Trois semaines sont passées depuis l’attaque sur le troupeau, et la mésaventure de Hyacinthe et Jacques. Le coup de poignard que j’ai reçu est un mauvais souvenir grâce aux bons soins de Xand’. Cliff arrive enfin à sortir de son lit. « Juste pour ses besoins primaires » a ordonné Xand’. L’immobilité est la clé de sa guérison. On ne régénère pas une moelle épinière comme un vulgaire bout de muscle ou d’os. Mon métayer s’emmerde et ça s’entend. Son langage est plus fleuri que jamais. Une chance que la nourrice de ma fille soit habituée à pire comme outrages, jurons et insultes. Un jour, pour le calmer, je lui ai collé le dernier veau né dans sa chambre. La mère morte en couche, il faut nourrir le petit au biberon, une tache que Cliff peut faire depuis son lit. Maintenant, c’est Helene qui a pris le relais des grondements : le veau chie dans la piaule de Cliff, ce qui le fait marrer, pas Helene… Même Lisbeth s’en mêle. Quand elle a vu Cliff donner le biberon au veau, elle a hurlé pour être nourrie par le métayer.
Beau bordel au ranch Wanáhca. Le ranch de l’aigle. Un nom, une allégeance aux Kawaiisu dont on a emprunté, avec leur accord, un peu de terre vingt ans avant l’invasion massive des « Wasichu », les visages pâles.
(…)
Le crépuscule se lève à peine, je bois ma troisième tasse de chicorée. On appelle ça du café. Le vrai est bien trop cher. Je hume l’air et scrute le ciel incertain. Je n’espère pas un temps sec, mais je ne pense pas qu’on devrait subir plus qu’une légère bruine. Une vache meugle, une autre lui répond, le ranch s’éveille. Le coq s’égosille à son tour et annonce qu’il est temps de sortir de son lit. Une couche qu’Helene a quittée depuis plus d’une heure. C’est grâce à elle que je peux boire du café chaud et le ventre rempli de lard et de patates.
Le coq vient de trouver de la concurrence : Lisbeth…
(…)
La journée fut plutôt bonne, la pluie est tombée à midi quand presque tout le monde était à l’intérieur. Le ranch s’agite à son habitude, un gentil tumulte rassurant. J’ai renforcé la surveillance, on manque tous de sommeil…
Je vois Andy sortir de la buanderie, comme l’appelle Cora, une vulgaire dépendance à mon sens. Un gros baquet de draps fraîchement lavés lui encombre les bras. Je regarde à droite, puis à gauche, personne pour jaser. Je frotte mes mains sur mon pantalon et m’avance vers elle.
- Passe-moi une anse, je t’aide, ça doit peser un âne mort !
J’aime de plus en plus le sourire radieux de la puma. Elle semble avoir trouvé sa place parmi les autres femmes du ranch et son travail s’élargit au-delà de Lisbeth. On étend le linge assez loin, derrière le jardin pour éviter qu’il récolte la poussière de l’activité du ranch. On me tape sur la main : pas assez propre pour aider à étendre. Cela m’arrange, je préfère regarder la belle silhouette d’Andy se battre avec les draps qui flottent au vent. Quand suffisamment de linge est étendu pour faire une parfaite cachette, je m’approche et me glisse dans le dos de la belle. Mes mains se posent sur ses hanches. J’attends de voir sa réaction avant de tenter un contact plus personnel, comme mes lèvres sur son cou si gracieux.
(*) : Wanáhca = aigle en sioux, Wasichu = homme blanc.