouer dans la crinière du jeune ours pour tourner la page du journal.  Ils avaient reçu un colis à la maison durant le mois suivant les retrouvailles entre Gabriel et son fils aîné.  Une boîte de dimension moyenne était adressée à Alex et contenait un ensemble de chimie pour enfant.  Outre le fait qu'il ait quasiment deux fois l'âge prévu pour ce genre de jouet, Alex nota que ses parents avaient dû discuter de ses résultats académiques pour l'orienter ainsi.  Michael avait reçu un gameboy et un gant de baseball.  Évidemment, le cadet s'était moqué de son grand frère qui l'avait pourchassé à travers la maison, moins agacé qu'il ne voulait le faire croire, jusqu'à ce que Janet mette fin à leurs enfantillages d'un appel tranchant.

Le châtain en avait oublié son cadeau depuis plusieurs jours lorsque Charlie vint étudier chez lui plutôt qu'à la bibliothèque et s'approcha de la boîte en reniflant.  Apparemment qu'il lui trouvait une odeur étrange et lorsque Alex lui expliqua que c'était un cadeau de son père, Charlie l'agaça un peu avant d'insister pour ouvrir le paquet, espérant y trouver le moyen de faire exploser des trucs « gentiment ».  Se doutant qu'il ne s'agirait pas d'un cours de pyrotechnie, Alex ouvrit à contrecœur et fut surprit d'y trouver une lettre.  Son père lui expliquait qu'il lui avait envoyé son journal contenant une introduction au surnaturel ainsi que des explications sur les diverses créatures qu'il risquait de rencontrer et d'autres détails personnels.  Dans les fioles, avait-il écrit, il lui avait envoyé quelques échantillons de substances qui pourraient, à son avis, lui être utiles.  L'une d'elle, avait-il précisé, devrait bien plaire à Charlie.  Alex n'eut pas à s'interroger longtemps à savoir de laquelle il s'agissait, son copain humant l'un des petits pots pour en conclure que « ce truc sent vachement bon ».  Dès lors, Alex s'était efforcé de trouver le temps, entre ses entraînements, ses devoirs et les révisions avec Charlie, d'entamer le manuscrit de son père.

L'adolescent tourna une nouvelle page mais, cette fois, une poussière ou un rayon de soleil – il n'aurait su dire – vint lui jouer de la narine et le fit éternuer, réveillant par le fait même la douce brute assoupie.  Le jeune zoothrope était désorienté et Alex l'apaisa rapidement.  Charlie remarqua alors la chair de poule qui se hérissait sur les bras du semi-canadien.  Celui-ci était en effet choqué du passage qu'il était en train de lire du journal et qui était franchement flippant, mais préféra prétexter un frisson passager.  Il venait d'éternuer, après tout.
« J'ai dormi longtemps? » demanda le brun en grommelant, la voix bourru et le poing occupé à dégager sa paupière encore lourde.
-J'sais pas... Peut-être une heure.  Tu as bien dormi?
Soupir sans équivoque : peu importe la qualité, il n'avait pas assez dormi.
-Tu sais que l'hiver est pas encore techniquement arrivé, hein.  Ça fait un peu tôt pour hiberner.
« Faut bien que je me pratique.  À moins que j'aie vraiment la monotruc! »
-C'est le plan si tu n'arrives pas à résister et que ça nuit à tes études!  Faut pas le brûler pour rien! réprimanda Alex en grimaçant, se plaisant un peu à torturer le pauvre ours.
« Pas ma faute si tu fais un bon oreiller. » rétorqua la peluche géante en arborant son plus charmeur sourire.
-Si tu me laissais essayer, je suis sûr que tu ne donnerais pas ta place non plus!  fit Alex, joueur, en pinçant les poignées d'amour que l'automne avait apportées à Charlie de sa main libre.
« Tricheur! » s'insurgea la brute en commençant à picosser Alex de ses doigts, le journal tombant au pied du divan.

Lorsqu'ils convinrent d'une trêve de paix, Charlie prit un air légèrement plus soucieux qu'à son ordinaire qu'Alex ne vit pas immédiatement puisqu'il récupérait le bouquin de son père, et l'interrogea en réprimant un baillement.
« Alex? »
-Mmmh?
« Y'a la pleine lune qui approche et... »  Le cou d'Alex tourna avec une rapidité surprenante, alors que son regard se plantait dans celui du garou et que ses sourcils exprimaient à la fois son étonnement et son ennui.
-Je t'ai déjà dit, il n'en est pas...
« C'est mon pote, ça l'aiderait vraiment »
-C'est pas le mien, il m'en veut encore je te signale.
« Il t'en voudrait pourquoi?  Il t'aime bien, tu te fais encore des idées »
-Il a voulu m'exploser!
« C'était pas lui! »
-Ça lui ressemblait drôlement...
« C'était son loup, tu peux pas comprendre. »  
Il n'en fallut pas plus pour piquer Alex dans son orgueil. Il lança un regard noir à Charlie et croisa les bras sur son torse dans ce qui se voulait un air de défi.
-Alors explique-moi, aide-moi à comprendre.
« Mais!  Je sais pas comment... »
-Essaie... C'est certainement pas plus compliqué que la trigonométrie.
« Je sais pas plus que toi, j'suis pas un loup, moi.  T'es chiant quand tu... »
-Je suis chiant? J'ai déjà entendu ça je pense, mais t'aurais pas oublié un mot?
Charlie se rendit compte de son erreur trop tard et tenta de pédaler à contre-sens, sous le regard en mitrailleuse d'Alex.
« Je voulais pas... T'es pas un intello chiant, Alex. C'est mon pote, je veux l'aider. Pourquoi t'aimes pas mes amis? »
Alex soupira.  Il se trouvait bête.  La détresse était visible dans le regard de Charlie et il s'en sentait coupable.  Évidemment qu'il aurait voulu aider Amaro, c'était toujours mieux de l'avoir dans sa poche que sur son dos.  Et c'était probablement là la vraie raison de sa colère : il n'était peut-être qu'un adolescent, il n'aimait pas plus se sentir impuissant.
-Évidemment que je veux l'aider aussi.  Je voudrais pas qu'il fasse du mal à quiconque, mais je veux pas non plus être ce quiconque.  Pour l'instant, tu es le seul sur qui il peut compter.  Je lui demanderai pas de passer la nuit dans un cercle de sorbier.
« T'es sérieux, là? » interrogea Charlie, l'air interdit.
-C'est sûr.  Pourquoi je lis tout ça tu penses?
« Parce que tu lis tout ce que tu voies » répliqua le jeune ours d'un air fier.
-Bien joué, gros malin.  T'as pas une sieste à poursuivre, ou tu préfères qu'on planche sur ton devoir d'anglais?
« C'est bas! » protesta Charlie en s'étirant néanmoins pour aller chercher son cartable.

Les semaines se succédaient, immuables, sous le ciel bleu d'Arizona. Les progrès de Charlie étaient lents, mais constants, sous les encouragements inébranlables d'Alex. Noël s'était présenté avec une fraîcheur agréable. Janet avait invité Charlie pour le réveillon et le jeune couple avait été ravi de la perspective de passer les Fêtes entières en compagnie d'un de l'autre. Ce qu'ils avaient manqué de prévoir, cependant, était le niveau de fatigue de Charlie, dont le corps le poussait à l'hibernation. Janet se préoccupa de la santé de son gendre, mais les adolescents prétendirent simplement que la brute souffrait de l'accumulation du manque de sommeil des derniers mois. Après tout, il avait vraiment beaucoup étudié, selon ses propres standards... 
Bien que désormais prévisible, la dormance de l'ours n'en posa pas moins problèmes aux niveaux social tant qu'académique. Alex pris sur ses épaules de justifier les absences autant que les ronflements de son copain en cours, prétextant des problèmes d'ordre familial. Amaro se montra sympa et usa de son influence sur la bande pour qu'ils ne posent pas trop de questions. Ni pour ça, ni pour les lubies fauniques du doux rebelle.
Pour la St-Valentin, Alex emmena son amoureux prendre le brunch et lui offrit un oreiller de voyage. En retour, il eut droit à un ourson en peluche. Il raccompagna ensuite le zoomorphe chez lui et il firent le sieste ensemble durant l'après-midi.
À Pâques, Charlie se montrait déjà plus vigoureux et Alex insista pour qu'ils reprennent leur groupe d'études et rattrapent la temps perdu, ce qui valu à Charlie de passer son année, de justesse certes, et il put passer en seconde.
Durant l'hiver, Alex avait tenu sa promesse d'aider Alessandro, et celui-ci se montra reconnaissant, malgré son impatience et son agacement face au manque de résultats. Ils avaient beau répéter le mantra, tenter de lui trouver un ancrage, ou quoi que ce soit, rien ne semblait suffisant pour contrer le mauvais caractère du loup. Ils étaient même allés jusqu'à tenter la méditation...
Heureusement encore, la présence de l'ursidé avait tendance à rassurer autant le druide, qui se montrait plus audacieux, que le loup, qui était plus calme. L'ordre naturel et surnaturel des choses étaient très similaires : dans les deux cas il était peu probable qu'un loup seul ne s'attaque à un ours et espère s'en sortir victorieux. À moins que le loup ne soit enragé ou particulièrement agressif pour une raison quelconque... Invasion de tanière ou menace de la progéniture, par exemple. Ou encore que l'ours soit en un piètre état, vieux ou affaibli. Charlie avait appris bien plus rapidement à se contrôler et plutôt que de répéter un mantra, il conservait son habitude de tracer mentalement la Grande Ourse.
Lorsque les grandes vacances arrivèrent, Alex reçu deux invitations marquantes, tout comme Charlie. D'abord, son père les avait invité à passer l'été chez lui, à Beacon Hills. Ensuite, Alessandro avait invité Alex et Charlie, individuellement et en personne, à participer à sa boum de fin d'année. Il retournerait à Los Angeles l'année suivante.
La soirée était agréable, le jeune couple y passait du bon temps et s'y amusait. Charlie s'était déniché une bouteille d'hydromel qu'il buvait au goulot, offrant de temps en temps une gorgée à Alex, qui tentait de se limiter à une seule bière. Ou deux. Un œil averti pouvait facilement déterminé qui étaient les surnaturels dans la pièce et Alex en rigolait mentalement. Lorsqu'il sortit pour la troisième, ou quatrième, fois des toilettes, le mini druide fut intercepté par l'habitant des lieux.
-Hey!
-Buonasera, Cormiers. Tu t'éclates?
-Moui, Amaro. C'est bien chez toi.
Très différents des cases militaires, en tout cas.
-Content que tu t'amuses. Écoute, je voulais te remercier...
-Merci à toi de m'avoir invité! Fit Alex en plantant son index sur le torse de l'italien. Il réalisa du même coup qu'il était moins sobre qu'il ne le pensait. Amaro lui lança un regard perplexe.
-Oh.
-Non, je voulais te remercier pour ton aide.
-Euh?
-Tu sais, avec mon problème... insista l'italien en roulant des yeux.
-Ça n'a rien donné, tu l'as dit toi-même.
-Tu as essayé et j'aurais dû m'en montrer plus reconnaissant.
-Est-ce que tu me dis ça parce que tu penses que je ne m'en rappellerai pas demain?
Un sourire de lupin étira les lèvres d'Alessandro.
-Je t'avouerais que je préfère que tu ne répètes pas cela à tout le monde. Ce serait triste que Charlie se retrouve veuf aussi jeune.
-Hey! C'est pas drôle!
-Je voulais te donner mon numéro à LA, si toi ou ton gros bêta en avez besoin.
Alex dégrisa sur le coup. On n'insultait pas aussi impunément son ourson. Certes, Charlie était en train de bailler aux corneilles près du bol à punch, mais ça ne voulait rien dire.
-Il est bien moins bête qu'il veut le faire croire!
-Qu'il veut se le faire croire aussi. Io anche lo so. Vedo tanti cosi.
Alex était bouche bée. D'abord par la déclaration de l'italien, ensuite parce qu'il se sentait stupide de ne rien comprendre à cette langue latine.
-On t'a déjà dit que ton charabia est incompréhensible? Et je parle français! argumenta-t-il, ivre, comme si ça lui plantait un décodeur universel dans le cerveau.
-Je sais qu'il n'est pas bête. La preuve, c'est qu'il t'a choisi.
-J'aime croire que c'est plus qu'un choix calculé.
-Si, ma... Nous analysons. Son intelligence est plus instinctive, mais il n'en a pas suffisamment confiance. Il faut que quelqu'un lui apprenne à voir qu'il n'est pas stupide, sans qu'il ne se rende compte qu'on l'inciter dans cette direction.
Le regard du rital était sans équivoque.
- C'est de la manipulation, ça. Je peux pas faire ça, je suis pas manipulateur... C'est plutôt ton domaine ça! Au lieu de le traiter comme une simple paire de paluches, tu pourrais suivre tes propres conseils et euh, comment t'as dit? L'inciter dans cette direction.
- Il a plus confiance en toi qu'il n'en a jamais eu en moi, rétorqua le loup d'un air vexé.
- Et je retourne à LA, je te rappelle.
- Et comment je fais ça alors?
- Comme tu le fais déjà! Signor Dio mio! Dis-moi pas que tu ne t'en rends même pas compte! T'es un bon gars, Cormier, mais...
- J'ai déjà entendu ça...
- Mais, disais-je...
« Pourquoi je serais veuf? » Interrogea Charlie en apparaissant subitement auprès d'eux. « Tu le menaces? »
- No, pas du tout!
« Alex, t'as fait une bêtise? »
- Non, t'inquiètes. Amaro a jamais été aussi sympa avec moi.
« T'as trop bu », souligna Charlie les yeux plissés dans un mélange de méfiance et de perplexité.  Il croyait certainement que le sarcasme d'Alex était encore une fois trop fin pour qu'il ne le distingue.
- C'est vrai, Crowley, je viens de lui dire que c'est un mec bien.
La confusion et l'incertitude mirent un instant à disparaître du visage de l'ours qui, tout sourire, les enlaça chacun d'un bras contre lui.
Le reste de la soirée se termina sans anicroche et, au milieu de la nuit, Charlie ramena chez lui un Alex assoupi dans ses bras comme un immense bébé.

-Mais si, tu le sais.  Tu t'en souvenais, pas plus tard qu'hier.
...
-Oui, c'est ça! C'est l'année de la déclaration d'indépendance.  Tu vois bien que tu le sais.
...
-Mais si, ça ira bien.  Il te reste trois jours pour réviser.  Je te promet, tu vas valider ton année.
...
-Parce que tu crois que je te donnerais les réponses?  T'as pas encore réussi à parfaire ta technique de yeux mignons assez pour ça, mon ourson.  De toute façon, même si j'étais à Phoenix, je pourrais pas y aller avec toi, tu le sais.
...
-Je penserai à toi, promis.
...
-J'ai hâte de te voir aussi.  Mon père a étrangement trop hâte de te revoir.
...
-Il est parti en ville, Dieu merci.  Je me rappelais pas qu'il était aussi relou.
...
Toc toc toc.

-Ça cogne à la porte, Charlie, je te rappelle ce soir.  Tu me promets d'étudier?
...
-Et moi aussi.  Bonne journée Charlourson.
...
-Si c'est pas la meilleure raison pour le faire!  Ciao!

Alex raccrocha le combiné sans fil en riant.  Évidemment qu'il savait que Charlie détestait quand Alex lui donnait des surnoms débiles.  Mon ourson passait encore, mais c'était limite.  De toute manière, ils étaient tous deux d'accord que ça faisait un peu quétaine.  Mais bon, la distance qui les séparait depuis dix jours avait tendance à rendre Alex plus guimauve.  Son ours lui manquait, qu'il le veuille ou non.  Heureusement, il viendrait le rejoindre au début de la semaine prochaine.  Le canadien fit justement une croix sur le calendrier en passant devant le frigidaire pour aller répondre à la porte.

Lorsqu'il ouvrit la porte, Alex se trouva nez à nez avec un garçon d'environ son âge, peut-être trois puces plus grand que lui, les cheveux foncés, les sourcils épais, le regard sûr, la bouche entrouverte en une expression suffisante.  Le faciès insupportable que le druidon reconnaîtrait entre tous et qui complétait à merveille le blouson de cuir qu'il portait.  Un typique adolescent dur-à-cuire, trop cool pour les intellos tels que lui.  Sorte de Amaro nouveau, mais plus jeune et, sans l'ombre d'un doute, pas moins lupin.  Le type de personnage qu'il commençait à connaître suffisamment pour se permettre un sourire, mais pas assez pour se permettre de dire qu'il en mangeait au petit-déjeuner.

-Alors c'est toi, Cormier?

Le nouveau-venu haussa un sourcil en toisant le canadien de la tête au pied.  Canadien amusé qui lui rendit la pareil tel un miroir, poussant même la malice jusqu'à oser relever le sourcil de quelques microns supplémentaires.

-Mmmh.  Et t'es qui?
-Derek Hale.  On habite le manoir à côté, fit-il en se bombant le torse de prétention.
-Cool. rétorqua Alex sur un ton de plus en plus blasé, plus l'autre tentait de l'impressionner.  Tu voulais quelque chose?  Tu es venu chercher du sucre, peut-être?
-Quoi? Non.  Tu l'fais exprès d'être plus imbécile que ton vieux?
-J'en sais rien.  Tu venais que pour faire les présentations?  Alex Cormier, enchanté.

Le sourire devenu moqueur sur ses lèvres, Alex fronça des narines pour replacer ses lunettes sur son nez en tendant la main vers Derek, qui fit un mouvement pour la serrer et se prit plutôt la barrière de sorbier.  Le louveteau grogna alors qu'un éclat victorieux s'échappait des lèvres du châtain.  La main de l'habitant des lieux s'avança un peu pour rencontrer celle du voisin intimidateur.

-J'le savais!
-Wouah, bravo.  Tu veux une médaille?
-Non, et toi?  Sur ton joli cou, ce pourrait être mignon.
-Tu feras bien moins le malin si on se croise dans ma forêt, menaça Derek à voix basse, en faisant briller ses yeux.  Il avait attiré Alex vers l'avant et le maintenait à quelques centimètres de son visage. Il semblait bien avoir l'habitude de ce genre d'intimidation.
-Je doute qu'elle n'appartienne à qui que ce soit... rétorqua Alex en tentant de se dégager.  Derek le relachâ en le propulsant sur le sol de la cabane. Le visage écarlate, le druidon rajusta ses lunettes d'un geste brusque de la main et se releva tout juste après que Derek ne soit reparti en l'invectivant.
-Tu vaux rien de mieux qu'ton pathétique père, binoclard.
Alex claqua la porte dans son dos, se demandant franchement ce qu'il avait pu faire au ciel pour s'attirer toujours ce genre de situations et les foudres des tortionnaires de bas étages.  Si ce n'était de la venue imminente de Charlie, l'été promettait d'être long.


« Tu comprends pas Alex, il y en a quasiment partout.  Il doit y en avoir plus que dans tout Phoenix.  C'est sûr qu'il doit y avoir des chasseurs partout aussi. »
-'Pa a dit qu'on risquait rien.  Fais lui donc confiance.  Et arrête de renifler tout le temps!
« Ils me chatouillent les narines, à tous sentir... Tu le connais? » demanda-t-il soudainement en pivotant sur le banc qu'ils avaient adopté pour l'après-midi.  En suivant le regard de l'ours, Alex aperçut Derek Hale de l'autre côté du parc.  "Derek Hale.  Ouin" grommela Alex en reprenant sa position initiale sur le banc.
 « Je pense qu'il vient te voir.  Il te veut quoi?  Tu veux que je lui casse les dents? »
-Hein? Non!! C'est un...
« Je sais bien ce qu'il est. Ho. »

Maintenant que Derek était plus près d'eux, les yeux de Charlie s'étaient arrondis et il avait retrouvé une expression qu'il ne prenait généralement que pour Amaro.  Charlie avait le flair pour les leaders naturels et il semblait malheureusement que Derek en était un.

-Hale.
-Cormier.  Tu t'es trouvé un garde du corps, alors?  T'avais peur de mouiller ta culotte si tu sortais seul?
-Tu viens, Charlie?  Ça sent le chien mouillé, ici.
« Eh? »
-C'est drôle, je trouve que ça sent le miel, moi.  J'aime bien le miel.  On a des ruches, sur le domaine.  Tu viendras me voir au manoir, si tu en as assez de traîner avec ce loser.
 « Mais... C'est pas... Alex?! »
L'ours avait l'air plus perdu, et également probablement plus idiot, il fallait bien l'avouer, qu'Alex ne lui avait jamais connu, une faible lueur de confusion et de panique brillant au fond de son regard alors qu'il ne savait pas quel instinct suivre, maintenant qu'il comprenait les sous-entendus de Derek, qui le poussait à abandonner Alex pour rejoindre sa « bande » et son charisme naturel.  Le druide glissa sa main sur le dos de l'ours pour le rassurer; le loup était bien mieux de ne pas lui avoir cassé son amoureux, non mais!
-P'tain mais c'est pas sérieux.  Il t'a fait quoi, le nerd pour que tu penses pas pouvoir trouver mieux qu'ça?
-Fiche le camp, Derek.
-Personne t'a sonné, l'intello.
-C'est MON intello! rugit subitement Charlie en sautant sur ses pieds, comme si il venait de réaliser qu'Alex se faisait insulter.
-Reste calme, Charlie!
-J'espère te recroiser, Charlie, fit Derek en lui lançant un clin d'oeil, laissant les tourtereaux légèrement désemparés.


Les semaines passaient et Gabriel était toujours aussi enthousiaste d'avoir les deux garçons à la maison, principalement Charlie, pour l'aider dans ses différents projets d'aménagement du terrain et de rénovations.  Chaque soir, lorsque le druide senior se mettait à ronfler, Alex descendait doucement l'échelle entre son matelas et celui de Charlie – Gabriel n'ayant qu'une chambre d'invités, il leur avait déniché un lit à étages – et allait se lover contre lui pour la nuit.  Ce soir-là, quelque chose semblait planer comme une ombre dans la conscience de Charlie.

 « Pourquoi t'aimes pas Derek? »
-Parce que c'est un prétentieux sans cervelle.
« Il est pas aussi mauvais que tu le dis »
-Il est comme Amaro...
« Tu l'aimes bien, Amaro, maintenant, non? »
Alex soupira.
-Écoute, Charlie, je sais que c'est ce genre de personnes que tu aimes et avec qui tu t'entends bien, mais... pas moi.  La vie est comme ça.
« Je pense qu'il m'aime bien.  Dès que tu as le dos tourné, il vient me parler.  Je pense qu'il me tourne autour. »
-Je sais, Charlie.  Tu veux savoir quoi? Si je suis prêt à te partager?
« Bah non, puisque tu l'aimes pas.  Juste, tu trouves pas ça étrange? »
-Que tu puisses lui plaire?  Charlie, je trouve étrange qu'il y ait des gens à qui tu ne puisses pas plaire.
Alex raffermit son étreinte autour du torse de Charlie en lui déposant un baiser derrière l'oreille.
-Si tu vas battifoler,
« Je vais pas! »
-J'aimerais quand même que t'aies pas peur de me le dire.
« Mais non!  Je vais pas... Je comprends juste pas pourquoi il comprend pas qu'on est ensemble. »
-Parce qu'il me respecte pas, me prend pas au sérieux.  Il le comprend.  Il l'accepte pas.
« Et toi, tu acceptes ça.  Ça te dérange pas qu'il me tourne autour? »
-Bien sûr, Charlie.
« T'es certain?  Parce que tu le laisse faire... »
-Bonne nuit, Charlie.

Dans la minute qui suivit, le ronflement léger de l'ursidé vint emplir la pièce et en caresser les murs, alors que Alex passa la nuit les yeux grands ouverts à se poser des questions existentielles bien plus sérieuses que ce qu'aurait jamais pu espérer Charlie en soulevant les trappes qu'il venait de lever.  Au petit matin, Alex avait pris sa décision et s'endormit enfin, paisiblement.

C'était le crépuscule, à quelques centaines de mètres derrière le manoir Hale.  Entre chiens et loups, comme l'expression le disait.  Ça tombait bien, Alex comptait avoir une rencontre avec un loup au tempérament de chien.  Le druidon n'avait pas pipé mot de son plan à son ours de compagnon, mais il était bien déterminé à donner une louveteau une leçon digne de ce nom et, maintenant que son piège était prêt, il ne lui restait qu'à attendre la venue du loubard.  Derek ne se fit pas trop attendre longtemps et arriva en grognant, manifestement irrité de la présence provocante du manitobain.

-J't'avais dit de faire attention à pas t'promener seul dans ma forêt, Cormier.
-Ouuuuuh!  Le grand méchant louuuuuup!  Je suis terrorisé! raîlla le canadien.  Et avant qu'il ait le temps de comprendre ce qui lui arrivait, il se retrouva les deux pieds à quelques centimètres du sol, soutenu par la gorge par des mains griffues.  Ça, ce n'était pas prévu dans le plan.

-Et qu'est-ce que tu vas faire, princesse?  Ton chevalier est pas là pour te sauver les miches...
-Rgnn! fit Alex, en se débattant mollement, les deux mains accrochées au poignet qui le maintenait en l'air.  Lorsque, finalement, il parvint à rattraper son souffle, il répondit en balançant son tibia dans l'entrejambe du garou.
-Ça!

Immédiatement, Derek le relâcha et Alex mit une seconde à retrouver l'équilibre sur ses pieds avant de courir vers un point que lui seul connaissait.  Son coup était bas, mais c'était pas illégal.  Un rugissement dans son dos lui indiqua que le loup s'était mis à le pourchasser et, Alex désormais arrivé à destination, fit volte-face et attendit que le prédateur soit à la bonne distance pour balayer le sol du pied, étirant la ligne de sorbier pour en faire un cercle continu de quelques mètres de diamètre au cœur duquel Derek était désormais piégé.  Rapidement, il fit quelques pas de reculons et alla s'appuyer contre un arbre.  Son cœur semblait décidé à lui sortir par la gorge.

-J'ai... pas... besoin de... de personne.  Je... peux me... défendre... seul.
-C'est pas s'battre, ça, espèce de lopette!
-T'es pas en mesure... de parler.  Et tu vas laisser Charlie tranquille.  Je vais revenir demain... demain matin pour te libérer.  Bonne nuit.

Et Alex partit vers chez son père d'un pas rapide, évitant une pluie d'injures.  Il n'avait pas marché plus de deux minutes qu'il se trouva nez à nez avec son copain.

-Charlie!  Tu fais quoi là?
« Toi, qu'est-ce que tu fiches au milieu de la forêt?  J'ai senti que t'étais en danger. »
-Rien, je me suis effrayé en voyant une branche avec une drôle de forme, c'est tout! mentit le châtain, se doutant très bien que l'instinct protecteur de Charlie ne fonctionnait pas ainsi.  D'ailleurs, le regard de l'ours était, outre empreint d'une inquiétude, clairement en train de lui dire de pas se foutre de lui.  Mais un ombre passa sur le visage de l'ursidé, qui saisit le bras d'Alex en se dirigeant vers l'endroit d'où l'apprenti-moralisateur arrivait.
« Merde.  Des chasseurs.  Y'a quelqu'un en danger... »

Comprenant subitement l'idiotie de son geste et le pétrin dans lequel il avait involontairement mis son voisin, Alex déglutit et courut à la suite de Charlie vers le sous-bois dans lequel il venait d'abandonner Derek à son sort.  Il s'était transformé et, d'une attitude défiante, tournait à l'intérieur du cercle, face à une silhouette féminine qu'ils ne connaissaient pas et le tenait en garde à l'aide d'une sorte de sabre.

« Derek?  Qu'est-ce qu'il...?  Alex... » murmura Charlie, dépassé par les surprises qui lui tombaient dessus comme un navire qui faisait naufrage de Charybde en  Scylla.

« … qu'un m'a facilité la tâche, on dirait.   Viens donc là, mon louloup, qu'on fasse joujou. »

« T'as fait, quoi, Cormier? » insista Charlie, alors que Alex ramassait une branche qui trainait bienheureusement par là.  Il espérait que la nuit tombante cachait les plaques rouges de ses joues de la vue de son amoureux.  Oui, il s'était gourré, et oui il en avait honte et le regrettait, mais le moment n'était pas à la discussion.

-Faut l'aider, Charlie.

D'un commun accord, les tourtereaux se séparèrent et Charlie sorti des fourrées en face de la femme, sa silhouette ursuline et intimidante dépassant celle de Derek autant que la femme, qui saisit un pistolet après une fraction de seconde de surprise.  Alex se rapprocha derrière elle et se servit de sa branche pour briser le cercle de sorbier dans lequel il avait emprisonné Derek, risquant par le fait même de se faire prendre par la chasseuse.  Le druidon n'était pas certain que le louveteau l'ait vu, mais l'ourson semblait être en position désavantageuse.  Alex se recula dans l'ombre, espérant ne toujours pas avoir été remarqué et les deux bêtes se ruèrent au même moment sur la femme, qui fit un pas en arrière en tirant un coup de feu en direction de l'arizonien.  Une estafilade apparut sur le bras de Charlie qui se mit à saigner de plus en plus abondamment.

Le canadien se projeta sur la femme en lui hurlant des noms en tous genres, mais peu flatteurs.  Il n'était pas dit qu'il laisserait quelqu'un s'en prendre à Charlie sans rien faire.

« Qu'est-ce que? »
-Laisse-le tranquille, vieille harpie!

Un instant plus tard, le crâne de la chasseuse cassa la branche en deux, l'un des morceaux restant dans les mains d'Alex alors que l'autre s'était envolé dans la forêt.  Désorientée, elle pointa son fusil en direction de son nouvel agresseur, mais une main griffue la lui rabaissa immédiatement et la plaqua au sol, où elle perdit connaissance.

-Je l'ai tuée!  Oh mon dieu!  Qu'est-ce que j'ai fait! se morfondit l'adolescent alors que les deux surnaturels de son âge se penchaient sur la chasseuse.
-Arrête de chialer, Cormier, elle respire encore.  Et son cœur bat.
« On fait quoi? »
-On l'éloigne de chez moi et on l'abandonne quelque part.
« Mais si elle meurt? »
-On appelle la police pour dire qu'on a entendu des coups de feu, et on la ligote à un arbre? proposa Alex, sous le choc et sans conviction.  Il ne comprit pas trop pourquoi cette suggestion fut adoptée, mais ils s'occupèrent de déplacer le corps jusqu'au lac, où ils la laissèrent finalement.  Sur le chemin du retour, ce fut Charlie qui ouvrit la discussion.

« Qu'est-ce qui s'est passé?  À quoi vous jouiez? »
-Ton mec a manqué de me tuer! Accusa Derek en pointant un doigt dramatique en direction du druide, qui répliqua pour sa défense sans attendre.
-Je savais pas qu'elle viendrait, et on est revenus pour te sauver, hein!
-Si tu m'avais pas piégé comme un taré, j'aurais eu besoin de personne!
« Pourquoi t'as fait ça? » demanda Charlie, qui semblait ne pas encore avoir compris l'ampleur de la situation.
-Il voulait me faire la morale, apparemment, et me dire de me tenir loin d'toi.
« C'est vrai? » s'enquit Charlie d'un ton tranchant.
-Il l'avait cherché.  T'as vu comment il...
« Méritait de mourir? »
-Non! Je t'ai dit, je voulais pas.  Si j'avais su...
« Bordel, Cormier, il est passé où le mec qu’j'étais tombé amoureux?  J'te reconnais pas à vouloir… vouloir faire ça.  Moi j'aimais le mec qui aidait les gens. »  À son habitude, Charlie n'haussait pas la voix, mais ça ne le rendait que plus menaçant.
-Mais, je l'ai aidé...
« J'espère bien, c'était la moindre des choses. »
-Je suis désolé, Charlie, je...

Charlie s'arrêta immédiatement et se tourna doucement vers Alex, qui soutint son regard jusqu'à ce que Derek fasse mine de partir.
-C'est pas que vous êtes pas cools, les gars, mais j'devrais rentrer.
« Toi, tu bouges pas d'ici.  Alex a quelque chose à te dire. »
-Quoi? Mais... Et lui? bougonna Alex en se prenant le regard impérieux de son amoureux sur la gueule.
« M'en fiche de lui, c'est pas avec lui que j'sors.  Ni avec un apprenti sorcier à la grosse tête, hein? Hein! »
-...
« Hein! » s'impatientait l'ours.  Alex baissa le regard sur ses baskets et pris la parole, mais fut coupé au milieu de sa première syllable.
« R’garde-le dans les yeux, 'Lex.  Bordel, j’peux pas croire que c'est moi qui t’dis ça.  Allez! »

Obéissant, Alex leva les yeux vers ceux du fauve qui avait repris ses allures adolescente.  Ce n'est qu'alors qu'il réalisa à quelle point Derek était blafard et devait avoir eu réellement peur.
-Écoute, Derek.  Je suis désolé.  J'aurais pas dû faire ça, ni rien d'autre.  J'pensais pas t'mettre en danger.  J'voulais juste te faire comprendre que c'est pas parce que j'ai pas d'griffes que j'peux pas... j'sais pas, j'peux pas...
-Que tu peux pas quoi, Cormier?
-Que je suis moins bien, moins cool.  J'aurais pas dû faire ça, mais... tu peux pas comprendre.  Charlie est tellement bien, tout le monde l'aime, et moi je suis le truc moche et sans défense qu'il traîne comme un boulet.
L'ours grommela, voulut ouvrir la bouche, mais se ravisa finalement et conserva son air contrarié, malgré le sourire qui était venu illuminé son visage un instant auparavant.
-Je me sentais menacé, et j'ai voulu être plus menaçant, pour me rassurer.  J'ai pas envie de perdre Charlie, quoi.
« C'est beau la confiance. » commenta Charlie sur un ton qu'Alex n'arrivait pas à interpréter.
-Attends, mais tu croyais vraiment que je lui tournais autour? Ahah!  Mais je m'en bats les couilles des mecs.  J'veux dire, c'est votre affaire, mais... non, quoi!
« Tu me tournais pas autour? » interrogea Charlie, vexé.
-Bah.  Je faisais semblant, quoi.  Ça crevait les yeux.  Sinon ça aurait fait longtemps que j'aurais brisé ton cœur.  Vous êtes pas sérieux, là?
-Ben...
« Ouais.  En fait, Alex avait raison, t'es pas si cool que ça. »
-Et toi t'avais raison, il est pas si ringard, ton copain.  C'est juste que mes parents aiment pas son père, et je pensais qu'il devait y avoir une raison.  Puis j'ai pas cherché plus loin, quoi.  Ça m'allait bien de voir qu'un binoclard avec un bâton dans...
« J'aime bien ses lunettes, ça lui donne un petit air de libraire. »
-Pourquoi tes parents aiment pas ma famille?
-Aucune idée.  J'ai jamais demandé.  Je me suis toujours dit que vous deviez être de mauvaises personnes, quoi.
-Sympa, quoi.  M'enfin, j'suis vraiment désolé. J'ai pas l'habitude de faire du mal aux gens, et je compte pas recommencer de sitôt.
-Je devrais m'en remettre.  Et au passage, la prochaine fois que tu veux impressionner quelqu'un : le coup du sorbier c'est super classique et déjà vu.  Le gourdin par contre, ça ça impressionne grave!
« Ouais, non, mais il est privé de gourdin, là.  Hop, on rentre. »


Dans leur chambre, les deux adolescents étaient en train de se changer lorsque Charlie songea à un truc.

« Avec tout ça, j'ai oublié de te dire que j'ai eu mes résultats : j'ai validé mon année. »
-Super, je t'avais bien dit hein!  Faudra célébrer ça!

L'ursidé se contenta d'un gémissement peu convaincu en guise de réponse, et fila dans son lit.  Alex monta dans le lit au-dessus du sien et s'y reposa, les yeux ouverts dans le noir en attendant que son père aille se coucher dans la pièce voisine.  Les ronflements de Charlie résonnaient déjà contre la structure du lit superposé, et Alex repensait à sa soirée, hanté par ses propres gestes.  C'était fou, en effet, ce que la fierté pouvait faire faire, Charlie avait raison.

Finalement, lorsque Gabriel s'endormit à son tour, Alex n'eut le temps de poser le pied sur le premier barreau de l'échelle que la voix basse et endormie de Charlie l'interrompit.

« Alex, reste en haut cette nuit, s'te-plaît. »
-Mais...
« S'te-plaît 'Lex, juste ce soir. »

Et le druide, cette nuit-là ne dormit presque pas, encore une fois.  Le silence dans la pièce, sans les ronflements de l'ourson, lui indiquèrent même qu'il n'était probablement pas le seul à avoir le cœur ravagé.

Alex n’était pas certain si c’était l’absence de la chaleur corporelle de l’ourson, la fatigue, la nervosité, ou vraiment le froid, mais il avait passé la nuit à grelotter, ressassant dans sa tête les évènements de la veille. Il avait vraiment agi comme un écervelé de première, une tête brûlé d’enquiquineur à la noix. Et il craignait de perdre Charlie pour ça. Ce qui était surprenant, compte tenu de la passion de Charlie pour avoir des amis mauvais garçons et autres intimidateurs de cours d’école. Lorsque Alex se leva, au petit matin, il entendit le matelas sous le sien grincer et entendit Charlie qui faisait semblant de respirer fort, lui tournant ostensiblement le dos sous la couette.

Dans l’espoir de parvenir à se racheter, Alex fila à la cuisine dans l’optique de préparer la moins originale des surprises : des crêpes. En même temps, son livre de recettes intégré était quelque peu limité. Lorsque Gabriel se leva à son tour, Alex pointa le cul-de-poule contenant la pâte et en offrit à son père qui parut étonné. Sa réponse laissa son fils estomaqué.

-Qu’est-ce que tu as fait, Alex?
-Bah, rien!
-Pourquoi tu as fait des crêpes de la rédemption, alors?
-Des quoi?
-Tu as mis du miel dedans. Tu as fait une bêtise à Charlie? Il est où?
-Non, c’est euh, parce qu’il a réussi son année!
-C’est tout ce que ça mérite?  Vous devriez célébrer un peu plus.  Je ferai des fish cakes ce soir, et vous avez carte blanche pour la soirée, si vous voulez aller en ville.  Soyez juste prudents!
-Cool!  Merci ‘Pa, t’es le meilleur!

L’adolescent offrit de nouveau de faire cuire une pancake à son père, qui préféra attendre le réveil de Charlie pour manger tous les trois ensemble.  Il accepta tout de même le café que son fils lui proposa ensuite et l’ours émergea de la chambre quelques minutes plus tard en humant l’air.

« Des pancakes au miel!  Merci Alex. » s’exclama-t-il en prenant place à la table, obligeant l’apprenti-druide à ouvrir d’urgence la cuisinière pour y faire cuire la pâte.

« T’essaierais pas de m’amamou… m’adamou… de te racheter, par hasard? »

Alors qu’Alex devenait rouge comme une pivoine, il eut le temps de voir, du coin de l’œil, un sourire amusé se formé sur les lèvres de son père qui plongea dans sa tasse de café en leur tournant ostensiblement le dos.  Le pauvre adolescent bafouilla un peu, surpris de s’être laissé deviner aussi facilement.

-Je veux juste te faire plaisir, Charlie!  Et pis, je veux pas que tu m’en veuilles…
-Hum. fit Gabriel, moqueur, se valant un regard sombre de son fils. Je croyais que tu n’avais pas fait de bêtise.
-Ben… C’est que…
« Il en a pas faite, non plus, Gabriel. » intervint Charlie, mettant un terme à la discussion.  Évidemment, le rebelle n’était pas du genre à prendre le parti de la figure d’autorité, quelle qu’elle soit, et aussi sympathique qu’elle pouvait lui être.  En reconnaissance, Alex lui envoya un sourire sincère, probablement l’un de ses plus beaux, accompagné de sourcils radieux.  L’une des nombreuses choses qu’Alex aimait chez son copain, c’était que rien n’était jamais compliqué.  Ils avaient déjà fait la paix.  Qu’ils ne soient pas rancuniers, ni l’un ni l’autre, ne nuisait pas à cette facilité qu’ils avaient à passer outre les petites querelles et autres obstacles de leur vie de couple.


Quelques heures plus tard, Alex était dans la forêt, hélant le nom de son arrogant voisin.  La technique était largement moins efficace qu’avec les ours, mais Derek se pointa néanmoins le bout de la truffe au bout d’un moment.

-Qu’est-ce que tu m’veux, Cormier?  Avait grogné le loup en guise de salutations
-Salut Derek.  Je vais bien, oui, merci, et toi?
-Groah.
- Tu fais quoi ce soir?
-…

Au moins, Derek avait haussé un sourcil, intrigué et se retenant visiblement d’envoyer paître le jeune druide ou de lui sortir une réplique bien amère.

-Ça te dirait de sortir euh… tu connais des endroits?
-J’en connais.
-Tu voudrais venir faire la fête avec nous?
-Ton ours te fait la gueule? commenta Derek, victorieux.  En réponse à quoi Alex vira pivoine et pesta.
-Vous allez arrêter de dire ça?
-Qui?
-Tout le monde.  Mais… Arrête donc!  On va juste célébrer son… ses résultats scolaires.  Tu veux venir?
-Avec le binoclard et l’autre débilos, je pourrais pas rêv…

"FPONC!"

-Tu vas tellement le regretter, Cormier! avait menacé Derek, dont les yeux s’illuminèrent un instant, alors qu’il portait sa main à son nez ensanglanté.  Se massant les jointures, Alex répondit avec une autre sorte de feu dans le regard.
-Non.  Je te laisserai pas l’appeler comme ça, ou le moquer.  Ou quoi que ce soit.  Je t’ai invité parce qu’il t’apprécie et te respecte.  Va pas croire que ça me fait plaisir de traîner avec une parodie de bichon à deux balles.
-C'MOI QU'TU TRAITES DE BICHON?  JE SUIS PAS UN BICHON!  Y’A PAS DE BICHONS ICI!
-Alors arrête d’agir comme un bichon et d’aboyer contre tout ce qui passe trop près de toi, alors.  Essaie donc d’avoir confiance en nous et d’avoir du plaisir, bordel!  Juste un soir.  J’te demande pas d’être pote. C’est pas la lune quoi!

La tension monta entre les deux adolescents, mais jamais Charlie ne pointa le bout de son nez, ni ne sentit Alex menacé, comme il l’apprit plus tard.  Finalement, Derek rajusta son blouson sur ses épaules et un sourire narquois orna ses lèvres.

-Faut que t’apprennes à frapper, Cormier.
-Je peux continuer de me pratiquer, si tu y tiens.
-Pas nécessaire.  Bowling?
-Pourquoi pas, ouais.


Si Alex n’avait aucune chance de gagner contre les deux surnaturels, il pouvait tout de même s’estimer satisfait d’aussi bien se défendre.  Il n’était pas si loin derrière dans le pointage qu’il tenait à jour sur les dinosaures qui servaient d’ordinateurs.  Charlie et Derek se gaussaient et semblaient déjà copains comme cochons.  À croire qu’ils avaient élevé des porcs ensemble.  Lorsqu’ils vinrent chercher Alex pour qu’il lance à son tour sa boule, Derek désigna du menton la bière qu’il avait posée devant lui.

-Elle est bonne?
« Bien sûr qu’elle est bonne! » s’insurgea faussement Charlie.   « Je connais ses goûts, quand même. »
-Excellente. confirma Alex en souriant.  Il se rendit alors compte que c’était également lui le plus susceptible à l’ivresse, et qu’il était tout de même en train de tenir le score à jour.

-Ça vous dirait d’aller au ciné demain?
-Euh..?
« On doit aider son père, puis ce serait cool. »
-Avez-vous besoin d’un coup de main?
-Je crois pas, non.
« Tu peux passer quand même hein.  Gabriel est super cool, ça lui fera plaisir. »
-…
-Marché conclus.

Alors que Derek lançait à son tour sa boule, Alex et Charlie discutèrent en silence, le druidon ne comprenant absolument pas ce qui venait de se passer.  Charlie avait le regard moqueur.  Rares étaient les situations où c’était lui qui jouait le maître et Alex l’élève, mais pour les interactions sociales, ils faisaient l’exception.

« T’en tires une gueule, c’est juste une sortie entre amis. »

L’incompréhension devait toujours se lire sur les traits d’Alex, car Charlie rit doucement comme lui seul savait le faire en reprenant ses explications.

« Y s’trouve qu’il te trouve sympa, finalement.  J’avais raison qu’personne pouvait te résister, Coco.  C’est à moi, en tout cas. »

Et avant de se lever pour aller jouer à son tour, il lui roula une pelle qui en disait bien plus que les mots qu’il aurait pu employer.  Alex retourna à ses pointages, les joues rosies et Derek ne tarda pas à venir le taquiner, comme si ils étaient amis depuis l’enfance.

L'été se languissait en des soirées de plus en plus hâtives et longues, étiolant le ciel de raies orangées de plus en plus vives alors que le parfum de la rentrée emplissait l'air de la petite ville où leurs vacances tiraient à leur fin. C'est l'un de ces soirs que l'on toqua énergiquement à la porte.  Comme Gabriel était hors de la maison pour la soirée - une histoire de coyote qui s'était trompé de plantes dans sa salade - la prudence était de mise. Heureusement, Charlie était un excellent ours de garde et il reconnut l'odeur de Derek.

« Il a pas ramené de miel », se plaignit le gourmand, alors que Derek toquait de nouveau en s'enquérant, sur un ton d'urgence,  de la présence de qui que ce soit. Alex rajusta ses lunettes sur son nez et s’empressa d'aller lui ouvrir.

« Quelque chose cloche » constata l'ours alors qu'Alex le réalisait, nez à truffe avec un loup en larmes qui s'appuyait sur les barrière de sorbier pour se tenir debout.  Dès que le fils du druide la rompit, Derek s'effondra dans ses bras et, sans l'aide de l'arctomophe, Alex se serait certainement retrouvé sur les fesses. Ils installèrent leur invité impromptu dans le fauteuil du salon et Alex s’élança dans la cuisine alors que Charlie, les mains encore de la taille d'une assiette et la voix rauque, grognait l'ouverture de l'interrogatoire.

« Y'a quoi? » demanda-t-il avec le détachement qui lui était caractéristique.

Après avoir semblé ouvrir et refermer chaque armoire douze fois, Alex revint au salon avec la bouteille de Rye qu'il avait enfin dénichée, et un verre qu'il remplit avant de le tendre à Derek. Charlie s'étonna qu'il n'y ait qu'un verre, mais évita de poursuivre en voyant le regard farouche du canadien : ce n'était pas là pour qu'ils s'amusent! Le lycanthrope reprenait une apparence humaine, probablement rassuré par l’aura de Charlie, qui s'ébroua pour reprendre ses traits normaux, et l'attitude d'Alex, attentif. Silencieusement, les conjoints le pressèrent de s'expliquer et Derek abdiqua enfin d'un soupir long comme sa vie.  Sa voix tremblait.

-Je l'ai tuée!

Fit-il en levant sur eux son regard marron qui vira au bleu acier durant un instant. Effaré, Alex glissa prudemment le verre dans la main de Derek.

-Bois, ça devrait t’aider. conseilla-t-il en retournant rejoindre Charlie sur le canapé.  Une longue gorgée de whisky canadien plus tard, Derek reprit la parole.

-C’était pas ce que j’avais prévu.  J’ai pas pensé que c’est ce qui arriverait… C’est tout de ma faute… C’est un accident, je ne voulais pas… Ça ne peut pas être vrai!  Dites-moi que c’est un cauchemar.
-De qui tu parles, Derek?  

L’adolescent releva un regard marron, lustré par les larmes, vers l’apprenti-druide, en laissant tomber sa réponse comme une énorme hotte qui se fracasserait au sol avec vacarme.  Alex en eut la chair de poule et sentit Charlie frissonner contre lui :

-De Paige.  C’est de ma faute si elle est morte, mais je vous jure que si j’avais pu la sauver, je l’aurais fait.
« Elle est…?» s’étouffa Charlie dans ses paroles, choqué.
-Raconte-nous ce qui s’est passé, Derek. invita le canadien qui prenait des gallons de maturité en direct.

Le lycan raconta.  Il raconta comment il avait rencontré Paige, comment il était tombé sous son charme, comment elle parvenait à lui tenir tête sans problème et le rendait fou.

« C’est pas celle qu’on a rencontré une fois? »
-Celle qui jouait du violoncelle…
-Oui.
« Je l’aime bien, elle a l’air gentille. »
-Tu avais dit mignonne l’autre fois. Et Charlie avait alors insinué que s’il n’avait pas eu un Alex dans les pattes, il aurait peut-être tenté d’éclipser Derek, ce qui n’avait évidemment pas plu à l’intellectuel.  Ils interrompirent toutefois rapidement leur chamaillerie, compte tenu du sérieux de la situation et de la présence de Derek.

« J’suis désolé, Hale.  Mes cond… mes sympathies. »
-Mes sympathies aussi, Derek.

Derek poursuivit, racontant comment il avait eu l’idée, suite à un commentaire anodin de Peter sur une situation pas reliée du tout - de toute manière, pourquoi raconterait-il sa vie à son oncle plouc? -, de faire mordre Paige par un alpha, pour qu’elle devienne une louve aussi et puisse l’accepter tel qu’il était.  Il avait demandé à un alpha d’une autre meute, mais la morsure n’avait pas pris et affaiblissait Paige.  Finalement, il l’avait emmenée au Nemeton pour lui dire la vérité sur sa nature, et elle l’avait supplié d’en finir plutôt que de la laisser agoniser.  Il raconta comment il l’avait embrassée avant d’abréger ses souffrances et comment elle était trépassée dans ses bras.  Il raconta qu’il était un monstre et que lui-même ne méritait pas de vivre.  Qu’il avait été stupidement égoïste et en avait payer cher le prix.  

Les deux amis s’étaient rapprochés de lui pour leur offrir du soutien, incapable de trouver le mot juste ou de cacher qu’ils luttaient vaillamment contre leurs propres larmes. Alex avait versé un nouveau verre d’alcool à son voisin-de-vacances et celui semblait toujours aussi désemparé, mais tout de même plus calme.

-Et tu l’as raconté à Talia?
-Non! Je suis venu directement ici.  Elle peut pas savoir.
-C’est pas raisonnable, voyons!
-Elle aura tellement honte de moi, je peux pas…
« On n’ira pas la voir, t’inquiète, Hale.  Alex faisait une blague. Il s’est gourré. »

Les adolescents poursuivirent leurs sombres conversations durant un moment, jusqu’à ce que Derek et Charlie ne sursautent.


-Y’a quelqu’un!
« Gabriel. » huma Charlie, et Alex s’empressa d’aller ranger la bouteille d’alcool là où il l’avait trouvée.  Ou était-ce l’armoire à gauche de celle-ci?  Il entendit le claquement de la porte de la voiture au moment où il reposa ses fesses sur son siège, puis les trois garçons se retournèrent comme un seul homme vers la porte où Gabriel se trouvait, surpris de cet accueil.

”Bonsoir… Salut Derek.”
Il y eut un concert de salutations où les ‘pa, les Gabriel et les M’sieur Cormier semblèrent se confondre ensemble, tous sur un ton un peu trop lisse pour paraître sincères ou naturels.  Le patriarche referma doucement la porte derrière lui, retira son couvre-chef et sa veste, puis s’avança vers les enfants.
”Qu’est-ce qui se passe?”
« Rien, Gabriel.  On jase entre potes. » répliqua Charlie, et cette fois ce fut la narine du garde forestier qui inspecta l’air.  Il tourna un regard sévère vers son aîné et l’interrogea.
”Pourquoi ça sent l’alcool, Alex?  Tu as bu?”
-Non!  J’ai pas bu.  Que Derek!
-Belle solidarité, Cormier.
”Beau gaspillage.  Alex, on va en reparler quand on ne sera que nous deux”
« Faut pas punir Alex, M’sieur Gabriel! »
”Et pourquoi?  Il gaspille de l’alcool qui ne lui appartient pas et que vous n’êtes pas en âge de boire.”
-C’est moi qui lui ai demandé, M’sieur Cormier.  On n’en a pas à la maison, et je voulais essayer.


Le silence s’installa alors que Gabriel dévisageait les trois garnements.  Finalement, il alla chercher la bouteille, héla Alex pour lui demander où il l’avait rangée - dans l’armoire juste à droite, ‘pa - et se servit quelques onces avec deux glaçons.  Finalement, il tira une chaise de la table à manger et s’y effondra en les fixant de nouveau.

”J’ai eu une grosse soirée.  J’ai eu une grosse journée.  J’ai eu à m’occuper de deux ados durant tout l’été, et je n’en ai pas l’habitude.  Ça m’a fait plaisir, je ne regrette pas, mais je suis fatigué et je n’ai pas envie de jouer.  Pourquoi avoir sorti du rye pour Derek seulement?  Si c’était pour essayer, vous auriez fait comme les autres jeunes : vous vous seriez installés quelque part dans le bois à vous passer la bouteille.  Ce que je vois ne ressemble pas à un acte de délinquance ou de rébellion.  Si vous avez fait une conneries, les garçons, faut me le dire.  J’suis peut-être pas jeune et cool, mais j’en suis pas à ma première pluie et je pourrai peut-être vous aider.”

Le silence retomba dans la pièce à aire ouverte, Alex déglutit et Derek fuyait les regards.  Charlie semblait calculer les paroles de Gabriel, et il lui demanda :
« Pour vrai, Gabriel, personne ne s’ra puni, ni rien, hein? »
”On verra plus tard.  Une fois que vous m’aurez raconter votre tracas et qu’on l’aura réglé.”

Alex et Charlie s'observèrent un instant, comme s’ils discutaient télépathiquement, puis tournèrent simultanément leurs regards vers Derek.

Derek avait déballé sa salade, son discours ponctué seulement de remarques de la paire de pignoufs qui lui servaient d’amis. Alex avait eu l’étrange impression que le stoïcisme empathique de son père n’aurait pas été le même si c’était le châtain qui avait agi ainsi. Le louveteau avait eu droit à une deuxième dose de Rye, et lorsqu’il eut tout raconté, il se retrouva face à un choix cornélien : Gabriel lui demandait si Derek acceptait que le maître de la maison l’accompagne chez ses parents, une main sur le combiné du salon. "Je peux aussi l’inviter ici."

Le départ des deux hommes ne se fit pas attendre. Gabriel crut pertinent de préciser que les deux garçons étaient bien mieux d’être à la maison à son retour, et quelque chose leur dit que de dormir à son arrivée ne ferait que retarder le moment d’une longue discussion. Ils s’installèrent donc devant le téléviseur, tranquillement, et après avoir visionné la fin d’un film d’explosions, ils changèrent le canal pour du sport. Quatre matchs de lutte et  la première demie bien entamée d’une partie de soccer plus tard, Gabriel rentrait chez lui. Chacun de son côté du canapé, les deux adolescents se retournèrent, légèrement asynchrone. L’air bourru de Gabriel, ou davantage qu’à son habitude, indiquait que son humeur reflétait leurs appréhensions. Alex eut tout juste le temps de saisir la télécommande pour éteindre l’écran que Gabriel siégeait sur son fauteuil. Le jeune couple attendit un instant avant de percer le silence pour s’enquérir en canon de l’état de Derek et de ce qui s’était produit chez Talia. En quelques phrases, Gabriel leur indiqua que Talia avait privé son fils de sortie et qu’il avait plaidé pour ses pupilles, arguant qu’ils ne devaient pas être également punis. L’alpha Hale s’était accordé un moment de réflexion avant d’accorder à son fils le droit de les visiter, à la condition qu’ils ne quittent pas la cabane. Les épaules d’Alex eurent à peine le temps de se relâcher que son paternel lui donna une nouvelle raison de les crisper.

"Mon alcool", débuta-t-il d’une voix sévère malgré la lassitude et la fatigue qui y perçaient également. Gabriel n’eut pas besoin de hausser le ton pour que les deux garçons se calent dans leur siège.
"...M’appartient", poursuivit le patriarche après un moment d’hésitation, à la recherche du bon terme. "J’aimerais que vous vous en souveniez."

Son attention sembla se focaliser sur Alex, alors qu’il abordait désormais le vif du sujet. L’attitude de son fils l’avait manifestement déçu et il voulait mettre quelques règles de vie au clair auprès de lui. La situation avait peut-être été inhabituelle, ça n’était pas une raison de se montrer irrespectueux.

"Tant que tu habiteras sous mon toit, tu devras me demander la permission avant de fouiller dans mes affaires, ou avant de consommer de l’alcool. Tu es encore mineur, et ce n’est pas parce que je vous ai laissé boire quelques bières autour du feu cet été, sous ma surveillance, que tu as carte blanche. Je suis encore responsable de toi, mais je ne désire pas te traiter comme un enfant. Est-ce que j’ai eu tort de te faire confiance?"

-Non, papa. Ça n’arrivera plus. Le regard d’Alex se releva une seconde, pour croiser celui de Gabriel. L’adolescent trouvait son père injuste, vu la situation, mais ne se rebella pas. C’était le talent d’un autre.
«M’sieur Gabriel, c’est...»
La phrase se tut en un murmure alors que le druide avéré tournait la tête vers son gendre. Sans échanger le moindre mot, Charlie confirma qu’il avait lui aussi compris. Gabriel tapa ses mains ensemble en se relevant.

"Parfait! Filez vous coucher, vous avez l’air épuisé."
Gabriel se dirigea vers la table de cuisine pour s’y installer, manifestement en vue de travailler, et les deux garçons se relevèrent pour se diriger vers leur chambre, oubliant entièrement le match de soccer à la télévision.

"Oh! Et, Alex?" héla le garde forestier en sortant quelques formulaires d’une filière. Dans son dos, son fils s’arrêta net et répondit par l’affirmative, sans pouvoir voir le sourire qui venait d’apparaître au coins des lèvres de son père. "Ne prend pas la peine d’attendre que j’aille me coucher pour rejoindre le lit du bas. Je risque de travailler tard."

Alex claqua des talons sans un mots et, le teint betterave, se cacha dans la salle de bain où il brossa longuement ses dents, jusqu’à ce qu’il retrouve un teint plus naturel, quoique légèrement rosé.


Alex venait à peine d’essuyer la dernier assiette que Derek fit irruption dans la cabane. Ses amis s’étaient certes levés plus tard que d’habitude, après que Gabriel ne soit parti au travail, mais le loup-garou n’en était pas moins matinal pour autant. Il alla droit au but, apportant des nuances aux informations que Gabriel leur avait données la veille.
- C’était trop bizarre comment mon oncle a regardé ton père avec dégoût, Alex. Il nous a ouvert la porte et l’a traité de cloporte, ou un machin du genre. Ma mère l’a invité au salon. Mon père était clairement hostile, mais Talia était contente de le voir. Quand elle a demandé à ce qu’on soit tous les trois seuls, Pap’ lui a dit que Gabriel n’était pas digne de confiance et n’a pas bougé. Il a fallu qu’elle insiste pour qu’il sorte. Puis ton père m’a obligé de tout raconter de nouveau.

Malgré la frustration dans la voix de Derek, un reniflement indiqua que ce n’était pas la seule émotion que lui faisait vivre sa narration. Charlie voulut passer un bras derrière son épaule, mais fut rapidement repoussé.

- Puis elle m’a coincé à la maison pour des mois, j’ai juste le droit de vous visiter vous deux.
- Ouais, ‘pa nous a dit. C’est quand même cool, non?
- Et mes autres amis? Il aurait pu demander la même exception pour eux! Je suis populaire, je peux pas rester sans voir mes potes de l’été. Un "moi" sous-entendu sembla ponctuer la phrase, sans qu’Alex n’y réagisse. Devenir ami avec le loup-garou c’était également s’habituer à son tempérament parfois un peu brut. Charlie possédait heureusement un tempérament moins susceptible que son petit ami, et il railla le bêta.
« T’es pris avec nous! »

Derek fit une drôle de tête, l’air de ne pas vouloir admettre qu’il y avait pire châtiment, et déposa son sac messager sur la table de salon.
« T’as pris ta console! Mec, t’es génial. »
-Ouais.

Pour le moment, le loup semblait avoir besoin de se changer les idées, et ils ne reparlèrent plus de Paige de l’été. De toute manière, la rentrée approchait à grands pas.