Reste couché et attends que ça passe, lui aurait dit sa mère. Elle n'était pas très maternelle, on pouvait le dire. Pas inquiète, et toujours un truc à la bouche, qui la faisait marmonner, et sourire avec uniquement la moitié de son visage. Un crayon, une aiguille, un brin d'herbe. Comme les vieux d'autrefois qui fumaient la pipe à s'en déformer la mâchoire, il avait vu ça dans un musée... Les idées de Scipion s'embrouillaient ; rester couché et attendre que ça passe, il n'en avait jamais été capable. Au lieu de ça, il courait. Il ne prenait pas la voiture et il ne restait pas au calme, et il rouvrait ses plaies, mais ça lui était égal. Elles étaient devenues parfaitement superficielles. Quant au sang, il en avait assez. Ça referait le stock à neuf.
Enfin, par instants il se posait la question, quand il tournait le coin d'une rue précipitamment, ses cheveux emportés derrière lui comme la queue d'une comète, et que son cerveau continuait à tourner sur quelques mètres. Lui continuait tout droit, autant que possible. Ses jambes connaissaient le chemin à l'avance, il n'avait pas peur de se tromper. Il laissait ses pensées l'attendre là-bas, sur le paillasson d'un sale type qui ne l'avait même pas rappelé. Avait-il seulement écouté son message ? Il y avait des gens qui ne les écoutaient pas, qui avaient des phobies à ce sujet et qu'il fallait rappeler, obstinément, jusqu'à les avoir en direct live. Eh bien, ce serait l'occasion de lui poser la question.
Ses pensées traînaient là-bas devant la porte, fantôme aux oreilles dressées, alerte et sans un moment de faiblesse. Elles retournaient ce qu'il avait à lui annoncer, et comment il allait s'y prendre. Comment se justifier d'avoir fait une connerie. Comment cacher quelque chose tout en le répétant cent fois. Il fallait commencer par : "Je vais bien, c'est juste des petites coupures" ou quelque chose comme ça, sinon il allait lui faire peur. Même en le disant... Il avait l'air d'un zombie. Il dégageait une odeur de sang. Tiens, de whisky aussi. Décidément, leur relation était placée sous l'étoile de Bourbon Street. Et puis, il faudrait le laisser parler. Il aurait des questions.
Toutes les bonnes chansons à la première personne sont secrètement des dialogues à deux voix.
Dire qu'il y a des gens qui offrent des roses. Ah tiens ! C'est vrai qu'il avait plaisanté là-dessus. Il ne sait plus si c'était pendant leur film – la rose y jouait un rôle important, même si sa symbolique n'était jamais clairement décodée, ça aurait été trop facile – ou pendant leurs autres échanges. Il avait l'impression d'avoir vécu dix ans avec ce mauvais plaisant en habit de croque-mort. Tout se mélangeait dans son esprit. Ah, et ça n'avait pas été facile de trouver son adresse. La fac, pas de problème ; son bureau aussi. Mais il fallait vraiment être maniaque pour ranger ses effets personnels comme un espion de la guerre froide ! Rien qui indiquait une appartenance à une meute en particulier, en revanche.
Tant mieux, finalement. Les loups bouffent les coyotes, c'est bien connu. Ce serait peut-être plus simple comme ça. Il suffirait d'être discret sur certains détails. Il dirait qu'il avait une religion bizarre, une branche de paganisme local obscur, et Tobias ne chercherait pas à le suivre. Dans sa tête, il l'appelait Tobias. Niglo de Thornfield c'était pour les taquineries. En ce moment – tant que le public n'était pas en vue pour émoustiller son humour tordu – Scipion avait envie de sérieux. Hola... il filait un mauvais coton.
Quelqu'un l'arrêta pour lui demander si ça allait, s'il voulait qu'il prévienne la police. Oh non ! Surtout pas ! Il prétendit que c'était un canular pour une chaîne Youtube, donna un nom idiot au hasard et repartit en riant. Il était presque arrivé. C'était ce quartier. C'était cette maison. Une silhouette à la fenêtre le fit bondir par réflexe derrière un tronc d'arbre, et il réalisa qu'il était à bout de souffle. Il prit quelques secondes pour se calmer, les yeux fermés, en s'appliquant à faire ralentir son coeur qui cognait contre les parois de sa cage thoracique, cherchant à s'envoler. Se rendre un brin plus présentable.
Voilà. Les derniers mètres à parcourir. Plus personne à la fenêtre. Encore quelques secondes pour changer d'avis. Il faisait partie de ces coyotes sauvages qui, loin d'esquiver, se jettent sur les pièges pour les déclencher, en exécutant un bond de voltigeur pour rester en sécurité malgré tout. Il était temps de le prouver.
Scipion se sentit brusquement assez idiot. Le crâne vide, carillonnant. Il avait couru comme un idiot jusqu'à cette adresse où il savait pouvoir trouver le professeur. Et maintenant, en appuyant sur la sonnette, il venait d'oublier tout le discours qu'il avait préparé dans sa tête. Ce n'était pas le sang versé qui lui donnait le vertige, c'était une sensation qu'il ne connaissait pas et qui s'imposait tout à coup à son expérience, la reliant avec celle du reste de l'humanité, enfin... qu'on soit humain ou non, généralement on en était passé par là un jour. La grosse attaque de timidité, alors qu'un pas approche derrière une porte, comme un compte à rebours.
Ridicule. Lui qui bondissait sur scène comme un diable sorti de sa boîte ! Lui, la créature insolente au sourire indécrochable, qui venait de saluer le public de ce ring illégal, gracieusement, avant même de remettre en place ses os descellés.
La porte s'ouvre. Il n'est pas attendu. Il n'a pas prévenu qu'il venait. Il commence à faire nuit, sa silhouette est à faire peur, il n'a même pas mis de cravate, et bien sûr il n'a pas de bouquet de roses à la main. C'est lui, le bouquet de roses. Il va se retrouver face à cette figure neutre, dont le dernier regard posé sur lui avait toute l'amabilité d'une porte de prison. Il va peut-être se faire envoyer au diable. Prêt ? Prêt.
Un sourire s'étale sur son visage marbré d'encre et de sang, le vent souffle à la même seconde et le fait recroqueviller ses longs bras d'épouvantail sous son manteau trop large, ou plutôt, lui donne un prétexte. Les prétextes, c'est la dernière tendance de l'été.
Un regard qui ne rigole pas. Ah oui ! Vite, le disclaimer. Avant de se faire traiter de tous les noms, ou autre réaction légitime du bon père de famille qui voit débarquer chez lui un voyou déchiqueté. Tiens ! Est-ce qu'il est là, le bébé croque-mort ? La curiosité le dispute presque à l'appréhension. Et vite, deux mains levées en signe d'innocence, quelques jointures un peu bleues sous l'encre, ça ne se voit même pas, il fait sombre. Les bêtes nocturnes ont leurs raisons que la raison ignore...
"Je sais ce que tu penses. J'ai l'air de m'être fait choper par un trente-six tonnes. Mais pas du tout, je vais très bien, promis."
Est-ce qu'il poussait le vice jusqu'à prétendre que c'était un déguisement de scène ? Non, pas avec lui, ils se connaissaient déjà trop bien ; ça ne passerait jamais. Ce regard inquisiteur ne le laisserait pas s'en tirer par une pirouette. Et si cette porte se refermait maintenant à son nez, il ne savait absolument pas ce qu'il ferait du reste de son temps.
Tobias Rapier
Brumes du Passé : Humain Meute & Clan : Rapier's Familly Âge du personnage : 45 ans
Meute & Clan : Aucun Âge du personnage : 46 ans
Brumes du futur : Loup Alpha Meute & Clan : Rapier's Pack Âge du personnage : 55 ans
Alias : Le Freak Humeur : Dantesque Messages : 1132 Réputation : 295 Localisation : Jamais loin de sa flasque
Alice s'est enfin endormie, après plusieurs tentatives pour échapper aux bras de Morphée. C'est son père qui baille quand main sur la poignée, il tire la porte à lui non sans poser une dernière fois son regard sur sa petite. Pouce dans la bouche, seconde main serrée autour d'une des oreilles de son lapin en peluche crème, la voilà partie pour une nuit de songes qu'il espère doux. Sourire apaisé et rassuré aux lèvres, il laisse la porte entrouverte, puis traverse le couloir. Sa chambre. Moins colorée que celle de sa fille. Lit noir, literie blanche et parquet caramel. Tellement simple que s'en est peut être même un peu terne. Mais lui ça le rassure. Autant que l'arme posée sur son chevet, autant que celles qui reposent dans une partie de sa large penderie. C'est chez lui ici, son nid. Son âme il n'a pas besoin de l'afficher aux murs de son habitat pour savoir qu'il en a une. Tout ça, c'est pour ceux qui ont peur, un sentiment qu'il s'est interdit depuis ce séjour forcé dans cette cave avec ce monstre qu'il a cru son ami. Il y a longtemps. Gabriel était fou. Ou bien trop lucide. C'est parfois compliqué de pouvoir trouver le juste milieu, de parvenir à comprendre ce qui se passe dans la tête des autres quand on peine déjà à se comprendre soi-même.
Il retire sa ceinture d'un geste vif, fouette l'air à l'aide de cette fine bande de cuir noir. Noir. Toujours cette couleur. Triste ironie quand on sait qu'il n'y a pas si longtemps, Tobias avait encore peur de ce qui pouvait se cacher dans les recoins sombres. Le tas de vêtements posés sur le coin de son lit prend de l'ampleur et bien vite il est nu comme un ver. Exception faite de ses chaussettes. Il aime bien les garder pour dormir. C'est comme un reste d'une époque lointaine, un fantôme de ses manies adolescentes. Un peu de confort, de mauvais goût rassurant. Mais personne n'est là pour voir ce spectacle, pour se moquer de son accoutrement qui pourtant pourrait devenir la cible de railleries voulu légères. Il inspire avant de changer de pièce. Buanderie, salle de bain, son bureau.
Un de ses doigts écrase le bouton du répondeur. La voix refait son show et c'est parti pour dix minutes d’âneries et de tribulations sans but. Il ne faut pas écouter ce que les gens disent sur les répondeurs à deux heures du matin. Les gens qui le font aussi aussi fous que ceux qui racontent leur vie à un inconnu. Il n'a pas prit le temps de le rappeler. Mensonge. Il n'a pas voulu le faire. C'était déjà assez compliqué à gérer comme ça. La première fois a été la pire, suite à cette nuit infernale qui avait suivi une douce soirée. Leur soirée. Mais avec le temps, au fil des écoutes c'est devenu simple. Un rituel, presque une drogue.
Ce message, Tobias en connait chaque mot. En a imaginé la ponctuation, s'est même offert le luxe de penser les mimiques qui ont pu passer sur le visage de Scipion quand il l'a appelé. Il ne l'a pas recontacté par manque de courage, par peur sans doute. En quelques heures, son cœur s'est ouvert. Il a offert sa faiblesse sur un plateau d'argent à un inconnu. Belle connerie que de croire encore que demain sera meilleur alors que tout les jours qui ont précédé aujourd'hui étaient horreur.
Vivre chaque jour comme si c'était le dernier. Parce qu'un jour, ce sera vrai.
Les paroles de son agaçante collègue lui reviennent en tête. Peut être avait-elle raison. Vu son âge c'était certainement le cas. Si avec les années qui passent vient la sagesse la professeure de chimie doit tous les battre à ce petit jeu. Mais cela implique de savoir quitter sa zone de confort. De parvenir à se remettre en question, assez longtemps pour laisser la porte de ses émotions s'ouvrir. Montrer ce qu'on est persuadé de devoir cacher pour ne pas être triste à nouveau. Pour ne plus subir.
Le bip du répondeur fait sonner la fin du message de l'intriguant. Scipion l'aime bien. C'est presque une certitude. Le recontacter serait prendre le risque que cela ne dure pas. Tobias préfère conserver ce qu'il parvient encore à nommer fin heureuse. Il ouvre sa sacoche, sort une liasse de copie. Sans doute les dernières de sa carrière de professeur au lycée de la ville. La nouvelle va prendre sa place et lui pourra partir de façon définitive pour l’université. Un changement qu'il maîtrise cette fois.
[...]
Il en a fini avec les terminales et passe à la classe de seconde. Son second verre de bourbon à la main, il se fige quand un son strident se fait entendre à travers l'appartement.
Ses pieds courent plus qu'ils ne marchent tandis qu'il file pour aller ouvrir à son visiteur. Il sait déjà de qui il s'agit, il a reçu un étrange message plus tôt dans la soirée. Il sait et il craint le pire quand il fauche un des plaids du canapé pour cacher sa vertu.
Il ouvre la porte, visage comme mort qui ne le reste pas longtemps face à cette vision qui s'impose à son regard fatigué. Il est là. Son cœur n'a pas le temps d'être douloureux, les remords ne disposent pas d'un délai assez grand pour faire leur apparition au plus profond de son être. Il est là et il pisse le sang sur le paillasson. Un étrange second rendez vous, un rencard foireux. Rien n'est jamais logique avec cet énergumène. Son regard se fait plus noir encore quand il glisse sur ces plaies qui ne sont pas fermées, qui n'en ont pas eu le temps. Et puis ce sourire, insolence qui se suffit à elle même. Scipion ignore visiblement que ses dernières âneries en date sont déjà connues du britannique.
L'anglais serre les dents. Il ne doit pas crier, sinon il risque de réveiller sa fille. Il pourrait fermer la porte directement, faire comme si ces quelques secondes n'avaient jamais eu lieu, comme si cette soirée passée n'était qu'un doux rêve. Mais cette idée ne lui traverse même pas l'esprit. Les si ne lui réussissent pas de toute façon.
D'une voix froide, il ordonne plus qu'il n'invite. Étrange sédentaire aux drôles de manies.
-Entre.
Son nid se révèle finalement être un moulin où chacun peut débarquer à sa guise. Cela devient une mauvaise habitude. D'autres paroles de sa collègue lui reviennent en tête, il les chasse par l'action. Se décale, laisse Scipion entrer, baisse la tête un bref instant pour camoufler l’expression qui caresse ses lèvres. L'instant n'est pas aux sourires. Porte enfin close qui les dissimule de la vue des voisins, Tobias resserre sa prise sur le plaid. Il y a des choses qui ne se font pas, on ne montre pas son oiseau aussi vite dans une relation dont on ignore encore à quoi elle mènera.
-Maintenant tu expliques. Sans camions, sans mensonges. Sans hausser la voix, Alice dort.
Les règles sont posées et le regard noir du professeur suffit à faire comprendre qu'il ne tolérera aucunes infractions à celles-ci. Il est en colère, un sentiment qui revient de plus en plus souvent ces derniers temps. Non, c'est inexact. Tobias en cet instant est plus déçu que furieux. Pire encore. À trop s'attacher à ceux qui l'entourent il en apprend les codes et il finit par les adopter sans même s'en rendre compte. Il intime à l'autre de le suivre d'un geste de la main accompagné d'un reniflement dédaigneux. Le bureau, c'est à cet endroit que se trouve la bouteille d'alcool qu'il a ouverte la veille. Il a besoin d'un verre.
Il se sert, en remplit un second avant de le poser sur le meuble en merisier.
-Alors tu l'as fait ? Me suivre à la fac pour connaître mon adresse. Il y a moins de trente minutes on m'envoie un message pour savoir si je connais une sauterelle qui s’appelle Scipion. Une sauterelle, même pas un glouton. Tu aurais pu lui dire qu'il se trompait d'animal. J'ai l'air de tenir une succursale de l'armée du salut ?
Bon. Il ne crie pas. Mais le résultat est le même. Sa voix est plus grondement que douceur au fil des mots qu'il crache.
Il n'est pas en colère. Juste déçu et beaucoup trop heureux à la fois.
️️clever love.
Dernière édition par Tobias Rapier le Ven 10 Juil 2020 - 23:46, édité 2 fois
Oui, c'est une esquive, parfaitement : la parade dite de la Dignité Offensée, on choisit un mot au hasard et on rebondit dessus comme sur un trampoline, pour éviter les aiguilles hérissées de l'animal timide. D'abord, Scipion croit que c'est la surprise qui le fait réagir ainsi. Bouille boudeuse, regard noir et critique, et ce plaid qui ressemble étrangement à celui dans lequel il s'enroule pour regarder des films sur son vieux lecteur VHS. C'est drôle, maintenant qu'il le voit dans cet accoutrement, ça semble soudain logique. Il aurait dû se douter. Et il n'est pas facile de cesser de sourire. Quoi, encore un verre de whisky ? Mais tout le monde lui offre un verre de whisky ce soir. Il doit faire quelque chose de bien, pour s'attirer toutes ces récompenses. Il faut trouver ce que c'est, et persister.
Mais si la récompense pouvait prendre une autre forme, ce serait chouette. Ces breuvages râpeux et visqueux, on s'en lasse. Il ne dirait pas non à plus sucré. S'il est encore là pour le café tout à l'heure, il lui montrera comment l'épicer comme un gâteau de Noël.
"Et ne fais pas ton air de prof, ça ne te va pas. Tu es un gentil. Tu as une voix douce. Ça me fait plaisir de t'entendre. C'est mieux comme ça qu'au téléphone, tu avais raison," insinue finement le coyote en se cachant un instant derrière son verre. Teintes luisantes qui se mêlent à celle de son regard, un instant déformé par le passage de la loupe carrée. Malicieux et soulagé. Il a mis une patte dans la place forte et on ne l'en chassera plus, il suffit de se conduire exactement comme il faut : juste assez mal pour rester intéressant, juste assez bien pour qu'on ne lui en veuille pas.
"Tu sais quoi, je ne supporte pas les gens qui gueulent. C'est intrusif. Tes bonnes manières, c'est charmant, je ne dis pas ça pour me moquer. Je ne savais pas qu'il y avait des mecs qui s'en font un point d'honneur. J'aime bien. - Oh, oui, pardon, les explications."
Décrocher son manteau peut servir d'explication en soi. Ses vêtements sont toujours en aussi mauvais état et aussi tachés de sang qu'à son départ de la "fête". Et si on a téléphoné... bon, en vrai il sait tout, c'est ça ? Pourquoi lui proposer de donner sa propre version ? Le padrino raconte sûrement très bien. C'est pas la fac qui a téléphoné il y a trente minute, ils dorment là-bas. Les archivistes se sont rangés dans leurs sarcophages pour la nuit, bien protégés des rayons de la lune...
"Reprenons depuis le début. Je me suis dit, peut-être que tu n'aimes pas ma roulotte. Quand tu l'as vue, tu es parti. Qu'à cela ne tienne. Je parlais d'agrandir, depuis un moment, depuis toujours en fait. Je suis allé expliquer à un monsieur très bien que j'ai besoin d'un investissement. Voilà toute l'histoire. Et comme il y avait un bal... j'ai participé un peu, pour montrer que je suis un bon citoyen intégré, tu vois ?"
Ses doigts dessinent les déplacements d'un petit bonhomme qui danse, sur la surface du bureau. Oups ! De petites taches rougeâtres marquent le passage du petit bonhomme. Vite fait, Scipion trempe son mouchoir dans son verre et essuie les petites taches. Voilà voilà, personne n'a rien vu. Il est toujours nerveux, ça ne passe pas, il faudrait pourtant qu'il arrive à retomber sur ses pattes.
Quelque chose lui dit que la petite fille va le détester dès qu'elle posera son regard sur lui. Concurrence déloyale. Bien sûr, le prof doit protéger sa petite avant tout. Il va renvoyer la vilaine bête dans les bois. C'est inévitable et il faudra montrer patte blanche jusqu'à ce que l'horrible petit tyran consente à sa présence. Et après, ce sera pire. Elle viendra lui baver dessus. Les petits enfants ont une manière d'être animaux que Scipion a tendance à fuir. D'ailleurs, il ne sait pas comment les tenir. Il les casserait. Huit mois, c'est ça ? Qu'est-ce qu'on fait d'intéressant à huit mois ? Il ne pourrait même pas lui refiler un pantin pour qu'elle se désintéresse de lui. Elle s'étranglerait au milieu des fils.
Actuellement, la menace est endormie dans son antre, mais elle finira bien par se réveiller. Les bébés font ça en pleine nuit, il paraît. Sale petite épée de Damoclès.
"Eeeet..." Quoi, il s'est assez expliqué ? Non ? Pas encore ? "Le bal étant ce qu'il était... Un peu compétitif. Disons que j'ai presque gagné. Presque, mais pas vraiment. C'était une formalité, ça ne fait pas si mal que ça, et ça m'amuse. Je ne viens pas pour que tu me soignes. Je viens pour..."
Ah. Alors, oui, cette phase du discours. Il avait prévu quelque chose pourtant. Son crâne est vide, lisse comme ce verre qu'il tourne entre ses doigts en le couvrant de son ADN. Si le prof veut l'envoyer en taule, il peut. On l'a sans doute vu rôder à la fac, et maintenant son ADN sur ses effets personnels. Est-ce que ça compte comme criminel, déjà, ce qu'il fait en le suivant ainsi à la trace ? Oui, ça pourrait. On ne peut pas vraiment dire qu'il y ait été encouragé. C'est une initiative personnelle.
"...la roulotte je ne sais pas... Peut-être que je vais la revendre... ça dépend de beaucoup de choses. J'y ai vécu, j'y suis attaché."
La mine coupable, il baisse le nez et se décompose un instant, lâchant le masque de saltimbanque fanfaron. Il n'est quand même pas en train de s'excuser. Il en est fier, non ? Toute sa vie jusqu'à maintenant, c'est quand même quelque chose qu'on peut brandir comme un flambeau, quelle que soit l'incompréhension en face. Mais il préférerait que le prof comprenne. C'est son job, non ? Comprendre.
"Ah, et désolé pour les taches. Je cicatrise le plus vite possible, promis."
Voilà, pour ça il peut s'excuser, et ça le défoulera de ce besoin bizarre. Jolie petite baraque bien arrangée, comme il avait imaginé. D'ailleurs, il n'en aurait pas fallu beaucoup pour l'impressionner. Depuis quand n'est-il pas entré dans un appartement enraciné dans la terre ? Dix ans, quinze ans ? Il ne se rappelait plus de cette impression de château-fort, plutôt de navires craquant dans la tempête par tous les bouts. Ici, ça semble solide. C'est l'occupant des lieux qui dégage cette impression, la même qu'il lui a faite à son entrée dans la salle de cinéma. Lui, si il veut me virer, il est de force à le faire. Même sans crier. Même sans lever la main. Une sorte d'autorité que le coyote reconnaît pour une fois, quasiment par caprice.
Scipion fuit le regard noir et se concentre sur l'atmosphère de la pièce. Pas besoin de dévisager quelqu'un pour savoir ce qu'il pense. C'est presque une question d'odeur. Disons, de ressenti. Ils ont déjà passé quatre heures ensemble, mine de rien. Leurs langages corporels ont déjà dansé cette valse. Eh bien, plus rien à ajouter, Votre Honneur.
"Voilà, c'est tout. Je voulais juste te dire ça. Voir si tu es content. Sinon, pas grave, je trouverai autre chose ! C'est pas les idées qui manquent ! Tu... tu veux que je te laisse bosser ?"
Un signe hésitant en direction de la table. Comment il bosse, bonne question. Il l'imagine un peu comme un mage dans sa tour, un télescope à la main, des rouleaux de parchemin répandus autour de lui, peut-être une boule de cristal pour lui suggérer la note la plus appropriée et l'appréciation la plus nuancée. Mais dans tous les cas, il a besoin de concentration.
Scipion n'a pas envie de partir si vite, juste de lui laisser son espace vital. Peut-être attendre dans l'entrée, en observant la déco, en buvant son verre. Est-ce que ça se fait ? Il n'a pas cherché à lui serrer la main ou autre manifestation expansive de leurs retrouvailles. Il a enregistré que ça ne lui plaisait pas. Pas de contacts directs. C'est facile à respecter comme tradition, et la distance n'a jamais empêché l'électricité de voyager, demandez à la foudre.
Tobias Rapier
Brumes du Passé : Humain Meute & Clan : Rapier's Familly Âge du personnage : 45 ans
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Il aurait pu lui demander d'être expéditif dans ses explications. Il aurait dû le faire. Mais par crainte de le voir quitter les lieux aussi rapidement qu'il avait fait son entrée dans le paysage tranquille de sa vie, il ne l'a pas fait. Et c'est sans surprise que Scipion lâche un flot d'informations qui peuvent paraître sans queue ni tête. Tobias prend sur lui, ne le coupe pas dans son élan. Il veut savoir. Ce message qu'il a envoyé à Alessandro ne voulait pas dire grand chose pour celui qui ne connait rien de leur petite affaire. Juste assez de mots pour faire comprendre qu'il ne faut pas toucher au forain sans craindre une possible vengeance britannique, pas trop non plus. Pour que le professeur ne soit pas forcé d'afficher ses faiblesses. Son appendice nasal se froisse autant que son ego quand au détour d'une phrase, entre une virgule et un point, Scipion souligne le fait que son message n'ait jamais eu d'appel en retour. Puis la conversation reprend avant d'avoir eu le temps de glisser sur la pente dangereuse des reproches.
Le pitre ensanglanté essaie de noyer le poisson mais l'animal qui lui fait face est trop retord pour accepter de perdre cette lutte aussi facilement. Tobias ne crie pas, ne dit rien. Ses doigts se referment autour de son verre tandis que ceux de cet étrange hurluberlu dont il ne sait encore quoi penser dansent sur le bureau, laissent des marques rougeâtres sur le vernis qui protège le bois. L'anglais soupire, ferme les yeux pour ne pas voir ce désastre.
Fête, bal. C'est donc pire que ce qu'il pensait. À l'entente du mot investissement Tobias découvre toute l'ampleur de cette situation qui ne peut tendre qu'à devenir un désastre. Une histoire triste dont personne ne veut. Personne n'irait payer pour avoir le droit de voir une telle débâcle sur grand écran. La fin est connue avant même la diffusion de la conclusion du prologue. Le regard de l'anglais se fait plus noir encore quand il porte son verre à ses lèvres, lorsque le contenu de ce dernier glisse dans sa bouche. Ça ne l'aidera pas à mieux réfléchir, cela ne changera rien à ce qui a déjà été fait. Doit-il appeler Alessandro pour lui dire que Scipion n'est qu'un fou mangeur de cookies à ses heures perdues ? Cela suffirait-il à annuler tout ce qui a pu être décidé entre ces deux là ? Il ne se mêle que peu des affaires de cette famille dont son ami tient les rênes. Il est une gâchette de secours, un tueur sans réelles attaches avec cette organisation qui se fait un plaisir de se salir les mains pour rendre service lorsque les méthodes habituelles ne suffisent plus. Gueuler un coup, faire un croche patte à ce plan qu'il devine déjà mauvais... Montrer qu'il tient à ce nigaud plus qu'il n'est capable de se l'avouer lui même. Le cœur ne doit pas interagir avec les affaires de la raison. Ce serait aborder les prémices de la fin.
Conjonction qui s'allonge. La sottise tombe, ne manque plus que la sanction. Ce soir les heures de colle ne sont plus d'actualité et Scipion est trop vieux pour mériter une fessée.
Fessée qu'il a déjà prise de toute manière. Tobias lorgne sur sa bouteille encore à moitié pleine. Comment peut-il parvenir à réduire sa consommation alors que la vie semble prendre un malin plaisir à mettre des imprévus ingérables sur sa voie ?
-Et donc... Tu as fait quelque chose de stupide et tu voulais seulement venir m'en parler ? Te vanter ? Tu ne me semble pourtant pas être de ce genre là. Les félicitations c'est pour les gens qui leur donnent de l'importance et qui les méritent. Je ne vais pas applaudir car tu mets ta vie en danger et que tu vends ton âme pour quelques dollars.
Il ne comprend plus rien et Tobias déteste ça. Ne pas comprendre, ne pas parvenir à donner un sens au monde qui l'entoure. C'est comme si on remettait son intelligence qu'il sait certaine en doute. Il ne veut pas croire que sa cervelle puisse s'émousser au fil des années qui se suivent pour se ressembler inlassablement si on fait exception de celle qui vient de s'écouler. Il baisse les yeux, caresse son arête nasale entre deux de ses doigts. Serre fermement, trop. C'est douloureux mais ça canalise ses pensées sur autre chose que la diarrhée verbale qui vient d'atteindre l'inconscient qui réveille en lui des sentiments aussi honteux que naïfs.
-Tu n'es pas Superman. Tu ne cicatriseras pas comme ça. Ne me prend pas pour un imbécile ça va finir par m'énerver.
Certains le font mais ils n'ont rien d'humain. Ce sont les autres, sources de cauchemar et de terreur récurrente chez le britannique.C'est par un de ceux là que sa vie s'est brisée il y a seize ans et même si à présent son quotidien tourne autour d'eux, cela ne rend pas les choses plus aisées. Entre être ami avec un loup et sentir son cœur se fendre pour l'un deux, c'est tout un monde qui se joue. Ça l'énerve déjà. Mais il laisse une chance à l'autre. Un avertissement avant que sa patience ne se brise. Déjà il l'a perçoit, cette limite qui se fait plus proche à chaque seconde qui s'écoule. La prochaine mauvaise surprise sera aussi celle de trop.
Tobias se réveille quand des mots mettent son cœur en éveil. Lui aussi est content de le voir, il voudrait parvenir à lui dire sans avoir peur des conséquences. Ce serait si simple, ouvrir la bouche et prononcer quelques mots que tout le monde connaît. Mais les mots, surtout ceux qu'on murmure, ceux qu'on susurre sont les ennemis du professeur de littérature.
Lèvres résolument closes, il pose ses yeux fatigués sur son bureau. Pas mal de copies sont encore en attente, il faut dire que ce matin il en a récupéré une liasse avec chaque classe. Un chant de Noël. Il a fait ouvrir ce classique connu de tous, réinterprété mille fois parce que cette histoire fait rêver le consommateur, à des gamins qui pensent à demain sans vouloir vivre plus longtemps leur présent tout en regrettant déjà le passé. Incapables de comprendre que l'enfance est la chose la plus douce que l'on puisse vivre. L'âge de l'insouciance. Ce soir Tobias aimerait avoir cet âge. Vivre aujourd'hui comme si demain n'existait pas. Sans crainte des conséquences.
-Je travaillerais plus tard. J'ai tout le temps pour finir ces classes.
Des enfants qui ne comprennent rien à Dickens. Qui ne veulent même pas venir en cours. Ce soir est dévoué à la révolution, demain il aura tout le temps pour être un adulte dévoué à sa tâche.
-Tu es là. J'ai mieux à faire.
Aveux de faiblesse dans son plus simple appareil. Les yeux noirs de l'anglais peinent à se détacher du spectacle qui lui offre son visiteur imprévu. Las il se permet un soupir. Puis lance les hostilités tout en tachant de se préparer à une éventuelle rébellion.
-Tu ne peux pas rester dans cet état. Cette fête n'est pas fréquentée par des gens charmants et je sais ce qui se passe sur cette piste de danse. Je vais te couler un bain. Et trouver des vêtements qui seront peut être à ta taille.
Des actes simples pour faire durer l'instant. Sa baignoire est presque devenue un refuge pour les bras cassés qui tentent leur chance sur le ring d'Alessandro. À croire qu'il est effectivement celui qu'on va voir en cas de besoin, quand les choses vont mal et qu'il faut un peu de force pour supporter les conséquences des sottises commises dans la folie de l'instant. Quand Scipion sera propre, quand l'utile qui ce soir est futile sera relégué aux oubliettes il sera temps de parler des choses qui fâchent.
-Je n'ai ni bougies ni pétales de roses à te proposer. Juste un décrassage et de la pommade à l'arnica.
[...]
Il a mit la main sur un maillot de corps blanc qui sur lui est des plus moulants. Avec un boxer cela devrait faire l'affaire. Il cogne à la porte de la salle de bain. L'eau a cessé de couler. Il n'aura aucun mal à se faire entendre.
-Scipion. J'ai trouvé des vêtements. Les tiens sont dans la machine à laver.
Il se laisse tomber au sol, s'affaisse dos contre la porte pour mieux reprendre.
-Alessandro n'est pas quelqu'un de gentil. Il ne fait pas dans la charité. Tout ce qu'il te prêtera devra être remboursé. C'est même plus de la bêtise à ce stade ! Même plus de l'inconscience ! Et je n'ai pas compris pourquoi tu parles de revendre ta roulotte. C'est chez toi ! Ta façon de vivre. Tu es né dans une foire, tu en étais si fier quand tu me l'as annoncé. Alors dis moi pourquoi ça devrait changer ? Ce n'est pas pour ça que je suis parti l'autre soir.
Coup dans la porte quand de l'autre côté seul le silence lui répond. -Même si c'était le cas ! Je suis rien, je ne devrais pas être une donnée qui pourrait influencer tes choix. Je suis pas quelqu'un de gentil. Mais étrangement tu m'aimes bien. C'est parce que je voulais que ça dure que je n'ai pas appelé. Je tue les gens qui entrent dans ma vie. Si je t'en refuse l'accès tu échappes à cette fatalité.
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Dernière édition par Tobias Rapier le Dim 12 Juil 2020 - 23:52, édité 2 fois
Il y a bien un baquet dans la roulotte, rempli actuellement de matériel divers et varié parce que son propriétaire n'en a pas l'usage. Demain, il viderait le matériel sur son lit, poserait le baquet sous le robinet de l'arrivée d'eau, au bout du terrain, et attendrait que l'eau coule assez haut. Il le traînerait à nouveau jusqu'à l'auvent de sa roulotte, et là-dessous, en toute discrétion ou presque, il prenait son bain. Une fois propre, sec et rhabillé, il traînait à nouveau le baquet et le vidait par la grille que l'on trouvait généralement sous l'arrivée d'eau, et de là, il espérait que le contenu trouverait sa route sans lui. C'était un processus légèrement agaçant, nécessaire pour garder des cheveux présentables. Mais c'était mieux qu'une douche d'hôtel. Chacun sa vision du confort.
En ce moment, le confort consiste à baisser les yeux et à se faire verbalement tirer les oreilles. Riposter, hausser le ton, se justifier, ce serait ridicule, alors que cette engueulade et ce nettoyage imposé, ce regard de reproche et ces murs rigides, étaient soudain plus confortables que le cocon d'une chenille. Et l'eau du bain s'avéra de même. De l'eau chaude, des produits parfumés, et des mains qui lui arrangeaient tout ça, agitées comme celles d'une gouvernante ; il avait parié qu'il y en avait une ici, il ne s'était pas trompé. En regardant Tobias s'affairer, il eut un aperçu accidentel et éphémère du fait qu'il ne portait pas de kilt là-dessous, à moins que son imagination ne lui ait joué des tours. Bref, là n'était pas la question. Il se sentait... agréablement contrit. Une drôle d'impression, qu'il connaissait, mais ça remontait à deux décennies.
Puis il arrêta de fixer le maître des lieux comme s'il attendait un sucre, et se détourna pour se défaire de ses vêtements, qu'il lui confia sans faire d'histoires ; ils étaient dans un tel état qu'il n'aurait pas forcément l'énergie de les recoudre cette fois. Peut-être qu'il achèverait de les déchirer, pour en faire des tenues pour les pantins du spectacle ? Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.
Une fois seul, il eut tôt fait de disparaître sous la surface, totalement, visage compris, et de vérifier combien de temps il arrivait à retenir son souffle. Puis il se lança dans l'étude des produits de bain étalés sur l'étagère. On pouvait apprendre beaucoup sur quelqu'un, en lisant les mentions sur ce genre de flacons. Ses parfums préférés, ses allergies, ses petits soucis de santé, ses inquiétudes, ses espoirs. Il se frictionna énergiquement avec quelque chose de mousseux, démêla ses cheveux où des caillots commençaient à se former, palpa ses articulations osseuses pour tenter de trouver les dernières torsions résistantes, et se trouva en parfait état de marche. Il n'avait pas pris une si vilaine raclée ; il était assez élastique pour en traverser de pires.
La voix dehors l'immobilise aussitôt. Il a de la mousse sur le crâne, qui lui coule lentement dans les yeux. Machinalement, il hoche la tête alors qu'on ne peut pas le voir, se frotte les yeux de ses poings savonneux, s'immerge à nouveau rapidement pour chasser le picotement qui l'aveugle. Le hérisson boude toujours. Il traite de tous les noms ce bouquet de roses qu'on vient lui offrir sur un plateau. Ça ne lui plaît pas, pourquoi ? Il a peur. Il y a une grande main qui s'approche de lui et ça le crispe, il se roule en boule mais la menace refuse de s'éloigner. Apparemment, plus Scipion tentera d'être aimable et plus ça va l'inquiéter. Alors que faire ?
C'est un type marrant, il s'obstine à le penser. Mais ce n'est pas un type simple. Il se rend malade pour rien. Bah... Scipion qui vient de se faire démolir pour rien n'a pas de leçons à lui donner. Le masochisme, c'est une affaire personnelle. Une affaire de démons personnels, plutôt, parce que le Niglo de Thornfield n'a pas l'air heureux comme ça. Il aimerait mieux vivre autrement, c'est évident. Il y a presque un appel à l'aide dans sa colère.
"Revendre, c'est pour rembourser. Je sais ce que c'est qu'un retour d'investissement, je suis un boulet désocialisé mais pas à ce point. Cela dit, si tu veux me tuer, ça résoudra la question."
La réplique est insouciante, le coyote ne pense pas avoir affaire à un chasseur ; pas à quelqu'un qui a envie de lui dérober sa vie pour le plaisir, en tout cas. Un petit coup de pomme de douche sur le crâne, et il sort en vacillant de la vasque de céramique glissante, cherchant des yeux de quoi s'essuyer. Il ne sème plus de traces de psychopathe derrière lui, ce n'est pas pour créer maintenant une inondation. Pas de sèche-cheveux, évidemment. Monsieur n'a pas besoin de ça. Il faut tordre la masse capillaire récalcitrante au-dessus de la vasque ; et c'est reparti pour le démêlage. Bon. Il s'estime assez sec pour se rhabiller, commençons par ça. Et pour en arriver là, il faut ouvrir la porte. Toc toc toc... Il ne va pas rester prisonnier ! "Je t'avais dit que je cicatriserais. C'étaient de toutes petites coupures. Je les ai rouvertes en courant."
Dès qu'il est libre de franchir le seuil, il montre ses mains, son menton, les marbrures de ses côtes. On ne voit pas grand-chose, l'encre prend toute la place, c'est ce qu'il veut dire : il est guéri. C'est ça "guéri" : c'est quand les tatouages cachent ce qui a pu compliquer la vie à une époque antérieure. Puis il s'empare des vêtements dans les mains du professeur, les secoue par réflexe et les enfile rapidement. Ce serait malpoli de rester nu. Tout aussi malpoli de piquer son plaid à son interlocuteur, et qui sait ce qui pourrait se passer ensuite.
"Peut-être que je suis Superman. T'as jamais vu Superman et moi dans la même pièce, pas vrai ? Et t'en fais pas pour le reste. C'est loin. Moi, pour le moment, je suis là." Ses grands bras d'épouvantail ou d'araignée dessinent leur vaste envergure, puis il les croise d'un air de défi. "J'y suis, j'y reste. Et tu n'as pas envie de me chasser, alors ne te force pas. Mon totem le coyote me protège. Va bosser maintenant ! Je vais m'amuser dans ta cuisine, on va fêter ça."
Demain, l'un devra aller au travail, l'autre arranger son lieu de travail en parfaite condition pour une inspection mafieuse qui décidera de la suite des événements, ils seront trop occupés pour continuer leur conversation. Mais en échange d'un bain sans autres pétales de rose que ceux semés par ses plaies, Scipion peut bien laisser quelques cookies comme preuve de son passage. La dernière fois, il l'a apprivoisé comme ça. Il peut encore essayer.
Son regard brille de quelque chose qui flotte à mi-chemin entre supplication et malice, son épaule prend appui sur le mur, il a presque l'air d'avoir toujours habité ici. En parlant de démons ; les démons familiers d'un lieu peuvent bien prendre corps, au bout d'un moment. Si vraiment une telle peur serre le coeur du Niglo solitaire, il était naturel qu'un jour les ombres de sa demeure se matérialisent sous la forme d'un étrange ami imaginaire, de force à donner la réplique à cette peur. Le saltimbanque espère juste qu'il a l'étoffe pour le rôle. C'est un premier essai. Celui-là, il ne l'avait pas encore joué.
Tobias Rapier
Brumes du Passé : Humain Meute & Clan : Rapier's Familly Âge du personnage : 45 ans
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Celui qui baigne dans sa propre crasse ne comprend pas. S'entête comme si toutes les questions existentielles qui fourmillent dans l'esprit du professeur pouvaient ce soir trouver une réponse. Comme si Scipion lui même était une réponse universelle qui permettrait à l'anglais de voir le passé non comme une fatalité pour l'avenir, mais uniquement comme une longue liste d'erreurs à ne plus reproduire. On apprend par ses échecs, sans eux la réussite n'a aucun sens. Aucune saveur. Mais la vie a jusqu'ici été plus que dure avec l'anglais, lui a fait payer trop cher des erreurs qu'il n'a pas encore comprit. Vouloir être heureux, croire y parvenir, toucher une la fin joyeuse du bout des doigts pour mieux tout perdre. C'est lassant. Désespérant. Comme si la destinée s’acharnait toujours sur le même joueur. Filez à la case dépression sans passer par la case départ. N'oubliez pas de toucher les vingt mille.
Change pour insouciant entre les mains, il reste assit à même le sol. Oreille tendue pour capter tout les signaux de vie qui peuvent lui parvenir. Il est là, chez lui. N'est plus une simple voix sur un répondeur. Comme un drogué le professeur s'accrochait à cette mélodie du bonheur. S'attendant à beaucoup de choses, mais pas à ce qui vient de se passer. L'eau remue, s'écoule par la bonde pour filer rejoindre les égouts. Le cœur du tueur se froisse. Si tout s'arrêtait là, si en sortant de cette pièce son invité voulait prendre la poudre d'escampette ce serait dur. Pire que l'autre soir. Certes les larmes ont séché, mais qui sait combien de temps elles pourraient mettre avant de refaire leur apparition. Ça cogne derrière la porte, demande une permission. Tobias se redresse si vite qu'il manque de faire choir le plaid qui couvre ce qui doit être caché. Il retient la couverture, ouvre de manière précipitée. Ravale un sourire fourbe qui vient de tenter de faire son apparition face à ce spectacle qui s'offre à son regard d'homme.
En effet Scipion semble aller mieux, il a récupéré rapidement. Trop souffle la voix de la prudence dans l'esprit du chasseur qui se demande s'il n'a pas fait entrer une proie dans sa vie. Son regard noir glisse, nage entre les tatouages, cherche la faille et inconsciemment s'attarde sur certains endroits. Il matte sans honte et sans vergogne. Maigre, cela reste une certitude. Mais la vue est loin d'être déplaisante. C'est l'intriguant qui lui prend les vêtements des mains, qui les secoue avant de les enfiler sans perdre de temps. La bouche du professeur est bée, son regard se fait plus froid lorsque la suite se fait entendre.
Déplaisante. Ce n'est plus du doute à ce stade. Ce serait un bon prétexte pour mettre fin à tout cela. Un coyote pour totem, une cicatrisation trop rapide pour ne pas attirer son attention. Des mots maladroits qui seraient une blague dans un autre endroit mais qui dans ce contexte, dans cette ville peuvent vouloir dire tout autre chose. Lèvres closes Tobias fixe celui qui n'est pas Superman.
Une raison pour mettre fin à tout cela si les choses devenaient trop sérieuses. Trop douloureuses pour qu'il parvienne à en conserver la maîtrise. Il se fait outré malgré lui quand on lui ordonne de retourner travailler. Il se voudrait capricieux en cet instant, comme un enfant mal élevé qui se roulerait au sol pour que le monde tourne dans le sens qui lui sied.
-Il me reste juste une classe à faire. J'ai récupéré ces copies ce matin et je ne revoie pas ces élèves avant vendredi. J'ai du temps devant moi.
L'art de la procrastination n'est pas celui où le britannique se fait le plus brillant. Disons qu'il manque de pratique. La fin de la semaine approche et avec elle les congés vont faire leur apparition. Un peu de repos, de temps pour profiter de sa fille. Il faut aussi qu'il achève de préparer son voyage en Angleterre. Pour le début des congés d'été. Des années qu'il n'a pas assisté à une réunion de famille et il ressent toute la pression qui accompagne cet événement. Il a malgré lui peur des dérapages, des réactions. Ils vont parler de Maryssa et de Charles, il en est certain. Et de Wesley aussi. Logique puisqu'ils auraient du s'y rendre ensemble. Mais le libraire a quitté le monde des vivants. Un bref instant, quelques secondes seulement c'est ce qu'il faut à Tobias pour imaginer la réactions des siens s'il emmenait Scipion avec lui. Scipion qui file déjà dans la cuisine. Ce serait du grand spectacle.
-Scipion ! Tu écoutes quand je te parle au moins ?
Pas de réponse. Il lève les yeux au plafond, se refuse à hausser la voix. Alice dort mieux depuis quelques nuits et son père ne veut pas prendre le risque de la voir se réveiller de façon prématurée à cause de lui. Dernier regard vers les pièces de vie, il entend déjà des placards s'ouvrir. Tobias espère que Scipion ne fera pas de mauvaises découvertes car dans cet appartement parfois on tombe sur de drôles de choses. Le lieu de repos du tueur, sa cabane de chasse moderne. Balles à l'aconit au fond d'un placard, entre le blender et les assiettes à dessert. Dagues rangées dans le tiroir à couverts. Il reçoit peu et depuis que Wesley n'est plus là, il ne cherche plus à dissimuler qu'entre ces murs, c'est la mort qui vit.
Puis il obéit, file dans son bureau. Stylo rouge fermement serré entre les doigts, il cherche la bonne copie. Un peu d'excellence perdue au milieu de toutes ces inepties. Même si avec cette classe, il doute de pouvoir tomber sur un papier digne d'un génie. Le travail demandé était pourtant simple, comme si avant d'annoncer son départ loin du lycée il voulait s'éviter toute fatigue inutile.
Esther Richter. 17 de moyenne dans son cours. La voilà sa bonne élève. Tobias attrape la copie double, parcourt ce qu'on lui conte, pointe de stylo déjà prête à signifier la faute. Erreur d'accord, il entoure sans prendre la peine de donner la bonne réponse pour autant. Ce serait trop simple. On apprend de ses échecs, Voilà à présent que deux paragraphes plus bas il raye trois lignes d'un coup. Ajoute sa justification dans la marge.
"Sottise. Lisez les consignes et suivez les."
Sans s'attarder plus longtemps sur cet instant, il continue sa lecture. Une de faite sur presque trente. Se sentant l'âme d'un forçat, il tend la main vers la suivante. C'est le début des grandes désillusions. Raturer, annoter, noter. Routine de l'esprit mais souffrance pour ses nerfs. Et quand une bonne odeur lui parvient en provenance de la cuisine il ne tient plus. Range ses crayons, pose les copies en tas sur son bureau. Il se lève, attrape les verres, vide celui de Scipion sans sourciller avant de filer de rejoindre.
-Je ne veux plus travailler ! C'est injuste que tu me demandes de le faire alors que tu es là, chez moi. Je ne suis plus un enfant. Et ce n'est pas moi qui ai fait une bêtise, ce n'est donc pas à moi d'être puni.
La rébellion dans son plus simple appareil. Il n'a pas envie de se plier à des règles qui ne sont pas les siennes, surtout quand il est sur son propre territoire. C'est presque là une insulte à son intelligence que de le mettre ainsi dans le rôle d'un grand enfant qui a besoin qu'on lui dise quoi faire de ses dix doigts. Il agit en adulte mature, passe près de Scipion. Son regard glisse à peine sur les fesses de ce dernier quand ils se frôlent. Il rince les verres, les place dans le lave vaisselle. Ses doigts parcourent le plan de travail, mesquins et enfantins. Presque provocateurs. Puis terminent leur course dans le saladier où réside des restes de pâte à cookie. Il aurait tant à lui dire, tant à la lui demander. Il pourrait faire revenir en force le sujet coyote sur le tapis mais ne veut pas gâcher l'instant. Innocemment il demande.
-Tu restes ici cette nuit ? Je peux prendre le canapé et te laisser mon lit si c'est ce que tu préfères. Alice fait ses nuits maintenant et je commence à dix heures à la fac demain. Je dois juste emmener la petite chez sa nourrice et passer au lycée avant. Je pourrais te déposer.
Il esquive un coup de cuillère en bois, vole un peu plus de cookies en devenir.
-Je peux aussi t'aider avec Alessandro. Enfin sur le point financier, si ça devient ingérable. L'ingérable est fatal dans un cas comme ça. Je serais peiné qu'il t'arrive quelque chose.
Il baisse les yeux cette fois.
-C'est pour éviter ça que je ne t'ai pas appelé. Mon ami est mort il y a peu de temps. Sans que je n'y sois pour quelque chose. J'ai été mal, je suis parvenu à tenir pour la petite. Je tiens pour elle. Parce qu'elle mérite mieux qu'un homme instable comme papa. L'autre soir, je n'étais pas bien. Ce n'est pas pour l'amour du cinéma que je suis allé me planquer quatre heures dans une salle noire. Puis tu étais là et c'est comme-ci... Autant t'avouer que je n'étais pas non plus au mieux de ma forme quand je suis rentré chez moi.
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Dernière édition par Tobias Rapier le Jeu 16 Juil 2020 - 19:11, édité 1 fois
Bien sûr que Scipion écoute, il a l'ouïe fine, il n'a pas besoin d'être dans la même pièce pour savoir ce qu'on lui dit. Tobias a une voix douce, méchante quand il veut, quand on le mérite, mais qui ne s'élève pas outre mesure, une voix parfaite pour son audition sensible. Pas besoin de mettre de la musique en fond. Et puis, il peut toujours chantonner en cuisinant. Et puis... il se doutait bien que Tobias ne résisterait pas longtemps à venir vérifier qu'il est toujours là. Il semble croire que son invité surprise s'éclipse comme un fantôme, et ça s'explique rapidement quand il commence enfin à se confier clairement.
Oui, il est plus habitué aux fantômes qu'aux vrais câlins, le pauvre, et les fantômes ne lui font pas de cookies. C'est tout de même rassurant de savoir qu'il ne veut pas vraiment le tuer. Ça n'aurait pas été si étonnant d'apprendre qu'il avait quelques corps enterrés sous son jardin, celui-là. Ça n'aurait pas changé son opinion.
Scipion n'est pas raisonnable, il ne fuit pas les tueurs et n'a pas de véritable réaction de rejet à leur égard, peut-être parce qu'il en a trop côtoyé dans les films où c'est monnaie courante ; peut-être parce qu'il est fondamentalement une sale bête lui-même. Un coyote reste un prédateur dans l'âme ; opportuniste certes, mais jamais les pattes tout à fait blanches, en creusant bien. Et s'il en est un qui assume sa nature à fond, c'est bien celui qui regarde le professeur faire l'école buissonnière, envahir sa zone de travail, et voler de la pâte crue.
Comment pourrait-on avoir peur de cet homme-là. Ça n'a aucun sens.
"Tu sens le whisky, Niglo."
C'est facile d'être familier. C'est tout naturel. Les mots qui viennent d'être prononcés sont tristes. Et maintenant il sent le sucre, dont il vient de tacher ses doigts et son museau. Tout ça mériterait un coup de langue. Après avoir paru l'ignorer, sourcils froncés comme ils ne le sont chez lui que lorsqu'il bricole, Scipion laisse enfin les cookies reposer dans leur lit de chaleur ; il se tourne vers celui qui l'a invité sans le vouloir, et se retrouve nez à nez. Son sourire se fait un peu pensif, ses bras entourent impulsivement les épaules enveloppées de tissu inutile. Les muscles et la chair sont là, juste sous la peau, vibrants de vie et à peine masqués ; tendus, ça mériterait un massage, tout à l'heure.
"Je n'ai pas besoin d'aide, j'ai besoin de sourires. Si tu veux vraiment me faire plaisir, accroche-toi à la vie. J'ai des siècles de films magnifiques à regarder avec toi."
Un petit rire au creux de l'oreille, les canines très près de la peau, un pas en arrière... sans briser le contact. Retient-il la couverture ou envisage-t-il malicieusement de la faire tomber ? Non, l'instant n'est pas à la malice. Il est au sérieux, et il faut en profiter car ça ne durera pas. Le dandy de grand chemin n'a jamais su présenter des condoléances correctes, il ne tient pas suffisamment en place pour assister aux rituels appropriés ; oui, il prend la fuite, on peut le dire, et il n'en conçoit ni fierté ni honte, mais en ce moment il se sent un peu perdu. Ce n'est pas son environnement habituel ; il s'y débat mentalement comme un poisson hors de l'eau, maladroit et conscient de sa faiblesse dans cette matière. Que le professeur ne le juge pas trop cruellement. Le regard doré et provocateur s'est presque fait implorant pour l'occasion.
"Je suis désolé, pour ta solitude. Si mes bêtises te brusquent un peu, fais-moi les gros yeux et j'essaierai d'être sage."
Voilà, c'est ce qu'il peut faire de mieux. Ses mains à leur tour se dénouent et rendent sa liberté au maître des lieux. Il en a peut-être déjà trop fait. Son humeur légère cherche déjà à se manifester à nouveau, dans un déplacement rapide pour aller guetter comment se comportent les petits galets de pâte dans le four illuminé. C'est son grand plaisir, surveiller la nourriture qui prend forme, c'est une sorte de sculpture dont on peut profiter avec d'autres sens que la vue par la suite ; il ne les lâchera pas des yeux, jusqu'à ce qu'ils soient prêts, à l'américaine, à peine craquants en surface. A moins d'une distraction particulièrement importante. "Tu ne devrais pas dire que les gens méritent mieux que toi. Moi tu commences à te douter que je ne mérite pas grand-chose, ce n'est pas la question entre nous, et ta petite chenille je ne la connais pas, tu verras bien quand elle aura quinze ans et qu'elle te ramènera un copain à la maison... arrête le whisky d'ici là, c'est tout ; histoire de lui donner le bon exemple, parce que moi je ne le ferai pas."
Il va protester. Bien sûr qu'il va protester, ce ne serait que justice. Ils vont se chamailler comme deux vieux gamins qui se connaissent par coeur, et qui savent que les autres conclusions à tirer de ces quelques mots seraient trop intimidantes. Surtout pour le coyote qui n'a jamais été promené en laisse et qui frémirait qu'on lui réclame un engagement trop clair. Autant prendre la fuite verbalement, ça vaut toujours mieux que de le faire physiquement. Et vite, il nettoie la farine sur la table, avant que cet hôte enragé se mette en demeure de s'en acquitter lui-même. "Dis-moi ! Tu m'as fait la tête, quand je me suis rhabillé. Tu as l'habitude qu'on se promène tout nu chez toi ? Ça ne me coûtera pas cher, c'est ce que je fais naturellement. Mes soirées pyjama sont des soirées... peau. Dur de les faire dans deux pièces séparées, d'ailleurs ; mais je dormirai où tu me diras," ajoute-t-il en se composant une expression faussement docile, apprivoisée comme ne le sont que les bêtes sauvages. Le bon élève qui ne demande qu'à apprendre les coutumes locales d'un nouveau monde ; c'est pour mieux pouvoir les subvertir plus tard, mon enfant.
Tobias Rapier
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Son nez se fronce à l'entente de cette remarque. Il boit trop, il le sait. C'est comme un réflexe à présent, une sorte de pansement pour son âme. Une façon de vivre plus qu'un culte voué à l'alcool. Et puis il aime ça. Le monde est plus doux quand on a bu un verre de trop. Toutefois il ne rétorque rien car il n'y a tout simplement rien à dire sur le sujet. C'est son problème, un soucis qu'il a apprit à maîtriser depuis quelques mois. Il boit moins depuis son séjour à Eichen House, là bas on l'avait sevré totalement en le gavant de drogues diverses et variées pour lui faire oublier toutes ses autres addictions. Mais ces cachets sont pires encore. Ils lui dérobent sa raison, sa capacité à réagir. Pire même à réfléchir. Tobias se contente donc de baisser les yeux, il fixe ses doigts couverts de pâte à biscuit. Gourmand par nature il aime le sucre et les pâtisseries. Il vendrait l'âme de son voisin au diable pour un paquet de suçons au citron. Alors ces cookies et puis celui qui les prépare chez lui en cet instant c'est une véritable tentation à laquelle il serait déraisonnable d'essayer de résister.
L'anglais frémit malgré lui quand deux bras l'entourent. Ce corps si près du sien. Le tissu est maigre, à un tel point qu'il peut presque imaginer la chaleur de l'autre. C'est presque trop, si proche de l'intolérable pour celui qui fuit les autres comme la peste. Cette peur a un nom, il a si souvent entendu sa mère le prononcer quand il était enfant. Haptophobie. Comme pour excuser la différence de son petit garçon auprès des autres. Alors que ces gens n'avaient que faire de leur avis et des raisons qui poussaient Tobias à agir de cette manière. Les livres c'était plus simple, une tâche si aisée que de se glisser dans la peau d'un personnage bien ficelé créé bien longtemps avant notre naissance. Quand l'histoire devient trop dure, quand l'avenir se brise à cause d'une péripétie imprévue on se contente de tourner la page. Revenir au chapitre précédent. Encore et encore. Car avancer est douloureux, surtout lorsqu'on ne peut s'empêcher de craindre l'avenir.
Si la vie de Tobias avait été un livre, s'il avait eu le choix, il n'aurait jamais cessé d'avoir 28 ans.
Il ne bronche pas. Statue de glace figée au milieu de la cuisine il n'ose bouger. Pas même un frémissement, pas même un gémissement. Tout juste un souffle de vie qui lui échappe quand cette bouche se fait proche, trop sûrement. Ces lèvres rient, ces lèvres vivent. De la chaleur. L'anglais n'est pas d'une nature câline mais pour faire plaisir à l'autre il ne cherche pas à fuir cette étreinte qui n'en est pas vraiment une. Tobias laisse ses paupières se clore sur son regard un peu perdu. Il attend que ça cesse tout en craignant cette fatalité parce qu'il a peur de ce qui se passera quand tout cela aura prit fin. Scipion va bien s'en rendre compte à un moment ou un autre. C'est une mauvaise idée que de s'attacher à un homme qui sait se persuader que le pire est encore à venir. Avoir tout perdu ou presque à plusieurs reprises c'est comme un vaccin contre les maladies sentimentales. Moins on s’attache et moins on souffre. Logique simplette.
Quand le coyote s'éloigne l'anglais peine à retrouver contenance. Demeure figé quelques instants, incapable de trouver la bonne méthode à suivre. Elle doit bien exister. Chaque problème hérite de sa solution, tôt ou tard. Ce soir et depuis quelques jours, son problème mesure près d'un mètre quatre-vingt dix. Actuellement l'ennui sur pattes surveille du coin de l’œil ses petits tas de pâtes soigneusement couchés sur la plaque du four.
-Je bois depuis seize ans. Je pense pas être capable de beaucoup réduire ma consommation sur ce point avant les quinze ans d'Alice. J'essaie parfois et puis j'oublie.
Il ne cherche même pas à se trouver des excuses peu certain de pouvoir s'en découvrir même s'il cherchait longtemps. Les arguments d'alcooliques n'ont que peu de valeurs aux yeux de gens. Mais pour Tobias c'est comme-ci dans cet ambre liquide pouvait encore résider la clé de tout ses troubles. Un peu de légèreté et beaucoup d'oubli, c'est ce qu'il espère dégoter à chaque nouveau verre qu'il se sert. Et puis tout est question de cycle, de rituels. La goutte de bourbon dans le café au réveil, le verre qu'il dépose sur un coin de son piano quand il retrouve son âme d'artiste. La flasque dans la voiture pendant sa pause de midi, son tabouret au Pink, les quelques centilitres d'ivresse quand vient l'instant de corriger les sottises de ses élèves.
Tant de gestes à éviter, de manies à oublier. Un quotidien à réinventer en quelque sorte. Tobias peut changer de vie, il l'a fait il y a un peu plus d'un an en arrivant dans cette ville, visa de travail dans une main et valise dans l'autre. Les états-Unis, un drôle de pays où chacun peut parvenir à se créer un avenir doré s'il est capable de se le payer. Les autres on n'en parle peu, voir presque jamais. Si dans les faits divers parfois... Mais c'est tout. On ne s'attarde pas sur cette misère. Pas assez brillante par rapport au soleil qui baigne la Californie de ses rayons ardents. Tobias sourit quand Scipion lui fait comprendre qu'il a bien vu sa réaction un peu plus tôt devant la porte de la salle de bain. L'anglais se mord les lèvres, bien conscient d'avoir été là prit la main dans le sac ou plutôt les yeux au paquet. Il n'est pas certain d'avoir envie d'avouer ses failles, surtout celle-ci. Ce serait comme s'il écrivait voyeur sur une pancarte et qu'il se la passait autour du cou. Rien de très prestigieux, rien qui ne colle avec l'image d'homme sévère qui est la sienne.
Il se mord les lèvres pour ne pas rire quand le sujet de la nudité est abordé sans préambule. L'anglais n'est pas aussi pudique qu'il n'en a l'air. Et puis cette invitation à dormir avec lui. Une douce chaleur inonde les joues du professeur. Tobias fait un pas de côté, feint de s'intéresser de plus près à la cafetière. Il n'y a presque plus de dosettes, il va falloir qu'il songe à aller en racheter. Le silence s'installe et prend ses aises. Puis il redresse la tête et croise le regard de l'intriguant. Il paraît soudainement impossible d'échapper plus longtemps à cette discussion qui se profile et qui a même déjà commencé sans lui. Habituellement il ne chercherait pas à se justifier, garderait le silence jusqu'à ce que la lassitude fasse son apparition mais quelque chose lui dit que Scipion ne fonctionne pas ainsi.
Il tente un regard noir, mais c'est si peu crédible qu'enfin il ouvre la bouche. Avoue ses troubles et faiblesses. Ses mauvaises habitudes et ses yeux baladeurs par la même occasion. Le mensonges et les manœuvres d'évitement ne lui réussissent pas avec cet énergumène.
-Je ne suis moi même pas quelqu'un de très pudique.
Et ce depuis sa plus tendre enfance. Dans sa famille une anecdote gênante sur deux commence de la même manière. "Tobias adorait se mettre tout nu pour ne pas..."
Il louche un peu pour dédramatiser la suite de ses propos, se passe la langue sur les lèvres pour éviter de passer pour un pervers. Cherche ses mots, trie mentalement pour savoir quels sont ceux qui peuvent lui permettre de plaider pour son innocence et lesquels vont l'enfoncer un peu plus.
-Disons que je trouvais le spectacle charmant. Tu ne devrais pas te forcer avec ces vêtements si tu préfères être dans le plus simple et naturel des appareils. Je voulais surtout que tu évites d'attraper froid, mais la couette de mon lit est épaisse... Et comme le four est allumé et qu'il dégage une certaine chaleur.
La situation empire, Tobias peine à conserver son éloquence. Il hausse les épaules, relâche enfin le plaid qui couvre son corps. Une fraction de seconde plus tard et le voilà aussi peu vêtu qu'au jour de sa naissance. Il se penche pour mieux retirer ses chaussettes, une main fermement accrochée au plan de travail de la cuisine et la seconde dédiée à cette tâche. Un peu de nudité n'a jamais fait de mal à personne dans une pareille situation. Dans le pire des cas Scipion prendra la fuite mais l'anglais préférerait le voir rester près de lui pour la fin de la soirée et la nuit qui s'amorce déjà. Et puis il est chez lui après tout. Il fait une boule de ses chaussettes noires, ramasse la couverture qui ira bien vite retrouver sa place sur le canapé.
-Je me suis couvert quand tu es arrivé. Je ne voulais pas prendre le risque de t'effaroucher avec mon oiseau. Et maintenant je trouve cette situation étrange.
Ça le fait penser à un programme que Lewis regardait parfois le soir. Une série télévisée avec une bande d'amis qui boivent beaucoup de bières et qui parlent encore plus d'histoires de fesses. Une des femmes avait eu un rencard, le gars s'était mit nu. Une technique de drague étrange. Le professeur n'a jamais vu la suite, mais ce soir il a l'impression d'être cet homme. Son oiseau vise le ciel. Lui donne envie de plier les cuisses pour camoufler ce tableau qu'il juge honteux. De nouvelles rougeurs lui dévorent les joues.
-J'ai vu quelque chose dans ce goût là une fois à la télévision avec mon ancien colocataire. Il paraît que ça s’appelle la technique de l'homme nu. J'ai pas une grande expérience de ces choses là. Le langage des fleurs c'est plus mon registre. Et puis je crois que c'est pas à cette étape qu'on est dans notre relation.
Une relation. C'est bien ce qu'ils ont ? Une drôle de relation où déjà rien ne tourne rond. La normalité ne réussit pas à Tobias c'est un fait. Alors que là, il se sent si bien. Libéré de chaines dont il avait oublié l'emplacement des verrous. Il baisse les yeux, bref instant. Pose d'un geste décidé ce qu'il tient en main sur le plan de travail. Puis enfin ose un pas, avance une main. De la douceur pour ne pas prendre l'autre de court. Ses lèvres progressent elles aussi, cherchent inconsciemment celles de l'autre. Yeux fermés c'est plus compliqué, mais ce n'est pas le moment idéal pour se mettre à penser.
Au pire Scipion le calmera avec un coup de genou bien placé.
"Donc, tu es alcoolique, impudique, balafré ...et ton Alessandrinetto qui prétend que tu n'es pas marrant. Il ne comprend pas ce que j'entends par ce mot."
Petit jeu cruel : ranimer les craintes qui bouleversent l'adversaire. Frôler ses lèvres, en début de consolation. Une légère pression, une offrande acceptée, les regards qui se mélangent définitivement. Puis continuer à parler. C'était si mesquin que Scipion se permit quelques effusions de langage, presque un peu de romantisme. Que Tobias ne craigne pas l'angle choisi pour décrire sa personne ; il était un très joli monsieur, et tout en jouant à l'embrasser sans trop le toucher, l'anatomie que dévoilait à nouveau son visiteur, sautant sur la permission avec un double empressement, pouvait lui confirmer cet intérêt partagé.
"Je ne m'ennuierai jamais avec toi. Tu dégages aussi une certaine chaleur. Même impassible – surtout impassible, tu me fais sourire. Et tu me feras encore sourire sobre."
Futur simple, professeur. Futur simple. Il s'en faisait désormais une croisade personnelle. Physiquement, la santé paraissait tenir le cap ; il trouvait même Tobias particulièrement en forme, et son esprit nomade ne pouvait qu'admirer la rigueur avec laquelle son compas indiquait fermement la direction du Nord ; s'il persistait à se détruire, ça ne durerait pas, et Scipion avait cette vilaine coutume de mettre les pieds dans les affaires des autres comme s'il avait toujours été responsable d'eux, parfois avant de s'enfuir au bout de quelques jours, ce qui les laissait profondément perturbés. Mais soulagés, en général. Ce ne serait pas le cas cette fois-ci ; il ne comptait pas fuir, et si sa nature prenait le dessus sur lui, il comptait bien sur son nouvel ami pour le traquer, le rattraper par la peau du cou, et le ramener à la maison.
L'air de se moquer, l'air de provoquer. Pourquoi pas. L'alternative était embarrassante et il estimait déjà donner bien assez de preuves concrètes. A quoi bon l'expression défaillante, la voix émue, les aveux à mi-voix, quand il avait littéralement déposé sa vie devant la porte du sédentaire et signé un contrat avec le diable local, pour se donner une raison officielle de rester ? C'était bien suffisant, non ? Des promesses, des serments, quelle horreur. Pourquoi pas une laisse et un collier, et son nom sur la boîte aux lettres. Il en frissonnait. Le contrat signé plus tôt dans la soirée suffisait largement à officialiser les choses. Même s'il y avait insinué discrètement le nom de Tobias, et qu'au fond c'était à son intention qu'il l'avait imaginé, ça laissait à leur relation, comme disait le rougissant professeur, toute sa fluidité.
Une amitié si intense qu'il aurait pu se contenter de le regarder dormir... qu'il soit invité à occuper son canapé ou son lit, il n'y serait pas resté en place bien longtemps. Mais la grande distraction capable de le détourner de ses précieux cookies venait de se manifester. Il y avait à parier qu'elle fixerait son attention pour une bonne partie de la nuit.
Un étrange individu tout de même, qui cachait des dagues parmi ses couverts, ce n'est pas là qu'on expose ses collections... il faudrait trouver une vitrine digne de ce nom avant que la petite soit en âge de fouiner, et en repensant à sa propre enfance, Scipion pouvait confirmer que ça venait très tôt. Dès qu'on cessait d'être une chenille. Les petits humains ne se comportaient sans doute pas beaucoup mieux.
Enfin, pour l'heure c'était au père qu'il avait affaire, et le père avait semé quelques étranges allusions, qui pouvaient provenir de son sentiment d'être maudit en amour, certes... ou d'autre chose. Est-ce que l'étreinte qui se nouait revenait à se jeter dans la gueule du loup ? Oh non, Tobias était certainement beaucoup de choses mais il n'était pas un loup. Et si l'un d'eux avait joué le rôle du prédateur affamé dans cette histoire, ça n'avait pas été lui, hérisson timide retranché dans son manoir silencieux. Seuls les cookies avaient à craindre ses crocs. - Pourvu qu'ils ne brûlent pas. Combien de minutes encore ?
"Juste une chose. Ma vie est pleine d'amitiés avec bénéfices et de grandes passions platoniques – hé, j'aime des personnages de films : ça te donne une idée. Je peux m'abstenir de te toucher et on passera quand même une bonne soirée. Ne te force surtout pas pour moi, ne crains pas que je m'effarouche. C'est contraire à ma religion."
Silence. Si, elle existait, sa pudeur : elle était là. Il aurait pu confier lui aussi quelques vieilles histoires encombrant son journal intime, quelques failles béantes qui fragilisaient son beau personnage de l'intérieur. Est-ce que ça aurait été utile ? Traversaient-ils l'un de ces vestiaires abstraits où l'on dépose, non pas ses armes, mais sa cuirasse ? Le courage que montrait le professeur ne suffisait pas à rendre son visiteur moins timide devant ce type de déshabillage. Au contraire, il s'efforçait d'autant plus d'être l'éternel sourire sur lequel l'autre pourrait s'appuyer en cas de larmes. C'était un réflexe malsain plutôt qu'une stratégie. Il y réfléchirait demain. Pour l'heure, ce n'était pas un ascendant qu'il essayait de prendre, à peine une coquetterie, et il se fiait à son compagnon de voyage pour comprendre tout cela à demi-mot.
Aucune restriction d'actes dans ce qu'il proposait, d'ailleurs. Dans son regard malin circulaient toutes sortes de perversions alternatives, pratiquées ou non. Oublie les codes. Invente. Ses cheveux frôlaient déjà la peau hypersensible, ils pouvaient être un intermédiaire. Le drap aussi. Une plume, si le professeur en possédait dans sa tanière de vampire grognon. - Ah, il ne fallait pas parler trop vite, tout était possible, et ils ne s'étaient rencontrés que de nuit... non, un vampire aurait eu une toute autre odeur. La tradition en était bien vivante, à La Nouvelle Orléans. - Une simple goutte de whisky qui roule au long de la peau, un glaçon promené incidemment sur une surface bouillante... En ce moment, il était presque certain que Tobias aurait dégagé de la vapeur.
Ou juste des mots. Le souffle de la vie circulant entre leurs bouches murmurantes.
"A toi maintenant. Tobias. Parle-moi le langage des fleurs."
Ce que se disent les fleurs ne regardent qu'elles. Et il paraît que la langue des oiseaux est un système poétique de jeux de mots évocateurs, qui sert aux initiés à se transmettre des secrets d'alchimie. Mais les surnoms n'étaient plus en usage, ils étaient face à face, sans déguisements, les tatouages et les cheveux longs offerts à l'exploration des mains réservées et prudentes, en toute patience ; non pas cette patience dépassionnée des études scientifiques de routine, au contraire, la fascination ardente qui soutient le mouvement des grandes découvertes.
La cuisine s'avéra bientôt limitée, dès lors que le four fut arrêté et abandonné à son sort dans un rire insouciant, ou était-ce la station debout ? Plus appropriée aux instants volés, dans la ruelle derrière le bar, quand on ne compte pas se revoir ensuite ; ou aux bêtises que l'on fait en se connaissant déjà par coeur. Ou simplement le fait de devoir se situer dans une pièce, chose que Scipion n'avait pas encore totalement appréhendée et qui le gênait aux entournures. Puisque lit il y avait, puisqu'on lui vantait la couette et ses méandres, autant se retrancher dans cet espace horizontal qui aurait quelque chose de plus familier pour les sens. Toujours une patience, méticuleuse, celle d'un orfèvre qu'il n'était pas, mais pour lequel il aurait su se faire passer dans de tels instants. Comme on observe les détails d'une fleur en oubliant le passage du temps, lorsqu'on se couche dans l'herbe, alors que debout, on l'aurait piétinée sans y prendre garde.
D'ailleurs, il n'avait plus besoin d'arguments et de discours désormais, ou plutôt de chamailleries, la forme qu'avaient prise leurs échanges, dans les dernières minutes de leur résistance à l'inévitable rapprochement. Il était si volontiers accueilli dans cette chambre qu'il en était presque intimidé à son tour. Après avoir tant grogné, lui avoir lancé tant de regards noirs et lui avoir tant fait la leçon, soudain le professeur semblait n'avoir eu que cette idée en tête depuis le début de leur fréquentation. Et les deux possibilités n'étaient pas antagonistes. Si vraiment il s'était imposé une distance qui au fond le tourmentait, ses airs de mauvaise humeur ne s'en expliquaient que plus clairement.
Non, pas intimidé... attendri, désolé, ému. Impressionné par la responsabilité écrasante qui pesait tout à coup sur ses épaules d'épouvantail. Scipion se sentait comme cet imposteur qui décide soudain que le poste usurpé est désormais la mission de sa vie, et qu'il l'accomplira mieux que tout autre. En fait, il avait surtout le vertige. Ses cheveux répandus sur un oreiller inconnu, le regard plongé dans l'écran immobile d'un authentique plafond, il ne savait plus qui il était. Etrange tournis que de se sentir inchangé sans pourtant parvenir à se reconnaître. Oh, il n'était pas malheureux, ni honteux, ni rien de ce genre. Il flottait. Les pensées aussi, juste hors de portée. Il les distinguait vaguement, mais n'arrivait pas à les saisir pour de bon, et n'essayait pas réellement.
L'activité physique jouait son rôle dans cet état, et il laissa la température redescendre, avec la respiration qui soulevait sa poitrine, en se demandant s'il devait maintenant sacrifier à quelque rite "normal", un compliment quelconque, une conversation au sujet de tel tatouage... ah non, pas une cigarette. Et certainement pas un verre de whisky. Si Tobias dévoilait tout à coup une flasque cachée dans sa table de nuit, c'est bien simple, il lui faisait une scène.
Tobias Rapier
Brumes du Passé : Humain Meute & Clan : Rapier's Familly Âge du personnage : 45 ans
Meute & Clan : Aucun Âge du personnage : 46 ans
Brumes du futur : Loup Alpha Meute & Clan : Rapier's Pack Âge du personnage : 55 ans
Alias : Le Freak Humeur : Dantesque Messages : 1132 Réputation : 295 Localisation : Jamais loin de sa flasque
Des lèvres effleurent les siennes, un peu de peau qui se frôle. C'est audacieux. Son souffle se fait plus ténu. L'audace, c'est un mot qui décrit bien celui qui lui fait face, celui qui vient à son tour de se mettre à nu. C'était impérieux, ce besoin de s'approcher de l'autre, de venir à sa rencontre. Une explosion de sentiments divers qui a eu lieu quand leurs lèvres se sont collées. Même pas une fraction de seconde, si peu de temps et pourtant tant d'impact pour l'anglais. Au diable sa prudence, au diable sa pudeur sentimentale qui lui dévore l'existence au quotidien. La routine est rassurante. En ne déviant jamais d'un programme précis, en ne prenant jamais le risque de perdre le contrôle on avale une partie du pouvoir du destin. Les coïncidences. Tobias ne les aime pas, et même après ce qui vient de se produire il n'est pas prompt à changer son opinion sur le sujet. Mais ce soir là, en entrant dans cette salle de cinéma déserte, il a ouvert une fenêtre à l'imprévu. Des regrets, il est encore trop tôt pour qu'il se permette d'en éprouver. Ou bien trop tard. Lui même ne le sait pas.
Une moue passe sur ses lèvres. Futur simple. Scipion ne perd pas espoir, se fait tenace quand le sujet de l'alcool revient sur le tapis alors que l'anglais aimerait passer à autre chose. Il ne compte pas arrêter, pas réduire. Changer pour un autre, il l'a déjà fait et cela ne lui a pas réussit. Il force ses lèvres à demeurer closes. Ne rien dire c'est la solution parfaite. Excellente défense que le silence quand on veut éviter une dispute. Il est bien trop tôt pour ça. Il n'est pas marrant et sa vocation première n'est pas de pousser les autres à sourire. Le méchant de l'histoire. C'est un rôle fait sur mesure pour lui, un jeu d'acteur qu'il a apprit à maîtriser à la perfection sans même avoir à se forcer. On ennuie pas les méchants, on ne cherche pas à entrer dans leur intimité. Seuls inconvénients dans cette mise en scène, on appelle le mépris, la colère plus facilement que le miel n’attire les fourmis. Ou bien que les cookies n'attirent les professeurs de littérature... Et on apprend à vivre avec, la solitude n'est pas une mauvaise compagne quand on sait la subir. Les entêtés, les survivants deviennent des amis. Rares. Loyaux également.
Il rougit un peu moins à présent, observe sans se cacher l'autre. Le dévisage, le bouffe du regard. Tente de lire entre les lignes d'encre de ces tatouages qui couvrent le corps de celui qui joue à l'humain mais qui n'en est certainement pas un. Un nouveau point à aborder, un sujet compliqué qui peut devenir dramatique si tout venait à mal se passer. C'est l'alcool du forain.
Le professeur frémit à cette pensée. À moins que ce ne soit à cause de ces cheveux qui caressent son épaule.
-Je ne suis pas platonique. J'ai du mal avec les contacts forcés, imprévus. Si je laisse les gens me toucher c'est comme si je leur permettais de prendre une partie de moi. Un contact peut être doux, passionné mais aussi avoir pour but de blesser. En les évitant je me donne la possibilité d'échapper à ces mauvaises surprises.
Ce soucis n'en est pas vraiment un. Tout petit il avait déjà du mal avec ces contacts inopinés. On fait la bise aux enfants, même ceux que l'on ne connait pas ou très peu et on les force à rendre cette politesse qui n'en est pas une. C'est vu comme quelque chose de normal, comme s'ils n'étaient que de simples objets. Une sorte de rituel qui est devenu avec la force du temps une véritable habitude. Comme ces gens qui mettent leur main sur le ventre des femmes enceinte sans prendre la peine de s'inquiéter de leur consentement envers ce geste intrusif. C'est ça. Juste une histoire de consentement. Ne pas vouloir être vu comme un objet public que tout le monde peut toucher à sa guise. Tobias n'est pas allergique à la vie, il veut juste qu'on respecte sa façon de la traverser. Scipion le fera. Il le connait peu, pas assez diraient les gens en les voyant agir de cette manière. Mais il sait que le forain, que le britannique a déjà tendance a appeler sien dans son esprit, ne se jouera pas de lui sur ce plan.
Il soupire, amusé. Leurs souffles se mêlent, l'entremêlent. Prémices de la nuit à venir quand le langage des fleurs est évoqué. Déjà les mains de Tobias s'activent, caressent les hanches fines, tentent de se rappeler de tout. Bosses, creux, arabesques d'encre dont il ignore la signification, tout est passé en revue quand il découvre ce qu'il n'avait jusqu'ici pu qu'imaginer. Puis il murmure.
-Le langage des fleurs... C'est avant tout une grande histoire de timidité. Je n'ai pas envie d'être timide avec toi, je crois bien que je ne l'ai jamais été. Pas même au cinéma. Tu étais la donnée inconnue. Gênante, brillante puis fatalement intrigante. Je crois que j'ai bien choisi ton surnom.
Ses lèvres se posent contre un bout de peau, s'ouvrent en corolle. La cajolerie devient ardue, moins douce. Presque une marque dont l'anglais devine déjà qu'elle ne tiendra pas. Il ne parle plus, attaché à la tâche qui est la sienne. Découvrir l'autre et apprendre de tout ce qu'il voudra bien lui offrir. Rapidement la cuisine se fait ridiculement inadaptée pour cette mission. Tobias ne sait pas, Tobias ne sait plus à quel moment le four et ce qu'il contient passent au second plan. Quand ils se laissent enfin chuter à l'horizontale c'est le lit qui les réceptionne. Tout va vite. Et si lentement à la fois. C'est en suivant la plus simple des logiques, celle de l'instant ne vivant que pour la passion que la routine du professeur s'envole en éclat.
[...]
Affalé sur le matelas, jambes entremêlées dans la literie qui a été forcée de suivre le mouvement de leurs ébats, Tobias respire aussi lentement que profondément. Ses cheveux longs caressent son torse, ses doigts jouent avec les siens. Les jeux de grands sont redevenus ceux de deux enfants. Des enfants joueurs, des enfants qui se taquinent l'un l'autre.
Regard levé vers le plafond, Tobias écoute le silence presque parfait qui encombre ce lieu. Il se doute que les gens, les autres, ceux qui attendent le troisième rendez vous et qui s'aiment en jouant à faire semblant font des choses dans ce genre de moment. Un mot propice à l'instant. Un compliment, une pure simulation de normalité. Ou bien une cigarette à allumer, un retour sur le temps qui passe, sur la température extérieure. Peut être devrait-il ramasser et jeter l'usagé à usage unique qui a achevé sa brève vie sur le parquet... Le professeur l'ignore. Finalement celui dont le travail est de distribuer son savoir ne sait pas grand chose ce soir.
L'anglais se tortille un peu. Rapproche le corps de Scipion du sien. Quand il ouvre la bouche c'est l'imprévu qui passe la barrière de ses lèvres. De l'audace, un peu de honte et surtout beaucoup de sincérité.
-Je suis content que tu sois venu.
Son cœur bat la mélodie de l’apaisement avec une régularité qu'un diapason pourrait lui envier. Son cœur, pompe fourbe qui lui a déjà joué des tours. Dire que ce soir là, il avait osé hurler sur Isaac alors que le gamin venait de lui sauver la vie. Sans la réactivité de ce môme, il ne serait plus là. Jamais il n'aurait mit les pieds dans cette salle obscure, jamais il n'aurait vu ce pitre arriver dans le paysage bien rangé de son existence. Il se tend, porte un bras dans la direction de sa table de chevet. Ses doigts glissent puis enfin accrochent la poignée. Trois boites de cachets, il attrape celle qui semble être la bonne. Vérifie puis sort un comprimé avant de le glisser entre ses lèvres. Goût amer sur sa langue. La pellicule fond déjà comme neige au soleil quand il attrape la flasque puis avale le tout grâce à une longue gorgée de bourbon tiède. Lorsqu'il se réinstalle, plus de corps près du sien.
Surpris, il lève les yeux pour chercher l'autre. Rencontre un regard ambre devenu noir. Le professeur hausse les épaules puis crache un mot avec l'assurance de celui qui a compris qu'il venait de faire une erreur mais qui refuse que l'on lui fasse remarquer
-Quoi ?
Le regard de Scipion qu'il pensait déjà avoir vu virer au noir devient plus sombre encore. Quand ce dernier ouvre la bouche pour laisser échapper ce que le professeur devine déjà être un flot de reproches, il prend les devants.
-Ce ne sont pas des psychotropes et je n'ai pas de bouteille d'eau près du lit. S'il me prenait l'envie qu'on me fasse la morale je saurais déjà qui aller voir pour ça.
Sa mère, Shepherd, Jerry qui fronce les sourcils au delà du premier verre commandé depuis l'esclandre de la dernière fois, son psy... La liste est longue. Déjà trop. Tobias n'est plus un enfant et déjà à l'époque où il l'était, il ne supportait que très peu qu'on vienne lui dicter sa conduite. Quand Scipion lance officiellement les hostilités Tobias se dresse à son tour.
-Je fais n'importe quoi ! C'est ma marque de fabrique. Je bois, je fume, je ne rappelle pas après le premier rendez vous. C'est juste le début de la liste de mes défauts et je ne suis pas prompt à accepter des reproches de la part de quelqu'un qui a été se battre sur un ring qui sent le moisi et signer un pacte avec la mafia !
Premier rencard. Premier baiser. Première relation. Première dispute.
Tout se passait si bien. Et puis, sorti de nulle part, le spectre de l'autodestruction à petit feu a surgi comme un diable d'une boîte, et Tobias s'est jeté dans ses bras, à lui, abandonnant son invité surprise pour un temps. Et il a eu l'audace de défendre ce spectre ? Encore sous le choc, le coyote a failli dévoiler ses canines. D'ailleurs, il est presque certain de l'avoir fait, à un moment donné. Ce mélange toxique qui se promène maintenant dans le corps de Tobias, c'est un intrus sur son territoire, et s'il n'est pas territorial quand les promeneurs se conduisent bien, celui-là ne fait pas partie de ceux qu'il accepte.
Tiens, il pourrait fuir aussi, et s'établir ailleurs. Ça ne lui passe pas une seconde par l'esprit. La petite araignée de la jalousie lui pique le cuir un peu trop violemment pour que lâcher prise lui vienne en tête.
Bien, si les grognements n'y suffisent pas, ce sera l'attaque. D'un bond, Scipion enfourche le corps étendu auprès du sien, saisit les deux mains crispées et les plaque sur l'oreiller, de part et d'autre d'un visage qu'il embrasse impulsivement. Puisque les mots n'y suffisent pas, ce sera donc le silence. Le temps de se remettre les idées en place. Encore un baiser, histoire de rappeler à Monsieur comment ils s'en sont retrouvés ici, dans ce lit où il essaie maintenant de se chicaner comme un poivrot au coin d'un bar. Il n'est certainement pas son barman, et il ne compte pas le devenir ! Qu'il se trouve une petite femme des années cinquante, s'il veut qu'on lui amène son verre tous les soirs avec un sourire de compréhension.
"Je ne sens pas le moisi, je sens la cannelle, d'abord," proteste-t-il en relevant les yeux. "Toi, tu sens le whisky. Tu me rends alcoolique à la longue. Mais ne dis pas que ce sont tes défauts ! Ils sont tous à moi, maintenant, comme le reste. C'est pour ça que j'ai le droit d'en parler."
L'a-t-il ? Sa légitimité est aussi précaire que cette emprise joueuse qu'il installe, surtout pour dédramatiser leur échange. Cet univers, il le découvre. Sa tête échevelée, qui dessinait un rideau de fils dansants autour de leurs visages réunis, se cache soudain alors qu'il se serre contre le corps semi-hostile, semi-aimant, le simulacre de lutte abandonné aussi vite qu'il avait fait surface. Chair contre chair et os contre muscles, ils ne font plus qu'un pour quelques instants. C'est lui le totem. C'est lui la couverture de peau animale, qui s'anime d'un esprit inattendu et veille sur son porteur en lui parlant à l'oreille. Et surtout, installé ainsi, il peut reprendre son souffle, réfléchir, et tenter de ne pas dire trop de conneries.
Il est en terrain totalement inconnu, et ce ne serait pas mal qu'il l'avoue, lui aussi. Mais des sentiments qu'il n'a pas encore montrés pourraient déborder, et qui sait si on l'accepterait encore dans cette demeure, après ça ? Cet équilibre fragile, qui n'a pas besoin d'un élément instable de plus. Sa voix est devenue un murmure. C'est une tentative hésitante. L'amertume fait surface à travers les flots étincelants qui la masquent habituellement. Il prend un risque. Comme il en a toujours eu l'usage, il se jette à l'eau impulsivement, en espérant apprendre très vite à nager.
"Qu'est-ce que tu attends de moi ? Je te regarde faire et je ne dis rien ? Non, mieux : je souris. Je fais ça tellement bien. Et si tu fais un malaise au cours de la nuit et que je dois appeler les secours, je souris aussi, au téléphone. Je peux même ricaner si tu veux ! C'est mon numéro ! C'est ça, ma marque de fabrique !"
Découragé, il roule sur le côté et abandonne sa prise ; quelque chose dans tout ça lui donne envie de regarder vers la fenêtre. Il n'est pas oppressé au point d'avoir envie de fuir, en fait il respire librement, ce n'est pas désagréable de confier tout ça. Tobias le fait, alors... Peut-être que c'est ce genre de maison. Péché, confession, absolution. Il pourrait s'y habituer. Ainsi détourné, il n'a plus l'air de lui-même et il le sait ; la longueur de son dos et l'arrière de ses jambes sont dénués de tatouages. Disons qu'il a l'air de ce qu'il était il y a très longtemps.
"Je souris à tout le monde. Et quand je ne souris plus, c'est que je suis déjà parti. C'est ça que tu veux toi aussi ? Non, je sais bien. Tu es content que je sois venu. Je suis là, j'y reste. Tu ne me chasseras pas."
Le mot a son sens littéral. Comme l'expression "casse-toi". Il faut prier pour qu'ils n'aient jamais à les employer ; Scipion n'a pas de certitudes sur le sujet, mais il a ses soupçons aussi, et les chasseurs sont plus difficiles à reconnaître que leurs contreparties animales. Non, dans tous les cas Tobias n'est pas un chasseur en ce qui le concerne, puisqu'il ne tournera pas ses armes contre lui, et ne l'a jamais fait contre quiconque parmi les siens. Le reste, ça ne le regarde pas. Lui ne collectionne pas les confessions.
Là, dehors, la lune brille sur les rues désertes et les champs de la liberté. Et sa roulotte. Il le sait, il n'a pas besoin de voir. Est-ce une force ou une faiblesse qu'il puise de cette conviction imagée ? Son visage pivote. Un coup d'oeil par-dessus son épaule. Un dessin d'encre sur sa joue qui réapparaît : une corde de pendu qui tombe de la forêt de ses cheveux.
"J'essaie de faire autrement avec toi. J'invente, je n'ai jamais appris. Ce sera maladroit et souvent raté. Je ne sais même pas pourquoi je tente, ça n'a pas de sens..." Quand il en vient à penser à voix haute, c'est qu'il a assez parlé. Il arrive à des profondeurs que lui-même ne souhaite pas connaître ; enfin, il se réinstalle contre son compagnon en reprenant une voix plus habituelle, signe que le débat est clos. "Laisse-moi juste grogner... t'es pas un moins bon professeur parce qu'on te fait un peu la leçon. Niglo, avec moi tu n'as rien à craindre."
Le rire est déjà revenu, joueur, un peu faux après son aveu, mais toujours bien accroché quoi qu'il arrive. La devise de sa famille : contre mauvaise fortune bon coeur. Avec un faux grondement de bête féroce, il lui mordille la peau, savourant la jubilation de savoir qu'il y a accès. C'est un privilège, et c'est aussi un petit jeu de confiance. Aucune crainte à avoir : il a souvent eu ce geste avec les partenaires de familiarité particulière. Jamais ils ne se sont changés en quoi que ce soit qu'ils n'aient déjà été à l'origine. Il n'est pas contagieux.
Tobias Rapier
Brumes du Passé : Humain Meute & Clan : Rapier's Familly Âge du personnage : 45 ans
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Brumes du futur : Loup Alpha Meute & Clan : Rapier's Pack Âge du personnage : 55 ans
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Tobias ose espérer sans toutefois trop y croire que ce début de scène va prendre fin aussi rapidement qu'il n'a commencé. Il a fait en sorte de se montrer aussi inflexible et clair que possible, ne laissant pas de place pour qu'un doute ne puisse s’immiscer dans l'esprit de celui qui ce soir tente déjà de lui imposer des changements en lesquels il ne croit pas. L'anglais s'agace déjà de ce nouveau jeu dont il ne maîtrise pas les règles. Ne pas contrôler. Lâcher prise. Une histoire de confiance et donc de vulnérabilité. La confiance ça se bafoue, ça se trahit et ça devient bien souvent source de blessures pour celui qui a cédé les armes. Une chose est certaine dans cette histoire, le professeur ne veut plus avoir mal car il estime avoir déjà assez souffert. Pour la fin de cette vie et celles qui suivront.
Il ne voit rien venir quand Scipion lui empoigne les mains, les plaque sur le matelas. Lorsque des lèvres se posent sur les siennes pour le forcer au mutisme, il n'a en effet rien le temps de rétorquer. Il pourrait sûrement se dégager loin de cette étreinte pour retrouver sa liberté sans mal. Certes il devine déjà que Scipion est un surnaturel, mais sa carrure surpasse largement celle du forain. Et puis le professeur qui n'en a plus été un pendant quinze ans sait se défendre, se battre. Il n'a nul besoin de se montrer sur un ring pour le savoir.
Pourtant quand les lèvres reviennent à la charge il s'abandonne. Pire même il cherche cette bouche qui s'ouvre encore pour débiter des justifications partiales. Ne rien dire, ne plus parler pour ne pas faire fuir l'autre. C'était douloureux la dernière fois et ce soir, cette nuit ce serait pire encore de le voir quitter sa vie. Ce serait de sa faute et il refuse d'avoir la responsabilité de son malheur à porter sur ses épaules qui bien souvent ploient déjà sous le poids de sa culpabilité. Scipion est venu ce soir alors qu'il ne lui avait donné aucune invitation, pas même son adresse. Pourtant, étrangement c'est comme s'il l'attendait. Il a su qui était derrière la porte sans même avoir à se questionner à propos de l'identité de son visiteur tardif.
Peau contre peau, cœur contre cœur, leurs souffles s'assemblent, se lient dans une harmonie bien plus calme que celle qui se jouait encore il y a quelques secondes. Tobias n'ose bouger, se contente de murmurer ce qui pourrait sonner comme une provocation.
-Je n'attends rien de toi. Rien de plus que ce que tu me donnes en étant là ce soir.
L'amour ne se prononce pas. Il se lit entre les lignes, il se fait puissant par les actes, par la présence. De l'amour ? Son esprit songe déjà sans même qu'il ne puisse le contrôler. Un sentiment contre lequel lutter ne sert à rien et qui jusque là lui a offert ses plus grands bonheurs, mais également ses plus dures désillusions. Un échec sur tout les points, presque une épée de Damoclès qui pèse au dessus de la tête de Scipion. L'anglais s'en veut immédiatement. L'aimer c'est le condamner. Le laisser s'échapper serait douloureux, mais il pourrait le pousser à s'en aller il en est certain. Scipion roule sur le côté, lui tourne le dos. Un dos vierge de tatouage. Un manque, comme si quelque chose n'allait pas soudainement. Tobias ramène ses mains nouvellement libres sur son torse, tourne la tête pour mieux observer cette silhouette qui à présent lui semble si fragile. Nuque balayée par des cheveux mi-longs, quelques os presque trop saillants. Il ne mange sans doute pas assez, il faudra remédier à cela d'une manière ou d'une autre. Céder sur quelques verres d'alcool pour réussir à remplir les assiettes de Scipion avec des quantités déraisonnables de nourriture riche. Des jambes aussi fines que le reste. De jolies jambes, élégantes. Le professeur parvient sans mal à trouver le forain beau là où d'autres ne verraient que des défauts.
Son cœur se serre. Scipion sourit et lui le fait bien peu. À peine un rictus de temps en temps. Une habitude qu'il ne veut pas changer, qu'il ne chercher pas à modifier. L'anglais tire continuellement la gueule et les autres se plaisent à nommer cela flegme. C'est parfait ainsi et cela suffit à éloigner les gens. Tobias parvient à peine à bien s'entendre avec lui même alors il ne va tout de même pas prendre le risque de s'attirer la sympathie des autres. On lui demanderait la même chose en retour. Les conventions sociales sont ennuyeuses et hypocrites. Son corps se tend à l'entente des dernières paroles du forain.
Le chasser. Même si Tobias ne cherche pas à cacher son passif il part tout de même du principe que tout cela n'est plus pour lui. C'est un chasseur qui a achevé Charles, celui qui l'a ensuite guidé le père du gamin sur la voie réconfortante du sang. C'est ce même chasseur qui a tout fait pour gagner sa confiance, qui l'a laissé devenir une loque humaine pour mieux parvenir à le dresser à sa guise. Chien de chasse c'est ainsi qu'il a prit l'habitude de se décrire car avec le recul il est certain que c'est de cette manière que Gabriel l'a toujours vu. Un chien qui a fini par mordre son maître avant de prendre la fuite. Tobias fixe les marques qui ornent ses mains. Dans son dos à l'université il sait que les rumeurs sont légion. On cherche d'où peuvent bien venir ces cicatrices, on se questionne à propos du morceau de viande qui manque à son auriculaire gauche. Il a de la chance de ne pas avoir perdu l'usage de ses mains. Vivre sans elles, il ignore s'il serait parvenu à le supporter. Parfois elles lui font défaut. Demeurent douloureuses quand il s'essaie à des gestes qui avant étaient ceux du quotidien. Mais quand il se souvient que dans cette cave il aurait pu mourir, qu'il aurait dû le faire, Tobias se dit que le prix à payer n'est pas si lourd.
Pour ne rien dire, il se perd en murmure qui demeurent sans sens. Lorsque enfin Scipion revient vers lui, tourne le visage et croise son regard l'anglais peine à ne pas tendre le bras pour l’attraper et le garder près de lui. Ce serait pourtant si simple de le chasser. Le professeur sait qu'il pourrait se faire haïr sans avoir à se forcer. Pousser ses vices à leur paroxysme, juste un peu. Le chasser. Et devenir victime lui aussi par la même occasion.
Quand Scipion revient se coller contre lui, quand il entoure sa frêle silhouette d'un de ses grands bras, il oublie toutes ces idées qui lui semblent devenues folles. Il pose ses lèvres sur l'angle d'une épaule, caresse de douceur quand il parcourt ce corps qui ce soir est à lui. Et qui il l'espère sera encore sien demain. Sans un mot il reste ainsi lové contre l'autre. Une de ses jambes entoure celles du forain. Il ne veut pas le voir fuir lui aussi. Deux échecs cuisants c'est déjà deux de trop. Hors de question qu'il n'offre une nouvelle occasion à la vie de le blesser en arrachant ce qui reste de son cœur.
Il pourrait dire que les maladresses seront nombreuses, presque autant que les disputes à venir. Peut être même promettre que cet éclat sera le dernier. Un mensonge pour rassurer et ne pas blesser l'autre. Un promesse de papier aussi fragile que les ailes d'un papillon. Il est heureux de l'avoir près de lui, de s'être joué d'audace ce soir en se dévoilant de cette manière. Les coups d'un soir lui sont inconnus. Ces façons de faire étrangères le perturbent un peu mais ne parviennent pas à entacher sa joie. C'est un début et pas une fin qu'ils sont en train de vivre. Juste la préface de cette histoire.
Nouveau baiser. La nuque cette fois. Le hérisson sourit en douce quand l'autre frissonne. De l'autre bras il bascule la lumière, remplace celle-ci trop puissante par la veilleuse plus apaisante. Pour ne pas chuter cette nuit s'il devait se lever pour aller voir Alice ou bien vider sa vessie. Il n'a plus peur du noir à présent. Ne plus avoir peur c'est devenu le nouveau credo à suivre pour sa survie. Un bonne nuit se fait soufflé puis enfin il ferme les yeux tandis que son nez demeure enfouit dans les cheveux de Scipion.
[...]
Réveil bien trop matinal pour l'anglais qui aurait aimé grappiller quelques heures de sommeil supplémentaires. Quand dans un grognement rauque il se redresse avec en guise de fond sonore les pleurs de sa fille qui s'égosille dans la chambre d'à côté, il est un peu perdu. Il baille comme un bienheureux, puis son regard noir chute sur la chenille qui se tortille sur le lit. Air hagard Scipion ouvre un œil en partie crotté, fixe l'anglais avant de grommeler à son tour.
-Faut que j'y aille. Va pas arrêter toute seule. Alice est capable de manger son lit si je lui donne pas son biberon.
Son pied est lourd quand il touche le sol, le second suit pourtant le mouvement sans trop de mal. Quelque chose de visqueux entre en contact avec sa peau et quand son esprit se fait suffisamment lumineux pour qu'il comprenne ce qu'il vient de se passer c'est avec une grimace écœurée collée sur le visage qu'il ramasse ce qu'il a écrasé.
[...]
Six heures du matin, l'air hagard il fixe l'écran de télévision sans vraiment comprendre l'action qui se fait devant son regard encore endormi. Nouveau bâillement face à la rue sésame qui s'agite beaucoup trop vite à une heure si matinale. Alice tête son biberon comme une forcenée. Un jour elle finira par en arracher la tétine. Son père tend sa main libre vers la télécommande, change de chaîne. La désillusion se fait plus grande encore quand MTV le trahit en rediffusant une série où des mômes sauvent le monde tout les samedis soirs à la place des clips habituels.
Il zappe, matte quelques secondes et reprend cette même rengaine en boucle. Atterrit devant un vieil épisode de Top Model USA. Son regard glisse sur les fesses de Tyra Banks. Il doute de pouvoir trouver un programme plus cérébral à cette heure. Tobias se laisse aller en arrière, ferme les yeux. Incapable de savoir s'il s'est remit à dormir quand un nouveau bruit le fait sursauter.
C'est avec un sourire apaisé aux lèvres qu'il accueille Scipion qui a lui aussi passé un boxer avant de sortir de la chambre. Un dernier bâillement lui échappe avant qu'il ne présente sa fille à son amant.
-Alice. Paraît que je suis un crevard car je ne t'ai pas présentée plus tôt à ce monsieur.
️️clever love.
Dernière édition par Tobias Rapier le Jeu 30 Juil 2020 - 20:38, édité 2 fois
Sommeil, bienheureux sommeil... pas tout de suite. L'envie de protester planait comme un vautour, en frôlant du bout de ses ailes les parois fragilisées de l'esprit du forain. La pensée n'était pas aisée avec une bonne séance de sport en chambre derrière la cravate. Mais il venait d'atteindre un pic de stress comme il n'en avait pas connu depuis bien quinze ans. Et ce, en comptant cette occasion où il avait échappé à un groupe de chasseurs en se jetant dans un lac gelé. Les bons vieux souvenirs. Il n'avait pas éprouvé de stress cette nuit-là ; il s'était franchement amusé comme un petit fou. L'enjeu n'était pas le même. Les coeurs à l'arrêt ne souffrent pas.
Leurs souffles ténus donnait l'impression qu'ils avaient tous deux sombré dans le sommeil, mais le coyote songeait toujours derrière ses paupières closes. Il murmura quelque chose, ou crut le murmurer, mais les teintes bleutées du sommeil l'avaient déjà emporté au loin. Un besoin de plaisanter jusqu'à la dernière seconde avait eu raison de son silence. Ses dernières paroles, à la fin de sa vie, ressembleraient sans doute à cela. Une tentative pour ricaner tout en plongeant dans le néant.
"A t'entendre, on dirait que tu veux juste baiser avec moi. Je pourrais te faire une scène."
Puis il rêva que la pleine lune les transformait tous les deux. Un hérisson garou, voilà qui était charmant ; à mi-chemin entre un conte de Grimm et un roman fantaisie du vingt et unième siècle, un chevalier d'un autre style. Tobias avait surtout la tête hérissée. Ce conte, il faudrait que Scipion en donne le spectacle aux enfants du coin, c'était un de ses préférés. Et ça finissait par un joli mariage. Il rêvait paisiblement, en cherchant régulièrement à se coller sous un angle ou un autre contre le corps voisin, une tentative de son sommeil léger pour se repérer dans l'espace, quand un mouvement le dérangea. Lui, il pouvait bouger ; il roulait simplement, c'était naturel ; mais Tobias se conduisait très mal, il avait l'air de quitter le lit ! Les sourcils de Scipion se froncèrent avant qu'il soit vraiment réveillé.
Ah, c'est vrai qu'il travaillait peut-être tôt. Et il était un monsieur très soigné. Qui sait combien de temps il passait dans la salle de bain avant de s'estimer présentable pour quitter son logement. Quant à la petite chenille, sur le moment elle était bienheureusement oubliée. Impensable d'y réfléchir en dormant. Qui sait ce que les rêves auraient pu devenir.
"Courage..." marmonna Scipion en se roulant en boule, décidé à attendre là. Tôt ou tard, quelque chose finirait par s'éclaircir dans ce mystère.
Le temps passa, mais il n'arrivait pas à se rendormir. Il était perdu dans ce grand lit, dans cette grande chambre, dans cette grande maison. Au salon, quelqu'un parlait. Combien de temps s'était-il écoulé ? Il faisait encore un peu nuit, non ? En se frottant les yeux, en massant ses tempes, Scipion tenta vainement de reprendre forme humaine. Il était composé à quatre-vingt-dix pour cent de gelée. Tiens, il aurait bien mangé un bout de melon avec des cubes de gelée à la violette. En fixant son esprit sur cette image, il parvint à se traîner hors du lit, et s'étira avec un petit sourire ; il aurait peut-être quelques courbatures minimes demain. Cette idée lui plaisait étrangement.
Bon. Il n'allait pas effrayer les éventuels collègues avec qui sa nouvelle connaissance allait peut-être au boulot tous les matins. Mais il n'allait pas se cacher non plus. Juste le nécessaire.
S'il débarquait de la chambre à coucher en sous-vêtement, la situation serait claire pour tout le monde, et il n'y aurait rien à expliquer. C'était à la fois une solution d'audace et une solution de facilité : le cocktail parfait pour un coyote qui émerge du sommeil avec difficulté. Mais son sourire tomba d'un coup quand il franchit le seuil. Ah ! C'est vrai... biberon... Alice. La phrase arriva alors seulement à son cerveau. Il décrivit un arc de cercle pour s'approcher de la zone dangereuse, le regard fixé sur le petit paquet gigotant. Arrivé à une proximité raisonnable, en appui contre le dossier du divan, il tenta de se donner un air dégagé en reprenant la conversation avec son interlocuteur principal, comme si de rien n'était. Il reporta son regard sur l'écran et lâcha d'un ton insouciant :
"Je croyais que tu étais parti à l'école."
Oh non ! Cette figure à l'écran, enfin, si on pouvait parler d'une figure, il savait qui c'était. C'était rare, il fallait en profiter ; d'autres célébrités flamboyantes du temps présent, il les aurait observées en clignant des yeux comme une taupe qui n'a pas eu son café, et aurait ignoré leur présence. Elle, il savait ce qu'elle représentait. Disons simplement pour faire court qu'il avait fréquenté une ex mannequin. Et sans avoir de grands principes féministes lui-même, l'exploitation des rêves, notamment ceux de la jeunesse, n'était pas une chose qu'il arrivait à prendre à la légère.
"Ne lui montre pas ça. C'est une fille."
Sans s'expliquer davantage, il fit un dernier pas jusqu'au dossier de la banquette et se laissa fondre au long des coussins, jusqu'à s'effondrer comme un pantin de chiffons. Sa tête vint quémander un contact contre la jambe de son hôte. Vous avez déjà vu un canidé en mal de caresses réclamer ainsi l'attention de son maître qui prend soin d'un enfant : il sait très bien où s'arrête la place de chacun, mais il aimerait tout de même envahir un petit peu le premier rang. Et toutes les démonstrations de faiblesse nécessaires seront déployées pour acheter cette indulgence.
"J'ai encore sommeil..."
La menace était bien près pour réellement fermer l'oeil, mais se prélasser devant un programme quelconque, en croquant des cookies peut-être, et en buvant un café, quand il aurait retrouvé la foi pour aller chercher tout ça, ce serait agréable. Presque comme il faisait chez lui quand il était malade. Mais cette fois il ne serait pas tout seul. A nouveau, cette impression douce-amère de trahir un serment pour pouvoir en prononcer un nouveau lui traversa l'esprit. Il avait bien envie de relever les yeux en direction de Tobias pour l'observer, mais il savait qu'il apercevrait alors le petit crâne mou de l'alien posé dans ses bras. Tiens, rien que ça ! Les bébés, ça a un crâne mou ! C'est contre-nature ! Et si c'était contagieux ? Au diable la peur d'être transformé en quelque chose-garou, au moins c'est fonctionnel, ça mène sa vie dans les bois. Une chenille-garou, bon courage pour la vie quotidienne !
"Bonjour Alice," marmonna-t-il entre ses dents. "Je m'appelle Scipion et je suis..." Vas-y pour terminer cette phrase. De toute façon le petit alien ne comprenait pas. "Je suis là," conclut-il finalement en cachant son visage contre le dossier.
Tobias Rapier
Brumes du Passé : Humain Meute & Clan : Rapier's Familly Âge du personnage : 45 ans
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L'esprit encore trop embrumé pour être capable de réflexion complète, il n'ouvre même pas la bouche quand Scipion lui dit qu'il le pensait déjà parti. Il est encore tôt, bien trop pour qu'il ne songe déjà à aller retrouver ses classes qui ont pourtant gagné en intérêt depuis qu'il a commencé à officier à l'université de la ville. Il y a plus d'un an, en préparant son arrivée dans cette ville et en acceptant de laisser le passé et tout ses méandres derrière lui, l'anglais n'avait même pas osé penser à donner sa candidature pour cet endroit. Le lycée public de la ville semblait alors la plus aisée des voies à suivre pour tenter de retrouver une vie normale. Pas trop de responsabilités et des gamins qui pour la plupart ne porteraient que bien peu d’intérêt à l'enseignement qu'il allait dispenser. Donc une belle place libre pour l'échec. Mais à cette époque sa vie n'avait aucun lien ou presque avec celle qu'il mène à présent. Le taudis qui a vu son renouveau a été remplacé par un appartement luxueux en plein centre ville, sa solitude s'est faite la malle. Il est parvenu à regagner quelques unes des lettres de noblesse de l'humanité, à toucher du doigt le peu de dignité qu'il lui restait. Les embûches, tout le reste, toutes ces choses qu'il aurait jugé impensables l'ont finalement poussé à grandir.
Alice recrache la tétine de son biberon, Tobias lève la tête dans la direction de l'écran tandis qu'il tente de donner un sens à la dernière injonction de Scipion. Cette femme trop fardée et trop maigre n'est pourtant pas ce qui doit se faire de plus mauvais à la télévision. Et sa voix criarde, les piaillements de toutes ces jeunes femmes dont les rêves sont sur le point de voler en éclats à chaque élimination l'aident à demeurer éveillé. Il n'a pas encore touché son bol de café ni même trempé ses lèvres dans son premier verre de whisky de cette journée qui promet d'être longue. Sa cervelle frôle le point mort. Apparemment il n'est pas le seul à avoir du mal avec la notion de réveil. Scipion se laisse tomber sur le sofa, roule un peu puis se colle contre le britannique. L'anglais se gratte le nez machinalement puis sa main part sur le côté pour se faire douce caresse matinale dans les cheveux mi-longs de celui qui s'est fait une place de taille dans sa vie en quelques jours.
-Tu aurais pu rester au lit chéri. Je ne pars que dans trois heures et j'ai dit que je te déposais chez toi. Tu peux dormir si tu veux.
L'anglais s'est fait à ce manque de sommeil, même s'il doit bien avouer que depuis qu'Alice est officiellement entrée dans sa vie il se couche plus tôt le soir. Ses passages au Pink, il les a décalés. On a à présent peu de chance de le voir traîner dans le bar en soirée, il vient généralement à la fin des cours et le samedi avec sa fille qui apprécie ce bain de vie que lui offre l'endroit. Le personnel n'est que sourire avec la petite alors que les enfants en bas âge ne sont pas légion dans ce lieu. Le Pink Print c'est une des premières terres d'acceuil où Tobias a mit les pieds en arrivant dans cette ville. En franchissant le seuil pour la première fois il pensait juste à se faire remplir un verre, puis un autre. Savait uniquement qu'il devait s'arrêter avant celui de trop, se réservant ce plaisir pour le moment où il serait chez lui, à l'abri des regards. Personne n'aime assister à la déchéance en direct, enfin pas les personnes censées en tout cas. Mais l'ivrogne y avait trouvé un ami et presque une maison par la même occasion. Au Pink tout le monde connait son prénom et l'histoire de cette alliance qui ne quitte pas son annulaire, mais cependant hormis de la part d'Alessandro ou Charlie on lui donne toujours du monsieur.
C'est à cet endroit qu'il a commencé à retrouver sa dignité. Le cul juché sur un tabouret de bar. Elle l'attendait derrière le zinc et depuis cet instant ne lui a jamais fait défaut.
L'anglais soupèse sa fille, la tient contre lui. Attend le rot et espère secrètement que ce dernier ne sera pas accompagné par un flot malodorant de lait qui peine à être digéré par un estomac qui ne se remet pas des premiers mois de la vie de sa propriétaire. La mère d'Alice a dû l'allaiter et avec ce que cette femme s'envoyait dans les veines de manière régulière c'est déjà une chance que l'enfant ait été en vie quand Tobias est arrivé dans ce taudis. Sa main la plus abîmée caresse à présent le dos de la petite après avoir délaissé la jungle des cheveux de son amant. Doucement il berce, son souffle chaud tel une tornade dans les doux cheveux blonds de la petite. Il manque d'éclater de rire mais se retient pour ne pas se faire tonnerre assourdissant pour l'oreille fine et délicate bien trop proche de ses lèvres quand Scipion se présente. Alice rote, crache un peu de lait contre le cou de son père. Père amusé qui darde d'un regard joueur le coyote en manque de câlins.
-C'est très bien comme ça. Et j'espère que ça ne changera pas.
Cette présentation transpire la timidité, peut être même la gène. Imparfaite elle convient pourtant au britannique qui ne voit pas comment la situation aurait pu être décrite d'une autre manière. Alice est petite, trop petite pour parvenir à donner son approbation sur le sujet, ou même se prononcer contre cette idée. De Wesley bientôt l'enfant ne gardera plus que de vagues souvenirs, puis ensuite le doux libraire ne sera plus qu'un visage anonyme sur des photos. De belles histoires que Tobias racontera à sa petite quand elle ne le sera plus. Des histoires tristes. Les histoires d'amour le sont toujours car toute chose à une fin. La mort ne prend pas de vacances et emmène sur son passage le cœur de ceux qui restent en vie.
Alice tend une main vers l'inconnu qui ne gardera pas longtemps ce titre. Des petits doigts aussi espiègles que curieux qui touchent des cheveux et qui fatalement tentent de se glisser dans un orifice. Une oreille. Scipion se crispe un peu et c'est ce qui fait immédiatement réagir le professeur. Il reprend sa fille entre ses bras alors que cette dernière tentait de grimper sur le nouveau membre de leur famille.
-On attend avant d'explorer l'intérieur des gens jeune fille. Même si ce sont des amis.
Tobias se cambre, courbe l'échine pour mieux poser ses lèvres sur une des tempes de son forain. Rapidement les bouches qui se sont liées pour la première fois la veille se retrouvent comme-ci elles se connaissaient depuis toujours. Mutin, presque enfantin l'anglais se joue d'espièglerie. Sa langue passe, caresse des lèvres qui s'ouvrent pour elle. Une main jalouse empoigne ses cheveux, le force à donner fin à cette bulle douceur. Sourire désolé aux lèvres, il se redresse puis finalement se met debout.
-Je suis désolé. Il va nous falloir un peu d'adaptation. À elle comme à moi. Je vais la chan..
Une main se pose sur ses lèvres. Il fait mine de mordre cette tentative pour le forcer à rester muet. Une erreur qui donne champ libre à un doigt pour se fourrer dans sa bouche tout en étirant au maximum sa lèvre inférieure.
-'e 'isais... Vais la 'an'er
Crachat de petits doigts autoritaires.
-Et je reviens. Tu peux dormir si tu veux.
[...]
La couche termine lancée dans la poubelle appropriée. Tobias tourne la manivelle qui emballe proprement la bombe puante, referme l'objet de tout les cauchemars. Oreille de lapin tenue entre ses dents, il resserre sa prise sur sa fille, attrape les vêtements sales de la nuit dans sa seconde main. Alice tire sur la peluche tout en babillant férocement son agacement. Le programme télé a été changé pendant leur absence et le chasseur laisse enfin le doudou de sa fille lui être enlevé au moment de poser cette dernière sur le sol.
-Maintenant c'est mon tour. J'en ai pour... Trente minutes je crois.
Il rangera ce soir. Le programme de ce début de matinée est bien plus intéressant. Alice file à quatre-pattes telle une fusée en direction du panier qui contient une partie de ses jouets. Lapin a déjà été abandonné près du sofa au profit d'un xylophone que le professeur regrette d'avoir acheté. Avec ce sinistre engin la petite lui joue la mélodie du malheur bien trop souvent pour que le mélomane qu'il est ne parvienne à l'apprécier.
-Si elle t'embête tu peux lui donner à manger. Ou mettre de la musique, les vinyles sont dans le salon. Et si tu sais jouer du piano ça peut aussi fonctionner. Si elle te fait de vraies misères n'hésite pas à venir me chercher.
Juste trente minutes. Ce n'est pas grand chose mais ça peut être celles de trop. Il a fallu moins de temps que ça à Alessandro pour pendre la petite au porte manteau il y a quelques mois.
Chéri. Scipion était "chéri" maintenant. Un frisson dont il ne savait pas s'il était agréable ou désagréable, ou les deux, courut le long de son échine : le mot l'avait surpris. Il n'était clairement pas prêt à l'utiliser. Mais il savait une chose : ce mot était une putain de formule magique qui l'asservissait complètement. Tobias pouvait faire n'importe quoi, sur le moment. Il aurait été incapable de protester. Il était sous le choc.
Dormir n'était plus une option, mais son immobilité en donnait l'illusion ; très bien, tout le monde était content. Surtout la chenille, qui s'amusait à sa façon, bavait sur l'un, tentait de ramper sur l'autre, dans l'ignorance totale des bonnes manières dont son père semblait pourtant adepte. Il allait falloir attendre de longues années avant qu'elle prenne le pli... si elle le faisait un jour. Quelque chose disait à Scipion que sa propre présence, si elle s'attardait, serait un grain de sable dans ce joli engrenage.
"On s'embrasse pas devant la petite, noté," marmonna-t-il en retombant sur le coussin où son visage disparut totalement, ne laissant de lui qu'une méduse de cheveux chaotiques. En quelques secondes, il avait replongé dans la torpeur. Mais il ne dormait pas. Il en était devenu incapable. "Chéri" hein ? Ça fait quoi un "chéri" ? Il finit par se traîner à la recherche de quelque chose de cinématographiquement acceptable. Il va créer son propre genre de "Chéri", dans cette baraque, et cette intervention d'urgence en fait partie.
Alors qu'il s'attendait à voir Tobias revenu pour de bon, et lui adressait déjà un sourire ensommeillé, prêt à tendre les bras comme un bébé numéro 2 qui réclame sa dose d'attention, voilà que l'autre s'éloigne à nouveau. D'abord dépité, Scipion panique aussitôt : ah mais... il a laissé le bébé par terre ? Mais non ! Il va arriver quelque chose d'horrible et ce sera de sa faute ! Comment le gérant officiel de la chenille peut-il être aussi calme ? Bon, pour le moment tout est sous contrôle, elle s'occupe à sa façon, mais elle va probablement avoir un accident domestique dans les trente secondes qui suivent.
Les poings serrés, Scipion la suit des yeux en se demandant ce qui est le plus raisonnable : bouger ou ne pas bouger. Ce qui hâtera le moins la catastrophe imminente. Ah ! Manger, c'est vrai. Le petit déjeuner. Il s'esquiverait bien dans la cuisine, mais s'il laisse la chose sans surveillance plus de quelques secondes, elle va tomber par la fenêtre, c'est certain. La mauvaise influence de Peter Pan.
Voyons, comment font les autres... Il n'avait pas réfléchi à sa famille depuis un sacré paquet d'années, mais quand il y songeait, il se rappelait avoir vu sa soeur enrubanner les siens dans une sorte de grand foulard, pour les garder pendus à son cou comme de petits kangourous, pendant qu'elle faisait le repas. Rien que de poser les mains sur cette petite marionnette en porcelaine, il était terrifié... la petite nuque de lapin semblait aussi stable qu'un château de cartes, et ce crâne mou était du tissu de cauchemars ; tout son squelette devait être mou là-dedans.
Tobias la portait facilement. Il avait l'habitude, le salaud. Scipion se rapprocha furtivement de la petite proie et finit couché sur le tapis, à côté d'elle, en observation. Elle était en forme, pour l'heure qu'il était. Il avança sa main, reçut un coup de baguette de xylophone sur les doigts, et émit un petit grondement.
"Tu viens, on va faire le café pour papa. Tu aimes les cookies ? Non, trop sec. T'es trop petite," ricana-t-il avec satisfaction. Le sourire qui lui fut adressé en réponse lui confirma deux choses : la chenille n'avait pas assez de dents pour manger des cookies. Et elle était trop candide pour son bien.
Quelques instants plus tard, il avait embarqué le paquet jusqu'à son manteau, dont il sortait un grand turban créole aux teintes rouges passées qui lui servait de foulard, par les jours de grand vent. C'était une solution intéressante. Il n'avait pas encore osé porter la chenille ; il l'avait poussée devant lui à petits coups de patte, jusqu'à ce qu'elle rampe à l'endroit désiré. Il plissa les yeux comme s'il risquait de se brûler en l'asseyant sur ses genoux : elle était lourde et chaude comme un petit animal, et aussi remuante, mais il aurait été infiniment plus à l'aise avec un lapin. Bon, il fallait se dire ça. C'était un très laid petit lapin sans oreilles et sans poils. Et sans dents.
La construction de la balançoire fut plus simple que prévu. Ses réflexes de bricolage avaient repris le dessus sur son angoisse. La chenille paraissait suffisamment entortillée dans son cocon pour ne pas pouvoir en sauter à volonté, et pas assez pour s'étouffer, ce qui était l'équilibre désiré. Scipion se releva prudemment, et mit le cap sur la cuisine. Pour le moment, ça marchait. Il expliquait tout ce qu'il faisait à la petite, espérant que le bruit de sa voix la calmerait, et finit par chantonner en français :
"Je suis une fête foraine A moi tout seul..."
Sans catastrophe, non pas sans bave, mais il fallait s'y faire, le petit déjeuner termina sa course sur un plateau devant la télé. Un café, deux tasses, un saladier de cookies, et une pomme qu'il avait trouvée et qui était pour lui. Il délivra la chenille à nouveau mais garda l'écharpe autour de son cou, et finit par s'y enrouler en attaquant la pomme comme un sauvage. Il avait l'air d'un ballot de tissu quand Tobias le rejoignit. Et la chenille avait l'air d'un petit xylophoniste joyeux.
"Hé ! T'as vu ! Elle est encore vivante !"
Il était tout fier. Il n'y aurait pas forcément cru quelques minutes plus tôt, et le retour du père légitime était un immense soulagement. Au moins, si la catastrophe avait lieu, Tobias en assumerait la responsabilité. Avec un temps de retard, Scipion ajouta :
"...chéri."
S'il avait l'air de rigoler, ça passait.
Tobias Rapier
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Il peine à garder un esprit calme quand il entre dans la salle de bain un costume frais à la main. Il vient de confier la garde de sa fille à un homme qu'il ne sait dans quelle catégorie ranger. S'il paraît comme difficile, voir même impossible à Tobias de voir Scipion comme un inconnu, il doit bien admettre que les informations qu'il détient sur le jeune forain sont maigres. Proches du néant. S'il n'est pas du genre à se confier sur les troubles qui bien souvent agitent son âme il a trouvé là plus fort que lui à ce petit jeu. Certes c'est un peu de sa faute, il n'a posé aucunes questions. Sans doute parce qu'il avait malgré lui peur des réponses qu'elles auraient fait naître. Il se libère de son boxer, croise son regard noir dans le miroir accroché au dessus du meuble à double vasque. Marmonne plus pour lui même qu'autre chose.
-Tout va bien se passer. Les coyotes ne mangent pas leurs petits... T'en as assez vu pour le savoir mon vieux.
Le voilà qu'il se met à parler tout seul. Ce qui n'est pas si fou que ça. Non le pire c'est que ce matin, il ne parvient à quitter son reflet du regard. Comme si ce grand bonhomme qui le fixe de son regard usé par cette courte nuit allait lui donner une réponse. Celle qui apaiserait son cœur et qui mettrait fin à toutes ces interrogations qui fourmillent à l'intérieur de son crâne. Il tente un sourire, une offrande pour rendre la chose anglaise qui le regarde de haut plus docile. Un peu d'assurance contre un rictus. Face à lui le triste homme ne répond rien, l'imite juste à la perfection. Ce sale corbeau le nargue et lui fait la nique avec son sourire moqueur. Tobias enrage et après un raclement de gorge fuit pour aller se planquer sous la douche.
Il agit vite et bien enfin c'est ce qu'il tente de faire. Sous le jet brûlant il attrape à l'aveugle shampoing et savon. Se frotte le corps avec un et les cheveux avec l'autre. Trente minutes, c'est peu. Mais cela lui paraît soudainement être une éternité. Trente minutes, Alice pourrait se blesser, faire ses premiers pas ou même dire papa sans qu'il puisse se faire témoin de cet exploit, ou même chuter par la fenêtre. Dans sa panique l'anglais ne réfléchit plus et perd toute raison pour sombrer dans la démesure la plus totale nourrie uniquement par l'angoisse. Il ouvre la bouche, la referme immédiatement quand un peu de mousse pénètre l'intérieur de celle-ci. Maudit sa stupidité par la même occasion.
Quand il sort de la douche, à l'instant où il enjambe la baignoire pour s'en extirper il ne s'est écoulé que sept minutes depuis le moment où il a quitté le salon en y abandonnant Alice au bras d'un chéri qui ne semble pas vraiment en confiance avec les enfants en bas âge. L'anglais a mangé du savon, son dos est rougit par l'eau brûlante et ses cheveux sont aussi rêches que du carton. Pourtant quand il retrouve place devant la glace et qu'il attrape son rasoir, il hausse un sourcil surpris sans cette fois prêter la moindre attention au curieux qui le dévisage.
-... Chéri ?
Il dégouline sur la carrelage immaculé. La sortie de bain utilisée la veille par Scipion a été mise à la machine à laver par les bons soins du professeur un peu plus tôt dans la matinée. Lui habituellement maniaque de l'ordre et de l'hygiène, ennemi naturel de la poussière et du désordre perd tout ses repères. Il fige sa main qui tient le blaireau au dessus du morceau de savon. Cherche la faille. Avec Wesley c'était facile mais si différent. Comme une routine qui s'est huilée dès le premier rendez-vous. Une de celles qui rassurent, pas comme celles qui tuent l'amour au fil des jours qui passent. C'était doux, apaisant. Ça lui a montré qu'aimer à nouveau ce n'était pas la trahir. Avec Wes ils débutaient, ils apprenaient.
Scipion n'a rien à voir avec tout ça. Il semble fou, vit sur une planète où rien ne tourne rond. Et l'anglais trouve ça étrangement amusant. Intriguant. Il veut comprendre. Lui l'homme qui a été un petit garçon passant toutes ses journées le nez dans des livres pour essayer de tout savoir. C'est si simple et ça le réchauffe. Cette nuit il était bien avec ce corps serré contre le sien. Hier soir il n'est que très mal parvenu à dissimuler sa joie de le voir chez lui. Scipion n'est pas un ami. C'est son ami. Ou même son chéri. Sa langue en fourchant naturellement ne s'est certainement pas trompée. Tobias inspire, lève le blaireau et rapidement se barbouille le menton et les joues de mousse aussi blanche qu'épaisse.
[...]
C'est aussi soigné que ses aventures sous la douche le lui permettent qu'il rejoint à la hâte les deux autres dans le salon. Sans broncher à la mention du fait que sa fille soit toujours en vie il s'affale sur le canapé. S'il osait un mot sur le sujet il y a fort à parier que celui-ci ne serait que peu amusant au vu du sort que le destin a réservé à son premier enfant. Le café lui fait de l’œil et il ne veut pas risquer une dispute si tôt dans la journée. Hier c'était déjà trop à son goût. Le regard morne il tend la main vers une tasse, la remplit aussi haut qu'il ne puisse le faire sans risquer de tâcher sa chemise immaculée. Ses lèvres frémissent un sourire à l'entente du mot. Formule magique, presque mystique. S'il était joueur il hurlerait à la vie que malgré les embûches que cette dernière sème sans cesse sur son chemin, il parvient encore à trouver la force d'être heureux. Mais il n'ose brandir la carte de la provocation. Qui sait quel malheur pourrait leur tomber dessus s'il prenait un tel risque. Ses lèvres s'ouvrent pour prendre la forme d'un cœur qui se veut racoleur, sa langue part caresser celle de l'étage supérieur.
-C'était osé mais tout aussi sincère chéri. J'espère que tu ne m'en tiendras pas rigueur. Si ça te déranges on peut rester sur Ballmeyer. Enfin si tu m'expliques pour le hérisson.
Il peine toujours à voir le lien entre lui et ce petit animal.
Sans un mot de plus, il courbe l'échine et trempe ses lèvres dans le liquide encore fumant qui lui réchauffe les mains à travers son écrin de céramique. À l'odeur il savait déjà que quelque chose manquerait à l'équation. Au vu de la scène jouée la veille il ne s'attendait pas à recevoir un autre traitement de toute évidence, mais la surprise se fait plus novatrice encore. Le café amer est noyé dans le sirupeux. Un bec sucré comme le sien devrait apprécier l'expérience sans mal, mais ce n'est pas le cas. Coûte que coûte il avale une gorgée puis une autre. Se force, pousse sa politesse à l’extrême.
-Tu l'as sucré avec quoi ?
Du miel si son instinct ne le trompe pas. Épais, sans doute celui qui dont il se sert pour faire les biscuits et qu'il tartine sur les scones le dimanche après midi quand Jasmine passe prendre le thé à l'appartement. Ce n'est pas si mauvais, mais c'est loin de ce qu'il sait apprécier en temps normal. Il pourrait quémander un verre d'eau pour faire passer cette étrange impression qui englobe ses papilles et qui étouffe sa langue. En temps normal il serait déjà debout en train de se servir un verre pour oublier cette sensation qui ne lui sied guère. Un mauvais souvenir dont il ne parvient pas à se rappeler la naissance.
C'est comme un bonbon. Une ruse pour parvenir à faire manger leurs légumes verts aux enfants. Une fourberie.
Tobias pose sa tasse. Trempe son bout de doigt gauche dedans. Insensibilisé, le moignon de son auriculaire n'a plus autant de sensations qu'auparavant. Une gêne qui aujourd'hui se fait bénéfice. Il sort son doigt, cherche la tromperie instinctivement. La moindre poudre blanche qui ne devrait pas être ici. Evidemment nul intrus dans son café du matin.
Lorsque Scipion s'agite, Tobias explique.
-C'était très bon. Mais je ne sucre plus mon café au miel depuis que j'ai quitté l'hôpital. Je le préfère sur mes tartines.
Il tend la main vers les cookies, en pose une moitié dans sa bouche pour le ramollir avant d'en tendre les morceaux à Alice qui a délaissé son xylophone pour venir vers lui. Doucement elle pioche dans la main de son père, puis intriguée porte la nourriture à ses lèvres. Le professeur offre un clin d’œil à son amant puis reprend.
-Ils mettent les gens qui voient des choses étranges dans des hôpitaux. Enfin moi j'y suis allé tout seul, comme un grand. Cela doit faire presque quatre ans que je n'ai pas croisé de coyote. Je suis heureux que nous nous rencontrions seulement maintenant car notre relation aurait été plus délicate à cette époque.
Scipion n'était pas du genre à s'étouffer dans son verre ; il fit une petite exception avec sa tasse de café sucré. On ne parlait plus de totems, là. On parlait d'un sixième sens et les "choses" que voyait son hôte n'avaient rien d'éthéré, puisqu'il en avait étreint une dans son lit cette nuit, pour leur plus grand plaisir à tous les deux. Mais Scipion avait toujours ce petit moment de frayeur quand sa nature plus ou moins bien cachée était aperçue. Un moment "coyote pris dans les phares d'un véhicule", disons-le ainsi. Il avait taché sa chouette écharpe de liquide quasi bouillant, ça n'était pas bien grave, mais l'origine du sursaut pouvait l'être davantage. Il se dépêtra en marmonnant d'un petit air mi-vexé, mi-déçu de lui-même :
"C'est très bon mais tu n'aimes pas. Oh, attends !"
Précipitamment, Scipion fila à la cuisine de nouveau. Il se sentait déjà parfaitement chez lui dans cette pièce, et puis, elle était déserte. Il profita du petit voyage pour effectuer un rapide classement dans ses idées. A son retour, il affichait un sourire assuré à nouveau. Il ramenait un verre de lait tiède et un cube de sucre ; le lait pour tremper les cookies, le sucre pour le café. L'idée de mélanger du lait à son café lui avait toujours semblé un peu absurde, il n'imaginait pas qu'un homme sérieux comme le professeur se permettait de tels comportements.
"Donne-moi ta tasse, je vais la boire. C'est une manie chez moi, je mets de ça partout : du miel et des épices. Sur la viande, aussi. C'est drôlement bon, ça, en grillades."
Inclinant le bec de la cafetière, il servit une autre tasse en remplacement de celle qu'il venait d'engloutir ; il restait sans doute quelques particules de miel collées au fond, mais il ne comprenait pas que ce soit un si grand problème. Ah, c'est juste que Tobias était un vieux monsieur, figé dans ses habitudes. Il était grand temps qu'il débarque pour secouer tout ça, amicalement bien sûr.
Il fallait tout de même qu'il réponde quelque chose. Légèrement fuyant, il suivit des yeux la petite menace baveuse qui évoluait autour de son interlocuteur. Elle n'avait pas peur qu'il le mange, tout de même. Ah, si elle était jalouse, il n'avait pas fini de rigoler. Il faudrait trouver des ruses pour esquiver son attention, des danses de sioux pour passer sous le radar et approcher l'objet de sa convoitise. Il s'en réjouissait déjà. Il découvrait aux gosses une utilité qu'il ne leur aurait pas soupçonnée : jouer au gendarme et au voleur. La fille de professeur, quant à elle, apprendrait le plaisir de lui faire la leçon.
Le regard du coyote démasqué glissa, doré et attentif, sur la main abîmée. Ouais, il avait dû y passer plus d'un séjour, dans son hôpital, surtout étant donné les autres marques qu'il avait aperçues au long de son corps, durant son inspection de la nuit passée. Sur le moment, il n'avait fait aucun commentaire. Il n'en ferait sans doute pas.
A moins qu'on lui signale une douleur quelque part, quelque chose à éviter, ou à traiter avec ménagement, il rangeait ça dans la catégorie des décorations ; avec les marques de naissance, les blessures de guerre, les taches de rousseur et les tatouages. Il était bien content qu'on ne lui demande pas d'expliquer les siens par le menu, surtout pour les plus cons d'entre eux, qui l'auraient placé sous une lumière quelque peu embarrassante. Alors il n'allait pas agonir de question quelqu'un d'autre. Ça n'aurait pas été correct.
"...Moi, je suis content que tu sois sorti de ton hôpital. Mais j'y vais parfois. On aurait quand même pu se croiser."
Il aurait été dommage que cela se fasse dans d'autres circonstances ; celles-ci étaient parfaites. Ils avaient pu constater qu'ils se supportaient en tant que co-spectateurs, la base de toute relation à long terme, bien sûr. Comment, sinon, auraient-ils pu s'en assurer en même temps et avec la même acuité ? Non, il fallait qu'ils soient réunis dans cette salle vide, avec tout le confort qu'ils avaient apporté, et devant cette projection interminable, aussi étrange que leurs vies. C'était la meilleure des présentations. Et maintenant...
"Pour le reste, j'en parle pas. J'ai pas l'habitude. Les "chéri" et... le reste. Mais ça veut pas dire que je dis non ! Ça veut juste dire que j'en parle pas."
Deuxième café englouti. Toujours pas de cookies. C'était pour Tobias, pour paiement de son hospitalité, et pour son goûter à l'école, pour qu'il dise à ses collègues où il les avait reçus. Il le ferait, sûrement, tôt ou tard. Scipion aurait aimé être une petite souris le jour où ça arriverait. D'ailleurs le café était assez sucré pour qu'il n'ait pas besoin de davantage d'énergie. Soudain, alors qu'il se préparait à aller chercher ses vêtements, où qu'ils soient, une pensée lui traversa l'esprit. Il allait rencontrer aujourd'hui un type qui inspecterait ses locaux. Pour ça, il fallait que les locaux soient installés. La fatigue lui retomba dessus d'un coup. Ce serait une longue journée.
"Dis, je pourrai revenir ce soir ? Je ramène mon lecteur de cassettes."
C'était dit d'un ton tellement piteux que ça aurait pu signifier : je peux avoir un câlin ? Dur de se faire à cette vie où tant de choses devenaient précieuses, toutes en interaction fragile les unes avec les autres, toutes capables de faire chuter l'ensemble. Un château de cartes, un jeu de mikado. Que s'était-il passé exactement, depuis le dé qui roulait tranquillement au long de la route et formait sans cesse des chiffres différents ? Une petite soirée tendue et une chute sur un matelas trop confortable, voilà ce qui s'était passé. Il n'en avait pas fallu davantage.
Sa soeur lui aurait dit : bienvenue dans l'âge adulte. Et il lui aurait tiré la langue.
Tobias Rapier
Brumes du Passé : Humain Meute & Clan : Rapier's Familly Âge du personnage : 45 ans
Meute & Clan : Aucun Âge du personnage : 46 ans
Brumes du futur : Loup Alpha Meute & Clan : Rapier's Pack Âge du personnage : 55 ans
Alias : Le Freak Humeur : Dantesque Messages : 1132 Réputation : 295 Localisation : Jamais loin de sa flasque
Le professeur tend la main vers un second cookie. Il vient de lâcher sa bombe et tente avec désinvolture de reprendre pied. Un surnaturel chez lui. L'idée est acceptable car loin d'être novatrice. Pour dire vrai durant cette année qui vient de s'écouler, Tobias est parvenu à une évolution dont il ne se serait jamais cru capable avant de venir poser ses valises dans cette petite ville perdue au milieu de la Californie. Non l'inédit dans toute cette histoire c'est tout le reste et au vu de la réaction de Scipion, ou plutôt de l'absence de cette dernière il semblerait que l'anglais ne soit pas le seul à trouver cette situation un peu folle. Dépassé par les événements il ne pensait pas qu'il donnerait le fruit de ses déductions à l'autre aussi rapidement. Non il comptait bien garder tout cela pour lui. S'en servir uniquement en cas d'urgence. De la pire des manières évidemment. Cette information, cette connaissance du statut de l'autre... Entre ses mains c'était aussi dangereux qu'un briquet confié à un pyromane. Il a bien fait de parler immédiatement.
Qu'aurait donc fait Néron dans un pareil cas de figure ? L'exemple est imprécis mais amuse l'anglais. Tobias ne fait flamber ses propres ennuis que lorsque cette solution est la dernière qui s'affiche sur la liste des possibilités que lui offre la vie. Quand Alice lui fait don d'un sourire tout en candeur, celui qui se paie une place de premier choix sur le visage de son père n'est que froideur et sadisme. Quand ses dents s'enfoncent dans le biscuit qui fond en miettes sucrées sur sa langue sensible il demeure imperturbable. D'une main légère il donne sa tasse presque vide à Scipion, en récupère une autre en échange. Pleine cette fois. Il aura sa dose de caféine ce matin et pour le reste, il lui suffira d'attendre sa pause de midi. Le Pink ou ailleurs, n'importe quel endroit où l'on saura lui mettre un verre d'ambre liquide et une assiette bien garnie sous le nez. Le seul lieu qu'il s'interdit à présent c'est le restaurant de Dev. La dernière fois qu'il a été y prendre son repas il était accompagné de sa collègue de chimie. Lui et Wes sont allés si souvent manger dans ce lieu qu'il lui est inimaginable d'y retourner maintenant que son doux libraire n'est plus de ce monde. Un voile de tristesse passe sur le visage de l'anglais. Ce corps chaud contre le sien qui boit actuellement sa seconde tasse de café. C'est compliqué de ne pas voir cela comme une trahison qu'il impose à la mémoire si fraîche et fragile du blond. Son cœur lui joue bien de tours en ce moment, des choses qu'il a presque oublié pendant quinze ans, des instants qu'il s'est interdit. Se réveiller bercé par la chaleur de l'autre, un peu de peau contre la sienne. Un peu de tendresse dans une étreinte charnelle. Donner les rênes en confiance, sauter dans l'inconnu avec une personne qu'il ne connait qu'à peine.
-Le cinéma c'était bien. J'ai dit à Alessandro que nous avions été présentés par notre amie Laura quand il m'a demandé si je te connaissais.
À l'hôpital il ne se montrait pas sous son meilleur jour. Quand on franchit les grilles d'un pareil endroit, on ne recherche rien de doux. Juste ce qu'il faut pour survivre quand on est parvenu à se persuader de sa propre monstruosité.
Au cinéma c'était parfait. Un peu de flou dans le paysage bien rangé de sa vie. De la beauté et de l'affection là où il ne pensait pas la trouver. Il paraît que c'est dans ces moment là que la magie opère. Quand on cesse de courir après le bonheur, c'est là que ce dernier se montre. Dans cette salle de cinéma presque vide où seuls battaient deux cœurs à l'unisson au rythme des mésaventures de Laura Palmer, c'est dans cet endroit qu'il s'est senti humain à nouveau. Tobias grince un rire quand le sujet du chéri revient sur le tapis.
Les règles de ce jeu il ne les connait pas lui même. Dire le contraire pour rassurer l'autre ne serait que mensonge et l'anglais déteste ça. Camoufler une vérité par des propos apaisants qui seront fatalement trompeurs à un moment ou un autre. On ne badine pas avec les histoires de cœur. En tout cas c'est ce qui se dit. De toute manière Tobias n'est pas le roi des plaisantins donc cela ne le dérange en rien. Avec Scipion il ne sait pas où ils vont ni à quel rythme. Cela n'angoisse pas l'anglais. Il doit profiter d'aujourd'hui sans permettre à son esprit de s'inquiéter à propos de demain. C'est cette leçon qu'il a apprise durant cette matinée passée avec Mafdet. Il prend un cookie supplémentaire, le porte à ses lèvres. Manque fatalement de s'étouffer avec son biscuit quand le coyote lui demande s'il peut revenir ce soir.
Le chasseur tourne la tête vers son amant, un sourcil surpris soudainement grimpé bien haut sur son front. Il vide sa tasse de café à grands renforts de gestes lents et mesurés. Termine presque son biscuit, n'en laissant qu'un dernier morceau qui finira trempé dans du lait pour Alice. Puis après avoir longuement choisi ses mots, il demande. Curieux et presque intimidé malgré lui.
-Tu veux revenir ? Je croyais que les sédentaires étaient des gens étranges. Tu n'as pas peur que je te contamine ?
C'est de l'humour. Pour cacher un trouble plus sérieux. Scipion n'a pas l'air à l'aise avec Alice et Tobias ne pensait pas que le forain allait lui proposer de revenir aussi rapidement. L'anglais se sait parfois acariâtre, il a bien souvent le mot dur et maladroit. Pour se faire une place dans la bulle où il évolue, la ténacité est une qualité non négligeable. Le professeur se lève sans oser répondre quoi que ce soit d'autre. Vaisselle sale dans les mains, il passe dans la cuisine pour tout lâcher dans l'évier. Dans sa chambre il boit une gorgée à la source de l'interdit, planque le goût avec morceau de caramel mou sans remords. S'offre même un détour vers la buanderie pour aller chercher les vêtements à présent secs de son amant. Des ruines, presque lambeaux de tissu auxquels le ring à donné le coup de grâce. Il faudra que Scipion pioche dans sa garde robe s'il ne veut quitter l'appartement cul nu.
C'est en passant une veste de costume noire hors de prix qui ressemble à toutes celles qui dorment dans son dressing qu'il revient dans le salon. Scipion est encore là. Il attend une réponse qui ne s'est toujours pas fait entendre. Avec un doux baiser, le professeur tente de calmer son trouble.
-En fait je pensais te proposer ma présence ce soir.
Sourire espiègle aux lèvres, l'anglais ne se permet que peu de douceur avant de reprendre. Plus sérieusement cette fois.
-Une de mes sœurs vit en ville. Je pourrais lui demander de prendre la petite pour la nuit. Et donc venir chez toi. Je ne suis pas entré la dernière fois car j'avais peur d'être incapable de repartir.
Un aveu de faussaire pour camoufler une vérité moins jolie. Mais c'est ce qu'il a de mieux à offrir pour l'instant et le professeur doute de pouvoir un jour faire plus. Il ajuste les manches de sa chemise d'un geste qui se veut emprunt d'une certaine nonchalance. Ne manque plus que les chaussures et le sac d'Alice pour qu'il soit prêt à partir travailler. Il a envie d'une cigarette, la dernière remonte à trop longtemps pour qu'il ne puisse encore en apprécier les bienfaits. Habituellement il assouvit ce vice dans la cuisine, hotte allumée pour que cette dernière puisse avaler la fumée empoisonnée avant que sa fille ne vienne la respirer.
-Jasmine va t'adorer. Elle risque même de vouloir te prendre à moi pour t'afficher dans la vitrine de son salon.
Un autre baiser puis il ramasse les quelques jouets qui traînent sur le tapis. Tout cela termine dans le panier qui leur est destiné. Alice mâchouille son lapin en peluche, chantonne dans un coin son plaisir en jouant avec ses orteils. Une vision de bonheur rassérénant pour celui qui croyait avoir perdu toute chance de retrouver un jour une famille.
-Il faut qu'on regarde la chambre jaune. Twin Peaks aussi. À l'époque j'avais du voir une demie-douzaine d'épisodes avec Mary. Dans le désordre évidemment... Et en plus j'ai pas la télé dans la chambre, ton lecteur ne servirait pas longtemps.
Jasmine ne devrait pas être compliquée à convaincre. Certes elle se montre un peu hésitante avec sa nièce et ce service rendu ne sera pas gratuit, mais l'anglais est certain que sa sœur ne lui fera pas faux bond.
Ça veut dire non. Ça veut forcément dire non ! C'est une manière gentille et courtoise de dire non. Il a dû faire une connerie avec le bébé. Evidemment. Il savait que ça serait le bordel, cette chenille. Ça rampe et ça bave et ça gâche les moments en amoureux. Ça ne sait même pas profiter d'un spectacle. Qu'est-ce qu'il peut faire de bon avec ça ?
Scipion évite de son mieux d'imaginer l'autre alternative : le professeur a étudié les zones sombres de l'existence, il en sait énormément sur les créatures telles que lui, et il en a une opinion qui n'est pas compatible avec une relation suivie. Pas forcément une opinion négative ; peut-être une opinion de scientifique. Ou de dératiseur, vu le matériel qu'il planque dans ses étagères. Cette maison n'est pas baby-proof. Il faudrait que quelqu'un range tout ça.
Ce n'est sûrement pas Scipion qui va le faire. Parce que lui, il n'habite pas ici, il n'y habitera jamais. Il n'habite nulle part. C'est sa vocation, pas vrai ? Cette conviction sonne faux et creux quand il se la répète, il a l'impression que le café sucré dont le goût était si réconfortant s'est changé en poison dans sa gorge. Une amertume qui n'est plus que cela. Il tremble, mais intérieurement. Il ne faut surtout pas que ça se voie. Ce serait le dernier clou du cercueil.
Rien à faire, alors il se vautre, les yeux sur l'écran qui l'indiffère, les bras serrés sur son coeur sous l'écharpe qui l'enrubanne ; et il essaie de ne pas réfléchir. Mais il faut qu'il aille préparer la maigre fête foraine que ses aventures ont amassée au long des routes ; quelqu'un va venir l'inspecter, et ce n'est pas un quelqu'un qui plaisante avec les maladresses. Il faut qu'il soit en pleine forme. Ça ne sera pas possible dans ces conditions. Bah... il s'en fout. Il les emmerde, tous. Qu'ils aillent se faire natter les vertèbres par un troll sur leur foutu ring qui sent la clope. En ce moment, Scipion n'a plus envie de rien. Petit moment de désespoir. Quand le dé s'arrête de rouler, on prend le risque qu'il tombe sur le plus bas chiffre, celui du gouffre, celui qui plonge et entraîne le joueur avec lui.
Ses paupières se rouvrent quand les lèvres de son amant se posent sur les siennes, éveillant un sourire involontaire. Puis le verdict le délivre enfin, et Scipion laisse retomber sa tête sur le coussin du dossier, dans un soupir de soulagement. Vilain monsieur. Il s'est amusé à le torturer tout doucement, mine de rien, pour mieux le rassurer ensuite ; s'il n'y avait pas la petite dans la pièce, ça mériterait une vengeance qui les reconduirait au lit, et les mettrait en retard tous les deux. Vilain monsieur qui ne fait évidemment jamais ce genre de chose. Lui, en retard ? Il va être en avance, oui... Comme s'il tenait à ce que ses collègues ne se doutent de rien.
C'est vrai que, s'ils le connaissent comme un tragique malchanceux en amour, ils risquent de paniquer en apprenant qu'il a ramené un vagabond dans sa chambre. Enfin, Tobias n'a rien ramené du tout, c'est le vagabond qui s'est invité. Pire encore. De là à ce qu'on l'accuse d'avoir profité d'un coeur en plein état de faiblesse... Ou de lui avoir jeté un sort... Il a déjà traversé des patelins perdus où l'on croyait encore à ce genre de choses. Et aussi, aux terrains hantés bâtis sur d'anciens cimetières indiens. Scipion y voyait surtout les relents d'une culpabilité semi-récente, semi-oubliée ; on hait les gens à qui on fait du mal, quand on est superstitieux et qu'on croit au retour de bâton.
"Soyons clairs : tu avais peur tout court, la dernière fois. J'ai bravé ma peur en entrant dans ton repaire sinistre, et maintenant tu dois me rendre la pareille, parce que ton amour-propre le réclame."
Alors, oui, certes, les habits avaient pris un coup. Mais une fois enveloppé dans son manteau, Scipion était presque présentable. Il s'admira dans un miroir, fier de ses loques, et revint effrayer gentiment la petite chenille d'un "BOUH", montrant son visage tout à coup après l'avoir dissimulé sous son col et ses cheveux.
De toute façon, c'était juste un pyjama. Il portait ça pour traverser la ville à peu près décemment, il arrivait chez lui, il fusionnait immédiatement avec son matelas et il dormait encore une heure, au bas mot, avant de se coller au travail. Maintenant qu'il avait repris du poil de la bête, il allait tenter de donner la meilleure performance de sa vie à son inspecteur. Question de fierté, et de toutes sortes d'autres sentiments. Et d'instinct de survie. Tiens, à propos de bête. "Ta soeur qui cloue des peaux de bêtes sur les murs... La mienne tanne des peaux de croco, on est quittes. Faudra que tu me parles de ta famille, si on a le temps ce soir, à côté de tout ce qu'on a à faire," rit-il de bon coeur en attachant ses chaussures, assis en tailleur sur le sol pour replier ses longues jambes. "Ah, mais attends, elle a un salon – un salon de tatouage ?"
Une étincelle s'anima dans ses yeux couleur de whisky. Ça, c'était la joie et le bonheur. Aussi la perspective de se faire admirer en tant qu'oeuvre d'art, c'était toujours amusant ; et si sa soeur avait quelque chose d'aussi exigeant que le professeur sur certains points, elle allait faire la gueule en voyant une partie du travail qu'il affichait. Ce qui était toujours amusant également. Mais surtout, il fallait qu'il fête son arrivée, et si Tobias avait de la famille dans un salon de tatouage de la ville, il était hors de question que Scipion en fréquente un autre.
Il allait se faire inscrire, quelque part en bonne place, où il trouverait un peu de peau libre, un souvenir de cette étrange et parfaite soirée. Il pensait déjà au symbole gravé sur cette bague démoniaque qui s'échangeait dans la série, une pierre verte marquée d'un losange entre deux pointes de triangle, image d'une chouette aux ailes déployées, si on veut, d'un passage ou d'une flamme ou d'un pin – ou d'une ville – entre les pics jumeaux qui donnaient son nom à Twin Peaks. Juste un petit losange entre deux V inversés, il avait la place pour inscrire ça sur son coeur, c'était kitsch mais ça lui ferait plaisir.
Est-ce que ça ferait plaisir à son -nouvel ami ? (Voilà un titre qui n'était pas du tout gênant à attribuer ou à prononcer. Décidément, il faudrait qu'ils en discutent plus en détail. Il ne voulait pas le vexer avec ça. Ami, c'était le plus haut titre dans son classement des êtres humains jusqu'à récemment. Ça s'attribuait facilement, mais c'était très honorable. Et ça pouvait très bien s'accompagner d'activités plus perverses qu'une partie de poker ou de football. Scipion avait tendance à raisonner en termes de "et/ou". Dans ce domaine et dans les autres. Ah, il se cassait trop le crâne.)
"Tu viens à quelle heure ? Je reçois quelqu'un dans l'après-midi, pour regarder mes installations, tu sais, formalités administratives ; et vers dix-sept heures si j'ai du monde, je fais mon spectacle. Ça peut durer ou pas, ça dépend si les gens s'en vont. Après, les stands s'occupent d'eux-mêmes, faut juste que je surveille. Je ferme boutique quand je veux. On dit que j'avise quand tu arrives, d'accord ?"
Est-ce qu'il allait ramener du monde ? Scipion était impatient à l'idée d'être présenté, son babillage incessant en était le signe. Un peu fébrile, mais agréablement. Et terriblement curieux de constater les réactions de la brave population locale, et légèrement inquiet de suivre leur effet sur Tobias, et... bah, en fait ce serait un jeu d'enfant, maintenant que la chenille le supportait en partie ; il avait passé le cap le plus terrifiant, le reste ne serait que bagatelle.
Tobias Rapier
Brumes du Passé : Humain Meute & Clan : Rapier's Familly Âge du personnage : 45 ans
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Brumes du futur : Loup Alpha Meute & Clan : Rapier's Pack Âge du personnage : 55 ans
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Quand Scipion revient dans le salon après être parti revêtir ses nippes qui ont dû connaître de meilleurs jours, Tobias est quand à lui déjà en train d'achever de préparer le sac à langer de sa fille. Le jumeau de monsieur lapin, des changes, des biberons propres et les doses de lait en poudre. Normalement rien n'a été oublié mais sa crainte de la perte de contrôle et de l'inédit le pousse à tout vérifier trois fois. Une première pour sa conscience, la seconde par maniaquerie et la dernière pour la compulsion. Ses yeux noirs coulent sur son forain, il observe ce dernier en silence. C'est un instant agréable, de la douceur dans son quotidien. De la tendresse embellie par la maladresse de deux hommes qui apprennent à se connaître. Deux hommes qui apprennent à s'aimer souffle la conscience du tueur à ce dernier.
-Salon de tatouage en effet. Elle a eu le sien sur Londres pendant des années et est venue ici pour me casser les pieds il y a quelques mois.
Ou bien seulement profiter du temps qu'il leur reste. Avec quinze années passées sur les routes, Tobias a perdu des occasions de vivre des moments forts avec les siens. Il a même une nièce dont il ne connait le visage qu'en photo. Pire même, Joshua le fils de George qu'il a connu bébé, qu'il a quitté jeune enfant est devenu papa à son tour. Quand sa vie s'est arrêtée, celle des autres a continué malgré tout. Le vide qu'il a alors laissé derrière lui est devenu familier. On a accepté son choix car il n'a pas offert d'autres possibilités aux siens. Savoir qu'un membre du club des cinq est parti sans donner d'adresse en laissant sa place vacante et devoir faire preuve de résilience. Une fissure sentimentale que Jasmine cherche à combler à chaque fois qu'elle débarque à l'appartement sans prendre la peine de le prévenir.
-Ce soir elle va me servir de nourrice. Je vais devoir cesser de médire sur son compte. Au moins pendant une semaine ou deux. Quand tu la rencontreras, tu verras qu'on est assez différents elle et moi.
Les Rapier ont généralement des personnalités bien ancrées mais il faut bien avouer que les femmes sont celles qui montrent le plus la leur dans cette fratrie. L'exemple maternel n'est pas innocent dans cette affaire. Après quatre enfants, Margaret a arrêté de travailler pour se donner entièrement à sa vocation de mère tandis que son mari nourrissait sa famille en travaillant six jours par semaine. Le commandement est alors naturellement devenu une affaire de femme dans leur maisonnée.
Le professeur se redresse sur ses longues jambes, va chercher la veste de sa fille qui est toujours accrochée à la patère qui habille en partie l'entrée de son lieu de vie. Il époussette machinalement l'objet, le déleste de cette poussière qu'il est le seul à voir. Encore une manie née de son besoin de contrôle constant. Il en est à tenter de vêtir sa fille qui n'a pas l'air enchantée par l'idée de partir quand il répond à Scipion.
-Je verrais ça avec Jasmine. Je l’appelle avant de commencer à travailler et je te tiens au courant. Il faudra juste que je revienne à l'appartement pour préparer les affaires d'Alice pour cette nuit.
Habituellement il demande à sa sœur de venir à son domicile s'il a besoin de son aide avec la petite. Mais c'est à chaque fois un jeu risqué. Ses secrets vivent ici avec lui, mal dissimulés. Trop nombreux pour qu'il essaie de tous les cacher. Comme les visites sont rares il se sent ici en sécurité et ne cherche pas à montrer une image de faussaire de lui même. Son passé, ses actes plus souvent mauvais que bons il ne les regrette pas ou si peu que cela ne compte pas. Il est de toute façon trop tard pour qu'il ne se laisse prendre au jeu inutile des remords et des montées de sentiments culpabilisants. Il prend sa fille dans ses bras, la cale sur une de ses hanches. Le sac à langer en bandoulière, Tobias tend finalement une main à son homme. Chéri. Il a bien senti le trouble provoqué par ce mot qu'il a prononcé sous l'impulsion de l'innocence. Chéri. Ça rend tout ça beaucoup trop vrai. Comme-ci son cœur encore ouvert en deux par la perte fraîche d'un être cher voulait le mettre au défi de risquer sa raison une fois de plus pour les beaux yeux d'un quasi inconnu.
-On y va ? Je te dépose en premier.
Comme ça il pourra réapprendre la route qui mène à la roulotte. De nuit la dernière fois il n'y avait pas prêté une réelle attention. Il voulait juste que tout cela cesse au plus vite, n'avait pas comprit que s'il refusait de s'attacher, ce ne serait pas le cas de Scipion qui viendrait en sang sonner à sa porte deux jours plus tard. Et sur le chemin du retour le professeur avait d'autres préoccupations que cette route qu'il était bien décidé à ne jamais devoir réemprunter. Ses yeux embués de larmes, son cœur qui lui hurlait de faire machine arrière, d'entrer dans cette roulotte pour s'y cacher et ne plus jamais en sortir. Sous l'impulsion de l'émotion du moment, il pose sa main contre la peau de l'autre, caresse le menton du coyote, effleure cette encre qui donne plus de beauté encore à cette oeuvre d'art qui a passé la nuit près de lui. Tout contre son corps, tout contre son cœur au fond de son grand lit habituellement si froid.
-Merci d'être venu. Je t’appelle cette fois. Si je ne le fais pas, tu pourras me traquer pour me faire la leçon.
Ses lèvres se déposent sur celles du forain. Un baiser doux qui cesse bien vite de l'être pour se faire enflammé. Dans ses bras sa fille babille mais il est bien décidé à ne prêter aucune attention aux protestations de cette dernière.
[...]
Cette fois son cœur se fait léger à l'instant où il dépose Scipion devant chez lui. Ce soir il reviendra, ne jouera pas une fois de plus le numéro du fuyard terrifié par ses propres émotions. Cigarette emprisonnée entre ses lèvres, il sourit en voyant le coyote approcher sa roulotte. De sa fenêtre baissée il ose une dernière taquinerie avant de partir attaquer cette journée qui sera trop longue à son goût. Mais il va pourtant devoir faire preuve de patience et d'endurance, gérer ce manque d’éthylique dans ses veines sans sauter à la gorge du premier qui aura l'audace de respirer trop fort à son goût.
-Je t’appelle tout à l'heure chéri.
Ça râle. Il reprend plus sérieusement.
-Si le gratte papier n'est pas gentil, donne moi son nom ce soir et il ne t'ennuiera plus.