Roma non uno die aedificata est

Roma non uno die aedificata est

Tobias ac Evelyn

Parvis de l'Eglise , 25 Juin,

Evelyn restait interdite devant la miséreuse taille de la paroisse catholique de Beacon Hills. Malgré la taille modeste de l'église de la ville, ils n'étaient pas plus d'une dizaine à se tenir sur les bancs, tête plus ou moins baissée sous la déférence envers le prêtre. Son regard porta sur le côté et la bonne Elsa mais la nourrice était plongée dans ses prières tout en faisant gardant Alfred près de son giron. Un sourire ému s'épanouit sur les lèvres d'Evelyn devant les cheveux noirs de son fils et elle laissa de côté son inquiétude pour le salut des âmes des habitants de Beacon Hills. Elle ne doutait pas une seule seconde que les cul-bénis de méthodiste braillaient leur gospel à tout va dans quelconque rivière. Rien d'étonnant qu'ils soient si nombreux à mourir d'une pneumonie...

Plus tard,

Vous là ! Oui vous là, approchez vous; j'aimerai discuter avec vous.

Le grand homme qu'Evelyn venait d'interpeller la regarda d'un air interloqué. L'ombre d'un doute passa sur son visage devant la dame. Habillée d'une robe légère et pourtant bien au dessus du prix du reste de la paroisse, elle devait en imposer. Sans compter sur la présence d'Esperanzo et ses deux cousins, jamais bien loin avec leurs revolvers passés à la ceinture. Elle sourit avec entrain à l'homme et se rapprocha de lui. Comme il ne s'éloignait pas et restait calme, Evelyn le surnomma intérieurement Placide.

J'ai remarqué que vous étiez en train de tailler un bel objet dans le bois pendant la messe.
Oui.. Mais je ne manquais pas de respect envers le père Matthez m'dame...
Personne ne vous accuse d'une telle chose, j'ai au contraire admirer votre travail tout du long de la messe, je ne suis pas exempte de faute.

Evelyn poussa un soupir intérieur en voyant la confusion se peindre sur le visage de son interlocuteur. Il ne comprenait visiblement pas où elle voulait en venir et hésitait entre la honte d'être tancé pour son manque d'attention ou au contraire une autre raison.

Permettez moi d'être plus directe. Êtes-vous charpentier ? finit par demander sèchement Evelyn en claquant sa langue contre son palais.
Ben... euh c'est que nous le sommes tous un petit peu m'dame. Beacon Hills n'est pas sorti de terre toute seule... répondit Placide en gigotant sur ses immenses pieds.
Vous diriez que vos talents sont au-dessus de la moyenne de la ville ?
Ca oui, pour sûr m'dame ! Ma maison s'est jamais effondrée contrairement à celle du vieux Jackson.

Ce qui semblait être le concerné, ne se trouvant qu'à quelques pieds, se retourna vivement vers eux et cracha au sol avec haine. Evelyn commençait à regretter de s'être tourner vers cet homme. Dieu savait pourtant qu'elle avait besoin des services de quelqu'un de compétent. Elle doutait de plus en plus des capacités de Placide et ne voulait pas voir son édifice réduit en cendres par un Jackson vengeur et plein jusqu'au nez de moonshine. De plus, elle avait un doute...

Et... Savez-vous lire et écrire?
C'est que euh.. Y'a l'écrivain public pour ça m'dame.
Evidemment.
Mais si vous cherchez quelqu'un doué pour le bois et qui sait écrire; y'a bien le Toby le croque-mort. Même qu'il fait les plus belles croix tombales jusqu'à Calico. se rattrapa enfin Placide en montrant du doigt une silhouette littéralement entourée d'une meute.

Intéressant. Evelyn remercia Placide d'un sourire froid et poli. Son pas la dirigea aussitôt vers le groupe plein d'enfants. Comment une femme pouvait se montrer aussi fertile et désireuse d'en porter autant, elle ne pouvait se l'expliquer Alfred faisait son bonheur et certes elle aurait aimé lui donner une soeur, Evelyn avait un instinct maternel malgré tout. Mais elle comptait pas moins de sept têtes blondes d'âge divers et varié ! A vrai dire, certains se ressemblaient si peu qu'elle se demanda si le croque-mort ne dirigeait pas un quelconque orphelinat officieux de la ville. Peu lui importait. Elle se contenta de se planter devant l'homme, posa ses poings sur ses hanches et le regarda droit dans les yeux.

Bonjour Tobias. Je suis Evelyn Lair, la nouvelle venue. On m'a glissé un bon mot en votre faveur aussi laissez moi être direct. Combien prendriez vous pour construire un bâtiment au moins aussi grand que le saloon voir plus ?

EPSILON

Until the firmament.

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Feat : Madame Lair

Tobias regarde d'un air attendrit son épouse tandis que cette dernière s'enquiert des dernières nouvelles. Il ne se mêle que peu à ces gens qui vivent dans leur petite ville et les commérages ne sont jamais parvenus à attirer son affection, mais Mary ne partage pas son avis sur ce sujet. Tant que son aimée lui épargne ces ragots dont il ne veut rien savoir Tobias laisse faire à sa guise celle qui lui a donné de nombreux enfants. Dans les bras de son ainée le jeune George se contente d'attendre patiemment que sa mère daigne s'intéresser à lui. L'enfant a faim et n'a pas manqué de leur en faire mention. Contre le torse du croque-mort la jeune Candace dort encore après n'avoir prêté qu'une maigre attention à l'office du jour.

Perdu dans cette marée de marmots qui ne devrait tarder à se laisser aller à la turbulence, Tobias imite intérieurement son plus jeune fils à la perfection tout en s'échinant à soigner le marbre de son flegme qu'on juge hautain mais que les connaisseurs savent britannique. Seul un de ses pieds, battant la cadence de l'impatience, trahit son empressement. Son cabinet de travail sert de logis à madame Griffins récemment arrachée aux siens par ce qui ressemble à un mauvais vent trop frais qui lui a prit la poitrine mais qui pourrait tout autant être une tentative d'empoisonnement parvenue à sa réussite. Jeremie s'agite, bousculant ainsi son frère aîné. Junior grogne puis bien vite se reprend lorsque glisse sur sa personne le regard sombre de Judith.

-Fait attention ! C'est pas possible d'être autant empoté...

Junior cherche le secours de son père. Père qui préfère lever les yeux au ciel, faussement songeur, pour mieux éviter de se mêler de cette histoire qui ne le concerne que très peu. Les enfants aiment se chamailler, se battre sans véritable raison. L'unique exigence de leur père est simple. Les mots sont chez les Rapier les seules armes utilisées. Certes une carabine se trouve dans le cabinet de travail de Tobias mais personne n'a eu l'audace d'y toucher depuis des années. Le britannique cherche son aimée du regard. Cette dernière semble plongée dans une discussion dont Tobias doute qu'elle puisse être palpitante avec la vieille Betty. Candace gigote, ouvrant un œil avant de baver de tout son saoul sur la chemise sombre de celui qui lui a offert son nom. Bien vite se fait entendre un premier pleur.

-Emily, viens prendre ta sœur. Judith il faut aller chercher votre mère.

La jeune Candace change de bras et Tobias savoure durant un trop court instant cette liberté retrouvée. Face à lui s'impose une femme dont il ne sait rien sinon qu'elle lui est inconnue. Un bien étrange phénomène vêtu avec goût dont les atours dénotent avec ceux plus modestes des gens de leur charmante bourgade. La femme se présente sans prendre le temps de faire usage des politesses habituelles. Cela ne convient que très peu à celui qui se plaît à conserver une distance courtoise entre sa personne et les gens qui ne lui sont pas familiers. De son regard ébène le britannique jauge madame Lair, ouvrant la bouche sans réellement savoir ce qu'il serait bon de dire dans un pareil cas de figure. L'énergumène qui lui fait face ne semble pas s'inquiéter du trouble qui affecte son malheureux interlocuteur. Quand enfin la femme cesse de parler et qu'il est certain qu'il ne la coupera pas dans son monologue, Tobias se fend de quelques mots.

-Bonjour Madame Lair.

La politesse n'est jamais déplacée dans une pareille situation. Les regards juvéniles se tournent vers l'audacieuse avant de se stopper sur celui qui ne parle que rarement aux dames.

-On a dû vous duper, je ne suis pas charpentier. Il serait dommageable pour vous de dépenser tant d'argent pour un bâtiment dont je ne saurais garantir la solidité.
-Tobias que s'passe t-il ?

N'ayant pas vu sa femme revenir vers lui, Tobias est agité par un léger sursaut lorsque la voix de cette dernière se fait entendre. Une main posée sur un de ses avant-bras suffit à lui faire retrouver un état de calme parfait. Ou presque car face à eux se trouve toujours cette femme aux manières incongrues.

-Mary, je te présente madame Lair. On lui a vanté à tord mes talents de charpentier.

En quelques mots qu'il espère concis il explique la situation que Mary semble trouver amusante. L'épouse du croque-mort a la bouche dévorée par un sourire qui peine à ne pas se faire moqueur. Toutefois cette dernière se contente de demeurer silencieuse pour ne pas se mêler de cette affaire qui n'est pas faite pour la concerner. Pensif Tobias observe la nouvelle venue en ville, puis annonce sa réponse.

-Madame personne ne voudrait entrer dans un bâtiment construit par le croque-mort. Nos chers amis vivant ici n'y verraient qu'une sinistre blague. Je suis navré mais je ne peux vous répondre de manière positive. Les enfants nous rentrons. Au revoir madame.

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Tobias ac Evelyn

Parvis de l'Eglise , 25 Juin,

La bouche de l'homme s'ouvrit pour parler et pendant un instant Evelyn eut l'espace d'un doute. Aussi sûrement qu'un mort, aucun son ne sortait du gosier. La figure de cire du propriétaire, duquel ne manquait que le temps, se figeait aussi bien dans le temps que les circonstances. Evelyn ne pouvait deviner s'il avait été enterré vivant ou était simplement trop poli ou timide pour lui couper la parole.

Fort heureusement pour eux, il préféra tabler d'une main polie. Son accent perfide hérissa l'oreille d'Evelyn qui n'en laissa rien paraître. Ils finissaient tous par manger la même poussière de l'Ouest, et un croque-mort ne saurait la contredire. Faisant fi de son horreur toute irlandaise et française d du cousin d'outre-Atlantique, elle haussa un sourcil circonspect. L'honnêteté et la modestie de l'homme frôlaient le ridicule. Soit il jouait avec le prix qu'elle serait prêt à payer soit il ne croyait pas en ses propres talents.

Avant qu'elle n'ait pu répondre au fossoyeur, elle se vit enterrer d'un sourire moqueur de la part de sa Perséphone. La jalousie n'étant qu'un sot enfant de l'orgueil, Evelyn préféra l'ignorer et lui décocha un simple regard en coin, ses narines légèrement rétrécies et le menton relevé en signe de dédain. On ne fréquentait pas les harpies métisses de la Nouvelle Orléans sans connaître la pire des gestuelles. Evelyn pouvait tout aussi bien l'ensevelir sous des gestes obscènes et autres insultes si le besoin s'en faisait ressentir.

Tobias, attendez une seconde je vous prie.

Evelyn tira un carnet de la petite sacoche qu'elle portait à sa ceinture. Elle en ouvrit les premières pages noircies de schémas et esquisses. L'oeil observation d'un croque-mort aurait pu y croire découvrir le Necronomicon et les portes de l'Enfer elle-même. Tendant l'oeuvre occulte à son plus grand des adeptes, Evelyn sourit et souligna le nom qui apparaissait tout en haut d'une pages.

Le Cabaret Infernal.

Tout l'intérêt de la mauvaise blague est là. Les clients raffoleront d'entrer dans un lieu maudit bâti par des mains tout aussi douées. Certains iront jusqu'à dire que vous tenez votre talent de Satan lui-même. Vous apprécierez la danse macabre que je vous offre, le massacre des convenances, la tombe ouverte de la grâce.

Et tel Van Helsing face à son hôte, Evelyn enfonça le dernier pieu.

Je vous offre 2 dollars par journée de travail plus 4 dollars pour chaque pan de mur sculpté dont un avoir de 10 dollars pour vos outils et un bonus selon le temps qu'il vous faudra pour le bâtir.

En d'autres termes, une fortune.

EPSILON

Until the firmament.

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Feat : Madame Lair

Prêt à quitter le parvis de l'église pour retrouver le confort de sa demeure, Tobias manque de laisser sa surprise s'exclamer de manière peu courtoise lorsque madame Lair lui demande de lui faire don de quelques minutes de plus. En effet le père de famille n'est pas dupe à l'entente de ce qui n'est qu'une forme de politesse comme une autre. Cette seconde qu'il daigne accorder à la femme qui lui fait face deviendra minutes s'il laisse la brune agir à sa guise. Pour ne pas fâcher l'inconnue Tobias se plie toutefois au désir de celle-ci. Les enfants se sont regroupés autour de leurs parents, silencieusement ils observent leur père. La curiosité n'est pas le plus doux de défauts, mais le croque-mort lui même doit avouer que cette situation est des plus particulières. Rares sont ces moments où il s'enquiert des états d'âmes des dames. Serrant ses mains l'une contre l'autre dans une posture timide, l'homme attend.

La femme tire un carnet d'une sacoche, Tobias peine à garder son calme quand on lui tend ce qui ressemble à l'œuvre du malin. Fort heureusement Mary ne sait pas lire, mais les esquisses griffonnées sur ce papier noirci par l'encre suffisent à faire blêmir la tendre épouse du britannique. Mary amorce un pas de recul, éberluée par ces choses qui s'offrent à son regard innocent et Tobias peine à ne pas imiter son aimée. Il referme sèchement, peut être trop, ce carnet dont la vue l'insupporte. Son regard noir coule sur l'inconnue tandis qu'hébété il écoute tout des dires délirants de cette dernière. Si madame Lair semble persuadée d'avoir là une riche idée, Tobias ne peut partager son avis sur la question. De ses mains tremblantes il rend son carnet à celle qui débite des hérésies plus rapidement encore que l'adjoint ne raconte des sottises.

Lorsque mention est faite de l'argent le croque-mort sent dans son dos le regard brûlant de son épouse. C'est en effet d'une véritable fortune qu'est en train de faire mention madame Lair. Tant d'argent que cela pourrait faire tourner la tête de bien des hommes. Une main glisse dans le bas du dos de celui qui tressaute avant de bien vite se reprendre. Son épouse ne serait-elle rien de plus qu'un homme comme les autres ?

-Mary, reste à ta place je te prie.

La main se retire aussi vite qu'elle ne s'était imposée. Déjà il regrette ces mots qu'il vient de prononcer, des paroles arrogantes dont il entendra parler ce soir quand les enfants dormiront. Cette nuit encore le croque-mort risque de devoir partager une chambre avec ses garçons s'il ne veut pas prendre le risque d'attirer sur lui la colère de celle qu'il vient de remettre à sa place de simple épouse silencieuse. Mary comme lui n'aiment généralement pas ces manières d'hommes qu'on dit civilisés qui savent sans grâce ranger leurs homologues féminins au rang d'objet fait pour enfanter et tenir la maison.

Les Rapier ne sont pas dans le besoin, mais il est vrai qu'agrandir leur demeure ne serait pas une sotte idée. Ils ont six enfants à domicile, dont la plupart sont encore trop jeunes pour que songer à les marier soit une bonne idée. Judith ne semble quant à elle pas charmée à l'idée de se trouver un époux. Une problématique que ses parents devront un jour ou l'autre solutionner.

-Madame Lair, je dois refuser cette offre. Aussi alléchante puisse t-elle paraître. Vendre mon âme au malin et salir mon nom dans une pareille entreprise n'est pas dans mes projets. Je suis un bon chrétien et l'on médit assez de moi sans que je ne vienne donner plus de grain à moudre aux gens qui parlent dans mon dos.

Cette fois il ne laisse guère le choix à cette femme lorsqu'il invite les siens à quitter cet endroit. Ainsi Tobias fuit l'importune et ses idées qui semblent tout droit sorties d'un esprit malade. La colère de Mary ne se fait pas attendre car à peine sont ils rentrés chez eux que la belle brune se met à déclamer sa colère. L'homme en prend pour son grade, leurs enfants en spectateurs silencieux de cette joute dont ils connaissent déjà l'identité de celle qui mettra un point final à toute cette histoire.

[...]

Enfermé dans son cabinet de travail, l'homme fait abstraction de son fils qui a jugé juste de venir lui tenir compagnie. Jeremie ne paraît pas troublé par le peu d'attention que lui octroie son père. Ni par le macabre spectacle qui s'offre à ses yeux d'enfant innocent. Feu madame Griffins est confortablement installée sur la table de travail, ouverte du bas ventre à la poitrine. Le croque-mort arrange la défunte, puis note quelques lignes soignées dans un de ses carnets après s'être rincé et essuyé les mains.

-Mère était bien fâchée de votre comportement.

L'homme joue au sourd, imperturbable l'enfant continue. Rapportant les mots pas toujours tendres dont sa mère use pour parler de son mari. Des mots qu'une dame ne devrait songer à prononcer si elle tenait à ce que son époux la croit soumise à ses désirs. Mais cela fait bien longtemps que de pareils faux-semblants ont perdu leur sens dans ce mariage.

-Elle a dit que vous vouliez nous affamer.
-Nous ne manquons de rien. La colère fait parler votre mère avec déraison.

L'homme se fige en saisissant que son fils de six ans pourrait trouver de bon goût de répéter tout cela à sa mère. Il quitte son carnet des yeux avant d'ancrer son regard noir dans celui vert de son fils.

-Ne répète rien de mes mots à ta mère. Tu y gagneras dix sous.

L'enfant sourit puis saute de la chaise sur laquelle il était assit. Après avoir dardé la cliente de son père d'un regard écœuré, Jeremie annonce le début d'un drame.

-Mère est allée voir la dame. Pour qu'elle vienne souper ce soir !

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Tobias ac Evelyn

Parvis de l'Eglise , 25 Juin,

Si Evelyn avait appris quelque chose chez les esclavagistes de la Nouvelle-Orléans, c'était que tout le monde a un prix. Le problème avec les hommes, c'était qu'il coûtait cher. Heureusement pour toute âme charitable et honorable se cachait son pendant démoniaque et vénal. Généralement sa femme. L'ancienne propriétaire nota presque aussitôt la main de l'épouse de Tobias se glisser dans son dos. Elles échangèrent, une moue et l'entente secrète que toute femme sait partager avec une consoeur.

Tobias pouvait remettre à sa place sa tendre et chère mais désormais Evelyn avait un pied dans la porte. Un sourire aimable s'épanouit sur ses lèvres alors que le pauvre hère creusait sa tombe. Elle le voulait. Une fois dans ses griffes et sa générosité, Evelyn pouvait sentir qu'il serait idéal et loyal. Pourquoi embaucher une bande de hors-la-loi quand les bénitiers vous offraient les mêmes batraciens ? Hochant la tête avec politesse, Evelyn fit mine d'accepter la longue diatribe de l'homme.

Je comprends vos scrupules. Comme disent les français: une once de bonne réputation vaut mieux que mille livres d'or.

Evelyn regarda droit les yeux l'épouse du fossoyeur et sourit, froidement cette fois-ci.

N'oubliez pas que chacun se bat pour ce qui lui manque. Vos frères l'ont appris à leur dépens.

Tournant les talons, Evelyn s'éloigna.

Plus tard,

Le reste de la journée fut d'une langueur anormale pour Evelyn. Bien qu'occupée à faire l'inventaire de leur cache d'armes avant de compter ses ressources, elle ne cessait de jeter un coup d'oeil par les différentes fenêtres de sa modeste maison. Bien que légèrement plus grande que la plupart de celle du village, Evelyn n'était pas habituée à vivre dans un si petit espace pour six personnes. De la belle maison de ses parents au manoir de feu son époux, elle n'avait que connu que le confort. Ce fut ainsi presque un soulagement lorsqu'une tête blonde apparut pour lui fournir ce qu'elle désirait et une excuse pour s'échapper. Mary Rapier l'invitait donc à se joindre à leur table pour diner.

Une véritable dame apparut ainsi à la porte du fossoyeur. Vêtue d'une longue robe, bien que sans crinoline, Evelyn s'était maquillée à la mode de la Nouvelle-Orléans et portait ses cheveux nouées par une foulard de soie. Venait avec elle un petit panier contenant du café moulu du Brésil, une terrine selon la recette allemande de sa nourrice et une belle miche de pain blanc. A peine installée, Evelyn se tourna vers Tobias et lui sourit :

Honore ton père et ta mère afin de vivre longtemps dans le pays que l'Eternel, ton Dieu, te donne... Je viens en paix Tobias. Et discuter des termes de votre contrat pour bâtir le plus bel espace des terres de l'Ouest.

EPSILON

Until the firmament.

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Feat : Madame Lair

Tous s'affairent dans cette maison qui n'est jamais vraiment calme en temps normal. Mary n'a de cesse de retravailler son chignon, Judith recoud l'ourlet d'une de ses plus belles robes tandis qu'on a confié aux plus jeunes la tâche de mettre une table digne d'un jour de fête. Désabusé Tobias mire cet étrange spectacle que sont en train de lui offrir les siens, il a refusé de se changer et ce malgré les injonctions de son épouse qui a eu l'audace de lui dire qu'il sentait fort la mort. L'homme ne jugeant pas justifié de faire des efforts pour cette invitée qu'il n'avait pas prévu de retrouver à sa table se contente de demeurer habillé de la même façon que les autres jours. Une chemise noire assortie à un pantalon de la même couleur couvre donc une tenue de corps blanche et sa paire de bretelles.

Tobias tend le bras pour empêcher d'avancer son plus jeune fils qui se dirigeait vers sa mère devenue être étrange depuis qu'ils ont fait la rencontre de madame Lair. Risquer de pousser la femme de la maison sur la voix de la colère ne rendrait la folie passagère de cette dernière que plus dangereuse encore. Sans jamais songer à prêter main forte à son épouse, Tobias se laisse tomber sur une chaise, le bambin à présent confortablement installé sur ses cuisses.

-Père avez-vous vu les bijoux que grand-mère m'a offert au dernier Noël ?
-Père savez-vous où sont rangés les plats de céramique ornés de fleurs bleues ?
-Ceux qui ne servent que pour les fêtes ?
-Oui.
-Laisse les donc où ils sont Emily, ce n'est pas la royauté qui va nous visiter mais seulement la nouvelle amie de votre mère.

L'enfant se fige, indécise car soudainement incapable de savoir si elle se doit d'obéir aux ordres de sa mère ou bien de suivre les consignes données par son père. Mary se racle la gorge, dardant son époux d'un regard sombre qui a perdu toute sa douceur. Le croque-mort non content d'avoir su fâcher son aimée est en train d'empirer sa situation. Son épouse ouvre la bouche puis la referme avant d'avoir eu l'occasion de laisser s'en échapper quelques mots inconvenants. Elle lui a proposé de se rendre au saloon pour ne pas les déranger dans leurs préparatifs mais il se pourrait que tout ce chambardement sache distraire celui qui généralement préfère le calme.

Et il doit avouer ne pas avoir envie de prendre le risque de croiser Turner au saloon, ou bien d'autres hommes trop attachés à leur alcool pour parler avec raison. Entre ces deux maux il espère avoir su choisir le moindre.

Ereinté par cette agitation, l'homme de la maison se dresse pour se saisir d'un livre de poésie. Il en lit alors quelques vers à son fils qui ne montre aucun attrait pour ce noble art qu'est celui des mots maniés avec habileté.

[...]

Elle est là, chez eux, dans l'intimité de leur demeure après avoir su faire une entrée déjà fracassante dans leurs vies. Évidemment madame Lair n'est pas venue les mains vides, sentant là le besoin de faire bonne impression dans cette maison qui n'est toujours pas unanime à l'idée de l'adopter. La dame est fort maquillée, affublée d'une drôle de tenue qui dénote avec celles des femmes de cette maison. Mary exprime un ravissement de fausset, Tobias quant à lui se contente de serrer les dents avant de blêmir plus qu'il ne serait juste de le faire.

Mary et ses manigances le mettent dans l'embarras.

-Je n'ai donné mon accord pour aucun contrat.

Mais il semblerait que son aimée ait prit cette peine à sa place. Cette mutinerie qui s'annonce ne convient guère à celui qui se juge en temps normal pourtant progressiste.

-Voyez vous madame Lair j'ai déjà une profession. Si Mary juge qu'une place au paradis peut s'acheter avec quelques pièces, ce n'est pas mon cas. Nous ne manquons de rien dans cette maison.

Ce n'est là qu'une demie vérité car il est vrai qu'un agrandissement de leur demeure ne leur causerait pas de mal. Ils sont parents de nombreux enfants et même si Charles ne vit plus sous ce toit Tobias sait bien que dans quelques années il risque d'être père pour la huitième fois. Reste juste à savoir qui sera le géniteur naturel de ce marmot auquel le croque-mort ne veut pas trop songer.

-Nous pourrions vivre mieux Tobias. Madame Lair est une bonne chrétienne, ces projets sont sûrement moins...
-Mary... Seraient-ce tes humeurs qui te donnent tant d'entrain à parler à ma place ?

Le coup est bas et soudainement le regard de Mary devient foudroyant. Tobias sait qu'il paiera son affront au prix le plus fort. Sans rien laisser apparaître de son trouble soudain l'homme s'éloigne de cette invitée qu'on lui impose pour se diriger vers un placard qui cache bon nombre de liqueurs. L'alcool ne s'attire généralement pas les faveurs de celui qui craint que ce liquide sache lui arracher sa capacité à raisonner, mais en cet instant il a besoin d'un verre.

Il tire une bouteille de bourbon encore presque pleine. Puis deux verres assortis. Il fait claquer le tout sur la table, les enfants sursautent peu habitués à voir leur père agir de cette manière.

-Madame Lair je vous proposerais en temps normal un verre de limonade mais vos manières semblent plus appartenir à un homme qu'à une dame. J'aimerais savoir ce que vous a dit mon épouse au sujet de ce projet qui est le vôtre. Si Mary ne sait pas lire, ce n'est pas mon cas. J'ai pu tout saisir du blasphème auquel vous souhaitez que je participe.
-Trois dollars par jour de travail, quinze d'avance et il est à vous.

Tobias s'étouffe, il avait sottement oublié que si son épouse ne sait certes pas déchiffrer de délicats écrits, cette dernière compte bien plus vite que la plupart des habitants de leur petite ville.

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Tobias ac Evelyn

Parvis de l'Eglise , 25 Juin,

-Je n'ai donné mon accord pour aucun contrat.
Bien évidemment.

Le regard aquilin se posa d'abord sur le concerné avant de se tourner légèrement vers Mary. Un sourire mutin apparut sur ses lèvres, aussi complice que celui d'une adolescente partageant son amour secret à sa meilleur amie. L'amour de Tobias coûtait simplement plus cher que de longues oeillades et des battements de cils. Evelyn avait de toutes façons autant passer l'âge que refuser de s'adonner à de tels babillages toute sa vie durant.

Les métiers des petits hommes de ce moment étaient d'une futilité profonde pour les néophytes. Ô combien Evelyn connaissait le froid venin du mensonge et des non-dits. Ce flegme noir et la bile rougeâtre de la jalouse avaient depuis longtemps usé son innocence. Alfred l'avait trompé la majeure partie de leur existence commune et si cela n'avait pas été dans la lingerie d'une autre la lame frappait aussi fort. L'ancienne propriétaire ne croyait pas un mot de cet homme pieux.

Monsieur Rapier je ne suis pas ici pour un débat théologique. Nous connaissons tous l'amour de votre peuple pour le papisme qui ne dit son nom. Je suis pas ici pour vous offrir l'indulgence mais seulement de l'argent pour un service rendu. Les oeuvres de ce carnet...

Evelyn sortit comme par magie de sa poche le document incriminé. Elle croyait stimulé l'imagination d'un homme de goût mais ne s'attirait que la rancoeur d'un bigot cocu.

Voyez cela comme un raffinement spirituel à l'image des gargouilles ou des vitraux de nos bâtiments les plus magnifiques. Simplement pour divertir l'esprit et l'éduquer par la même occasion.

Et en tirer les profits conséquents...

Sans compter la paie monsieur Rapier.

Son alliée de circonstance sut intervenir à la parfaite occasion... du moins le croyait elle.

Mary... Seraient-ce tes humeurs qui te donnent tant d'entrain à parler à ma place ?

Evelyn resta interdite, la bouche entrouverte. L'arrogance et la crasse de cet homme le frappait au plus haut point. Alfred n'aurait jamais osé parler sur ce ton à son épouse. Aussi froid et distant eut il été, il respectait Evelyn pour sa personne. Cette dernière connaissait sa place et son pouvoir. Il était clair que Mary également, voir même qu'elle prenait la place de l'époux plus souvent qu'à son compte. Que ce coq parade devant elle en usant d'un tel langage... Soufflant par le nez, Evelyn canalisa l'envie de lui arracher la langue avec une paire de tenailles. Elle ne s'abaisserait pas à son niveau.

J'apprécierai une limonade monsieur Rapier. répondit elle avec un sourire. Peut être accepteriez vous de servir ce verre à mon garde à l'extérieur. Attention à ne pas le renverser près de lui, votre masure risquerait de prendre si il allume une cigarette...

Evelyn jeta un coup d'oeil à Mary quand celle-ci reprit la parole et acquiesça à son égard.

Madame Rapier, je souhaiterai accepter votre offre. Malheureusement être insultée sous le toit de mes propres hôtes m'interdit de seulement y penser. Le comportement abject de votre époux fait honte à votre nom et à Notre Seigneur. Un blasphème impudent envers sa propre femme pour un autre qui n'est que son imagination...

EPSILON

Until the firmament.

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Feat : Madame Lair

La dame s'offusque après s'être vantée d'être venue accompagnée d'un homme que Tobias devine armé. Une habitude désagréable qui dérange celui qui ne sait apprécier la violence gratuite et les menaces en tout genre. Sa maison pourrait prendre feu si l'hère venu protéger les arrières de cette femme aux manières douteuses se retrouvait contrarié... Il est difficile de se montrer plus clair dans ses intentions que ne le fait madame Lair en cet instant. Mary pourtant fâchée des mots dont son époux vient d'user à son égard pâlit lorsqu'elle prend la pleine conscience de l'ampleur de son erreur. Inviter cette dame dans leur demeure sans la connaître et pouvoir lui donner une autre qualité que sa richesse n'était pas l'action la plus éclairée de l'épouse du croque-mort. Il se pourrait que la discussion que les époux Rapier entretiendront dans quelques heures, lorsque leurs nombreux enfants seront couchés, soit plus apaisée que Tobias ne le craignait.

L'homme généralement calme doit se faire violence pour ne pas se montrer plus impoli qu'il ne l'a déjà été lorsque celle qu'il peine à juger comme étant leur invitée s'en prend à lui verbalement, notant des défauts dont effectivement Tobias vient de faire démonstration. Il ne se montre pas sous son meilleur jour, agacé par cette mise en scène sans sens qui s'est installée sous son propre toit et ce sans que l'on ne daigne lui quémander une quelconque permission. Cette femme joue là un numéro d'illusionniste qui ne sait convaincre celui qui peine à croire à toutes ces balivernes. Les charlatans ne sont pas tous semblables et même si cette femme ne leur vante pas les mérites d'une potion hors de prix, son verbiage n'est rien de plus qu'une soupe infâme. Judith moins naïve que ne l'est sa mère se range du côté de son père, faisant un pas vers lui avant de rétorquer quelques mots crus qu'elle destine à celle dont sa mère espérait se faire une amie.

-Notre père n'est guère plus impoli que celle qui tente de faire sa loi dans une demeure qui ne lui appartient pas.

Tobias se fige un bref instant, observant sa femme tout en se demandant si cette dernière aura l'audace de prendre la défense de celle dont les manières dérangent dans cette maison. Ils ne sont pas du même monde que Madame Lair et ceci est une bonne chose car le britannique est certain que ce monde ne leur conviendrait pas. Ils sont trop simples pour savoir apprécier les bienfaits d'un environnement dans lequel le paraître est plus important que ce qui réside dans le cœur des Hommes. Mary conserve son silence, s'y accrochant pour ne pas perdre pied, le sourire qui habillait ses lèvres pour la circonstance n'est plus qu'un souvenir. Voir sa femme ainsi peine celui qui ne tolère pas le chagrin de son aimée.

Le numéro de charme de madame Lair n'aura mit que peu de temps avant de se trouver éventé par ses propos nauséabonds. Tobias ouvre la bouche, dardant l'invitée de son épouse de son regard le plus noir avant de prononcer quelques mots.

-Vous n'êtes pas notre invitée. Seulement celle de mon épouse. Si ma franchise ne sait vous convenir, rien ne vous force à rester ici. Votre garde peut également partir, nous n'apprécions pas les gens armés dans cette maison. Les mauvaises intentions qui peuvent être les leurs nous déplaisent également.

Il n'est pas aussi courtois qu'il ne devrait l'être mais il se moque des conséquences de ce refus qu'il impose une fois de plus à celle qui tente de lui forcer la main. Dans quelques jours, lorsque cette triste affaire ne sera plus qu'un souvenir, Tobias est certain que son épouse aura tout retrouvé de sa lucidité et donc sa capacité à raisonner. Il n'y a rien chez cette dame qui peut plaire à Mary, sinon l'argent que cette dernière est prête à dépenser pour que l'on exauce ses désirs à sa place. Ce garde qui l'accompagne ne saurait-il pas lui construire ce dantesque bordel ? Enfonçant le clou de son audace dans le cercueil de cette discussion qui ne sait lui plaire, Tobias conseille une main d'œuvre volontaire à madame Lair.

-Vous devriez aller à la rencontre de l'adjoint Turner pour lui faire mention de vos projets. Il sait paraît-il lire et ne dira pas non à quelques pièces.

L'homme est client de maisons de plaisir, il saura donc également conseiller la femme au sujet de la taille des chambres et d'autres menus détails auxquels le britannique ne veut songer plus longtemps. Dans le dos de Tobias s'échappe de la bouche de Junior un éclat hilare tant cette idée semble folle au jeune garçon de nature agitée. Mary n'est pas loin d'imiter son fils, dissimulant son amusement derrière sa main.