Papa a reprit le travail en laissant son sourire à la maison. Il boîte certes encore un peu mais une fois ses congés écoulés jusqu'à la dernière minute de tranquillité qu'il avait la possibilité de prendre, il n'a pas eu d'autres choix que de retrouver un bureau qu'il juge riquiqui et la paperasse qui n'attend que son retour pour être traitée. Il parle de trouver un nouveau job admettant difficilement qu'il ne sait rien faire d'autre.

L'ambiance n'est donc plus si douce qu'elle n'a pu l'être ces dernières semaines dans l'appartement et Joanie ne sait quoi penser des tracas de son père. Justifiés certes mais tout de même angoissants au regard de la plus grande de ses enfants. Être adulte semble encore plus compliqué que la jeune femme le pensait. Elle s'y essaie pourtant, sans réelle volonté ce qui explique sans doute le fait qu'elle n'arrive pas à tenir un petit boulot plus d'une semaine. Dans quelques mois elle ne sera plus lycéenne et même si elle a une idée précise de ce que sera son avenir, elle craint que comme son père elle ne puisse déchanter quand ses rêves deviendront cauchemars.

Papa a reprit le travail il y a une semaine, marche de mieux en mieux et ce sans son attelle grâce au thérapeute qu'il visite tout les jeudis après midi. Doucement la vie reprend son fil, mais la jeune femme sait que ce qui s'est passé à Sacramento pourrait recommencer, que jamais la vie d'un flic n'est aussi paisible que celle d'un coiffeur ou d'un boulanger. Sans ce bon vieux Brian son père ne serait plus là, les rendant orphelins elle et Troy par son absence. Le shérif a renoué avec ses mauvaises habitudes, modifiant le planning de Richard pour mieux l'épuiser. Jo et Mafdet s'adaptent pour faire en sorte que le quotidien de Troy ne soit pas trop chamboulé.

Aujourd'hui c'est jour de courses. Maf surveille les enfants à moins que ce ne soit le contraire. Papa a été vague sur le sujet, semblant ne vouloir vexer personne. Troy fait une comédie pour avoir le droit de grimper dans le caddie. Joanie sourit à l'entente des menaces de Maf tout en tentant de se rappeler dans quel rayon sont rangés ces foutus flocons d'avoine dont son père raffole. Pas assez sucrés pour mériter une place au milieu des céréales bourrées de sucre et de colorants auxquelles Troy carbure le matin, elles ne sont pas non plus dans le rayon graines pour oiseaux.

Devant les croquettes pour chiens Troy fait un énième caprice.

-Papa a dit qu'on aurait bientôt un chien ! On peut acheter des croquettes ? Et un jouet pour qu'il s'amuse ?
-On ne va pas acheter des trucs pour un chien qui n'existe pas Troy.
-Il existe sûrement déjà !
-Papa a d'autres préoccupations en ce moment.

Mafdet ironise au sujet de ces braves bêtes qui mangent salement et qui bavent sur le canapé. Joanie en rajoute une couche.

-Tout ce que fais déjà Troy.

Son petit frère la fixe de son regard habituellement vert devenu soudainement noir. Troy arbore une lèvre tremblante, signe qu'il n'est pas loin de se mettre à pleurer. Joanie réagit avant que les premiers cris ne se fassent entendre tandis que Mafdet se désintéresse de leur présence pour lire l'arrière d'un paquet de croquettes au saumon pour minet.

-Si tu pleures tu n'auras pas de glace. Mafdet laisse ce truc, on a pas de chat non plus.

[...]

Joanie sent son cœur battre fort dans ses oreilles, fixant l'endroit où l'énorme chien se trouvait il y a encore quelques secondes. Elle a hurlé, terrifiée à l'idée que ce molosse ne puisse leur faire du mal. Maf a rugit, imitant à la perfection le lion de la Goldwyn-Mayer en plus féroce. Les jambes tremblantes et le cœur incertain la jeune femme observe la copine de son père quand son petit frère s'extasie bruyamment au sujet des capacités de la professeure de chimie.

-Impressionnant comment tu peux sortir des sons pareils !
-C’est de l’entraînement pour pas qu’on me fasse chier et ça marche.

Maf enchaîne les gros mots, Troy le lui fait remarquer. Joanie trouve ce talent qu'à Mafdet complètement fou mais très utile dans ce cas de figure. Elle ne doit en effet pas faire peur qu'aux chiens.

[...]

Après avoir mangé la glace promise par Maf les fesses posées sur un bout de trottoir, ils sont rentrés  à l'appartement. En vie cela va de soi, Joanie ne conduit pas aussi mal qu'on pourrait le croire. La jeune femme s'enferme dans sa chambre pour faire ses devoirs, avançant dans la conclusion d'une dissertation de philo qu'elle doit rendre pour la fin de la semaine. Troy se douche, à dix ans il est assez grand pour savoir ce qu'il doit faire et devine sans mal que traîner dans les jambes de sa sœur lorsqu'elle se met au travail est une mauvaise idée.

La soirée se poursuit, Joanie réchauffe au micro-onde le plat que son père a laissé dans le frigo. En silence ils mangent la ratatouille, le riz blanc et le poulet pané. Troy rechigne un peu sur la présence des légumes, laissant pleins de bouts dont il ne parvient pas à connaître l'identité sur le contour de son assiette. Un bip provenant de son portable appelle la jeune femme tandis qu'elle fait la vaisselle. Maf est en train de lire une histoire à Troy, personne ne pourra gronder la lycéenne si elle ne range pas directement la vaisselle après l'avoir lavée.

Discrètement Joanie s'éclipse et file dans sa chambre. Dix minutes plus tard, la tête de Maf apparaît dans l'entrebâillement de la porte. Jo lève les yeux vers la compagne de son père.

-J’y vais. Tu as mon numéro si y a un problème. Ton frère dort.
-Merci, Mafdet. Bonne soirée.

Son père devrait revenir vers une heure du matin si tout se passe bien.

-Te couche pas trop tard Choupette.
-J’aime pas quand tu m’appelles comme ça !
-C’est pour ça que j’adore !

Jo grogne pour la forme, s'affalant sur son lit. Le bruit de la porte de l'appartement qui se referme lui parvient. La rouquine baille, puis répond au message qu'on vient de lui envoyer. Sur le chat un des gars de sa classe a qui elle donne quelques tuyaux pour qu'il puisse suivre en littérature tente de les mener vers un autre sujet de conversation plus intime. Trop épuisée pour jouer les midinettes plus longtemps, Joanie lui rabat le caquet et lui rappelle qu'elle a déjà un copain. Le gars râle avant de se déconnecter.

Lassée par ces bêtises, la jeune femme sort de sa chambre pour aller mettre une bonne claque au reste de riz au lait à la coco que son père a préparé la veille. Faisant un crochet par la chambre de son frère pour s'assurer qu'il dort bien et admirer la sagesse dont fait preuve Troy lorsqu'il roupille, elle se stoppe en voyant la veste de Mafdet oubliée sur le canapé.

Elle retourne dans sa chambre pour récupérer son portable, appelle Maf. Puis grogne quand à la place des bips habituels, elle tombe sur le répondeur de sa professeure. Sans prendre la peine de laisser un message, elle file vérifier que son frère dort toujours. Lui bise le front et part laisser un mot sur la table de cuisine.

"Troy
Maf oublierait sa tête si elle était pas si bien accrochée.
Je lui rapporte sa veste, dans trente minutes max je suis de retour.
En cas de problème va voir Mme Wilson.
Ou dort !!!"

Joanie enfile la veste de Mafdet sur son propre sweat, attrapant ses clefs de voiture avant de filer chez la petite amie de son père. Elle n'y est allée que peu de fois, mais sait se souvenir sans trop de mal de la route. Une de ses amies vit dans le même quartier que Mafdet. La moto garée dans l'allée de garage lui indique que la brune est bien chez elle. Joanie coupe le contact, s'apprêtant à sortir de son automobile d'un autre âge pour aller toquer à la porte de sa prof mais elle n'en fait rien. Une  silhouette massive passe au loin et retire toute envie de quitter la sécurité de sa voiture à la lycéenne tant tout cela est impensable.

Un monstre, une masse s'est élancée et Joanie ne comprend plus rien à cette histoire !

Maf encourt un grand danger et la rousse elle même terrifiée demeure incapable d'esquisser le moindre mouvement pour aller lui porter secours. Le courage n'est pas pour elle. Joanie horrifiée tente de saisir ce qui se trame dans ce quartier pourtant réputé pour son calme. Elle sanglote, songeant au pire et sans savoir réfléchir avec justesse. Elle pense à son père qui ne saura pas faire face à la disparition de sa copine, à cette femme devenue son amie. Rugir n'a pas dû suffire devant cette masse qui semble tout droit sortie de cette histoire dont Maf rafole.

Rugir n'a pas dû suffire...

Rugir n'a pas dû suffire.

Mafdet qui mange du poisson sans jamais se lasser, Mafdet qui matte les paquets de croquettes pour chats comme s'ils étaient remplis de chips. Mafdet qui lit le livre le la jungle à Troy à chaque fois qu'elle le couche.

Quand le raisonnable ne permet plus d'expliquer, il faut songer à l'impensable. Terrifiée à l'idée que le monstre ne puisse s'en prendre à son père ou son petit frère, Joanie redémarre la voiture et prend la route qui la mène vers son lieu de vie. Ses mains tremblent et elle roule bien en dessous de la limite autorisée pour ne pas causer d'accident.

Quand enfin son immeuble est proche, elle se gare, éclatant en larmes derrière son volant.

[...]

La nuit fut rude, habitée par d'atroces cauchemars dans lesquels son père et son frère se faisaient dévorer par un monstre qui avait prit l'apparence de Mafdet. Joanie a bu une bouteille entière de sirop pour la toux, mais cela n'a pas su aider le sommeil à venir.

Son père est en vie, Troy l'est tout autant. Mais dans l'intimité de leur quotidien le danger rôde. Terrifiée à l'idée de croiser l'amie de son père au lycée, la jeune fille joue les malades imaginaires. Le thermomètre affiche trente-neuf degrés bien dépassés après avoir été câliner l'ampoule de sa lampe de chevet. Le subterfuge fonctionne même si son père ne semble pas dupe.

Quand son père passe dans sa chambre pour s'inquiéter de son état, Joanie a bien du mal à dissimuler son trouble.

-Il y a des problèmes au lycée ?
-Non.
-J'ai vu le mot sur la table en rentrant. Puis la veste de Maf sur une des chaises. Je comprends pas.
-Elle était pas là.
-OK. Je fais des gaufres. Jo ? Tu me parlerais si tu avais des soucis ?
-Oui P'pa.

Elle ment effrontément à son père, lui tournant le dos avant qu'il n'ait eu le temps de quitter sa chambre. Il ne doit rien savoir, elle va devoir régler ce problème seule si elle veut protéger celui qui prend soin d'elle depuis le jour de sa naissance.

Trois jours. C'est là le temps que son père a bien voulu lui accorder avant de la forcer à reprendre le chemin du lycée. Son numéro de malade imaginaire n'a en rien su l'aider à y voir plus clair, mais au fil des jours et des insomnies les doutes de la jeune femme se sont transformés en d'improbables certitudes noyées dans une naissante paranoïa. Mafdet en qui elle voyait jusqu'à il y a peu une bonne amie, une femme amusante et capable de faire sourire son père est finalement un être étrange et terrifiant. Une bête dont elle redoute la sauvagerie.

Joanie craint que cet animal qui n'en est pas vraiment un ne puisse finir par attaquer son père ou même son frère. Amoureux, le policier ne semble pas être conscient du danger qui rôde. Et Joanie ne sait comment dire à ce dernier qu'il serait bon pour lui de s'éloigner de cette femme qui un jour pourrait le blesser, ou pire encore le tuer. Richard a bien assez souffert, prenant sur lui la responsabilité de la protection de ses enfants, pour que Jo en arrive à décider qu'il est grand temps que les rôles s'inversent. Il ne pourrait pas comprendre si sa fille tentait de lui faire ouvrir les yeux au sujet de ce que Mafdet leur cache à tous depuis plus d'un an désormais. Il la penserait folle, se mettrait en colère après sa fille et qui sait : Déciderait peut-être de l'envoyer chez cette femme dont elle ne veut pas entendre parler. Une mauvaise mère, une narcissique qui refuse d'assumer son fils et qui a fuit le domicile conjugal sans craindre qu'il ne puisse arriver du mal à ses enfants.

Jo refuse cette possibilité. Pour éloigner de sa personne cette nuisance qu'est sa génitrice, elle est prête à mentir à son père. Une vilaine manie familiale qui se transmet de père en fille.

En attendant que la situation ne s'éclaircisse, elle veille au grain. Son regard vert se baissant pourtant craintivement quand il croise celui de cette drôle de femme dont son père est trop vite tombé amoureux à son goût. Lorsque la professeure de chimie vient à l'appartement, Joanie change de pièce dès qu'elle le peut. Ne supportant plus celle en qui elle avait confiance et qui lui a menti pendant trop longtemps.

[...]

Joanie plie le bon de colle qu'elle a gagné en ne présentant pas ses devoirs à temps au fond de son sac de classe. Elle a prit ce maudit papier que la pimbêche qui enseigne les mathématiques lui a tendu sans montrer la moindre expression. Cette matière va s'ajouter à la longue liste de celles que la jeune femme sèche depuis son retour au lycée. Le prof de sport déjà habitué à ne croiser que très rarement la lycéenne ne semble pas s'en émouvoir, Mafdet a quant à elle tenté un mot douteux voulu drôle sur ce sujet. Fort heureusement Richard n'a rien entendu de cette allusion peu discrète que sa copine a fait, soulignant que l'élève jusque là modèle s'adonnait aux plaisirs de l'école buissonnière.

Même s'il n'était lui même pas le plus assidu des élèves lorsqu'il avait l'âge de sa fille, le père de Jo n'est pas compréhensif sur ce point et exige qu'elle aille en cours sans rechigner. Il voit en elle un potentiel, une vision baisée par leur lien.

La journée touche à sa fin, enfin presque. Le cours de Willem n'intéresse pas le moins du monde Joanie qui griffonne de longues lignes de boucles sur une feuille de brouillon. Le regard vert de celle qui est en train de devenir une mauvaise élève se perd dans le vague, elle ne voit pas le temps passer. Un frisson lui parcourt l'échine quand un coup est donné contre son bras ballant. Elle sursaute et retrouve le monde réel, découvrant un peu ahurie que la classe est en train de se vider. Attrapant son sac, elle accélère sa cadence de larve sous prozac et se met en action pour ne pas arriver en retard pour son prochain cours. Rapidement debout, elle attrape sa veste en jean, passe son sac sur son dos et se prépare à quitter la classe pour y abandonner celui qu'elle considère comme son oncle.

Ouvrant la bouche pour dire au revoir au meilleur ami de son père, elle reste comme figée au milieu de la classe quand ce dernier lui fait une proposition qu'elle compte bien refuser. Willem n'est pas en grand forme depuis le drame qui a brisé en mille éclats son bonheur. Joanie hésite, cherchant les mots qui ne blesseraient pas celui qui lui a déjà porté secours quand elle ruminait de sombres pensées. Quand il lui demande si elle va bien, c'est comme si un choc électrique parcourait le corps frêle de celle qui ne peut s'empêcher de craindre qu'un mal imprévisible ne vienne s'abattre sur sa famille. Willem sourit après avoir lancé une perche à celle qui néglige tout ses cours dernièrement.

-Je suis désolée pour ça. Je vais vite reprendre mes bonnes habitudes.

Ce ne sont là que des excuses et promesses lancées dans le vent car elle se sait incapable de faire mieux que ce pas grand chose qu'elle s'évertue à produire ces derniers temps, son esprit étant préoccupé par une affaire qui lui semble bien plus importante qu'un simple exercice de sciences. Joanie dont le comportement est généralement irréprochable aimerait se ranger dans le trou d'une souris. Willem lui force la main, développant un planning auquel Jo ne peut rien trouver de juste à redire. Les yeux verts de la jeune femme se plissent, elle ouvre la bouche prête à rétorquer la première chose censée qui lui viendrait à l'esprit mais aucune réplique ne lui vient. Un sourire commet même l'affront de se frayer un chemin sur ses lèvres pincées en réponse au surnom que lui attribue le cousin de son petit ami.

-Je n'ai jamais eu le moindre accident.

Will ouvre la bouche pour commettre l'imprudente erreur de douter des dires de celle qui se laisse vite distraire lorsqu'elle prend le volant de son automobile. Puis se ravise avant d'avoir pu prononcer le mot qui serait de trop.

-En tout cas rien qui ne soit grave ! Ma voiture fait un bruit bizarre depuis quelques semaines. J'ai eu du mal à me garer en emmenant papa chez le docteur et je pense qu'un bidule du genre quelconque s'est peut-être décroché.

Willem réagit comme si l'existence d'un bidule mouvant dans le moyen de transport de la rouquine était un évènement à ranger dans la case des choses graves. Mais il saisit la perche tendue et propose de regarder pour voir ce dont il pourrait s'agir lorsqu'il aura un peu de temps. Le temps poursuit sa course, rapidement leur parvient le brouhaha peu discret produit par la prochaine classe de Will. Joanie comprend alors qu'il est venu pour elle aussi le moment de partir pour suivre son prochain cours. Le dernier de cette journée trop longue à son goût. Elle quitte la classe de SVT, passant près du troupeau qui n'attend que l'autorisation de son nouveau berger pour prendre la pleine possession de cet endroit.

[...]

Les quelques mots échangés avec Will ont su réveiller Joanie. En sortant de son cours d'économie elle pense même être parvenue à comprendre une bonne part de son sinistre contenu. Elle n'est pas une femme de chiffres et préfère le rêve que mettent à sa disposition les livres et récits historiques. Elle retrouve Willem devant l'entrée du lycée après s'être arrêtée à son casier. Dans la voiture de Will se fait entendre une musique datée, un groupe constitué de types certainement morts qui fait regretter à Joanie les goûts musicaux plus modernes de son paternel. Elle joue avec une des lanières de son sac à dos, songeuse et craignant qu'une rumeur impliquant ses manquements en classe ne puisse faire son chemin jusqu'aux oreilles de son père surprotecteur.

-Will ?

Il ne tarde pas à lui répondre, baissant le volume de la musique ce qui soulage grandement la jeune femme qui s'apprête à demander à son prof de cacher des informations à son sujet à son père.

-Papa est pas en grande forme depuis Sacramento. J'aimerais ne pas l'inquiéter. En fait j'aimerais que personne ne s'inquiète pour ce qui est probablement juste une crise liée à la fin du lycée.

Elle joue du pipeau mais n'a visiblement pas les dons d'une virtuose. Willem ne semble pas dupe, Jo en s'en rendant compte baisse les yeux tandis que ses joues prennent feu.

N'en pouvant plus et éprouvant un lourd besoin de se confier avant que son petit frère ne vienne transformer leur duo un trio, Joanie reprend. Sa voix tremble, elle a déjà tenté de se confier auprès de Tobias mais celui-ci s'est contenté de lui recommander de regarder moins de teen-séries tout en freinant sur Twilight. Elle craint de passer pour une folle. Ou pire encore : Une idiote.

-Tu crois que... Enfin est-ce-que tu penses que... Tu sais, je crois qu'il y a une part de vérité dans toutes les légendes dont on parle dans les séries à la mode et les vieux bouquins. Ce serait trop dur d'inventer toutes ces choses sans qu'elle ne puisse avoir un fondement, même léger. Je suis presque sûre d'avoir vu un truc bizarre il y a une semaine en allant chez Maf. J'ai peur qu'elle puisse faire du mal à papa et il est trop amoureux pour se méfier. J'ai voulu parler avec Tobias mais il a juste rit. Papa comprendrais pas non plus.

Willem fait preuve d'une délicatesse que son cousin devrait songer à lui emprunter. Il ne rit pas, respecte le trouble de celle qui voit en lui le meilleur des confidents dans l'actuelle situation. Il lui confirme à sa manière qu'elle n'est pas folle et que ni ses yeux, ni son intuition ne lui ont menti. Certes rien n'est encore vraiment clair et une confrontation avec Mafdet serait la meilleure des manières pour la jeune femme d'avoir des réponses à ces questionnements qui la rongent de l'intérieur depuis plus d'une semaine. Mais elle craint la compagne de son père et les réactions qui pourraient être les siennes. Les bêtes, même celles qui savent à la perfection se faire passer pour un banal bipède sont imprévisibles.

Troy sort de son école comme une flèche, ruant vers eux en reconnaissant celui qui accompagne sa sœur. Il saute pour être prit dans les bras tendus de Will, câlinant son oncle sans jamais perdre sa bonne humeur.

-Coucou Troy ! Dépêche toi, on prend le goûter chez Oncle Will. Mady a fait de la brioche.

C'est sans surprise que Troy demande à monter dans la voiture de Willem, mais il est trop heureux pour rechigner lorsque l'ami de leur père lui dit que c'est impossible. Il passe sur le siège passager avant de l'automobile de sa sœur, ses jambes remuant de bas en haut et ce malgré les efforts qu'il produit pour canaliser son énergie débordante. Troy est un enfant plein de vie, turbulent et toujours actif. Trop parfois mais il a pour qualité de ne jamais se montrer méchant. En tout cas pas volontairement. Il ressemble à cette image que se fait la jeune femme de son paternel lorsqu'il devait avoir dix ans. Une idée fondée car validée par le premier concerné et leurs grands-parents.

Joanie espère simplement que le gamin insouciant qui lui sert de petit frère n'aura pas la triste idée de devenir flic lui aussi. Elle s'inquiète déjà assez pour son père qui attire sur sa personne les ennuis plus vite que le miel n'attire à lui les fourmis. Elle ne veut pas ajouter à ce sentiment d'angoisse constant la peur qu'il ne puisse arriver de mauvaises choses à son petit frère trop naïf pour ce monde.

Concentrée sur sa conduite qu'elle veut impeccable, Joanie donne de vagues réponses aux questions qui lui sont posées par Troy.

-Est-ce que ta journée a été bonne ?

Joanie se contente d'afficher une moue songeuse, son regard rivé sur la route. Troy reprend sans attendre que sa sœur ne puisse lui répondre.

-J'ai eu une bonne note. J'ai su ranger sur la carte presque tout les états du pays. La maitresse a tamponné mon carnet avec le smiley vert. Papa sera sûrement très content de le signer.
-J'en suis sûre Troy.

Joanie sourit, heureuse dans son malheur de pouvoir assister à l'épanouissement de son petit frère. Troy n'est pas le meilleur des élèves mais il s'efforce de tenir le cap indiqué par son institutrice.

[...]

Willem prend soin de l'automobile malmenée par celle qui termine son exercice de sciences. Il n'était pas compliqué à compléter mais elle néglige depuis son retour sur les bancs de l'école toutes les matières qui lui sont enseignées. Et ce sans discrimination. Elle porte à Will son cahier, laissant son petit frère entre les bonnes mains de Mady qui sort de quoi faire de la pâte à sel. Venir dans cette maison est bien plus distrayant pour le jeune garçon que de rester à l'appartement après l'école pour attendre le retour de son papa.

-Pas mal pour quelqu’un qui n’a pas écouté en cours.
-Je suis désolée pour ça. Mais je n'ai plus envie de rien depuis l'autre soir.

Willem ne semble pas s'en inquiéter, mais il tire toutefois la sonnette d'alarme. Les inattentions de la jeune femme pourraient lui être dommageables si elles devaient perdurer. Son auto est réparée, Will s'est finalement fait du mouron pour ce qui ne semble pas être très important. Joanie ne connaît rien à la mécanique et ignorait tout de l'existence de la flasque de sa roue jusqu'au moment où son oncle en a fait mention. Souriante, elle sent son visage se fermer brusquement lorsque ses tracas et le danger qu'encourt son père font irruption dans la discussion.

La lycéenne darde d'un sombre regard son oncle, serrant son cahier contre elle avant de suivre l'ami de son père.

Des faits, uniquement des faits sur un sujet si sensible qu'il mène la rouquine à sa perte. Une demande à laquelle elle doute de savoir se plier sans rompre. Après s'être mordue les lèvres un long instant, la jeune femme met fin à ce silence qui commençait à faire son nid.

-Papa a reprit le travail et Stilinski lui fait faire des heures impossibles depuis son retour. Mafdet est donc venue nous accompagner pour les courses à sa demande.

Jusqu'ici l'histoire est simple, banale. Mais la gorge de Joanie se serre quand arrive le début du drame. Elle mentionne alors l'évènement qui a fait naître en elle de nombreux doutes et qui l'a poussée vers une conclusion qu'elle refuse de considérer comme ayant pu être hâtive.

-Mafdet a surveillé Troy, j'ai surveillé Maf. Sur le parking on s'est faits attaquer par un chien furieux. Elle a rugit et le chien est parti en pleurant. J'ai posé des questions, elle a parlé d'entraînement. Et quand nous sommes rentrés à la maison, elle est partie après que Troy se soit endormi. En voyant sa veste oubliée sur une chaise, j'ai voulu lui rapporter. J'ai laissé un mot à Troy, puis je suis allée chez Maf. Et là bas...

Non loin de se mettre à hurler son désarroi, sa colère de s'être ainsi faite berner par celle qu'elle voyait comme une amie, la rouquine se doit de prendre une pause pour ne pas perdre pied. Une main bienveillante posée sur son épaule l'aide à poursuivre. À conter l'impossible.

-Sa moto était devant chez elle. J'allais sortir de la voiture pour frapper à sa porte, mais c'est là que j'ai vu la chose. Une bête énorme, un gros chat qui a prit son élan pour disparaître dans la nuit. J'ai pleuré, pensé au pire et à la tristesse de papa s'il apprenait que Mafdet avait été attaquée. Puis j'ai pensé au rugissement, aux croquettes que Maf matte comme si c'était des chips aux crevettes, au lait, au poisson qu'elle mange à même la barquette.

Le regard embué par des larmes qu'elle ne sait retenir, la jeune femme paniquée se tourne vers son oncle et finalement se pend à son cou pour évacuer le poids de ces non-dits qui dévorent de l'intérieur depuis une semaine.

-Papa va être furieux s'il apprend que je lui cache tout ça, mais il le sera aussi si je lui dis la vérité. Même Tobias m'a prise pour une folle, tu es le seul qui ne me juge pas dans cette histoire.

Évacuer enfin cette boue qui lui remplit la tête depuis une semaine soulage la jeune femme plus qu'elle aurait pu l'espérer. Certes cette discussion qu'elle est en train d'entretenir avec l'ami de son père ne suffira pas à réduire à néant tout ses soucis, mais elle est bien consciente que cette situation avait trop duré. Même si le cheminement de ses pensées, les conclusions qu'elle est parvenue à obtenir peuvent faire croire qu'elle est tombée sur la tête, Will s'est contenté de l'écouter sans jamais la couper. Faisant ainsi la démonstration d'une grande compréhension envers celle qui arbore des yeux rougis et qui se découvre depuis quelques jours des craintes qu'elle n'aurait jamais penser voir devenir fondées.

Reniflant sa morve tout en essuyant ses larmes du plat de sa main droite, Joanie lève les yeux pour observer de son regard défait ce que lui montre celui qu'elle considère comme un oncle. Un gros lézard grimpé sur la mangeoire que Troy a fabriqué il y a bientôt un an avec l'aide de Will se paie un festin avec de la brioche qui ne lui était pourtant pas destinée. Deux mésanges volent autour de la mangeoire, incapable de récupérer ce qui leur revenait.

Willem discourt au sujet des légendes, confirmant à la jeune femme que comme elle le pensait, ces dernières ne sont pas basées uniquement sur des mensonges inventés par des hommes dotés d'une imagination trop fertile. Sans réagir aux traits d'humour de l'ami de son père, la jeune femme laisse son regard vert se perdre dans ce vague qui les entoure. La maison des Shepherd est un lieu de vie calme et à la fois plein d'animation, un endroit où une personne est toujours là pour partager avec vous un instant de votre quotidien, mais dans lequel il est également possible de s'isoler pour prendre le temps de s'ennuyer en solo. Le bon endroit pour soulager un cœur et un esprit rendus douloureux par la peur et le doute.

Le lien fait avec le racisme dont souffre une partie de la population fait rapidement naître un lourd sentiment de culpabilité chez celle qui ne veut en aucun cas être comparée à ces ignares qui jugent leur prochain sur la couleur de sa peau, sa religion ou même son orientation. Toutefois ce sentiment est bien vite remplacé par cette colère, cette douce fureur qui habite la lycéenne. En lui cachant une chose aussi importante à son sujet c'est comme si la compagne de son père ne l'avait pas jugée assez mature pour pouvoir lui faire confiance, là où la jeune femme a le sentiment de ne rien cacher de sa vie à celle qui est entrée dans la sienne il y a maintenant plus d'un an.

Rien ou presque, cette dernière semaine n'étant pas une bonne démonstration de franchise de la part de Joanie. La jeune femme se fige, son regard vert s'arrêtant sur son oncle quand il donne avec précision la nature de sa collègue.

Willem sait. Et il n'a pas attendu que la fille de son ami ne vienne lui parler pour en apprendre plus au sujet de cette collègue dont il n'a jamais paru être particulièrement proche. Joanie ouvre la bouche, prête à rugir elle aussi avant de se raviser en prenant conscience qu'il serait injuste de sa part qu'elle ne s'en prenne à celui qui lui a offert écoute et épaule pour pleurer.

-Une bonne partie des contes et légendes se basent sur un fond de vérité. C’est la peur viscérale des hommes qui cachent cette vérité. Quand tu vois ce qu’un noir peut subir dans notre société, imagine la vie d’un garou !
-Oui, j'imagine très bien. J'ai déjà subit des moqueries plus jeune à cause de la couleur de mes cheveux. Papa avait rapidement réglé le soucis. J'imagine que c'est pire encore lorsque l'on a la peau noire. Ou que l'on est... Un garou.

Ou une garoutte dans le cas de Mafdet.

Joanie garde le silence durant de longues secondes, assez pour qu'elles finissent par devenir des minutes. Elle regarde dans la direction de la mangeoire. Le lézard gourmet a cessé de jouer les opportunistes, ne laissant aux petits oiseaux que quelques miettes. Après s'être offert le luxe d'une longue réflexion, elle ouvre la bouche. Si au début sa langue se montre douce, elle se fait toutefois accusatrice assez rapidement.

-Je vis mal le fait qu'elle ne m'en ait pas parlé alors que je lui raconte beaucoup de choses. C'est vers elle que je me suis tournée quand Gloria a coupé les ponts totalement après nos vacances à Vancouver. Je lui fais confiance et elle me cache des choses importantes à son sujet. J'aurais pu comprendre si elle m'en avait parlé. Ça aurait été plus simple à gérer ainsi.

En tout cas Joanie tente de s'en persuader. On peut réécrire le monde avec de si et des peut-être. Le visage de la jeune femme se ferme totalement, sa voix devient dure et cassante. Comme si en quelques instants elle venait de saisir l'ampleur de cette farce dont elle a l'impression d'être le dindon.

-Si tu es au courant, papa l'est sûrement aussi. Il m'a encore menti ? Il avait pourtant promit de ne plus le faire ! Je suis en train de devenir une adulte. Comment puis-je le protéger s'il ne me fait pas confiance ?

Joanie lève les yeux au ciel tout en affichant une moue démontrant qu'elle n'est pas convaincue par les dires de son oncle. Son père possède un don dont elle se passerait bien. Il attire à lui les ennuis, saute généralement à pieds joints dans les emmerdes tout en oubliant qu'il n'est pas un super héros. Même si le récent drame qu'il a vécu à Sacramento semble l'avoir refroidit sur ce plan, elle craint qu'un jour il ne retrouve ses mauvaises habitudes et ne replonge dans les bras de ces sombres démons qui sont parvenus à lui faire croire qu'un homme seul mais habité par de bonnes intentions pouvait rendre le monde meilleur qu'il ne l'est. Un avis que sa fille ne partage pas avec lui, convaincue qu'il faut un effort collectif pour rendre le monde actuel plus doux qu'il ne l'est à ce jour. Un flic au bas de l'échelle ne peut pas faire de miracles.

Son regard vert vire au noir un bref instant lorsque son prof mentionne ses propres mensonges. Joanie même si elle commence à comprendre l'utilité de se cacher pour vivre heureux à la triste impression que dans son entourage personne n'a sur voir en elle une personne à qui il aurait été judicieux de faire pleinement confiance. Elle est comme blessée dans sa fierté, vexée sans prendre en compte les raisons qui ont pu pousser son entourage à faire ces choix qui la déroutent. Toutefois ces songes néfastes s'effacent assez vite de l'esprit de la jeune femme, elle écoute son oncle sans se risquer à le couper, trop heureuse que quelqu'un prenne le temps de se confier sur ce sujet délicat auprès d'elle. Elle obtient ainsi, une à une, les réponses qu'elle attendait. Des réponses qui dépassent ce qu'elle était prête à entendre, des mots qui brusquent son petit monde et ses songes égoïstes qui la font parfois parler plus vite qu'elle ne devrait le faire.

Will ne lui fait pas de cadeaux, ne cherchant pas à adoucir ce qu'il a vécu, la manière dont les siens lui ont été injustement pris. Abattus par ceux qui sont les véritables monstres de cet étrange conte. Elle comprend alors la pleine importance de ce secret que tous dans cette maison entretiennent. Elle saisit la raison cachée derrière l'usage des mots durs qui ont été ceux de Tobias quand elle a essayé de se confier auprès de lui. La colère éprouvée à l'égard de son petit ami se meut en un sentiment plus douloureux encore. Honteuse, la lycéenne baisse les yeux vers le sol pour mieux fuir le regard du meilleur ami de son père.

Les oiseaux autour d'eux ont cessé de chanter, le silence est lourd. Assourdissant. Le poids qui pèse sur le cœur de la jeune femme est celui de la culpabilité. Elle est comme en apnée, incapable de dire quoi que ce soit. Jo qui généralement aime tant avoir le dernier mot sait que ses dires ne sonneront jamais juste en cet instant. Elle redresse la tête, fixant son oncle qui lui décrit leur calvaire, la manière dont Tobias a évité une terrible fin. Joanie n'est pas loin de céder à cet appel lancé par ces larmes qui lui brûlent les yeux mais qu'elle refuse de laisser couler. Elle renifle, opinant légèrement du chef pour montrer à Will qu'elle a bien saisit les raisons qui ont fait qu'on lui avait caché ce qu'elle aurait finalement préféré ne pas apprendre. Une conclusion peut être hâtive, mais elle se rend compte que son ignorance la protégeait.

Une fois de plus son père, ses proches, ont fait en sorte de préserver l'innocence de cette enfant qu'elle est encore au fond d'elle même si elle se plaît à se penser adulte avant l'âge. Dans quelques mois elle fera sa rentrée à la fac, son père lui fait confiance et lui donne une liberté dont d'autres adolescents ne peuvent que rêver. Certes son paternel est imparfait mais il fait de son mieux, joue de multiples ruses pour offrir un cadre de vie agréable et une éducation juste à ses enfants.

Les oiseaux ont reprit leur chant, Joanie sourit du coin des lèvres sans que la joie ne réside dans cette expression. Puis passe une main dans ses longs cheveux roux dénoués pour dégager son visage.

Dans sa tête les questions se mêlent, les pensées se multiplient et elle doit se faire violence pour ne pas poser des questions qui brilleraient par leur stupidité. Elle craint au fond d'elle que ces fraîches révélations ne modifient la relation qu'elle entretient avec les gens de cette famille depuis qu'elle les connaît. Elle se sent bien ici, en sécurité. Parler de choses et d'autres avec Will et même Mady est parfois plus aisé que ça ne peut l'être avec son père.

-Est-ce-que... Est-ce-que tu te transformes en loup ? Est-ce-que c'est douloureux pour vous ? Est-ce que le pleine lune vous rend... bizarres ?

Ses craintes ont prit une nouvelle tournure, ses peurs qui ne touchaient qu'elle même, son père et son frère se tournent désormais vers cette famille qu'elle considère un peu comme la sienne. Elle ne compte plus les moments passés ici ou même chez elle après les cours en compagnie de Tobias et parfois Kada'an et Caracole. Ils sont rapidement devenus ses amis quand elle est arrivée dans ce nouveau lycée après s'être retrouvée séparée de force de son ancien lycée et des camarades qu'elle y avait. Si elle sait que ce choix fut à l'époque le seul qui s'imposait à son père face au danger, elle a eu bien du mal sur le moment à accepter ce changement de vie qu'elle n'avait pas désiré.

Sa rancune et ses regrets se sont mués en acceptation. Elle a fait le deuil de Sacramento et de la vie qu'elle y menait, entourée par la bienveillance de ces nouveaux amis qu'elle a pu se faire à Beacon Hills. Son père est plus heureux ici qu'il ne l'avait été à Vancouver ou même Sacramento. C'est également le cas de la jeune femme.

Un doute la prend soudainement, nouvelle peur qui lui noue les entrailles. Le regard devenu vif, elle pose une question. Terrible question qui porterait en elle de sinistres conséquences si la réponse qui va y être donnée se révélait positive.

-Les chasseurs peuvent revenir ? Est-ce-que des gens pourraient de nouveau venir s'en prendre à vous ? Êtes vous toujours en danger ou bien en sécurité ? Je ne veux pas vous perdre. Aucun d'entre vous.

Ses questions sont nombreuses, elle vient de découvrir ces derniers jours l'existence d'un vaste monde dont elle pensait qu'il était uniquement basé sur des légendes et utilisé pour faire frémir les personnes facilement impressionnables dans les salles de cinéma. Si Joanie parvient à ne pas flancher, c'est grâce à Willem qui en se montrant aussi sincère et pédagogue réussit à transformer la crainte en une nouvelle forme de curiosité. Joanie a tendance à se ranger dans la catégorie des gens brillants, même si elle sait que ce n'est pas là faire preuve d'une grande modestie. Elle devine qu'elle saura sans mal couvrir le retard qu'elle a prit sur ses camarades de classe durant la semaine qui vient de s'écouler, son dossier est déjà déposé à l'université et elle n'attend que la proche remise des diplômes pour être certaine de ce que sera son sort pour la prochaine rentrée.

Son père angoisse un peu à cette idée, il est déjà prévu qu'il l'accompagne pour la visite du campus. Joanie grandit, devient une femme alors que bien souvent son cœur la pousse encore à réagir comme si elle était une enfant.

Elle souffle, soutenue dans cette brève étreinte que lui offre Willem. Puis suit ce dernier sans dire un mot. Le sentier les éloigne de la maison, doucement ils approchent des bois. La jeune femme fixe le meilleur ami de son père, un air de défi illuminant son regard quand il mentionne une chose qu'il est censé ne pas connaître. La mention de cette période mensuelle qui met à mal le corps et la bonne humeur des femmes n'est pas une chose que l'on doit faire à la légère, surtout lorsque l'on en est dispensé.

Joanie saisit toutefois rapidement que la comparaison était bien trouvée lorsque Willem commence à s'épancher sur le sujet des pleines lunes. Si elle ouvre la bouche, prête à réagir quand son professeur mentionne les difficultés rencontrées par Tobias durant cette période, elle choisit finalement de se taire face à la puissance des arguments qui lui sont donnés par son oncle. En effet elle n'a jamais perçu de flagrantes différences dans le comportement de son petit ami auparavant. Le cousin de Willem est un garçon réservé et calme de nature, un jeune homme sérieux qui a su plaire au père de la rouquine. Un gentil jeune homme dont l'esprit côtoie souvent les étoiles et qui est parvenu naturellement à chaparder le cœur de Jo.

Elle va toutefois devoir parler avec Tobias, lui faire savoir qu'elle est au vent de ce secret qu'il gardait précieusement jusqu'à aujourd'hui. Il était son premier amour avant ce jour, il n'y a aucune raison pour que cette vérité ne soit changée maintenant qu'elle connaît la réelle nature de son petit ami.

Jo copie naturellement la démarche de celui qui progresse devant elle. Le sentier débouche sur une clairière calme. Ils cessent de marcher, Willem faisant naturellement à la jeune femme une proposition qu'elle ne met que peu de temps à accepter.

-Oui, j'aimerais voir.

Sa curiosité n'est ni malsaine, ni maladive. C'est avec la connaissance que l'on vient à bout de la peur. Elle fait toutefois un pas en arrière avant d'en faire rapidement deux en avant lorsque les yeux de son professeur changent brusquement de couleur. Tout d'abord silencieuse, elle retient cette main qu'elle est prête à dresser pour caresser la joue de Willem. Lèvres pincées, elle perd toutefois son sérieux quand la voix de Will brise le silence.

-Non, ça n’éclaire pas pour lire la nuit !
-T'es comme papa, jamais sérieux trop longtemps.

Elle sourit avec sincérité, un rire au fond de la gorge et une taquinerie sur le bout de la langue. Si voir Mafdet sous sa forme animale l'autre soir l'a terrifié, être ici en compagnie du meilleur ami de son père qui répond à ses questions sans juger ces dernières est une chose rassurante. Elle aurait aimé découvrir la nature de sa belle mère de cette manière.

-Je suis sûre que Tobias aurait aimé que ça lui permette de lire la nuit. Il a souvent le nez dans un livre et la tête dans les étoiles.

Sa voix se pare d'une douceur qui lui est peu commune tandis qu'elle parle de son ami. Même si le couple formé par ses parents et la fin de celui-ci lui montrent que les amourettes de lycéens trouvent parfois une triste fin, elle décide de ne pas songer à ce lourd bagage familial pour suivre une voix qui lui est propre. Le regard de Will a changé, mais pas son sourire. Ses traits ainsi métamorphosés auraient pu inquiéter la jeune femme dans une autre situation mais il n'en est rien. Elle devine sans mal qu'elle pourra vivre normalement après cette découverte. Il lui faudra peut être un peu de temps pour s'adapter à tout ces changements, mais ceux qui lui sont proches l'aideront dans ce nouveau cheminement.

La jolie rouquine sourit, impressionnée, éberluée même. L'impensable était donc la bonne voix à suivre dans ses déductions.

-Vous avez tous la couleur de Vador ? Les yeux de Keanus, Tobias et Mady deviennent aussi rouges ? J'ai du mal à imaginer Mady avec cette drôle de figure. Tu ressembles un peu aux vampires dans la série Buffy.

Une vieillerie qu'elle a visionné avec son père et dont elle a finit par apprécier chaque saison. En songeant à ce dernier, Joanie trouve de quoi se rassurer en se disant qu'il n'est pas devenu un homme bien différent de celui qu'il était auparavant depuis leur arrivée dans cette ville. Et pourtant il ne devait lui non plus rien savoir de tout cela.

-Il va falloir que je parle avec papa. Il s'inquiétait de mes humeurs depuis une semaine. Il est parfois maladroit, mais j'aimerais juste qu'il attire moins souvent à lui les ennuis. J'ai eu si peur quand il nous a téléphoné depuis l'hôpital de Sacramento...

Si son père n'est pas au meilleur de sa forme, Willem ne va pas mieux de son côté. Loin de là. Joanie n'a pas tout su des détails du départ de Mademoiselle Jouve, mais elle connaît l'essentiel de cette tragédie que personne n'ose mentionner à voix haute. Même s'il est bien entouré de sa famille et de ses amis, rien ne remplace pour Will ce bébé qui ne poussera jamais son premier cri ou encore la perte de cet amour retourné vivre en Europe.

Doucement le loup réapprend toutefois à sourire, mais tout cela n'est pas une mince affaire. Nul ne lui tient rigueur de son état, tous saisissant sans mal que surmonter ces pertes prendra du temps. Assez pour qu'un jour, peut-être, il puisse parler de tout cela sans craindre de s'effondrer. Ses propres tracas sembleraient bien légers à la jeune femme s'il lui prenait l'étrange envie de les comparer avec ceux du meilleur ami de son père. Doucement, sans prononcer un mot qui ne ferait qu'ajouter du malaise à cette situation, la lycéenne hausse une main et la dépose sur une des épaules de celui qui la serre contre lui avec tendresse.

-C'est à nous de t'aider et on le fera sans que tu ais à nous le demander. Ça fonctionne dans les deux sens.

Elle a envie de croire en ces paroles rassurantes qui sont celles de son oncle, de ne pas songer qu'il pourrait taire ce besoin d'être soutenu pour leur éviter de sombrer eux aussi dans un état proche de la dépression. Certes chez les Turner les drames ont prit la mauvaise habitude de s'enchaîner, mais dans la famille Shepherd la vie n'est pas non plus un long fleuve tranquille. Joanie sourit, se détachant avec douceur des bras de son oncle. Puis elle rebondit sur les dernières paroles, bien plus légères, de ce dernier avec grâce.

-Mady nous nourrit comme si les placards étaient vides chez nous.

Pourtant il n'est pas encore venu le jour où il n'y aura rien à mettre sur le table de la famille Turner. Leur père est un bon cuisinier qui sait faire de grands plats avec des ingrédients dont le prix est abordable. Il régit la vie de leur famille d'une manière impeccable, sans laisser la moindre place à l'improvisation. Une véritable fée du logis qui durant des années a su mêler vie de flic et rôle de parent solo sans jamais montrer le moindre signe d'épuisement. S'il fatigue depuis quelques mois, cela n'a rien d'étonnant et c'est même surprenant qu'il ne flanche que maintenant.

Ils rebroussent chemin, se dirigeant vers le jardin pour retrouver Mady et Troy. Mafdet dont la jeune femme a eu si peur lorsqu'elle a vu ce qu'elle pensait inimaginable ne leur veut aucun mal selon les dires de Willem. Elle a signé pour endosser le rôle de belle-mère en tombant amoureuse de Richard, n'a pas fuit et est restée près d'eux malgré tout cela. Depuis leur arrivée dans cette ville, le flic et père de famille redevient un homme et s'offre le temps de profiter d'une vie qui ne tourne plus uniquement autour de ses enfants et son travail. S'il n'avait jamais ramené de femme à la maison avant qu'il ne le fasse avec Mafdet, Dick avait toutefois eu quelques rendez-vous qui n'aboutissaient que sur du vent, des aventures prévues pour ne pas durer. Rien de sérieux, en tout cas pas assez pour qu'il n'impose ses histoires vouées à ne pas connaître de lendemains à ses enfants.

-Je dois aller la voir pour lui dire que je sais. Et lui assurer qu'elle n'a pas à se cacher de moi. Elle rend papa heureux et Troy l'aime beaucoup.

Troy qui ne se souvient pas avoir un jour eu une maman car il était bien trop jeune lorsque Gloria s'en est allée. Un petit garçon vif et parfois un peu simple dans sa réflexion, mais avant tout un gamin courageux qui n'a presque pas pleuré quand leur mère a annulé la soirée prévue au restaurant durant leurs derniers congés à Vancouver. Joanie tait l'affection certaine qu'elle porte à celle qui est devenue une amie, une figure féminine forte et stable dont elle ignorait avoir besoin dans sa quête d'épanouissement. Elle s'en veut d'avoir pensé au pire, mais elle ne savait comment réagir en découvrant l'ampleur de ce secret entretenu par ses proches.

Troy les attend dans le jardin, tournant autour de la mangeoire qu'il a construit avec l'aide de Will. Il a déposé comme offrande pour les mésanges des miettes de brioche et des raisins secs. Radieux, le petit garçon clame son envie de rester là plus longtemps, craignant visiblement que le retour de sa sœur et son oncle ne puisse signifier qu'ils sont déjà sur le départ. Lorsque Will lui demande s'il reste de la brioche après son passage dans la cuisine, le petit garçon les rassure en déclarant ne pas être un goinfre.

-J'ai pas tout mangé ! Jo il faut que tu en laisses pour Kean, Tobias et Kada ! C'est Mady qui l'a dit !
-Je ne suis pas une goinfre Troy.
-Oui mais tu as fini mes céréales au chocolat !

La sournoiserie éclaire le sourire de la jeune femme avant qu'elle ne rétorque du tac au tac.

-Non, c'est papa qui les a terminé hier matin.

Le visage de Troy se fige, sa bouche s'ouvrant dans le vide avant qu'il ne prenne la pleine conscience de l'ampleur du crime commit par leur paternel. Il braille des jérémiades justifiées au sujet de l'écart commit par leur père.

-Papa a ses graines ! Le chocolat était pour moi !

Leur père s'il était là déclarerait que non, il ne mange pas de graines. Un avis non partagé par ses enfants qui trouvent que les placards de la cuisine contiennent trop d'ingrédients santé si l'on compare leur nombre à celui des sucreries. Amusée Joanie passe près de son frère, non sans lui avoir ébouriffé les cheveux pour ensuite rejoindre la cuisine accompagnée de Willem.

[...]

Troy a couiné au moment de quitter la maison des Shepherd, jamais heureux de quitter leur jardin pour retrouver l'immeuble dans lequel ils ont résidence. Leur père est rentré du travail une heure après leur retour et a attendu que son fils soit couché pour s'entretenir avec sa fille. Il s'est incrusté dans la chambre de la rouquine, sans se faire rabrouer au moment d'en franchir le seuil. C'est rare et cela montre à quel point ils avaient tout les deux besoin de discuter.

-Will m'a envoyé un message.
-Je m'en doutais papa.

La jeune femme a levé les yeux de son livre, fermé celui-ci en se servant d'un de ses doigts comme marque-page. Elle ne sait quoi dire à son père sans opter pour des banalités. Elle a apprit ce qu'on lui cachait, accepte la chose autant qu'il lui ait possible de le faire pour l'instant. Certes tout cela n'est pas aisé, mais elle comprend et saisit à quel point il était important que ce secret ne soit pas éventé. Elle se contente de sourire à son père qui vient de prendre place près d'elle, sur son lit. Posant sa main libre sur une de celles de Richard, elle murmure.

-Je vais mieux. Je vais bien. Ne t'inquiète pas autant pour moi.
-Jo... Je ne voulais pas te mentir. Juste tous vous protéger. S'inquiéter pour ses enfants, c'est la base du job quand on décide d'en avoir.

Joanie reprend sa main après qu'elle fut serrée par son père. Fait un clin d'oeil à ce dernier pour finalement le questionner.

-Tu l'as bien vécu à l'époque ?
-J'étais déjà amoureux de Maf. Et j'adorais ce chat qui traînait au poste. J'étais blessé et fatigué ce soir là, tout est allé très vite et mes souvenirs sont pas aussi frais qu'ils ne pourraient l'être. C'était sportif et j'ai eu peur de la perdre, assez pour ne pas être effrayé par ce qu'elle était.

Joanie se tend, en proie à une envie d'en savoir plus. Mais son père ne lui laisse pas l'occasion de s'épancher sur ce sujet plus longtemps. Après avoir dissimulé un bâillement dans son coude, Richard tend les bras vers sa fille pour la serrer contre lui. Il baille une nouvelle fois, le nez enfouit dans les cheveux de son bébé qui a bien grandit.

-Je suis claqué, je vais me coucher. Demain matin je dois me lever tôt pour aller à l'épicerie, il paraît que je suis un voleur de céréales et que pour diminuer ma peine je dois payer deux boîtes de céréales aux fruits à mon fils. Un juge sévère qui m'a apprit que j'avais été dénoncé...
-C'était toi ou moi sur ce coup. Bonne nuit papa.
-Bonne nuit Jo. On reparlera de tout ça demain soir si tu veux.

Dick s'en va, Joanie entend s'ouvrir la porte de la chambre de son père. Elle reprend son livre, faisant glisser son doigt sur la ligne à laquelle elle était rendue tout en songeant à la discussion qu'elle va devoir entretenir avec Mafdet.