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C’était étrange d’arpenter les corridors où les trolls continuaient de déambuler avec leur air goguenard et un peu vide, alors qu’Alex savait qu’il y aurait un terme définitif à ses visites au laboratoire du lycée. Il en avait d’abord discuté avec Mafdet. L’Altante avait été loin d’en être enchantée, mais elle comprenait sa décision et l’acceptait. C’est ce qu’elle en avait dit, du moins. Elle devrait se réhabituer à faire les classes de travaux pratiques sans Alex, ou alors elle devrait engager un autre laborantin pour l’aider. Après tout, la direction ne pourrait pas le lui refuser désormais.  Le druide espérait seulement qu’elle trouverait quelqu’un d’autre avec qui elle saurait s’entendre raisonnablement bien et établir cette complicité qu’ils avaient réussi à avoir au bout de tout ce temps passé dans les pattes l’un de l’autre.

Ensuite, il avait été porté sa lettre de résignation, effective à la fin de l’année scolaire, au secrétariat. S’en étaient suivi une succession d’épreuves dignes des premières olympiades moderne. De quoi rasséréné le laborantin qui, malgré qu’il soit bien embêté par toute cette paperasserie, tentait d’y voir le signe qu’on avait envie de le garder, qu’il ne parte pas.  Ce n’était probablement pas réellement le cas : il ne se souvenait pas d’avoir même déjà vu l’un de ses visages durant son temps ici. Il s’agissait donc simplement de la bureaucratie à son meilleur.

Tout ça, c’était encore la semaine précédente, et il lui en restait plusieurs avant de réellement lever l’ancre.  Toutefois, il y avait également d’autres choses qu’Alex comptait faire pour préparer son départ. Notamment, avoir une discussion avec un jeune loup-garou qui était jadis venu quérir son aide, un peu comme la jeune Kada’an récemment, et qu’il avait observé à distance depuis. Dans les couloirs, dans les labos de science. Sans être un sinistre rôder digne des films d’angoisse, Alex avait gardé un œil sur le louveteau. Il aurait peut-être dû faire un suivi plus actif en prenant davantage de nouvelles que des "Tout va bien?" un peu trop génériques pour être perçu comme autre chose que de la politesse. Ensuite, Alex était une personne qui n’était pas des mieux adaptées au niveau social, entre sa méfiance, sa timidité et les autres barrières psychologiques qu’il s’imposait. Il n’était donc pas surprenant que sa course d’action n’ait pas été optimale.

Le biochimiste se baladait donc dans les couloirs, à la recherche de Caracole.  Il lui semblait que son groupe avaient une période libre, ce jour-là, pendant que Mafdet donnait un cours théorique juste après un TP. Les horaires étaient réguliers et Alex se souvenait avoir entendu un commentaire à ce sujet. D’ailleurs, il faudrait aussi qu’il retourne partager quelques repas à la cafét’ avec Willem, avant de partir définitivement. Et lui dire que sa décision avait été prise et entérinée. Au moins, Alex n’aurait plus besoin de piocher dans ses jours de congés à un boulot pour pouvoir travailler au second, et il aurait même le luxe d’un peu de temps libre avec son éclopé favori. Vivre pour autre chose que le boulot avait un petit quelque chose de non seulement libérateur, mais presque extatique aussi.

C’est derrière une triplette de brutes de quarante-douze mètres qu’Alex aperçut Caracole. Il contourna les trolls en manquant de devoir se glisser contre la rangée de casiers, avant de héler le bêta.

- Monsieur O’Brien. J’aimerais vous parler un instant, s’il-vous-plaît.

Le druide réalisa que la formalité de sa formulation pouvait sembler sous-entendre que quelque chose  clochait, et il tenta de rectifier le tir sans perdre de professionnalisme. Il ne voulait pas que l’on pense, ou sache, qu’il ait des chouchous.

- Vous n’avez pas à vous inquiéter. Nous irons dans le bureau de Miss Mahes.

***

- Tu peux fermer la porte derrière toi, s’il te plaît ? demanda-t-il au jeune loup en prenant place sur l’une des deux chaises face au bureau de Mafdet.  Il en modifia l’angle pour être à peu près face à face avec Caracole et lui indiqua de s’asseoir à son tour. Le druide ne savait pas comment les gens faisaient pour conserver des discours ampoulés bien longtemps : il trouvait cela éreintant et artificiel au possible. Derrière le mur vitré du bureau, le concierge semblait occupé à nettoyer une boulette de papier mâchée collée au plafond.

- Je voulais savoir comment tu allais; je n’ai pas vraiment fait de suivi après notre rencontre il y a… un moment. Est-ce que ta situation s’est améliorée ? Comment te sens-tu? J’ai résilié mon contrat pour la fin juin, mais je tenais à te dire que tu peux toujours venir me voir s’il y a quoi que ce soit.

Alex avait tendance à assumer que c’était quelque chose que les gens savaient sans qu’il n’ait besoin de le préciser.  Il avait donc tendance à avoir tort. C’était Jenny qui le lui avait fait remarqué et qui avait insisté pour qu’il mette davantage d’effort à verbaliser ce genre de trucs.  Jenny avait tendance à avoir raison. C’était d’ailleurs grâce à ses judicieux conseils qu’Alex avait désormais un poulet de compagnie.

Un sourcil attentivement rehaussé, Alex écoutait les réponses de Caracole.  Il aurait aimé prétendre en prendre des notes mentales, mais ses synapses étaient un fouillis trop incommensurable pour qu’il en ait le moindre contrôle. Il ne doutait pas que les informations importantes se fraieraient une place dans son crâne et s’imprimeraient sur quelques neurones. D’un mouvement vertical de la tête, il réagit à la mention du prof de SVT, un air un peu plus léger au visage. Willem était une bonne personne, après tout, et certainement une bonne influence pour ses bêtas. Alex hésita un instant à questionner Caracole sur cette journée, de peur de faire dévier la conversation trop drastiquement et trop rapidement, et le louveteau mis ce temps à profit pour poursuivre. Cela réglait le dilemme d’Alex, qui le laissa parler, tout en l’écoutant. Ils pourraient toujours reparler de l’anniversaire du garou plus tard.

Heureusement que Caracole avait déjà rassuré Alex sur son présent. Si c’était une bonne nouvelle que le louveteau se soit affranchi de l’être toxique qu’était son tuteur, Alex aurait pu craindre que la solitude, sans repère autour de lui, puisse être néfaste au jeune homme. Ce n’était certes plus un enfant, mais…  De toute manière, ce n’était pas le cas. Caracole avait Willem, et donc sa meute entière pour le conseiller et le soutenir s’il en avait besoin. Il avait également Alex et certainement d’autres alliés que le druide ne connaissait pas.

De grands ouis compréhensifs firent pencher à quelques reprises le visage d’Alex vers l’avant. Il s’étira pour saisir un bloc-note et un crayon sur le bureau de la prof de chimie, pour y noter son numéro de portable. Son geste s’arrêta un court instant, surpris par la question de Caracole, avant de reprendre les derniers chiffres du numéro.  Au moins, ce genre de questions indiquait que l’étudiant n’était pas intimidé par le laborantin – en plus de manifester directement son appréciation – et laissait donc espérer qu’il n’hésiterait pas à communiquer avec Alex en cas de besoin. Un sourire aux lèvres, pour ne pas pouffer, le druide répondit.

- Non, je n’en ai pas marre des élèves. Je cherche un équilibre entre ma vie personnelle et professionnelle qui convienne mieux à ma nouvelle réalité. Quand Mafdet a eu la générosité de m’offrir de l’aider en labos, j’avais besoin d’argent. Ma situation financière s’est stabilisée, et j’ai pu même pu mettre quelques économies de côté. Par contre, je manque drastiquement de temps, et j’aimerais…

Alex marqua une pause. Il réalisait bien à quel point il déballait des informations personnelles. Cela n’était pas dans son tempérament habituel : plutôt secret, mais il ne voulait pas laisser de mauvaises impressions à Caracole.

- Il y a une personne avec laquelle j’aimerais profiter de mes temps libres. J’imagine que je peux compter sur toi pour ne pas aller raconter ma vie personnelle et mes états financiers à tes copains, n’est-ce pas?

Alex lui envoya un clin d’oeil. La question était rhétorique : l’étudiant lui semblait intègre et généralement bon, avec une tête sur les épaules comme le dirait Janet. Il ne doutait pas qu’il comprenne le caractère confidentiel de leur entretien, ni même qu’il n’aurait pas eu besoin de lui faire une telle requête pour que le louveteau se montre discret.

- Si on en revient à toi : Je suis content que tu aies rejoins la meute de Willem. Je ne le connais pas beaucoup, mais c’est un type bien, raisonné et qui me semble bienveillant.

Le druide hésita à demander à Caracole si cela signifiait qu’il avait emménagé chez son alpha, car cela pourrait être vu comme un conflit d’intérêt potentiel. De toute manière, cela ne regardait pas le druide.

- Et donc, vous êtes allés dans quelles attractions pour ton anniversaire?

Alex espérait ne pas avoir changé de sujet trop abruptement, et que Caracole soit lui-même à l’aise de lancer un autre sujet, si le coeur lui en disait.

Bouh:

Caracole renvoya un clin d’oeil au druide, en réponse à celui qu’il avait reçu. Complices et partageant désormais des secrets qui n’en étaient pas vraiment, ils poursuivirent la discussion en la recadrant sur Caracole, puisque c’était la raison pour laquelle ils étaient là. Alex croisa les mollets devant lui en écoutant la réponse de l’adolescent. Dans une attitude détendue, il jouait toujours avec le stylo de mafdet, de façon inconsciente, le coude contre le bureau de la professeure. Son autre main reposait sur sa cuisse et n’y délogerait pas avant un moment.

En vérité, le laborantin ne connaissait pas vraiment Universal Studio. L’idée lui traversa l’esprit d’offrir à Brian d’y passer une journée, ou un weekend, mais il ne savait pas si le policier avait déjà sa dose d’émotions fortes au boulot. Puis, Alex était plutôt casanier et le bain de foule ne lui manquerait pas spécialement. Quant aux attractions en elles-mêmes, il ne savait pas trop quel était son ressenti vis-à-vis de celles-ci.  Cela ne l’empêcha pas d’opiner du chef, en souriant, à la mention du Monde Jurassique. Voilà une franchise très connue du studio. Il fallait vraiment avoir vécu sous une roche pour ne pas la connaître.  Idem pour celle des courses de voitures, qui devait forcément plaire au prof de SVT.

Le mouvement du crayon s’interrompit un moment. Alex souffla un petit ricanement par les narines en entendant la vitesse à laquelle ils avaient rejoint Morphée, et se remit à faire gesticuler son bâton de majorette miniature. La promesse de retourner à la mer avec la meute entière semblait réjouir le loup-garou, et Alex devait bien admettre que c’était une excellente idée d’activité pour renforcer les liens au sein du groupe! Cela faisait une éternité qu’il n’y était pas allé lui-même. Brian était probablement trop prude pour se balader en short de bain sur une plage bondée, tout comme Alex. Quoiqu’il avait bien admis avoir l’habitude des douches publiques… Pourquoi Alex rejetait-il aussi rapidement toutes les idées d’activités de couple qui lui venaient à l’esprit?

- L’eau était bonne?

Question typique, facile, pour un mec qui n’était pas très doué dans ces situations sociales. Le druide ne se qualifierait pas lui-même de mésadapté, et ne considérait pas sa propre maladresse comme un handicap, mais il y avait définitivement des moments où ça lui pesait. Toujours était-il qu’il ne détecta malheureusement pas l’envie de l’étudiant de poursuivre sur le sujet. Pourtant, cela aurait fait plaisir au druide. Il étira un sourire forcé sur ses lèvres.

- C’est une chouette idée, la sortie plage. Quand je suis passé chez Willem, j’ai rencontré Mady et Keanus. Ils avaient l’air gentils. Kada’an aussi. Ça doit te faire du bien de faire partie d’une meute de cette taille, avec des gens de ton âge, non?  Vous vous entendez bien, tous ensemble?

L’observation, tout comme la question, est sincère. Alex n’aime peut-être pas les gens en tant qu’ensemble, mais il sait apprécier les individus un à un. En tant que fervent esprit cartésien, il ne voit pas comment une personne sympathique et une autre personne sympathique ne pourraient pas bien s’entendre. L’élémentaire règle des deux positifs qui donnent un positif. Le stylo glissa hors des doigts du druide et roula au sol. Alex se pencha donc pour le rattraper et se redressa en déposant fermement le crayon à encre où il l’avait pris sur le meuble.

- Désolé. Je t’écoute.

Le biochimiste reprit sa position en écoutant tranquillement la réponse de Caracole.

Alex acquiesça. La fraîcheur était toujours agréable, surtout sous ce climat sud-californien. Ce n’était pas l’aridité de Phoenix, mais définitivement pas la douceur agréable de la côte Est ou de l’été Manitobain non plus.

Caracole affirma avoir hâte à leur sortie, mais semblait également pensif lorsqu’il admit ne pas avoir l’habitude de se retrouver en si gros groupes. Alex se demanda naturellement si c’était quelque chose qui manquait au garçon, consciemment ou non, ou qui lui faisait peur. Après tout, s’il avait été privé de l’occasion de sorties groupées de la sorte, il était possible qu’il se découvre des traits de caractères insoupçonnés. Caracole semblait être un type sympathique, et sociable et la solitude qu’il avait longtemps vécue lui avait été forcée. S’il était d’un naturel extroverti, il réaliserait ce qui lui avait été refusé et risquait de vivre un espèce de deuil. Ou au contraire d’embrasser sa nouvelle liberté sociale en se faisant un paquet de nouveaux amis. Si au contraire il était d’un naturel introverti, il ne risquait pas de ressentir un aussi fort sentiment de devoir réparer ce tort, mais ça ne voulait pas dire qu’il n’en serait pas moins frustré. Du moins, c’était le raisonnement du druide, qui rappelons-le, n’était un expert ni en psychologie, ni en sociologie.

Heureusement, il connaissait déjà Kada’an. Mady semblait lui servir de figure maternelle, à défaut d’un meilleur terme. À son âge, ce n’était probablement pas ce que Caracole recherchait ou avait besoin, même si tout le monde appréciait d’avoir une personne douce à qui se confier et vers qui se tourner en cas de pépins. À ce titre, on pourrait également dire que Will servait de figure paternelle, mais c’était également le cas d’un alpha dans une meute saine. Parlant du professeur, Caracole sembla s’inquiéter pour lui et s’enquit à savoir ce qui avait mené Alex chez lui. Le louveteau sembla immédiatement gêné et s’excusa. Le laborantin se contenta de hausser les sourcils, un sourire indolent au visage : la question ne le dérangeait manifestement pas le moins du monde.

- En fait, c’est moi qui avait besoin de son aide. Une connaissance commune m’a recommandé de lui demander de vérifier l’état de ma voiture avec lui.

Alex avait toujours du mal à qualifier le sicilien d’ami, mais il devait admettre que leur relation s’était bien adoucit et qu’il n’en voudrait presque plus à Charlie d’être retombé dans la zone d’influence du mafieux. Presque, car cela avait tout de même entraîné Alex sur le chemin de l’illégalité.  Un nuage passa sur son visage, mais la pensée fut rapidement chassée à l’idée des bières prises alors qu’il chouchoutaient Betsy. Une nouvelle pensée germa, une fois de plus, dans le fertile crâne du biochimiste, qui la posa sans attendre, nourrissant ainsi l’échange qui divergeait doucement et imperceptiblement de son cours initial.

- Tu t’intéresses aussi à la mécanique? Ça semble être un élément rassembleur dans la meute. Ou au jardinage.

Alex marqua une courte pause, réalisant à quel point il aurait pu énumérer de nombreuses choses. Il abandonna rapidement sa recherche d’un terme parapluie qui regrouperait ces activités qui favorisaient l’autonomie et l’autosuffisance, à l’instar de la mode "Do It Yourself", sans que la meute ne s’en soit forcément inspirée.

- Ou toute autre activité qui favorise la débrouillardise et les compétences techniques. Willem semble valoriser le pragmatisme et l’indépendance.

Alex se trompait peut-être, mais c’était également une façon s’en apprendre plus sur Caracole.

Alex hocha lentement la tête. En effet, l’alpha semblait savoir gérer tout ce qui était de la voiture prédatant la révolution technologique. C’était ce qu’il lui avait lui-même dit, d’ailleurs, alors que Betsy s’était retrouvée sur la table d’opération. Le druide n’était pas certain, toutefois, d’aimer savoir sa bagnole traitée d’ancienne. Il était plus vieux qu’elle : cela voulait-il dire que l’étudiant le voyait comme un dinosaure? Ça ne valait pas la peine de s’outrer pour si peu, ni de ressasser ces pensées alors qu’il venait de s’enquérir d’autre chose auprès du louveteau.

Caracole admit avoir bien apprécié les moments de mécaniques passés avec Willem. D’un sourire sincère, Alex l’encouragea à poursuivre. Le jeune homme semblait croire que c’était le mentor davantage que le sujet qui avait rendu l’expérience intéressante. Son sourire s’étira légèrement, dans une mimique à mi-chemin entre la compassion et l’embarras. Il n’était pas très doué pour savoir comment réagir dans les situations émotives très personnelles. Surtout qu’il ne connaissait que peu Caracole au final. Devrait-il lui donner quelques mots de réconfort, montrer une compassion teintée de pitié – il fallait bien se montrer honnête face à soi-même – envers le garçon, blaguer, ou laisser passer la mention du père absent comme s’il ne l’avait pas remarquée?

Le druide haussa un sourcil, comme très souvent, à la mention de ce mystérieux autre sujet qui plaisait à l’adolescent. La réponse ne jaillit pas pour autant, alors qu’il répondait à la deuxième facette de la question d’Alex.

- Je suis certain que ça ferait plaisir à Maddy de te montrer, et d’avoir un peu d’aide. Même si ça ne te passionne pas, c’est toujours bien d’avoir des connaissances utiles sur des sujets variés. Faites ce que je dis, oui. Alex n’était lui-même pas un exemple à suivre en matière de pluridisciplinarité. Cependant, cela ne l’empêchait pas de savoir que, en théorie, c’était préférable, pour se sentir bien, trouver un sentiment de plénitude et de réalisation de soi.

Le sourire du druide se reforma, alors qu’au coin de ses yeux naissait l’amusement. Le louveteau était donc davantage un intellectuel, scientifique ou littéraire, qu’un homme d’action et de concret. Grand bien lui fasse. Alex n’était pas si différent, après tout. Certainement pas à l’aube de l’âge adulte. Il laissa échappé un "Oh" étonné à la mention de la profession. Au final, c’était précis et Caracole semblait s’être fixé un objectif et en connaître la trajectoire. C’était tant mieux! Il était toujours plus facile de progresser quand on avait un but en tête. Les motivations de Caracole étaient très nobles et suffiraient à remettre en question celles de n’importe quel adulte perdu dans sa routine. Alex ne fit pas exception, légèrement ébranlé, et se demandait pourquoi il faisait son boulot, en dehors des grandes phrases un peu génériques et vidées de sens par l’usure.

L’assistant de cours eu un petit rire à la mention de son colocataire :
- Tu te sentiras probablement plus épanoui en anthropologie qu’en cuisine. Enfin, tu me sembles pas avoir la même personnalité que Charlie, quoi… Tu as commencé à faire des recherches pour savoir quelles facs pourraient te prendre? Si tu pourrais faire un stage d’un jour au poste de Beacon Hills ou dans un laboratoire de criminalistique à Sacramento ou Los Angeles? Tu devrais voir avec les conseillers d’orientation de carrière quelles seraient les meilleures options pour toi!

Parce que, honnêtement, en dehors de sa propre expérience personnelle, qui n’était pas forcément exemplaire, il n’en savait trop rien. Ce n’était pas son boulot, après tout, d’aider les jeunes à trouver leur voie. La question des intérêts lui revint rapidement, et Alex hésita un instant, surpris autant par la question que par son ignorance de la réponse.

- Euh… J’sais pas. J’aime bien la biochimie, et ouais, le druidisme aussi, mais je sais pas si j’aime être défini que par mon boulot, en vrai. C’est une dérive de la société qui me fait de la peine. Sauf que j’arrive pas à penser à d’autres choses en dehors de ça.

Il y avait toujours sa pratique des arts martiaux, les films, séries et matchs télés qu’il aimait regarder, passer du temps avec ses potes. Toutes des réponses génériques dont aucune ne le passionnait réellement. Enfin si, il savait ce qui lui plaisait le plus, mais il ne pouvait sincèrement répondre à un élève que c’était son petit-ami.

- J’aime aussi apprendre de nouvelles choses, je pense que ce serait ce qui me plaît le plus. C’est stimulant et gratifiant.

C’était convenable, comme réponse? En plus, grâce à Brian, Alex continuait d’apprendre toujours un peu plus. Que ce soit des nœuds et des connaissances en navigation, ou des clins d’oeil sur le monde policier. Ça gardait son esprit affûté.

Caracole semblait avoir bien fait ses recherches. La base, du moins. Alex opina lorsque le louveteau mentionna que ce serait long, mais le druide n’était pas trop inquiet : Caracole semblait être un jeune homme intelligent et, surtout, curieux et méthodique. C’était tout ce qui était nécessaire pour réussir un long cursus post-secondaire. De la persévérance aussi, évidemment. Alex avait l’impression que ça non plus, l’étudiant n’en manquait pas. L’assistant hocha à nouveau la tête lorsque Caracole lui demanda s’il pourrait l’aider au niveau de ses études, et se permit de le couper, un très court instant, simplement pour apporter une petite précision.

- Je suis plutôt spécialisé en biologie moléculaire, pas en anatomie, mais ça me ferait plaisir.

Alex laissa le bavard poursuivre. Il voyait un peu mieux où se situait Caracole dans ses démarches et ses recherches. Il tentait de noter mentalement les questions ou les commentaires de l’adolescent qui attendaient une réponse de sa part, réagissant au rythme des phrases qui décrivaient avec passion le cheminement mental du lycan.

Alex se rembrunit à la mention de Stiles. S’il ne pouvait pas dire qu’il en voulait toujours à cet autre jeune homme, il n’avait pas oublié la jalousie du garçon, teintée de paranoïa, qui avait valu des tracas au laborantin. Qui plus est, le supérieur de Brian ne semblait pas être revenu de cette histoire, ni des erreurs de Gabriel, et avait toujours autant Alex dans le collimateur. Alex qui en pinça légèrement les lèvres. Stiles savait-il seulement que le druide avait encouragé son voisin à réparer les pots cassés et reprendre avec l’humain?

L’attention d’Alex fusa sur Caracole au moment où il lui adressa une nouvelle question. Le canadien se contenta de répondre d’un mouvement de tête négatif. Il n’avait rien su sur l’enquêteur amateur depuis… longtemps, en fait. Il s’imaginait que Charlie non plus n’avait pas eu de ses nouvelles. Alex fit un sourire sarcastique à la mention de l’équipe d’enquêteurs du surnaturel. Le souvenir du Crocotta était bien trop récent dans sa mémoire, malgré les mois écoulés, pour qu’il ne réagisse autrement.

- Ouais, non… C’est moins cool que ça en a l’air. se contenta-t-il de rétorquer alors que le louveteau enchaînait sur la suite de la conversation. Une fois de plus, Alex opina et, avec le sujet actuel, c’est-à-dire l’importance relative du travail dans la vie de chacun, il sortit à nouveau son portable de sa poche et pianota sur les réseaux sociaux, recherchant le nom d’un contact précis dans la barre à cette fin.

- J’ai vu passer ça l’autre jour sur mon fil. C’est fichtrement approprié dans la conversation qu’on a.

Spoiler:

Alex tendit le cellulaire au jeune homme pour qu’il observe l’image, et poursuivit son analyse.

- Je pense que c’est à chacun de déterminer lui-même les catégories qui lui sont importantes et la proportionnalité entre chacune. Après, si on arrêtait de demander d’abord en quoi les gens ont étudier ou là où ils bossent, pour demander ce qu’ils aiment faire quand ils sont entièrement maître de leur temps, ce serait déjà un peu mieux comme système, oui.

Le druide tourna légèrement la tête, observant par-dessus son épaule l’horloge au-dessus de la porte du bureau. Il ne voulait pas trop accaparer Caracole, et celui-ci avait certainement un autre cours après sa période libre, de toute manière.

- Tu peux toujours te mériter une bourse d’excellence, si tes notes sont particulièrement hautes. Sinon, le collège communautaire est quand même moins dispendieux que les grandes facs.

C’était bien le cas du campus universitaire de Beacon Hills : un collège communautaire, non?  Ou alors était-il affilié à l’Université de Californie? Le châtain ne s’était jamais posé la question.

- Tu pourrais y faire tes trois premières années et ensuite, si c’est ce que tu préfères, transférer dans une université plus réputée pour la médecine légale. Tu t’en sortirais avec une dette universitaire moins gigantesque. Travailler en dehors des cours peut aussi mitiger les coûts, je l’ai fait aussi, mais fait attention à ne pas travailler de trop nombreuses heures. Ça a rapidement un bien mauvais effet sur les résultats scolaires.

-Quant à un stage, je ne sais pas s’il est trop tard pour en chercher un. Tu peux faire tes démarches indépendamment, en parallèle de l’aide au lycée. Comme ça, tu as plus de chances de trouver un stage, et ça montre le sérieux de ta démarche. Ça pourra avoir un impact positif dans le futur : ta demande d’admission montrera à la fois ton sérieux et ton autonomie.

Enfin, ça ce n’était que les cinq sous d’Alex. Le système d’éducation avait tendance à changer rapidement et il ne serait pas surprenant qu’Alex soit déjà complètement dépassé. Il regarda à nouveau l’horloge, surpris de voir les aiguilles filer si rapidement : avait-il parlé à ce point?

- Ça peut être une superbe expérience d’habiter à New York et de vivre par soi-même, ou en coloc’ avec un ami, mais garde en tête qu’il y a un coup associé également, et que tu n’as aucun loyer à payer pour le moment.

Certes, l’expérience d’Alex avait été exécrable, écrasante, imbuvable, et il n’y avait pas survécu un semestre entier avant de lever le drapeau blanc et de se réfugier à Vancouver, où l’expérience lui convenait bien mieux. Ça ne voulait pas dire que ce serait la même chose pour Caracole, sinon personne n’irait vivre dans la Grosse Pomme.