L'oiseau pacifiste et le flic mentaliste [Lewis & Brian]

J’avais croisé le chemin d’Alex alors qu’il terminait son travail au lycée et que je prenais le mien pour une faction de nuit. Ce n’était pas exactement mon chemin habituel pour me rendre au poste de police, mais ce n’était pas non plus un détour qui aurait pu sembler suspect. Le travail de nuit est toujours pénible, soit il ne s’y passe rien, soit ce sont les pires choses qui arrivent. Il n’y a pas de juste milieu dans ces heures sombres entre la tombée de la nuit et le lever du jour. Voir Alex avant de partir en patrouille, c’est comme emporter un peu de soleil au cœur de la nuit.

J’ai laissé un Alex un peu contrarié par sa cheffe de labo qui lui demande du travail en plus. Au poste de police, je croise Ryan, qui lui, termine sa journée. Il me nargue à me parler de la pinte qu’il va s’enfiler dès qu’il est sorti de là. C’est de bonne guerre. Je passe à mon bureau voir si quelque chose de particulier m’attend, puis consulte le tableau des affectations : je suis normalement de patrouille si rien ne requiert une enquête. C’est toujours le cas, je prends donc mon barda et signale au central que je pars en patrouille dans le secteur qui m’a été attribué. C’est le centre-ville. Un secteur qui peut s’animer autour des bars et des cinémas. Les trois premières heures se passent sans incident notable, je m’arrête à un diner ouvert toute la nuit pour ma pause. Manger coupe un peu la routine et permet de rester éveillé. J’allais attaquer mon donut à la framboise quand ma radio crache une alerte à l'agression. J’embarque mon dessert tout en répondant au central :

- Ici O’Conner, je suis dans le secteur, j’interviens.

J’ai démarré au quart de tour et, sirène hurlante, fonce sur les lieux de l’agression. Le témoin qui a donné l'alerte à parlé de deux hommes qui se battent, une femme serait à l’origine de l’altercation.

(…)

Il y a un attroupement non loin d’un bar, certains badauds filment la scène avec leur smartphone.

- Dégagez le passage !

Je ne dis rien sur les téléphones qui filment la violence, car cela pourrait se retourner contre moi. Un jeune homme arrive à ma hauteur, suivi d’une femme habillée pour plaire. Le gars me dit que c’est lui qui a appelé la police et qu’un type est en train de se faire défoncer par un autre. Celui qui se fait massacrer aurait tenté de protéger la fille. Celle-ci s’exprime enfin, le regard apeuré.

- Cela se passait bien, puis Tom est devenu autoritaire.
- Qui est-ce Tom ?
- Un client du bar que j’ai rencontré là pour la première fois.
- Restez-là ! Il faut que j’arrête ce massacre.

Je force le passage parmi les gens, hausse le ton en promettant un PV à tous ceux qui resteront dans un périmètre à moins de vingt mètres du conflit. La menace paye, les gens s’éloignent, mais pas trop loin non plus, pour ne rien rater du spectacle.

- Police ! Cessez de vous battre ! À plat ventre sur le sol, bras et jambes en étoile.

Mon injonction n’est pas prise en compte, ce Tom cogne l’infortuné qui tente de protéger sa tête et son visage comme il le peut. Sortir mon arme serait la solution, mais pas devant tous ces gens qui sont en train de filmer.

- Police ! Cessez cela tout de suite, monsieur !

Rien à faire, je comble la distance, dégaine mon taser et prends soin de choquer l’agresseur quand il ne touche plus sa victime. Le résultat est immédiat, Tom se fige sur le sol, le corps traversé par des tremblements. J’en profite pour lui prendre un poignet, le retourner sur le ventre et le menotter. Puis je regarde la victime qui reste assise sur le sol.

- Ça va aller monsieur ? Je vais appeler une ambulance. Je colle celui-là au chaud dans ma voiture et je reviens vers vous.

La victime proteste, affirmant qu’il n’a pas besoin d’être emmené à l’hôpital.

- On en discute à mon retour. Restez assis.

Je relève sans ménagement l’agresseur et l’emmène vers la voiture tout en lui lisant ses droits. En chemin, je croise la fille que la victime a protégée. Elle me fait un sourire timide et un clin d’œil. Je soupire. C’est une jolie fille et elle a assurément le droit de se mettre en valeur, mais il faudrait qu’elle comprenne que certains hommes n’ont pas de marche arrière quand il s’agit de drague. Je suis trop souvent témoin de ce genre de débordements. Et mon expérience personnelle m’a appris que bien des hommes ont un fond mauvais qui ressort tôt ou tard. Ce sont des bêtes.

J’ai laissé Tom sur la banquette arrière de ma voiture. Il s’est laissé faire, encore groggy de la décharge électrique, quand je retourne auprès de la victime en demandant aux deux témoins de m’accompagner pour prendre leurs dépositions. Les propos de la femme sont vagues sur ce qui concerne la partie avant que cela ne dégénère. Elle doit se rendre compte qu’elle a été imprudente dans sa conduite et qu’elle a failli le payer au prix fort. Le jeune homme qui a appelé les secours est plus clair dans ses déclarations. Avec un ami, il a tenté d’aider l’homme qui est à terre qui voulait protéger la femme que ce Tom voulait ramener chez lui ou ailleurs. Les deux témoins s’accordent dans ce qu’il se passe ensuite : la victime a essuyé les coups sans se défendre. Je note tout cela dans mon carnet avec les coordonnées de chacun des deux témoins.

- Il faudra venir signer votre déposition au poste de police demain s’il vous plaît. Mademoiselle, voulez-vous porter plainte contre votre agresseur ?

La fille hésite et finit pas secouer la tête négativement. Je n’insiste pas, car si l’accusé peut produire des témoins comme quoi elle était d’accord en début de soirée d’être avec lui, sa plainte aura peu de chance d’aboutir vu qu’elle n’a au final subi aucun dommage. C’est l’homme à terre qui a tout reçu à sa place.

- Rentez chez-vous et n’oubliez pas de passer au poste de police. Même si vous ne portez pas plainte, vous êtes tous les deux des témoins à charge.

Je m’accroupis devant le blessé. C’est le fait que les témoins m’aient dit qu’il n’avait pas riposté qui me retient d’appeler une ambulance. Je veux m’assurer avant, que je ne fasse pas fausse route. Car à Beacon Hills, quand quelqu’un ne rend pas les coups, cela ne veut pas forcément dire que la personne ne sait pas se battre ou a peur, cela peut signifier que sa réponse pourrait être disproportionnée. Je scrute son visage mortifié, il me semble bien que son état s’améliore un peu.

- Monsieur ? Si vous ne voulez pas aller à l’hôpital, laissez-moi vous emmener au poste de police pour prendre votre déposition. Nous serons mieux que sur ce trottoir.

Je crains un moment que l’homme ne cherche à s’en aller. Il est la seule victime du forcené, puisque la jeune femme à l’origine de cette bagarre n’a pas eu de dommages corporels. Le fait qu’elle ne souhaite pas porter plainte me laisse penser qu’elle a peut-être un peu cherché les ennuis. Mais cela ne donne pas raison à son agresseur pour autant.

- Faisons ça dans ce cas. J'en ai un peu assez d'être le centre de l'attention des passants.

J’aide la victime à se relever en étant attentif à ses gestes qui pourraient trahir une blessure grave. Son corps semble endolori, mais il ne présente pas d’incapacités majeures. Cela me rassure, car dans le cas contraire, j’aurais été obligé de l’accompagner à l’hôpital qu’il le veuille ou non. Si la jeune femme n’est pas solidaire, ce n’est pas le cas des deux jeunes hommes qui ont au moins prévenu la police. C’est rassurant de trouver des gens soucieux de leurs concitoyens dans ce monde où l’indifférence grandit peu à peu. Une fois dans la voiture de patrouille, le blessé s’interroge sur celle qu’il a sauvée.

- La jeune femme va bien ?
- Oui. Elle fera sa déposition au poste de police demain.
- Et lui ? Qu'est-ce qu'il risque ? Désolé avec ces questions... Je suis un peu curieux, c'est pas tous les jours où je subis une agression je dois être honnête.

Je jette un regard dans le rétroviseur. Le prévenu ne peut pas nous entendre à cause de la vitre qui nous sépare et qui est close pour le moment. Tom reprend peu à peu conscience après le choc électrique qu’il a reçu. Il capte mon regard et me renvoie une grimace à défaut de pouvoir me lancer un doigt d’honneur.

- Il risque une belle amende et jusqu’à quinze jours d’emprisonnement. Quel est votre nom, je suis l'agent Brian O'Conner ?

(…)

Le trajet jusqu’au poste de police se passe sans encombre. Une fois arrivé, je demande à monsieur Walton d’aller m’attendre à l’accueil, car je vais emmener le prévenu jusqu’aux cellules par une autre issue, je crains de nouvelles brutalités de sa part.

(…)

Quand Walton passe la porte, je redémarre pour aller me garer à l’arrière du poste de police. C’est une main sur la crosse de mon arme de service encore rangée dans son étui le long de ma hanche que j’ouvre la portière au bagarreur. Une flopée d’injures sort de sa bouche, les trucs habituels sur ma mère et mes parties génitales. C’est quand je fais mine de me resservir de mon tazer que Tom obtempère et sort de la voiture de patrouille sans faire d’histoire.

Je dois un peu le forcer à marcher droit jusqu’au bloc des cellules, il fait partie de ceux qui pavanent quand ils se retrouvent dans une telle situation. À son attitude, il se pourrait bien que son casier judiciaire ne soit pas vide. Avant de le laisser, je le fais souffler dans un éthylomètre puis le laisse méditer sur son sort pour rejoindre monsieur Walton qui m’attend à l’accueil.

(…)

- Suivez-moi. Vous voulez un verre d’eau ? Du café ? On va s’installer dans une des salles d’interrogatoires, on sera plus au calme qu’à mon bureau.

Une fois dans la pièce, j’allume l’ordinateur qui se trouve dans un coin pour saisir directement la déposition de la victime.

- On va essayer de faire ça vite pour que vous puissiez rentrer chez vous rapidement. Racontez-moi comment cela s’est passé dans l’ordre chronologique si possible.

J’ai ouvert la page qui me permet de saisir une plainte et d’un sourire encourage la victime à relater les évènements.

- Et bien, comme à mon habitude, je sortais du Pink Print, j'y travaille en tant que chanteur.

Le Pink, le bar d’Amaro. A priori, son bar est clean et ses employés en dehors de tout soupçon, même si je crois difficile de travailler à ses côtés sans se rendre compte que son activité principale ne se tient pas là.

- Je sortais de ma performance du soir et en passant j'ai croisé... Mon futur agresseur qui était en train de tirer la jeune femme pour qu'elle le suive, il avait l'air saoul et elle avait peur.

J’essaye de saisir ses mots aussi vite que possible. Je laisse passer les fautes de frappe, je relirai ensuite. Il est important de ne pas hacher la déclaration d’un témoin, car souvent il perd le fil et on risque de passer à côté de détails importants.

- Je me suis alors approché pour apporter mon aide, j'ai tenté de la tirer de là et il voulait la "récupérer".

Le terme n’est pas anodin sur l’intention de l’agresseur.

- Deux jeunes hommes sont venus m'aider, l'un a éloigné la fille et le second a essayé d'empêcher l'homme de se battre avec moi, mais il a vite été mis de côté. Au final, il s'est jeté sur moi et s'est déchaîné sur moi jusqu'à tant que vous arriviez... Je ne sais pas si vous avez besoin de plus de détails, dites-moi tout.

Je termine de taper, puis reviens au début pour corriger ma saisie.

- Quand il a parlé de la « récupérer », vous pensez qu’ils pourraient être en couple ? Ou simplement, il s’abrogeait le droit que cette fille lui appartenait parce qu’il l’avait vu le premier ou quelque chose de semblable ?

J’écoute la réponse de monsieur Walton, ajoute des précisions à sa déclaration et termine de renseigner les cases obligatoires qui concernent surtout son état civil. Quand tout est rempli correctement, j’enregistre la plainte ce qui lui donne un numéro de registre et en imprime trois exemplaires. Je sors de la pièce le temps d’aller chercher mes feuilles sur l’imprimante.

- Pouvez-vous relire et me dire si j’ai bien retranscrit ce qu’il s’est passé et signer en bas de chaque page ? Vous êtes certain de ne pas vouloir aller à l’hôpital ?

Monsieur Walton me décrit un peu mieux la scène et les interactions entre les différents protagonistes. Il confirme ce que je pressentais : du harcèlement de bas étage. Je hais les types de ce genre qui font passer leurs envies sexuelles avant le respect des autres. Je suis très sensible sur ce sujet à cause de ce que j’ai subi moi-même. Je veille donc à que ce genre de fumier soit puni pour leurs actes.

À la question de l’hôpital que je remets sur le tapis, Walton persiste à ne pas vouloir y aller. Je suis maintenant persuadé qu’il est de nature surnaturelle, pourtant je ne lui sens pas une aura menaçante comme peu rayonner Mafdet Mahes ou Amaro. Le chanteur est une personne pacifique, chevalier servant à ses heures. Il n’a pas hésité à se manger des coups sans riposter ! C’est un héros urbain comme il en manque tant. Seulement aucune médaille ne récompensera son courage.

- Pourrais-je vous reprendre un peu de café ?
- Bien entendu. C’est la première fois qu’on m’en redemande ! Vous êtes certain de ne pas avoir reçu un choc à la tête ?

Je fais une grimace pour bien faire comprendre que je plaisante. Mais généralement, les gobelets de café que l’on offre aux gens sont rarement vidés en entier, sauf détresse absolue. C’est même un curseur de référence : celui qui ne boit qu’une gorgée de ce goudron liquide n’est pas très en détresse.

(…)

J’ai rapporté un gobelet à monsieur Walton, après avoir jeté un œil à l’agresseur qui attend son tour en cellule.

- Vous voulez que j’appelle un taxi pour qu’il vous ramène chez vous ?

Je regarde ma montre, c’est qu’il commence à être tard. Cela serait un comble que monsieur Walton se face à nouveau agresser en regagnant son domicile.

- Après votre départ, je vais interroger le prévenu. À vu de nez, il va droit à une comparution immédiate. Vous ne serez donc plus importuné.

J’essaye d’être rassurant. Les gens ont souvent peur de porter plainte à cause d’éventuelles représailles.

Je me relève et ouvre la porte de la pièce pour signifier la fin de l’entretien. Ce brave citoyen peut enfin rentrer chez lui et prendre un repos mérité.

- Encore merci pour votre action. C’est héroïque !