Aut Princeps, aut nihil [Solo]

Workspace de Beacon Hills, 28 Octobre,

Les doigts d'Evelyn volaient sur son clavier alors que les minutes s'égrenaient au rythme des feuilles tirant sur leur révérence pour l'année. Pour chaque nouveau fil de la robe du deuil hivernal, un mot tombait sur la page noircie du document de l'avocate. Prise d'une passion sans limite, seul le froncement des sourcils d'Evelyn trahissait son épuisement ainsi qu'une longue mèche torsadée qui venait caresser sa joue. Ses yeux passaient de l'écran à ses notes et aux quelques livres ouverts à ses côtés. Un léger rouge montait à ses joues alors qu'elle ressentait une excitation qu'elle n'avait pas ressenti depuis de nombreuses années.

Se reculant sur sa chaise, Evelyn eut le sourire en coin dont elle avait le secret. Ramenant ses mains devant elle, l'avocate relut les quelques mots et le rapport qu'elle avait écrit. La vie de Beacon Hills était aussi surprenante qu'outrageante. Une insécurité liée à des meurtres et des actes de vandalisme se mêlaient à des affaires de corruption et une infrastructure démente. Les faits en soit n'étaient pas une rareté, en particulier dans les villes préférant un maire à celui d'élus par le conseil municipal ou encore la traditionnelle assemblée communale. Ce qui faisait la particularité de Beacon Hills était l'ampleur des phénomènes pour une si petite ville. Evelyn tenait quelque chose.

Ah ! Qu'est ce qu'ils me veulent ? soupira l'avocate en voyant l'icône de Skype s'agiter avec violence sous ses yeux. Un simple clic de la souris lui permit de confirmer l'appel de ses associés. Evelyn hésita une seconde à ignorer l'appel avant de finalement ramener sa mèche rebelle en arrière. Lissant son chemiser d'un geste de la main, elle lança l'appel téléphonique pour tomber sur Maître Connor. Elle salua de la tête son principal associé avant de prendre la parole la première :

Bonjour Teddy. Qu'est-ce que je peux faire pour toi ?
Salut Evelyn ! J'espère que tout va bien pour toi en Californie. se lança chaleureusement le grand homme au visage rougi par sa bonhomie naturelle.
Le cabinet se porte à merveille. Les affaires affluent aussi bien de LA que de San Francisco et Sacaremento. J'ai pu mettre quelques uns de nos nouveaux avocats sur celles-ci. répliqua sèchement Evelyn avant de rentrer légèrement son menton vers sa poitrine. Que puis-je pour toi ? finit-elle par répété, persuadée que l'appel de son associé n'était pas une simple politesse.
J'ai vu que tu avais mis sur Leslie sur une recherche. Tu peux m'expliquer pourquoi tu as besoin d'une juriste de New York ? De plus, je n'ai pas vu une seule affaire concernant la mairie de Beacon Hills ou son comté.

Evelyn soupira et ferma les yeux l'espace d'une seconde. C'était donc cela. Teddy lui faisait payer son départ de New York. Les associés du cabinet n'avaient pas apprécier son désir de s'éloigner de la vie trépidante de la mégalopole tout en gardant un contrôle sur leurs affaires. Prise d'une bouffée de colère, Evelyn agrippa son gobelet de café et le serra brièvement avant de répondre d'un ton posé à Theodore.

Teddy, nous avons mis au clair tout cela avant mon départ. Je reste une associée à parts complètes au sein du cabinet. Leslie était ma juriste. Je compte d'ailleurs la faire venir. J'ai besoin concernant mon projet personnel et elle est bien mieux placée que moi pour faire un tour à Washington.
Tu comptes vraiment te lancer en politique alors ?
Oui. répondit laconiquement Evelyn avant de fermer les yeux une nouvelle fois et de sourire plus gentiment. Je suis sur quelque chose de gros. Le maire a l'air d'être totalement dépassé. J'ai besoin de quelques détails pour monter mon dossier et me faire connaître.
Très bien ! Je te laisse alors...

Evelyn hocha la tête et sourit brièvement une dernière fois avant de couper l'appel. Elle décida d'aller prendre l'air. Plus de trois heures avaient passé depuis qu'elle s'était assise ici. Ses premières tribunes pouvaient attendre quelques jours. Repoussant sa chaise, Evelyn ne prit pas attention aux profondes marques de griffures qui perçaient son gobelet...

Spoiler:

EPSILON

Workspace de Beacon Hills, 28 Octobre,

Le sang coula. Noir pestifère, il laissait des traces macabres là où il se posait. Tantôt arabesques, tantôt traits secs et verticaux, le liquide poisseux marquait son territoire. Une fois sa griffe apposée au sceau de la Mort, son ombre hantait chaque recoin. Rien ne pouvait y échapper ni l'incandescence de la Tradition ni la froideur de la Science. Ces outils tristement humains causaient la perte même de son secret. Ainsi le sang coulait, soumis à une main terrible, implacable. Froide. Son omniscience faillit et l'arme du crime ripa, crissa et aspergea son maître de ce sang noirâtre. Le sang coulait.

Merde.

Evelyn soupira en observant la tache d'encre qui s'étalait sur la paume de sa main. Elle mettrait des heures à s'en débarrasser à moins d'utiliser un de ces effaceurs à l'odeur aussi infâme que douteuse. Peu friande du produit, l'avocate ne pouvait plus le voir en couleur depuis qu'une amie lui avait soufflé que ladite fragrance lui rappelait celle de la semence masculine. Bien qu'elle ait eu conseille a cette tendre amie de changer de compagnon, l'image - ou plutôt l'odeur - s'était imprimée dans l'esprit d'Evelyn, souillé à jamais. Avec un nouveau soupir, l'avocate recula et attrapa un mouchoir dans la boîte disposée sur son bureau.

Tamponnant distraitement sa main, elle se rendit compte qu'elle devait donner une piètre image de l'associée d'une firme légale. Chaussures posées à l'entrée, chemisier bâillant et mèches échappées de son chignon trahissaient son état d'ébullition. Le visage légèrement rougi par sa maladresse, elle baissa les yeux sur son stylo-plume, vestige d'une bataille perdue sur le terrain, mais gagnée par les mots. La feuille blanche déroulait le fil de ses pensées, de son trop-plein émotionnel.

Evelyn se sentait trahie. Tout allait bien dans sa vie, mais un rien la frustrait. Ses plans n'avançaient pas ni même son évolution personnelle. Le contrôle soigneux impose par son esprit s'évaporait aussi vite que les mois passes a Beacon Hills. Son attaque de la mairie était pour ainsi dire inexistante. L'ascension de la colline de la politique se soldait par un siège a son pied. Un siège perce autant de trous que les frontières canadiennes lors de la Prohibition.

Écrire était une échappatoire rare. Evelyn était une oratrice, elle aimait les mots, déformer la réalité et l'imposer. Les mots n'en étaient que le vaisseau, la simple façon de ne pas oublier. Pourtant dans sa forteresse de solitude, Evelyn touchait du bout de doigts l'émulsion intellectuelle qu'elle désirait. Refermant d'un geste sec et rassurant son stylo, Evelyn se surprit à sourire. Évidemment. Il lui manquait deux choses pour réussir.

L'inattendu. Des soutiens.

Une vie en somme.

EPSILON