La casa fortezza || feat Andy

La casa fortezza

Feat :  Andy

Je transfère mon linge de la machine à laver au sèche-linge quand mon téléphone sonne. Le nom de mon contact apparaît : Alessandro Amaro. Je range mon cellulaire dans ma poche sans répondre. Je ne sais pas ce qu’il me veut, rien de bon j’en reste persuadé. Je veux prolonger ce sentiment de bien-être qui me tient au corps depuis mon escapade avec Ian, le Professeur et sa fille dans la réserve des Kawaiisu. J’ai ramené Ian à Derek, mais gardé ses fringues sales que j’avais mélangées avec mes propres affaires.

L’alpha a tout de suite remarqué le changement d’humeur chez son cousin, Ian n’a jamais resplendi autant. Il semble avoir trouvé la paix intérieure. J’espère que cela durera. Amaro s’acharne : une notification d’un nouveau mail. Je lis l’objet partiel qui apparaît sur l’écran : Besoin de toi, rappel quand t’as le temps. Quand j’ai le temps ? Étrange de la part de quelqu’un qui exige en permanence. Je reconnais qu’il pique ma curiosité, mais je résiste à son chant de sirène.

Chaton a vomi ses croquettes sur le tapis du salon. Je ramasse, je gronde, saupoudre de bicarbonate et recouvre d’un papier absorbant humide. Le fautif se cache sous un meuble.

(…)

Je pousse la porte et indique à Pierre Argent le nom d’Amaro. L’Italien m’a invité dans le succulent et onéreux restaurant des deux frères français. J’avais coutume d’y aller avec mon ex et c’est devenu la « cantine » de mon père quand il vient à Beacon Hills. Alessandro attaque dès que nos commandes sont prises. Dans son mail, il m’indiquait vouloir construire une maison à Beacon Hills.

- J’ai une totale confiance dans tes goûts, commence-t-il.
- Merci. Tu souhaites quel style de bâtiment ?
- Si je tire à l’arme automatique sur ta maison, il se passe quoi ?
- J’aimerais que t’évites… Tu écaillerais la peinture et raillerais les vitres.
- C’est bien ce que je pensais. Je veux pareil : une maison sûre pour ma famille. Andy attend un petit.
- Félicitations. Tu as un terrain ? Je ne peux pas t’imaginer une maison sans les plans du terrain et sa géolocalisation.
- Je m’en doutais, j’ai mis des options sur plusieurs terrains. Choisis celui que te paraîtra le mieux en fonction de mes exigences. Je vais t’envoyer Andy pour réfléchir à ce qu’elle souhaite, mais j’aimerais qu’il y ait un jardin clos, cerné par la maison pour pouvoir profiter de l’extérieur sans être exposé depuis la route ou des parcelles voisines. Je dois aussi loger du personnel, il leur faut une annexe. La propriété doit être facile à protéger, pas d’angles morts.
- Je vois. Ton budget ?
- Je n’en sais rien. Tu peux me faire un chiffrage à la louche quand tu as une idée qui se concrétise.
- Je te préviens : cette maison se construira avec des fonds propres ou tu m’oublies. Je peux déjà te dire que ce n’est pas avec les recettes du Pink Print que tu pourras t’offrir ce que tu m’as décrit.

J’attaque sans attendre la mousse de saumon qu’on vient de me servir. Amaro goûte le vin que le serveur lui propose.

(…)

L’italien va se faire aider par son géniteur. Le budget n’est pas un problème. Il m’a transmis les plans des quatre terrains qui correspondent à son attente en termes de superficie. Un est isolé comme le mien, cerné par la forêt, difficile à défendre à mon avis, Andy et Alessandro sont des surnaturels aux sens aiguisés, ce qui n’est pas le cas de la majorité de leurs hommes de main. Un deuxième s’entend sur une pente légère cernée par une prairie, la première maison est au moins à deux cents mètres. C’est le choix le plus sécuritaire et le terrain ne pose pas de contrainte. Corollaire : il faut prendre sa voiture pour quoi que ce soin comme Derek et moi. Le troisième terrain se situe dans la banlieue pavillonnaire à quelques pâtés de maisons de la maison aux roses de Brian. L’installation d’un mafieux là va animer les conversations. Quant au dernier terrain, il est en ville plus étroit que large, les envies de jardin intérieur d’Alessandro vont être un casse-tête.

À la fin du repas, j’avais donné ma carte professionnelle à Alessandro. Deux jours après, je convenais d’un premier rendez-vous avec Andy.

(…)

Andy devrait arriver d’une minute à l’autre. Depuis mon entrevue avec Amaro, je suis allé voir les quatre terrains pour me faire une opinion que je garderai pour moi. C’est au client de définir l’ordre de ses coups de cœur. Si le moins bien des terrains arrive en premier, alors j’exprimerais mes réserves.

J’entends une voiture se garer. Je vais ouvrir la porte qui mène à mon espace professionnel et qui plonge sous la maison la vue avec la terrasse au-dessus en pare-soleil est époustouflante.

- Bonjour, entrez.

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La casa fortezza

Feat :  Andy

Je remercie poliment comme suite au compliment de la blonde qui entre dans mon antre, tout comme je serre avec douceur sans mollesse la main qu’elle me tend. Évidemment, ma maison est époustouflante, c’est la base même de sa conception. : un délire d’architecte. Ma carte de visite professionnelle également. Le pari était risqué. Établir mon bureau d’étude loin d’une ville et qui plus est loin d’une grande ville était audacieux pour un architecte débutant. Je sais que mes anciens condisciples m’ont raillé, n’imaginant pas qu’avec mes oreilles de loup, je pouvais les entendre. L’argent de mon père était leur sujet de rancœur favori au début. À raison, sans la situation de mon paternel, jamais je n’aurais pu m’offrir une telle demeure, et cela même si Mick en finançait la moitié à l’époque.

La promo s’est ensuite divisée en deux camps, quand ils ont pu visiter la maison une fois les travaux terminés. Une bonne moitié fut impressionnée par les différentes techniques utilisées pour faire tenir autant de béton sur un à pic vertigineux avec un rendu aérien et un impact minime sur le site. L’autre partie continue de grincer des dents, envieux et jaloux de ma situation, me promettant, sans oser me le dire en face, un fiasco professionnel en établissant ainsi mon cabinet loin des riches clients potentiels que je vise. Il est vrai que je dois encore à mon père une publicité bienveillante et un carnet d’adresses qui compte un nombre important de milliardaires. Je n’ai pas honte de mon état de fils de riche, parce que je fais quelque chose de concret avec l’argent qui me tombe facilement entre les mains. S’il m’a mis le pied à l’étrier, c’est qu’il croit en mes capacités et que pendant mes études, je me suis donné les moyens de caracoler en tête de classe. Mon père est un acharné du travail. Il n’est pas avare de son argent, mais en aucun cas il n’en ferait bénéficier un flambeur. J’ai plusieurs chantiers en cours, à moi de transformer l’essai en réussite.

Je referme la porte avec une pensée pour le gars qui va poireauter dans la voiture qui a suivi celle de la femme d’Amaro. Il ne peut même pas piquer un somme ni s’abrutir sur son téléphone : il doit rester aux aguets si jamais on en viendrait à attenter à la vie de la précieuse femme de son patron.

Comme chaque personne qui entre ici, Andy se montre curieuse et impressionnée. Cela me donne du baume au cœur, je suis fier de mon travail. Et elle ne voit que la partie visible de l’iceberg : l’espace privatif est bien plus spectaculaire que le niveau réservé à mon activité professionnelle.

Je n’avais jusque-là fait que l’apercevoir de loin aux abords du Pink Print. Elle me donne l’impression d’une personne franche, plutôt directe et bienveillante. Le genre de personnalité qui me plaît. C’est important, plus le courant passe entre le professionnel et son client, meilleurs seront la collaboration et le produit fini.

- Selon Alessandro vous êtes une perle, le meilleur dans votre domaine. Et donc celui dont nous avons besoin. Je vous remercie de m'accueillir dans des délais si brefs.
- Le meilleur… je suis trop jeune dans la profession pour prétendre à ce titre. Alessandro est un flatteur.

Elle expose ensuite, avec un pragmatisme sans filtre, les raisons qui la poussent vers un logement haut de gamme sécurisé. Je lui offre à boire, listant ce que j’ai et qui convient à une femme dans son état.

- Une tasse de thé ce serait parfait.
- Earl Grey ? Bergamote ? Thé vert ?
- N'importe lequel, je n'ai pas de préférence.

Pendant que je m’affaire avec la bouilloire, je sens Chaton louvoyer derrière les canapés et les fauteuils. Il est habitué à l’odeur des loups, mais pas à celle des félins. Le curieux joue les timides. Je ne doute pas qu’avant la fin de notre entretien, qu’il n’aille pas s’enrouler autour des jambes d’Andy. Je jette dans deux tasses à thé Malmaison impériale et verse l’eau délicatement. Je bois toujours la même chose que mes clients, cela rapproche.

J’ai laissé Andy s’installer sur le canapé en nubuck bleu nuit, tandis que je m’installe dans l’un des fauteuils à sa droite, parce qu’elle est droitière. J’offre à boire d’entrée de jeu pour avoir cette information. Je mets en pratique le cours d’un ergothérapeute. À part si un bureau vous sépare de votre client, il ne faut pas s’installer en face de lui pour tout un tas de raison, comme la gêne que peut éprouver une femme en jupe ou en robe. D’où l’importance de placer des sièges à droite et à gauche tout en laissant un canapé vide en vis à vis : les sièges forment ainsi un cercle autour de la table basse. Une disposition qui rassure. Se placer du côté dominant de son interlocuteur est aussi une source de sécurité.

- Bien, commençons. J’ai effectivement compris que votre projet avait déjà un cahier des charges conséquent quant à l’accessibilité de la construction. On va faire en sorte que cela ne ressemble pas à Fort Knox.

Comme pour la photographe qui était venue faire un reportage sur ma maison et mon approche sur mon métier, je montre à Andy les pots de feutres, de pastels, et de crayons, qui sont posés sur la table basse avec autant de blocs note et cahiers de dessins.

- Ne vous affolez pas si vous n’êtes pas douée en art graphique. Cet attirail sert de support. Je vous montre.

J’écarte ma tasse et rapproche un bloc de feuilles à dessin. Avec un feutre vert, je dessine un carré. Avec du bleu j’ajoute un rectangle bleu : la piscine. Quelques gribouillis plus tard apparaît le plan schématique d’une hacienda avec un patio fermé sur quatre côtés.

- Voici la base que m’a demandée Alessandro : un cœur de maison ouvert où votre famille pourra passer d’agréables moments en extérieur en toute sérénité. J’ai dessiné ça symétrique, mais c’est juste pour conceptualiser ce que vous voulez. Dites-moi comment vous vivez, où vous passer le plus de temps. Vous allez devoir vous projeter avec un enfant et penser si votre bébé aura des frères et sœurs. Je sais qu’Alessandro a besoin d’un bureau. Est-ce que vous travaillez chez vous ? Voulez-vous une bibliothèque, une salle de sport, une cuisine ouverte ? Ne pensez pas en pièces, mais en activités, en besoins. Donnez-moi des couleurs, même si ce n’est pas de mon ressort, ça me donne une idée de vos envies. Par exemple, si vous me parlez d’une chambre bleue, je tenterais de l’exposer à l’est, si au contraire vous mentionnez des couleurs chaudes, je l’orienterai côté soleil couchant. Je ne conçois pas que la position des murs, mais aussi des ambiances.

Chaton profite de notre concentration pour s’approcher et humer l’intruse de loin, le museau en l’air.

- Si nous échangeons bien, à l’issu de cette entrevue, je devrais pouvoir vous proposer deux ou trois ébauches. Ce qui me simplifierait la vie, c’est que vous choisissez rapidement l’un des quatre terrains qu’Alessandro m’a désignés.

Je tais ma préférence, je n’ai pas à influencer mes clients. J’espère qu’elle ne pas se focaliser sur le terrain du centre-ville.

- Je vous écoute et je regarde vos dessins.

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La casa fortezza

Feat :  Andy

Je souris avec douceur quand ma cliente expose une analyse quasi identique à la mienne quant au terrain qu’il serait préférable de choisir pour cette famille en devenir. Une famille pour le moins atypique. Mon regard glisse sur les rondeurs de son ventre. Je me demande quels gènes prédomineront chez le bébé. Alessandro a été mordu comme moi, Andy est née ainsi.

Elle se prête au jeu du dessin sans hésitation ni fausse honte. Je griffonne sur un carnet ses commentaires en calligrammes déstructurés qui dessinent des murs, des couloirs, des ambiances. Une forme de Dadaïsme revisitée à ma sauce. C’est ma façon à moi de retranscrire de que j’interprète des dires d’Andy sans devoir écrire moult paragraphes fastidieux.

Elle commence par la chambre parentale, et non par le salon ni la cuisine ou les chambres des enfants : son couple est au centre de ses préoccupations. C’est une femme amoureuse et passionnée. Dressing et salle de bain attenante, un classique. Vaste le dressing, Amaro possède une collection de chemises à faire pâlir d’envie un tailleur. J’en avais vu quelques-unes sur le dos de l’adolescent agaçant qu’il avait pris sous son aile un moment.

- Je veux que la chambre du bébé soit proche de la nôtre, je compte allaiter au moins les six premiers mois.

Je hoche la tête. Elle rapproche les enfants, non, le bébé pour allaiter. Dois-je prévoir d’autres chambres pour quand ils seront plus grands et moins à proximité de la chambre parentale et des activités qu’il peut s’y passer ? Je note la question dans un coin de page que je raye dans la foulée : Andy m’assure une famille nombreuse : à minima deux bambins, plus la fille du Professeur. Il faut une aile consacrée aux enfants, une salle de jeux qui pourrait se transformer en salle d’études. Je doute que leurs enfants aillent à l’école publique de Beacon Hills. La ville a bien une école privée, mais elle reste modeste et n’offre assurément pas un meilleur enseignement. J’ai passé mon diplôme d’Architecte dans la Fac d’État de Beacon Hills à la grande frustration de mon père.

- Alessandro a besoin d'un bureau comme vous l'avez mentionné, c'est aussi mon cas. Il doit fermer à clef, mes clients attendent de moi le respect du secret quand je traite une affaire. Je travaille entre LA et mon domicile en ce moment, mais je ne le ferais que de chez moi quand le bébé sera né.

Je dessine deux bulles aux antipodes l’une de l’autre. Les métiers du couple ne doivent pas se croiser ni s’incruster dans le cercle familial. L’aspect sécurité va être un souci épineux.

La cuisine apparaît enfin, non en dessin, mais en notes avec le nombre de toilettes et de placards. Je suppose qu’elle n’est pas une cuisinière acharnée ou qu'elle ne sait pas cuisiner du tout. Pour certaines personnes, c’est la pièce névralgique où l’on fait certes à manger, mais où les enfants font leurs devoirs sur un coin de table, où une télé débite en continu ses programmes, un endroit où on refait le monde en prenant l’apéro juché sur des tabourets hauts, un coude sur le comptoir.

On s’oriente sur une atmosphère intimiste et classique, loin des designs modernes ou tape-à-l’œil. Essaie-t-elle de conjurer le sort ?

- Je veux pouvoir vivre dans cette maison comme si ma vie n'était pas différente de celle des gens que je fréquente dans mon quotidien. J'aime les choses simples, sobres, ce luxe qui se paie, mais ne se voit pas au premier abord.

Elle me demande de faire un grand écart entre une maison familiale chaleureuse et un sobre chic non ostentatoire. Je barbouille mes calligrammes de couleurs chaudes pour l’aile des enfants, de bleu pour les deux bureaux respectifs et de marron pour le reste de la maison. De la chaleur pour la famille, du sobre pour les bureaux et un chic chaleureux pour les pièces qui verront du monde comme l’entrée, le ou les salons, la cuisine si Andy décide d’en faire un lieu de vie.

- Un jour l'enfant que j'attends sera assez grand pour aller à l'école et se mêler au monde, je ne veux pas qu'il se croie supérieur à ses futurs camarades.

Je conserve une expression neutre. Avec les gardes du corps qui vont pulluler, ses enfants vont vivre un quotidien hors norme. Le futur papa ne s’étouffe pas de modestie. Si elle continue à travailler, ses enfants ne couperont pas aux nourrices et aux précepteurs. De son côté, Amaro fait des horaires de dingues. Il ne gâchera pas ses rares moments avec ses enfants en temps éducatifs responsables. Enfin, c’est mon opinion.

- Cette maison sera peut-être aussi imprenable que Fort-Knox, mais je veux qu'on puisse y vivre de manière aussi simple que possible.
- C’est un pari audacieux !

Chaton nous interrompt en fourrant ses griffes là où il ne faut pas. Conciliante, Andy se saisit du chat.

- C'est déroutant au premier abord, le loup et le chaton. Une drôle d'alchimie, mais je peux vous assurer que ça fonctionne à merveille.
- Il m’a adopté… D’ordinaire, les chats m’évitent. Celui-ci n’a pas conscience du danger. Je n’en suis pas un, mais son instinct aurait dû le tenir à l’écart. Après c’est un jeune vraisemblablement orphelin.

Je pose mon carnet et souris en l’observant.

- Il faut une bonne dose de caractère pour mater Alessandro et il est dans la nature des félins de se moquer de ce que pense autrui. La druidesse de la meute Hale est un félin. Je ne pense pas éventer un secret, son aura ne passe pas inaperçue.

Andy me semble avoir un caractère plus chaleureux que celui de Mafdet pour qui le reste du monde des vivants se range dans la catégorie souris ou sans intérêt.

- Je pense avoir assez de matière pour commencer à réfléchir sur votre maison. Voulez-vous visiter le reste de ma maison, cela peut vous inspirer en positif comme en négatif. Soyez franche dans vos impressions. Je n’ai pas à me vexer : les goûts et les couleurs ne se discutent pas.

Je me saisis de Chaton qui bâille sur les genoux d’Andy. J’aide la femme enceinte à se relever en lui offrant ma main.

- Le thème de cette demeure c’est « aérien ». Les couleurs et la décoration sont donc minimalistes. Il y a deux chambres d’enfants. Une seule est utilisée par mon filleul. C’est une maison qui ne convient pas à ceux qui ont le vertige. Êtes-vous sensible ?

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Feat :  Andy

- Normalement non. Mais je me découvre d'une nouvelle manière un peu plus chaque jour ces derniers temps. Et ces surprises ne sont pas toujours bonnes.
- Je compatis.

Je ne lui fais pas l’affront de lui dire que “je comprends” les tracas de la maternité. Très tôt, mon père m’avait enseigné l’importance de bien choisir son vocabulaire. Il n’y a pas autant d’authentiques synonymes que l’on pense. Il faut garder en tête que ce qu’on dit est toujours interprété de la pire des manières. Pour s’en préserver, il suffit de choisir ses mots et ne pas laisser le moindre double sens s’installer une gymnastique laborieuse au début qui devient fluide au fil du temps.

Je montre à mon invité les différents volumes de ma maison. La plupart des gens pensent en pièces de diverses fonctions : cuisine, salon, chambres… Ma demeure est une maison d’architecte qui est pensée en volumes qui s’articulent les uns aux autres suivant plusieurs critères comme la praticabilité, la diffusion de la lumière et l’esthétisme. Pas de couloir borgne, pas d’angle sombre, chaque moment de la journée offre une luminosité différente et de là une ambiance différente. Sans surprise, Andy apprécie ce qu’elle voit et a la franchise de préciser que ça ne lui convient pas.

- C'est... Je crois que je manque de qualificatifs dans mon vocabulaire pour pouvoir décrire cet endroit sans risquer d'amoindrir mon ressenti. Un endroit fabuleux, mais dans lequel j'aurais du mal à m'épanouir.
- C’est en effet à l’opposé de ce que vous m’avez décrit. Le but de cette visite n’est pas de vous influencer sur un style qui me plaît, mais de vous montrer l’importance de l’agencement des pièces en fonction du terrain et de son exposition.

Je ne fais pas visiter ma maison à mes clients, il s’agit là d’une exception dont je ne saurais définir avec précision la cause. Andy me semble être une femme attachante, mais cela ne justifie pas de lui montrer mon intimité, même si celle-ci lui paraît froide et épurée. C’est peut-être une affaire de confiance. Je continue de la guider en lui expliquant mon choix d’agencement.

- J'ignorais que vous connaissiez Derek, un homme charmant.
- C’est mon alpha. Ce n’est pas ce qualificatif que j’invoquerais en premier pour le décrire.
- Un peu grognon au premier abord, mais loin d'être méchant.
- Là, je le retrouve, en effet.
- Ce grand nigaud a créé une avalanche de produits hygiéniques dans le rayon où je me trouvais la première fois que nous nous sommes rencontrés.
- Derek… a fait ça ?!

J’ai vraiment du mal à l’imaginer sur un geste aussi infantile. Cela me fait sourire, je garde cette anecdote dans un coin de ma tête.

- Alessandro a eu du mal à accepter que je puisse être amie avec des hommes au début, puis il s'est fait à l'idée quand je lui ai expliqué qu'il n'avait pas le choix.
- Jolie victoire. Il a tant à gagner de vous !

(…)

J’ouvre la baie vitrée et invite Andy à sortir sur la terrasse. Les panneaux vitrés du garde-corps en inox ne cachent rien de l’aplomb et accentuent cette dangereuse impression d’être prêt à chuter de la falaise.

- En vrai, il n’y a qu’une cinquantaine de mètres jusqu’au bas du terrain. C’est la perspective qui donne l’impression qu’il y a bien plus.

J’imagine que la nature féline d’Andy la préserve du vertige. Pendant qu’elle admire la vue, je lui propose un rendez-vous la semaine suivante, pour discuter d’une première ébauche.

- Je vous appelle si j’ai du retard, qu’en dites-vous ?

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Feat :  Andy

Je regarde l'avocate démarrer par la fenêtre qui donne sur l'entrée. Une ouverture d'où je peux voir sans être vu, sauf la nuit s’il y a de la lumière à l’intérieur, le film opacifiant est alors inefficace. Toutes les ouvertures vitrées de la maison en sont équipées. J’ai apprécié le signe amical à l’intention de son garde-chiourme. Un geste humanisant pour ce type dont le métier est tout sauf humain. J’ai une pensée pour Mick qui, pour d’autres raisons, a embrassé un peu le même style de carrière. Une activité riche en adrénaline. Dans le passé, j’ai aimé ça, même si je n’avais pas été moteur pour plonger dans ce milieu. La chasse aux chasseurs ! Je me souviens de mon exaltation… Je ne suis pas fier de cette période. Ce changement qui s’opère en moi m’aide à faire le deuil de mon couple. Mick a choisi une voie à des années-lumière de ce à quoi j’aspire : la tranquillité.

Mon téléphone vibre, c’est Jay D. qui me demande si je n’aurais pas envie d’aller grimper, là, tout de suite. J’hésite, ça me tente, mais j’ai encore en tête mon entretien avec la compagne d’Amaro. Et même si j’ai pris des notes, je veux dessiner quelques esquisses rapides pour planter un peu le décor de cette future maison. Je décline l’invitation. Jay D. en fine négociatrice me soutire un afterwork au pub.

(…)

J’étale en éventail les feuilles à dessin noircies sur ma table de travail. J’ai représenté des bouts de pièces, des atmosphères ou des plans grossiers sur l’agencement des pièces souhaité par l’avocate. Mon téléphone vibre à nouveau : Amaro. Sa « moglie » est contente de l’entretien. L’Italien me demande de résumer ce que j’ai compris des désirs de sa femme. Je m’exécute sans chercher à interpréter sa démarche : Amaro n’est jamais là où on l’attend. Tenter de le cerner est une perte de temps. Il se dit en accord avec ce que je lui résume, me rappelle les points de sécurité et me donne une première estimation de son budget.

J’ai rangé mes esquisses dans une boîte en carton qui va se remplir au fur et à mesure que le projet avancera. Je ne jette rien, même ce qui n’est pas retenu par le client. Je vais laisser décanter un jour avant de me plonger sérieusement sur les plans. J’enfile mes basquets, la veille Derek m’avait appelé pour savoir si j’étais disponible pour garder Ian. À moins d’un rendez-vous avec un client, il sait que je suis souvent disponible : l’avantage de travailler à son compte. Je sors et prends le sentier qui me mène au manoir. Même si Ian dort chez moi ce soir, j’aime bien aller le chercher à pied. Par commodité, je lui ai acheté quelques vêtements et des jouets qui restent dans la chambre que j’ai faite sienne à la maison. Il a donc peu de choses à apporter quand il vient. Sur le chemin du retour, Ian m’explique avec le ton d’un conspirateur que Derek passe la soirée avec Docteur Jay. L’alpha ne m’a rien dit de précis, mais je me doutais un peu de son programme.

(…)

Pour notre deuxième rendez-vous, l’avocate arrive avec un présent délicieux : des chouquettes, une viennoiserie française raffinée. Elle ne se moque pas de moi ! Je mets de l’eau à chauffer. Du thé vert fera honneur à cette gourmandise. J’offre à ma cliente de s’installer sur le canapé. Sur la table basse, j’ai poussé les pots à crayons et feutres sur le côté pour laisser la place à plusieurs de mes esquisses. Pour le moment, je lui montre des ambiances, des concepts de volumes et leurs ouvertures vers l’extérieur. J’ai choisi des couleurs chaudes et douces, mais bien évidemment tout est sujet à discussion et précision.

- Soyez franche, si quelque chose ne vous plaît pas, dites-le clairement.

Andy me montre un dessin. Je le retire et le pose sur le guéridon à côté de mon fauteuil après avoir dessiné une croix rouge accompagnée du chiffre quatre dans un angle de la feuille. Quatre pour un non franc et direct. Ma notation va de « un » pour un « oui j’adore » à « quatre » pour un « je n’aime pas du tout ». Normalement, si nos entrevues se passent bien, le nombre de « quatre » devrait diminuer au profit de « un » ou de « deux ». Le but étant de réunir un maximum de « un » sachant qu’on ne peut jamais éviter quelques « deux ».

Ce premier tri effectué, je propose une pose pour déguster les chouquettes accompagnées d’un thé.

- Après on s’attaque à l’ébauche du plan. J’ai aussi de l’eau ou du jus de fruits, si vous préférez.

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Feat :  Andy

Je m’amuse en silence de l’appétit de ma cliente. Je veille à toujours avoir une chouquette en main pour ne pas la culpabiliser de gloutonnerie tout en mangeant très lentement pour lui laisser profiter des gourmandises posées sur la table basse. Mon père m’a appris que l’affabilité n’est pas synonyme d’effacement. Quelqu’un qui ne contredit jamais autrui peut être perçu comme calculateur ou à l’inverse sans aucune personnalité propre. Je me risque donc sur un chemin plus personnel.

- J’avoue ne pas imaginer Alessandro songer à être père rapidement. Non que je doute de ce souhait, il a grandi dans un milieu où la famille est une valeur sûre.

« Famille » peut prendre bien des sens dans son cas.

- Le bébé n'était pas prévu, tout du moins pas aussi rapidement. J'ai signé dans le cabinet de mon beau-frère il y a à peine un an, je pensais avoir le temps d'y trouver mes marques avant de devoir songer à un congé maternité.
- Ce sont des choses qui arrivent, et même si ce bébé est en avance, je ne doute pas qu’il sera choyé. « On n’apprend pas à être parent, on le devient ». J’ai eu des parents professionnellement très occupés, pourtant ils ont réussi à compenser leurs absences, chacun avec sa personnalité propre. Faites-vous confiance !

Andy esquisse ce geste inné chez les futures mamans : elle porte sa main en coupe sous son ventre. Cela doit être une expérience indicible, abriter la vie… Je me concentre sur mon ouïe et j’accède à un micro-univers fait de bruits aquatiques et la preuve ultime de la vie : un cœur qui bat à une cadence régulière, et ce alors que le reste du corps de l’enfant n’est pas encore prêt à vivre hors du ventre de sa mère.

- Chad, je vais devoir me rendre aux toilettes si cela ne vous dérange pas. Nous pourrons reprendre ensuite, mais cela devient une urgence.
- Bien entendu.

Je me lève et précède ma cliente vers les sanitaires. De factures modernes avec une cuvette suspendue, un lavabo en pierre posé sur des madriers en chêne assemblés en plan de travail et une fenêtre sans teint qui offre une vue sur la vallée. Il y a peu de pièces closes dans ma maison, seulement celles qui cachaient les secrets de Mick, des endroits sécurisés.

- Prenez votre temps, les serviettes éponges sont à votre disposition.

De retour dans la pièce de travail, je range la collation et essuie les miettes qui n’ont pas manqué de s’évader. Je remets les pots de feutres et de crayons, refais des piles bien droites avec les carnets de dessin. La suite se passe à mon bureau où je m’installe. J’allume le grand écran fixé au mur dans mon dos et affiche le plan de masse de ma première ébauche. Quand Andy revient, je lui montre de la main le fauteuil en face de moi.

- Maintenant, nous passons sur l’outil informatique, cela permet de gagner du temps pour s’amuser à bouger les pièces au gré de vos envies et de vous permettre de vous rendre compte de ce que cela donne. Comme précédemment, j’afficherai aussi des situations qui ne concordent pas à votre demande. Cela me servira soit à confirmer ce que vous ne souhaitez pas, soit à vois faire découvrir d’autres possibilités. D’expérience, il est plus aisé de dire ce qu’on n’aime pas que l’inverse. Dans mon dos, je dézoome pour englober le terrain choisi.

- Je n’ai pas encore travaillé sur les dépendances demandées par Alessandro. Elles sont représentées par ce volume là et là. C’est susceptible de bouger en fonction des plans de la maison.

Je grossis l’image autour de la maison.

- Je suis parti du patio intérieur qui tient à cœur à Alessandro. J’ai entassé les fonctions demandées : espace de jeu, piscine, spa, terrasse abritée. Comme pour les dépendances, ne vous focalisez pas sur l’emplacement de chaque détail. De ce côté, j’ai regroupé la cuisine, la sale à manger, un vaste cellier et une buanderie. J’ai pris en compte que le cellier doit être proche d’un accès voiture pour décharger les courses facilement.

J’enchaîne sur l’aile « nuit » avec une chambre parentale et trois autres chambres. Placard, dressing, sanitaires sont représentés par de simples rectangles.

- À l’opposé, j’ai placé le salon, une salle de jeu, une chambre d’amis et une salle de sport. Et enfin sur l’aile frontale où se trouve la porte d’entrée, j’ai placé une bibliothèque-salon, un lieu où vous pouvez accueillir les personnes moins proches. Attenante à cette pièce, j’ai prévu une kitchenette. À l’opposé par rapport à la porte d’entrée se trouve le bureau d’Alessandro avec une antichambre et une issue dédiée vers l’extérieure. Le plan est cubique, j’attends que vous validiez la disposition des pièces et leur enchaînement avant d’ajouter de la convivialité et du style en brisant ces lignes droites.

Je clique sur un dossier de calques qui s’affichent par-dessus le plan initial coloriant les zones en fonction de leur usage : nuit, jour, coin familial, espace de travail.

- Prenez votre temps. Dites-moi si quelque chose vous choque. Au besoin, je modifie. Puis je vous imprime ce plan et on définit notre prochain rendez-vous. Si vous pensez que cela vous convient à cent pour cent, j’attaque les plans réels. Mais pas de précipitation, on fait une nouvelle itération sur l’agencement au prochain rendez-vous. Prenez le temps de réfléchir. De toute façon, je ne suis pas bloqué pour travailler, j’ai les plans des dépendances à faire.

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La casa fortezza

Feat :  Andy

Je m’obstine à gérer le pink comme un professionnel du métier le ferait : gestion du stock impeccable, animations et soirée musique à thèmes variées, contact proche avec la clientèle que j’interpelle par leur prénom pour un bon tiers. Un travail à temps plein. Un travail qui ne représente qu’un quart de mon activité et encore, j’ai entièrement lâché les rênes du Fight Club à Largo. Il a fait ses preuves, je lui fais confiance. Je n’ai plus le temps et je n’ai plus besoin de rouler les épaules et jouer au cador : l’underground de la région sait qui il ne faut pas emmerder et sur quelle platebande il ne faut pas empiéter. J’ai laissé le deal aux blacks de la banlieue nord. Non pas qu’une guerre ouverte avec eux me compliquerait les choses, simplement ce rapport de force ne me serait pas rentable. Éliminer les têtes de file serait facile, ces idiots se concurrencent eux-mêmes. Seulement le marcher à reprendre ne vaut pas l’investissement. Je laisse croire à ces types qu’ils ont gagnés un bras de fer qui n’a jamais eu lieu que dans leurs rêves.

Dix-huit heures, c’est le début du pic d’affluence. Je seconde Jerry au bar. Depuis quinze jours, il forme un apprenti. Les bourdes du jeune lui bouffent du temps, un mal nécessaire quand je serais vraiment contraint à me contenter d’apparitions épisodiques pour rassurer la clientèle. J’ai recruté des serveurs et un plongeur. Les comptes du Pink-Print sont au vert. Il faut que je songe à recruter un deuxième cuisinier : Charlie refuse de bosser le midi, ça le fait se lever trop tôt, dit-il. Et la demande à ouvrir le snack à midi devient forte. Je dois aussi recruter un gestionnaire à mi-temps, quelqu’un qui ferait les comptes et s’occuperait de la gestion du stock, en gros le travail que j’ai du mal à déléguer. Mais il le faudra bien, L.A. me donne de plus en plus de responsabilités, toutes légales. La dernière en date est la gestion d’une chaîne de motels disséminés sur la côte ouest. Stefano, par l’intermédiaire de Sonny et David, est en train de me construire un CV béton d’homme d’affaires honorable.

Le ventre d’Andy qui tend à lui donner l’allure d’un hippopotame me rappelle chaque jour une autre urgence à venir : celle d’un enfant à élever. Je veux faire mieux que mon père (le faux), et certainement pas imiter le vrai. Toutefois, j’ai suffisamment gagné en maturité pour savoir qu’il y a un monde entre ce qu’on veut, ce qu’on peut et ce qu’on nous laisse faire. Je veux voir grandir mon enfant, et ne pas laisser Andy sacrifier sa carrière d’avocate. J’ai eu des mots durs avec Sonny, il y a deux jours de ça, quand il a laissé échapper que la place d’Andy dans le cabinet d’avocats où David est actionnaire deviendrait honorifique et plus une distraction qu’autre chose. J’avais dans la foulée contacté mon beau-frère pour une mise au point. Il m’avait rassuré, laissant entendre qu’il se ferait arracher les yeux par Graziella s’il envisageait une telle infamie. David m’avait conseillé de laisser « l’ancienne génération » à ses rêves machistes et que nous, les jeunes, ont fera comme on l’entend.

- Aless, je viens de voir passer la voiture d’Andy, me souffle Jerry. Tu peux nous laisser. Aucune manœuvre délicate en vue, tous les fûts sont pleins. Et le petit commence à prendre le rythme.
- Merci, Jerry, mais j’ai le temps. Vu son emploi du temps de la journée, elle doit avoir du travail en retard. Je monterai dans un moment. Charlie ! Tu me mets de côté trois menus du jour s’il te plaît. Et sans miel, j’arrive déjà presque plus à serrer ma femme dans mes bras !
- C’est bon pour les femmes en cloque ! râle l’ours.
- C’est que du sucre, Bro !
- Ignare !

(…)

Tandis que j’organise le repas en programmant le four pour qu’il garde au chaud les trois parts — une pour moi, deux pour Andy — de lasagnes forestières à la viande biche, j’entends Andy sortir de son bureau. Je cherche sur son visage des traces de fatigue, mais c’est une future mère en pleine forme qui me vole un baiser.

- Chéri, monsieur Wilder a travaillé sur un plan. J'en ai rapporté une copie. Je l'ai invité à dîner ici un de ces quatre, pour que nous puissions en parler et peut-être même sympathiser. Il faut que tu me donnes les dates pour lesquelles tu es disponible.

Ce que Wilder peut être agaçant parfois avec son style du gendre idéal. Je ne le reconnaîtrais jamais, mais il est parfait pour mettre les gens à leur aise et s’attirer les amitiés. Sans la droiture que je lui connais, je ne lui aurais pas envoyé mio gattino pour réfléchir à notre futur chez-nous. C’est qu’en plus il est bel homme le bougre.

- Je…

Je regarde le postérieur d’Andy me narguer. Ce n’était pas une discussion, mais bel et bien un ordre ! Ce que femme veut…

- Arrête de manger ! Le plat du jour est copieux !

Parle à mon cul… Je programme la minuterie, dresse la table et check mes mails. Comme je m’y attends, j’en ai un de Wilder bourré de pièces jointes qui, à n’en pas douter, sont l’exacte copie des plans qui traînent sur la table. Je parcours le message de l’architecte qui me fait un résumé de leur séance. Il me dit ce qu’il a compris des désirs d’Andy. Cela me permet aussi d’avoir un retour non déformé de l’avancée de ce projet immobilier. J’aime Andy et lui fais confiance, mais c’est un principe pour moi que de prendre les informations au plus proche de leur source. Wilder se plie à cet exercice de reporting, il a vite compris que ça lui éviterait des reprises éventuelles de plan.

Mon téléphone reste muet. Chose rarissime : je vérifie deux fois qu’il fonctionne correctement. Trouver une date pour un dîner avec l’architecte… Une activité sociale normale en soit, quand on a une vie normale. Et nous sommes tout ce qu’il y a de plus non normaux : tous deux surnaturels, l’équivalent d’un chien et un chat qui plus est, moi, affilié à la Cosa Nostra par l’éducation et par le sang.

Mais nous allons être parents. Nous allons devoir gérer nos vies, celle de l’enfant, s’entendre sur ce qu’on va déléguer… Pour le moment, cette normalité à laquelle nous n’accéderons jamais totalement s’impose avec un repas avec Wilder.

Hum… pas moyen d’externaliser ça au restaurant français. Andy a précisé « ici » pour son invitation lancée à l’architecte. Je ne peux pas la laisser cuisiner : on a besoin de notre architecte en bonne santé ! Restent deux options : déléguer à Charlie, ou m’y coller. Je sais cuisiner, j’apprécie à le faire, mais je n’ai pas le temps ! C’est bien pour ça que chaque soir, sauf le dimanche où le Pink est fermé, je commande notre repas à Charlie. Quand il considère que le plat du jour ne nous conviendrait pas, l’ours s’arrange pour nous mijoter autre chose.

(…)

- À table !

J’ai consulté les plans le temps qu’Andy termine son travail. Les charnières entre chaque espace comme la logique de leur succession me conviennent. Je n’avais aucune inquiétude sur ce point : Wilder est un pro. Reste le travail de personnalisation où il ne peut pas deviner nos goûts. L’aspect aseptisé et ultra moderne de sa maison me plaisent, mais je sais que ce n’est pas le cas d’Andy qui souhaite une atmosphère accueillante. Je vais laisser Andy choisir et mettrait mon grain de sel sur la taille des espaces, la fonctionnalité des lieux dédiés à nos activités professionnelles, la dépendance du personnel et la sécurité de l’ensemble.

- J’ai regardé les ébauches, j’aime bien l’agencement, dis-je à l’amour de ma vie qui s’installe enfin à table.

Je lui sers une portion de lasagnes, puis remplis mon assiette.

- Mange déjà ce qu’il y a dans ton assiette, énoncé-je comme avertissement à une puma qui lorgne déjà sur la troisième part.

J’élude ses protestations et lui donne deux dimanches midi comme dates possibles pour le repas qu’elle souhaite faire avec Wilder.

- J’essayerai de faire à manger si c’est calme, sinon on délèguera à Charlie.

Codage par Libella sur Graphiorum

La casa fortezza

Feat :  Andy

Je mets les bouchers doubles en prévision de ce repas chez ceux qui sont devenus mes clients. Des clients « ordinaires », pas comme le trafic pour planquer le futur tripot d’Alessandro sous un bar de quartier. Un travail qui aurait pu ternir ma réputation et que j’ai effectué en payement de ma dette. Le Rital m’avait gracieusement prêté sa squadra pour délivrer Mick des griffes de sa propre mère. Des efforts pour rien, vu qu’il est retourné dans ses jupes. Ce genre de services ne sont jamais gratuits et il ne faut pas espérer s’en sortir légalement pour s’acquitter ce que l’on doit. J’avais caché mon soulagement quand Alessandro m’avait à nouveau fait modifier les plans pour un projet plus net, sans tripot. Je n'ai pas saisi toutes les nuances, mais Amaro a pris du galon dans la pègre de Los Angeles et dois gérer maintenant des affaires hautement plus rentables que ce qu’il prévoyait d’établir à Beacon Hills. Je suis même étonné qu’il fasse construire ici et non sur la colline d’Hollywood.

J’ai habillé les façades des vues 3D cubiques que j’avais montrées à Andy pour qu’elle se rende compte des volumes. Mon logiciel me permet de présenter différents styles rapidement. Mon plus gros problème est de faire en sorte que le mur de clôture que m’impose Alessandro ne gâche pas l’atmosphère chaleureuse que souhaite sa femme par une austérité pénitentiaire. Le dossier grossit en attendant qu’Amaro se porte acquéreur du terrain choisi. Je l’ai relancé plusieurs fois, j’ai besoin des résultats de l’étude de sol avant de m’engager sur les aspects techniques de la construction.

(…)

Le jour J est arrivé. J’ai opté pour un pantalon de lin écru et une tunique azur de même nature. Autour du cou : un aigle stylisé accroché à une lanière de cuir, une babiole que j’ai achetée dans le magasin de souvenirs des Kawaiisu. Ça avait fait marrer D. que le petit-fils du Chef porte un bijou soi-disant ancestral de la tribu made in China. Je lui avais cloué le bec en lui précisant que cette pacotille était représentative de la tribu à l’instant t.

La rue devant le Pink Print est déserte : tous les commerces sont fermés. Je ne me gare pas devant, car je dois faire le tour du bloc et entrer par la porte de service qui donne sur une ruelle étroite qui longe l’enfilade des arrière-boutiques. Tube à dessin et ordinateur portable en bandoulière d’un côté, un sac contenant un whisky qu’Alessandro ne connaît pas (information confirmée par son barman) et une bouteille de cocktail de fruits frais pour Andy de l’autre, je sonne à la porte de service. Je patiente un moment. Je tends l’oreille, mais n’entends rien. J’ai participé aux plans des travaux de rénovation du bar par suite de l’incendie criminel qui l’avait bien amochée. J’ai fait du bon travail, semble-t-il. La porte s’ouvre sur Andy vêtue d’une robe haute en couleur. Son ventre a encore pris du volume. C’est impressionnant. Je refuse qu’elle m’aide à porter mes affaires et la suis dans les escaliers qui mènent à son appartement. Une bonne odeur m’accueille quand nous arrivons en haut. La table est joliment mise. Alessandro me salue depuis sa cuisine ouverte et qui fait face à l’escalier.

- J’ai apporté des tirages avec des mises en situation plus réalistes. Et j’ai mon ordinateur au cas où vous voudriez vous plonger plus sur les plans.
- On verra après manger si on a encore de l’énergie. Mio gattino s’était endormie juste avant ton arrivée.

Ce n’est pas gentil de mettre ainsi sa femme dans l’embarras, d’autant que cette invitation est de sa seule initiative. Mon passif avec l’Italien s’est vu totalement effacé quand son pseudo fils adoptif n’a plus donné signe de vie. Andy a fini par me décharger de mon ordinateur et de mon tube à dessin. Je lui donne la bouteille qui contient un assortiment de fruits pressés. J’aurais pu acheter un produit similaire, mais il aurait perdu ses valeurs nutritives et gagné en sucre et conservateur.

- Navré pour la bouteille sans style de limonade, j’ai pressé les fruits peu avant de partir. Nous sommes dans le bon timing pour avoir le maximum de vitamines avant qu’elles se dégradent.

Je me retourne et serre la main d’Alessandro avant de lui offrir la bouteille que j’ai achetée à son intention. Jerry m’en avait vanté le plus grand bien et assuré que son boss n’avait pas encore eu le temps de goûter cette nouvelle référence de sa carte. Une preuve encore d’un emploi du temps alourdi de nouvelle responsabilité. Je ne serai pas étonné que d’ici quelque temps le Pink Print passe sous la régence d’un nouvel employé.

- Un whisky japonais. Il est excellent et rivalise avec les distilleries ancestrales.

Par sécurité, j’avais acheté deux bouteilles et ouvert l’une d’elles. Les Japonais sont réputés pour copier et améliorer. Le whisky n’échappe pas à cette règle implicite. Le visage d’Alessandro se teinte de doutes, j’ai hâte de le voir goûter.

Je m’installe là où la maîtresse de maison me dit de le faire. Alessandro débouche le whisky et le sent avant d’en verser dans deux verres. Il affiche un air surpris. Je grille la priorité à Andy et la serre du cocktail de fruits. J’ai plein de questions techniques en tête, des actions que le couple doit mener pour que je puisse travailler sur une partie sensible et qui impacteront la demande de permis de construire. Toutefois, à la disposition élégante de la table, l’absence des documents que j’ai imprimés et donnés à Andy, je me demande si ce repas n’a pas une vocation plutôt amicale qu’un dîner d’affaires.

- Quoi de neuf dans votre activité, Chad ? questionne Alessandro.

J’évoque une construction sur le point d’être terminée pour un chanteur, une autre dont les plans viennent d’être acceptés pour un actionnaire d’une importante société de communication et d’autres projets d’importance moindre. Cette maison qui a pris des allures de monastère depuis le départ de l’un de ses occupants est ma plus belle carte de visite. J’ai du travail, largement de quoi pour vivre et même mettre de côté. Je ne peux pas décemment retourner la question à mon hôte. Me parler de son bar serait ridicule, car devenu une activité mineure, même s’il se fait un point d’honneur de s’y montrer tous les jours et de donner parfois un coup de main. Je ne sais pas où il puise son énergie ! Je me tourne vers Andy.

- Encore sur des affaires malgré le terme qui s’approche ?

Je la vois mal aller plaider dans son état. Puis cela pourrait être mal perçu.

Codage par Libella sur Graphiorum

La casa fortezza

Feat :  Andy

J’écoute poliment mon hotesse répondre à mes questions. Des réponses qui sont sans surprises dans son état. Ce qui semble banal pour les observateurs est en fait un tsunami pour la famille en devenir. Même si Alessandro semble s’investir dans ce projet, je le vois bien devancer les désirs de sa compagne, le gros de la charge se conjugue encore au féminin. La biologie n’aide en rien.

J’écoute plus attentivement quand Andy parle de son travail et de ses affaires en cours. Je suis curieux du type de client qu’elle défend. Les avocats se spécialisent, la loi est bien trop dense pour exceller dans tous les domaines, droits des famille, droit des société, affaires pénales, etc… Elle reste trop vague se limitant sur l’administratif et ses aléas.

- J'ai un patron qui commence à avoir peur que je ne me blesse dès que je bouge trop vite. Un tonton en devenir très attentionné surveillé de près par une future tata qui l'est encore plus.

C’est le sourire d’Alessandro qui me fait comprendre de quel « tonton » elle parle. J’ai eu l’info sur la réelle filiation de l’Italien indirectement. Le nom du cabinet d’avocat de son beau-frère était souvent venu sur le tapis quand je m’occupais de lui camoufler son tripot. Je ne pense pas qu’Andy s’occupe des dossiers occultent qui permettent de filouter les lois. Je me sers sur le plateau des antipastis.

- J'ai pris le temps de regarder les plans à plusieurs reprises. Ils sont un bon mélange de nos envies. J'ai un peu de mal à m'y projeter certes, mais je pense que nous n'avons pas tous les mêmes facilités sur ce sujet.
- Quand je serais plus avancé sur le projet, il me sera possible de vous faire une visite en caméra virtuelle. Ça aide bien à se représenter les volumes. J’ai apporté les plans des différentes dépendances, du garage que je dois encore positionner avec vous, et la bâtisse des employés.

Je passe sous silence ce qui n’apparaîtra sur aucun des plans que je ferai valider à l’urbanisme. Je n’ai pas fait visiter le sous-sol de ma maison à Alessandro, car l’agencement en est secret. Mais c’est presque une copie conforme de ce que j’ai imaginé chez moi : une zone archi sûre sous la maison avec issue de secours dérobée. Puis il y a l’armurerie. Je commence à être bon dans l’art de camoufler des pièces.

Le repas se poursuit, j’échange avec mes hôtes sur leurs envies, leur goût. La discussion tourne différemment de mes entretiens en face à face avec l’un ou l’autre. À deux, ils sont plus sensibles à la concession. Un mixte entre la vision d’un cocon chaleureux d’Andy et le goût pour le moderne épuré d’Alessandro.

Je note le critère d’une maison facile à nettoyer pour avoir le moins d’employé possible dans les pattes. Au fil de leurs dires, le plan que j’ai en tête évolue subtilement. Je commence à cerner ce que l’un et l’autre ne transigera pas. Je souris quand je comprends que les deux belles-mères ne seront pas logées à la même enseigne. Proche du cœur familial pour la mère d’Alessandro, dans la chambre d’amis que j’ai prévu dans l’annexe pour les parents d’Andy.

Tandis qu’Alessandro débarrasse la table pour passer au dessert, je déroule les plans que j’ai apporté sur la table basse du salon. Le premier que je montre à Andy est une vue du dessus avec l’implantation des différents bâtiments. Aux questions d’Andy qui devinent mal la taille des différentes surfaces, je griffonne quelques longueurs pour qu’elle se rende compte. Elle s’exclame : c’est vrai que leur projet, mine de rien est gigantesque.

- Rassurez-vous, je vais disposer les différents blocs pour créer des perspectives qui vont casser cet aspect d’énorme.

Codage par Libella sur Graphiorum