Seuls dans la nuit Feat Xander

- Z’auriez dû voir la tête que tirait cet imbé...

La main de Xander claqua avec suffisamment d’ardeur sur le visage de son fils aîné pour qu’il ne sache pas de qui il était question. Il faisait brunante et le père avait rejoint le trio de ses fils qui flânaient pour leur invectiver d’aller se ramasser avant d’avoir besoin de gaspiller de l’huile pour s’éclairer.

- Pap! s’était aussitôt enflammé Jonathan, les poings levés à la hauteur des hanches. Les jumeaux se contentaient encore d’observer, abasourdis. Alexander n’était pas du genre à heurter ses enfants. Bien moins que ses contemporains, en tout cas. Un fait qui lui avait valu des ricanements et des injures dans son dos. Qu’on le traite de mollasson tant qu’on veuille. Il savait qu’il avait plus de tripes que la moitié de ces blanc-becs réunis. Il ne croyait simplement pas en la violence comme un solution d’approche : c’était une admission de désespoir, un geste contraint lorsqu’on était acculé au mur.

- Je t’ai déjà dit de ne pas parler du monde ainsi. On vaut tous un peu de respect.
Le pauvre veuf ne savait plus que faire de son fils, et craignait qu’il n’entraîne les autres sur sa voie. Même cet innocent d’Evard vénérait Jo, qui se moquait de lui en retour. Xander n’était pas toujours le mec le plus réglo du village – ils avaient un notaire et un curé pour se chicaner le titre, et on connaissait tous très bien les histoires qui courraient tant sur l’un que sur l’autre -, mais s’il était une chose, c’était éthique. Combien de fois avait-il répéter à ses enfants que c’est l’honneur qui distingue l’humain de l’animal, et la cruauté qui en démarque les monstres?
- Mais pap, c’est vrai  qu’c’est pas l’plus déniaiser, l’...
- Suffit, Guillaume. Le prochain que j’entends parler comme ça, c’est la fessée en public d’vant l’saloon à l’Amaro. C’est clair?

Le regard du métis passa sur chacun des trois bougres, avec une autorité rivalisant d’impatience. Jo fustigeait toujours : il lui faudrait apprendre l’humilité, l’un de ces jours, avant qui ne se brûle. Jonathan était peut-être le plus intelligent membre de la famille - peut-être car Cécile avait un génie plus discret, mais qui ne manquait jamais de prendre son frère de court – ça ne lui donnait aucunement le droit de regarder les autres de court.

- Allez vous ramasser! Ouste!  À votre âge, je d’vrais plus devoir vous le rappeler!

Xander rajusta son propre bardas sur son épaule, la main brûlante de la claque qui venait d’avoir lieu, et observa les gredins qui lui servaient de progéniture prendre la poudre d’escampette. Il devait encore aller s’occuper de son benjamin, et vérifier qu’il ait terminé ses corvées, en ayant réussi de ne rien abîmer ni de s’estropier.  S’il ne dormait pas du sommeil du juste, il ne saurait plus à quel esprit se tourner.

***

Xander leva le regard, arc-bouté, en direction de la maison. La porte était close : ce devait être le raffut de celle à l’avant qu’il avait entendu. Il retourna à sa terre sablonneuse et à ses plantules en ce demandant si le notaire lui avait demandé l’impossible, à vouloir cultiver ci loin quelque chose de son Angleterre natale.

Une ombre s’étirant en sa direction fit relever le regard du charlatan une seconde fois. S’ensuivit le dépliement de son corps entier, afin qu’il puisse se retrouver, les pieds solidement plantés au sol, les poings sur les hanches, à attendre que s’approche le rancheur Hale. Il lui sourit en cherchant son souffle, passa le revers de sa main sur sa moustache perlée, et le salua enfin, de la manière qu’il réservait aux membres de la tribu voisine. Xander leva la main derrière l’épaule du vacher, pour le diriger vers un pommier dont ils pourraient bénéficier de l’ombre.

- Y’a quoi de bon? offrit-il un segment de tronc en guise de siège à son ami, alors qu’il s’installait accroupi face à lui, dans un équilibre précaire. Les petites choses prirent leur temps à être dites avant que Derek n’attaque ce que Xander devinait être la raison derrière sa visite. Il hochait doucement la tête en suivant les propos de l’éleveur de bétail. Une amitié difficile à croire, tant leurs castes sociales étaient différentes, mais pourtant aussi réelle qu’aucune autre dans le village. D’un grand non de la tête, Xander répondit :

- M’ont rien dit.

Il laissa ensuite filer un silence, dont il se servit pour se relever et aller s’appuyer contre l’arbre planté par Jeanne.

- Jo est brillant, mais serait pas pis s’il avait dix boudins au lieu des doigts. Il est meilleur pour raconter des salades qu’en faire pousser. C’est Guillaume qui est le meilleur en forêt, mais il est puni pour l’moment.

Le gamin pouvait encore se considérer chanceux de s’en être sorti avec tous ses doigts et aucune lacération. Si Alex n’avait pas remboursé son tabac au commerçant local… Et voilà que l’idée d’aller chercher sa pipe dans sa chambre le démangeait. Distrait un instant – ou peut-être réfléchissait-il encore un peu -, Xander mit un moment à poursuivre.

- J’serais confiant envers Jack. Il connaît bien la région et est pas mauvais pisteur.

Il restait à savoir s’il laisserait une arme à feux entre les mains de son fils mégalomane. Si un conflit venait à éclater, Derek avait raison : ces armes pouvaient être dévastatrices. Alexander envoya un regard en biais à son ami.

- J’présume qu’Hyacinthe a une bonne communion avec son loup? Devraient pas avoir b’soin d’un fusil s’ils restent pas trop loin. Si qu’ils restent à leur campement, pis qu’on aille les aider à l’installer, j’pense que ce s’rait bon.

Le lac aux étoiles était suffisamment près pour ne pas être fréquenté par les bêtes les plus farouches, ni les plus puissantes, et permettrait une retraite respectable en distance, advenant un soucis, tout en étant suffisamment éloigner pour satisfaire le désir d’aventure des gamins.

- Céc’ va pouvoir m’aider à préparer leurs rations.

Un moment, Xander se demanda s’il devrait offrir qu’elle les accompagne, mais il changea d’idée : envoyer un chaperon n’était pas la meilleure des idées, et elle risquerait de s’ennuyer avec les bêtises des garçons. Si elle démontrait un quelconque intérêt, par contre, il n’était pas dit qu’il change de position.

Derek ne paraissait pas surpris du silence des gamins. Il fallait bien admettre que, dans ses chaussures, Xander ne l’aurait pas été non plus. Ils épluchèrent ensuite la situation et les conditions comme d’autres leurs chapelets. Il retint un rire qui se mût par la force des choses en ricanement, à la mention des réserves exagérées qu’Helen enverrait. Pourvu simplement qu’ils n’attirent pas les bêtes. Alexander hésita un instant, en tournicotant l’extrémité de sa moustache entre ses doigts, avant de donner son accord pour le samedi. Il ne suivait pas avec autant d’assiduité le calendrier que les grenouilles de bénitiers du centre-ville. Derek n’était pas non plus le plus fervent, comme le prouvait sa suggestion de faire rater la messe aux garçons.

- Mmmh.

Xander prit un nouveau moment de réflexion avant de répondre à son ami. Il voulait avoir le temps de se rendre au campement et d’en revenir avant que la nuit ne soit trop sombre. Il marmonna pour lui-même pendant un instant avant d’offrir de s’y rendre deux heures avant le crépuscule. Ça leur laisserait le temps.

Sans plus de formalités qu’une amitié longue d’une petite décennie n’en demandait, les comparses se séparèrent pour retourner vaquer à leurs occupations, l’un le nez au sol, l’autre le derrière sur sa selle.

***

Si Guillaume avait été insupportable depuis que Xander avait annoncé que Jacques irait bivouaquer avec leur bon ami Hyacinthe, en raison de son comportement correct – exemplaire serait une exagération ridicule -, Jonathan s’était fait étrangement calme et n’avait pas chigné le moindrement du monde. Xander se doutait bien que son aîné planifiait quelque manigance, mais ne pouvait deviner ce qu’était, exactement, son intention. Pour l’instant, il ne pouvait que veiller au grain, gardant un œil ouvert en direction de Jonathan et une répartie sèche pour Guillaume. Même Jacques avait tenté d’intercéder envers son jumeau et de menacer de ne pas participer,. En réponse à quoi Xander avait haussé les épaules : il serait plus efficace aux champs et moins de tracas pour son vieux père. Jacques perdit soudainement toute solidarité gémellaire. Tout ceci se déroulait simultanément sous le nez et à l’insu du cadet, alors que Cécile observait les situations évoluer, sans dire un mot ni retenir de rictus. Cette situation dans laquelle son paternel s’était embourbé lui était définitivement un riche apprentissage. Après tout, sa propre marmaille ne serait pas étrangère à sa famille.

***

La veille, Guillaume avait enfin abdiqué. Il avait cessé de râler et accepter la décision du plus haut tribunal en place : le jugement parental. Il était donc parti rejoindre Derek et Hyacinthe, accompagné de Jacques et de sa jument qui les suivait au pas. Pas né de la dernière pluie, il avait donné quelques instructions à Charlie et Cécile, pour tenir toute sa maisonnée occupée, et surtout ses fils. Il salua les loups d’une révérence des sourcils.

- Salut, Bro’, Hyacinthe.

La voix fluette de Jacques suivit rapidement, adressant d’abord ce m’sieur Hale, puis son ami. Ils ne s’attardèrent pas et prirent la direction du lac des étoiles. Les garçons gambadaient autour des bêtes avec l’enthousiasme et le niveau d’attention digne de leur âge. Il jeta un regard en biais à l’éleveur. Quelque chose dans sa posture, ou sa façon d’être, semblait différente. Il devrait s’enquérir à ce sujet, sur le chemin du retour, avant que des rumeurs de commères ne viennent confirmer ses impressions. Après tout, ils étaient plus que de simples concitoyens et pouvaient bien se confier ouvertement.

- Pap! Quand est-ce qu’on arrive? C’est encore loin?

- On a même pas commencé à monter, Jacquot!

Xander rigola, sans malice. Certes, ils étaient bien quelques mètres plus hauts que la ville en contrebas, mais la pente était encore douce et agréable. Ça ne comptait pas réellement pour une ascension, n’est-ce pas?

Xander continuait de s’amuser de l’impatience de son rejeton, alors que son ami prenait les choses en mains pour ne pas laisser l’occasion aux marmots de s’épuiser et de s’en plaindre bien trop tôt. Hyacinthe et Jacques firent rapidement croupe commune en continuant de se raconter monts et merveilles auxquelles le shaman ne portait pas attention. Ce qui la capta toutefois fut le mouvement d’inconfort de son ami lupin, et l’indication discrète qui s’ensuivit. De toute manière, Alexander s’était déjà dit qu’il attendrait d’être libéré des gamins pour discuter avec Derek. Il n’était pas du genre à éventer les secrets : ce n’était pas ainsi qu’on se montrait digne de la confiance d’autrui, tant pour les confidences que pour les coups de main.

Puis, l’ascension se fit dès lors plus rapide. Le père moustachu aurait bien pu prendre son engeance avec lui sur leur unique jument, mais trouvait Jacques un exécrable passager, tout grouillant. L’offre de Derek avait cette élégance qui venait rattraper le manque de diplomatie du Métis.

La vie battait son plein dans le village autant que dans le boisée autour d’eux. Quelques minutes après que la canopée les aient recouverts de sa fraîcheur, Xander détacha le col de sa chemise. Il n’était pas dit qu’il ne saurait profiterait d’être à l’abri des regards des commères! La marche des bêtes dura un long moment, au cours duquel les enfants trouvèrent aussi le moyen de se taire de plus en plus longs instants entre les bribes de leurs conversations.

- On y est.

Le sentier forestier les mena à un faux plat et Xander claqua de la langue à quelques reprises pour que sa jument ne soit pas trop surprise alors qu’il tirait sur la bride pour arrêter la bête. Il en descendit pour aider son fils, moins habitué à chevaucher, à descendre à son tour, puis retira le tapis sur le dos de sa monture et l’envoya s’hydrater dans le petit lac. Il rattrapa Jacques par le col alors qu’il prenait la même direction.

- Vous installez d’abord votre campement. Y’aura tout le temps de jouer dans l’eau après.

Le moustachu prit un instant de réflexion bourrue pour évaluer les pentes du terrain, la régularité du sol et la végétation environnante, avant de pointer d’un doigt usé un carré où installer leur bric-à-brac. Ça pleurnichait d’être trop loin du plan d’eau, pourtant à seulement quelques enjambées de là. Certes, quelques-unes de plus pour les deux braillards. Sans faire de cas de la discipline reçue par Hyacinthe, Xander poursuivit sur les explications du rancher. Il ne pouvait qu’espérer que Jacques comprenne que les notions avancées par Derek étaient également valides pour sa pomme.

Xander entreprit d’extirper de son sac les items dont ils auraient d’abord besoin. Ils installèrent d’abord la tente des Hale. Le charlatan indiquant aux enfants de ne jamais la stabiliser sur des arbres plus petits que leurs poignets, et les laissa d’abord se débrouiller seuls pour la monter. Quand il en eut marre de n’offrir que des conseils à demi écoutés, il entreprit d’accélérer la cadence en prenant les choses en main. Il n’avait pas envie de rentrer en pleine nuit, non plus. Une histoire pour qu’il retrouve sa maison dans un piètre état.

Une fois la tente suffisamment solide aux yeux de l’ex-nomade, il orienta les jeunes sur la suite.
- Jacques pourra t’apprendre à faire de bons collets, Hyacinthe. Et à la poser comme du monde.

Le fils métis pointa le fusil de son père, adossé contre un arbre, et avant d’avoir terminé de songer à son intention de poser une question, il fut interrompu.

- Vous ne serez pas ici assez longtemps pour avoir besoin de chasser du gros gibier. Ce serait gaspillé.
- Et si une bête vient? On doit pouvoir se défendre.
- Nourrissez le feu et elles resteront éloignées. Tu sais quelles plantes masqueront vos odeurs. Puis, tu sais comment t’adresser aux esprits : ils t’écouteront.

Xander était un fervent croyant en ses traditions ancestrales de communion avec l’environnement et, surtout, il avait confiance en celui-ci. Ce ne serait pas la première fois en ces taire qu’un Cormier convaincrait poliment un coyote de rebrousser chemin.

L’établissement du bivouac se poursuivait à son rythme. Alexander s’assura que les gamins allument eux-mêmes les flammes et soient en mesure d’en faire quelque chose de satisfaisant. Les bras croisés, il observa un instant le campement, cochant une liste mentale qui tenait presque de la deuxième nature, et hocha la tête.

- Je pensais que vous vouliez vous baigner! Allez!

Avant de n’avoir pu récupérer son fusil et rameuter sa bête, le shaman entendit deux trombes d’eaux éclabousser avec force. Il claqua de la langue et sa jument se mit en marche.

- Bonnes journées, les enfants.

Ne restait plus qu’à espérer qu’ils aient l’intelligence de sortir de l’eau avant la brunante : il n’avait pas besoin d’un fiston à soigner.

***

Au bout d’une dizaine de minutes, Xander orienta la conversation avec son ami. Pas qu’elle battait son plein : les deux taiseux alternaient plus de silences que de mots.

- Et ta jambe?