Immortaliser l'Action du Sportif ω Juliette Crown

Je vis peut-être une vie très ordonnée, mais je tente de m’y montrer aussi flexible que possible. Malgré la frivolité apparente que peut laisser percevoir ma vie sociale, je réserve des créneaux spécifiques de mon emploi du temps à ce temps autrement libre. Alice me taquine parfois, me traitant d’horloge suisse, ou me demande lorsqu’elle m’appelle si elle est en compétition avec le laçage de mes chaussures. J’ai pourtant toujours du temps pour ma soeurette. Seulement, elle n’apprécie pas toujours que le son de moindre qualité parce que j’en suis à mon jogging autour du parc.

Ce parc, justement, où mon portable me rappelle que j’ai aujourd’hui rendez-vous. Il y a un événement organisé par la mairie, afin de valoriser le sport auprès des citoyens de la bourgade de province. Ce qui m’a étonné, car la population me semble généralement en bonne condition physique. J’imagine que c’est grâce à de tels programmes que la population reste bien éduquée sur cet enjeu primordial et conserve de saines habitudes de vie. J’ai été surpris lorsque l’un des propriétaires du Gym où je grimpe, un certain Harris, m’a approché. Il voulait savoir si j’étais intéressé à servir de modèle pour quelques photos, lors de l’activité. Un truc bénévole, a-t-il rapidement précisé, mais qui serait compensé par une entrée VIP au site. Je n’ai pas compris sur quel comité municipal il siégeait, outre que cela avait un lien avec le sport. Il m’a dit avoir pensé à moi car il me savait adeptes de quelques disciplines plus variées que le sportif moyen. Je suis à peu près persuadé que mon charisme naturel a également joué en la faveur de ce choix. J’ai une bouille sympathique et abordable, à laquelle il est suffisamment facile de s’identifier, tout en étant assez passe-partout. Davantage, du moins, que ces montagnes de muscles sur des jambes spaghetti qui pullulent dans les gyms.

Au sortir de la douche, j’effectue une toilette approfondie. Du genre entrevue d’embauche ou rendez-vous galant. Taille de la barbe, rasage des poils indésirables, lotions et crèmes pour la peau, tout y passe. Je doute d’avoir besoin d’appliquer du maquillage : on me l’aurait indiqué. Ou bien l’on m’aurait prévenu si quelqu’un s’en occupera une fois sur le site. Je vérifie que tout mon équipement est dans mon sac de sport, de la magnésie à la gourde d’eau, en passant par la coquille, la corde à danser et les gants de combat. J’y dépose également un deuxième short, un débardeur sportif, une veste à capuche légère et mes varapes, puis je vais enfiler un t-shirt et un short en polyester. Baskets aux pieds, je prend le sac en bandoulière, vélo en main, et descend l’escalier hors de mon appartement.

Tel que prévu, j’arrive avant l’ouverture officielle. Je cadenasse mon vélo avant de retirer le sac dans mon dos et me dirige vers la structure qui surplombe aujourd’hui le parc. Les pistes d’escalade ont été aménagées au cours des derniers jours. J’ai toutefois offert de grimper avant l’arrivée de la journaliste, un certaine Juliette Crown, ce matin. Cela me permettra de me familiariser aux pistes, et je leur ai assurer que je vérifierai en même temps la solidité des prises. Ce ne serait pas le bon jour pour qu’un accident arrive. Les risques y sont faibles, compte tenu des outils utilisés pour mettre en place lesdites prises, mais il vaut toujours mieux pécher par excès de prudence. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai également emporté mon matériel de MMA : je doute que la ville refuserait d’avoir du matériel pour plusieurs disciplines sans devoir multiplié les coûts en modèles. Pour le reste, j’ai mon vélo et ma corde. Je suis certain qu’il y aura de l’équipement à disposition pour ce qui est de l’entraînement avec poids. Je n’ai pas demandé quel type de brochure la ville compte produire, et je me contenterai de suivre les indications que l’on me donnera.

Harris me fait signer une décharge, ainsi qu’un document légal permettant d’utiliser mon visage à des fins promotionnelles. Je ne survole le papier qu’en diagonale avant de m’approcher de la paroi. Après mon échauffement, j’accepte à contrecœur le harnais que l’on m’impose et entame mon ascension. Lorsque je redescend, les mains encore partiellement couvertes de craie, je vais faire mon rapport à Harris. Tout est sous contrôle, et cette mise en bouche m’a fait du bien. Je serai prêt à attaquer réellement la paroi.

Une jeune femme m’approche alors. La jolie brunette est certainement celle avec qui je travaillerai aujourd’hui, à en juger par le matériel de photographie qu’elle transporte. Je lui tend le coude, après lui avoir montré ma main blanchie : ça n’est pas très formel, mais je pense que c’est préférable au vu de la situation. Je lui confirme succinctement que je suis son homme, et l’écoute poursuivre la présentation. Je tente de la rassurer, son inquiétude évidente au-delà des mots, et lui rend son sourire avenant, exhibant ma dentition (sur)naturellement impeccable.

« C’est mon premier shooting professionnel, cela risque également de transparaître un peu.»

J’offre un clin d’oeil à la photographe. J’ai pu servir de modèle à quelques amis à la fac, pour des sketchs ou d’autres devoirs artistiques, mais également pour faire de la pub sur Instagram, par exemple, à une amie qui s’était lancée dans l’élevage d’alpaga et cherchait à faire de sa fermette une attraction touristique. Je ne crois aucune de ces expériences pertinentes alors que j’ai affaire à une professionnelle, et décide donc évidemment de les taire.

J’esquisse un sourire à la formulation que Miss Crown emploie pour me présenter son appareil, mais m’abstiens de commentaires. Je me contente de hocher de la tête avec un intérêt poli.

« Dites-moi simplement ce que vous attendez de moi et je me prêterai à l’exercice. Vous êtes l’artiste et je ne suis que l’outil. Je ne sais pas si vous avez besoin de m’appliquer du maquillage, compte tenu de la nature de ce shooting. Cela ne me poserait aucun problème, évidemment. Sinon, nous pourrons débuter quand vous le voudrez. »

Je fais signe à Miss Crown de m’attendre un instant et vais saisir le sac de sport m’appartenant, à quelques pas de nous. Je sais ma démarche un peu étrange en raison de la compression de mes chaussons d’escalade. Je m’assure que la fermeture éclair est bien fermée, pour éviter un déversement. Je reviens aussitôt sur mes pas et annonce d’un ton léger :

« J’ai également emporté des vêtements de rechange et du matériel supplémentaire. Je n’étais pas certain de ce que votre contrat statuait, alors j’ai pris sur moi d’en emporter un peu plus. J’ai mon équipement de boxe, si vous devez prendre des clichés de divers sports. »

Heureusement, les prévisions météorologiques semblent jouer en notre faveur. Le ciel azur me semble parfait pour encourager les gens à sortir dehors et s’y activer.

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-Faisons de notre mieux dans ce cas !
« C’est une excellente suggestion! »

J’accompagne ma réponse d’un signe de tête approbateur, celle-ci légèrement penchée alors que l’émail de mes dents apparaît et qu’un œil expressif vient laisser entendre mon appréciation de la photographe. J’apprécie les gens consciencieux qui n’ont pas peur de mettre du cœur à l’ouvrage. Sans perdre mon sourire, j’offre une bouille un peu gênée à l’artiste qui me reprend sur mon rôle ici. Je n’ai donc pas affaire à une mégalomane. Quelques hochements de tête plus tard, pour indiquer que mes autres questions sont également répondues, et je m’excuse un instant pour aller prendre mon bardas.

J’apprécie l’adhésion enthousiaste que porte la jeune femme à mon initiative, et omet bien entendu de lui préciser que c’est Harris qui m’a indiquer, à mots couverts, de prendre mes divers équipements. Avec une expression mystérieuse, je réfute la dernière inquiétude de Miss Crown.

« Je saurai gérer mes efforts. Il s’y trouve également des barres énergisantes », désigné-je mon sac en le tapotant du plat de la main. J’en sors ensuite une bouteille d’eau, que j’accroche à une sangle à côté de la pochette de magnésie.

J’observe Miss Crown alors qu’elle me parle. La photographe semble prête à débuter la séance, et je n’attends que son mot pour m’atteler à la tâche. Je souris alors qu’elle souligne qu’un peu n’importe qui pourrait se reconnaître en moi. J’ignore si elle réalise que beaucoup y percevraient une insulte, celle de n’être qu’un quidam parmi les quidams, alors que je juge au contraire que mon accessibilité apparente est une force dont je sais me servir avec doigté.

« Il serait certainement plus judicieux de débuter avec la paroi, dans ce cas, comme je suis déjà chaussé pour. »

Je désigne les varapes oranges qui étranglent presque mes pieds, en plus de les forcer en une légère courbe, inapparente au regard, mais bien présente et ressentie pour quiconque les portes. Je suis également harnaché pour l’escalade en rappel, et ce sentiment m’est bien plus inconfortable que les étroites chaussures de grimpe. Je préfère le bloc pour la liberté supplémentaire qu’il me permet, et surtout pour ne pas avoir constamment une corde dans le visage, mais je saurai faire exception ce matin.

« Allons initier des passions! »

Un dernier sourire à dents découvertes au visage et le pouce levé, je me tourne vers le mur d’escalade pour me préparer à entamer l’ascension. Du regard, je cherche Harris : je le voie déjà qui marche dans ma direction. Nous passons le câble dans le treuil à mes hanches et il va se positionner pour m’assurer. Je pose la main sur la première prise et observe miss Crown par-dessus mon épaule, en l’attente de son signal.

Consciencieux, et peut-être vaguement entêté, je me suis mis à escalader la paroi dès que la photographe m’a fait signe que c’était bon, en m’en tenant aux prises d’une unique couleur comme si je m’entraînais en salle, selon les règles de l’art – ainsi que celles des compétitions – et le sérieux requis pour honorer ma discipline de tout le respect qu’elle mérite. J’effectue des mouvements un peu plus lents, mais tout aussi précis qu’à mon habitude. Je sens dans le lest de la corde que Harris n’est pas trop inquiet pour moi et ne veut pas entraver mes mouvements, mais il ne m’observe pas moins : il me signale parfois une prise que je n’ai pas vue, où poser un orteil ou accrocher mes doigts. Lentement, je grimpe le mur, en portant attention à la voix de Juliette. J’ai choisi une voie relativement aisée, et donc accessible pour un néophyte, mais peu impressionnante. Lorsque j’atteins le sommet, je me retourne, une main sur la prise et les deux pieds solidement plantés contre la paroi. De nouveau, je lève le pouce en direction de la photographe et lui envoie un sourire triomphant.

Harris me hèle qu’il est prêt pour la descente en rappel, et nous nous y mettons doucement, encore une fois. Je veux éviter des photos floues à miss Crown, mais, surtout, j’ai l’orgueil de désirer avoir une technique irréprochable.

Lorsque mes pieds touchent à nouveau le plancher des vaches, je fais signe à l’artiste de se rapprocher, plutôt que de m’emmêler dans le câble ou devoir me détacher et me ré-harnacher ensuite. Sans un regard pour la caméra, je m’enquiers de ma performance.

« Avez-vous pu prendre de bons clichés? Y a-t-il quelque chose que je puisse faire différemment qui faciliterait votre travail? »

J’écoute attentivement sa réponse, alternant sourires et hochements de tête. Je tenterai au mieux d’en tenir compte et, répond d’un "excellent" plutôt générique lorsqu’elle conclue ses observations et remarques. Je lui fais signe de rester encore un instant et entreprend de lui expliquer ma prochaine ascension.

« Je pensais résoudre ce problème-là, avec les pierres violettes. Il est un peu plus complexe, alors je pense qu’il vaut mieux que je vous prévienne de quelques mouvements. D’abord, vous voyez les trois prises vertes entre les deux bananes violettes, en bas, et la prise là-haut? C’est un passage dynamique : je n’aurai pas le choix de sauter, en quelque sorte, d’une position à la suivante. Il est possible que je me rate, mais Harris est là pour ça. Ensuite, juste un peu plus loin, les petites lanières violettes ne me semblent pas très confortable : il se peut que je ne puisse pas m’y attarder et ne m’en serve que comme un tremplin, en quelque sorte. »

À nos côtés, Harris me fait signe que j’en fais peut-être un peu trop et m’indique risque de la perdre dans les technicalités. J’éclate d’un rire franc : ma passion m’a trahi!

« Je voulais simplement que vous le sachiez en avance. Si vous voulez, je pourrai également vous faire un signe, une fois que j’y serai, comme un rappel. »

Harris interjecte à nouveau. Le quadragénaire informe miss Crown qu’il lui fera plaisir de la prévenir en temps et lieux, et que je n’aurai qu’à faire mon boulot et me concentrer sur la paroi.

« Promis, chef! » le raillé-je gentiment d’un signe vif de la main sur le front.

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Je suis content que Miss Crown me demande de prendre davantage de risques, et je lui explique avec enthousiasme quelle voie pourrait répondre à cet intérêt de sa part. La cotation de la voie n’est pas la plus élevée ici, mais le problème fait partie de ceux qui me plaisent. Elle me demande également si je pourrais prendre mon temps lorsque je prends de la magnésie à ma taille. Je pince les lèvres, pris à défaut, alors que je réalise que j’ai effectué ce geste réflexe sans y réfléchir n’y m’y arrêter.  Je lui souris humblement.
« Bien sûr, je ferai gaffe! »

Nous discutons ensuite du problème en violet et je me concerte un instant avec Harris pour déterminer comment résoudre le problème avec une efficacité optimale. Quand j’explique les spécificités et difficultés de l’exercice, Miss Crown s’enquiert à savoir s’il serait possible de faire un passage d’essai d’abord et un second au cours duquel elle pourrait prendre les photos. Craignant de ne pas pouvoir être exactement reproductible, j’offre plutôt de l’aviser avant d’y être. Nous rejoignons enfin la paroi et Juliette nous donne son feu vert pour débuter la grimpe.

Harris me hèle toutefois, et suggère une approche qui devrait mieux convenir et coupe ainsi la poire en deux. J’accepte ce qu’il offre : de répéter seulement les passages délicats, plutôt que la voie entière. Nous aviserons tout de même Miss Crown au préalable, de telle sorte qu’elle ait deux chances consécutives de prendre un bon cliché.

Je débute mon ascension en fredonnant une balade plutôt lente que maman aimait bien, afin de me forcer à garder un rythme qui ne soit pas trop vif. Je me sers de mes quatre points d’appui à tour de rôle et parvient sans trop d’efforts à la première passe délicate. Par automatisme, je plonge mes mains dans ma poche de craie et les ressort aussitôt. Il me faut une demi-seconde avant de réaliser mon erreur. Je répète alors le geste en prenant bien mon temps et avant de poursuivre, j’envoie un clin d’oeil entendu en direction de la photographe.

À l’approche du passage dynamique, je cesse de chantonner et focalise mon ouïe sur les deux humains qui m’accompagnent au sol. J’entends Harris décrire l’utilité du crochet que mon talon vient de faire sur une prise précédente. Je stabilise ma position sur la paroi avant de libérer une main et pointer les prises que je vise.  Heureusement, Harris est plus grand que moi, et donc plus lourd : si je me plante, il ne devrait pas quitter le plancher des vaches. Du moins, ni trop haut, ni trop longtemps. Par-dessus mon épaule, j’attends de voir le signal pour passer à l’action. Je m’élance, les jambes comme des ressorts, et une seconde plus tard mes mains se referment sur la prise de réception. Mes pieds cognent un instant contre le mur avant de se caler par la force de l’habitude contre la paroi. Je sens la tension dans la corde disparaître à nouveau, et grimpe sur les quelques prochaines prises, pour que les prises de vue offrent une évolution naturelle.

Lorsque je fais signe à Harris que je suis prêt à redescendre, il lève le pouce dans ma direction et je repousse la surface verticale de mes pieds pour chuter doucement d’environ un mètre en rappel. Je m’étire pour rattraper une pièce proéminente – verte, en l’occurrence – et m’en sert pour retrouver la paroi. Deux prises bleues et une rouge plus tard, j’ai retrouvé la position initiale pour sauter. J'en profite pour blanchir à nouveau mes paumes et mes doigts, en prenant soin de ralentir mon geste.

Au signal d’Harris je me propulse à nouveau. Je ne réalise pas ce qui m’arrive : ma main droite rate la pierre et ma gauche reste derrière, entortillé dans ce fichu câble. J’entends le grognement de surprise du propriétaire du gym, qui bloque la corde avant même que j’aie réalisé ma chute libre de quelques dizaines de centimètres. C’est en observant mes jambes que je réalise que la corde s’est emmêlée autour de mon mollet avant mon envol. Quelle erreur de débutant!

J’éclate d’un rire nerveux et tente de me dénouer, mais rien ne semble y faire. Plus j’insiste, plus j’ai l’impression de me rapprocher de ces photos de chatons emmêlés dans la ficelle.
« Redescend-moi! » hoqueté-je finalement, toujours secoué de rires.
Je parviens à me repousser de la paroi pour éviter les blessures, et me pose au sol en me guidant de ma main libre. Harris vient m’aider à me dépêtrer.
- Mais comment diable as-tu réussi à…
Mon attention retourne à Miss Crown.
- Je suis désolé. Je reprendrai du début, ne vous en faites pas.

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Miss Crown semble vouloir prendre le blâme d’une situation qui n’était pas sous son contrôle, à mon avis. Je l’écoute s’excuser avec une certaine incrédulité. Je n’ai ni l’habitude d’avouer mes torts, ni celle de me les savoir ainsi révoqués. Pendant un instant, je ne sais pas comment réagir, mais sa diatribe me laisse le temps de me ressaisir. Je lui offre un sourire empathique.

« Je vous garantie que je désirais la même chose. Il faut croire qu’il y a trop de perfectionnistes au mètre carré, ici ! Je vous garantie que je n’ai pas ressenti de pression externe. Il arrive même aux pros de se planter, alors imaginez les amateurs comme moi. »

Harris me lance un regard entendu. Bon, il est vrai qu’il a contribué à la pression que je me suis mise sur les épaules, mais ce n’est pas ce qu’il semble vouloir dire. Plutôt que j’en fais trop, ou bien que nous perdons de son précieux temps, ainsi. Je colle deux doigts sur la tempe et salue le duo avant de reprendre mon ascension. Je continue d’écouter distraitement leur échange et refais le problème en appuyant la technique, prenant parfois une ou deux secondes entre deux mouvements : il n’y a rien là de particulièrement inhabituel, sinon la fréquence à laquelle je prends ces micro-pauses.

J’essuie mon front suant alors que Harris me redescend doucement au pied de la falaise artificielle. Ce qu’il y reste de craie se loge au-dessus de l’un de mes sourcils. Mine de rien, j’aurai fait mon exercice pour la journée. Juliette semble également à bout de souffle. Me suivre ne semble pas avoir été de tout repos pour elle.

« C’est bon ? » demandé-je en levant un pouce.

Je me jette sur ma bouteille d’eau alors qu’elle m’annonce avoir pris suffisamment de clichés. Je manque de m’étrangler avec le liquide lorsqu’elle mentionne les photographies bouffonnes. Je me contente de hausser les épaules.

« C’est au conseil municipal ou au comité des loisirs de trancher sur les images qu’ils voudront conserver pour la brochure, et l’orientation qu’elle aura. Si votre contrat vous permet de m’en envoyer une, cependant, je suis certain que ma sœur apprécierait. »

Je ne suis pas dupe : il vaut mieux que Alice mette la main sur une photo compromettante par mon entremise que par un tiers-parti. Elle serait bien capable de croire que j’aie voulu lui cacher cet incident.

« Je ne sais pas si vous avez toujours besoin de moi pour des photos ? J’ai quelques connaissances en sports de combat et en fitness, si jamais. Je vais aller me nettoyer les mains pour vous laisser le temps d’y réfléchir. »

Ainsi que pour remplir ma gourde d’eau à la fontaine. Je saisi mon portable laissé sur mon sac de sport et voie qu’il s’y trouve un message de Derek. Tout en me dirigeant vers le point d’eau, j’en lis le contenu : une question sur un nouvel exercice pour Ian. Je lui envoie un message vocal en réponse avant de me rincer le visage et les mains. J’en profite pour frictionner mes avant-bras à l’eau froide, puis je retourne auprès de Miss Crown et Harris. Je saisis ma serviette et m’éponge sommairement, en attendant la réponse de ma collègue du jour.  J’ai confiance que le reste de l’avant-midi se passera bien : nous formons une bonne équipe, à mon avis.

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La qualité des clichés de Miss Crown achève de me convaincre de son talent. Elle m’a gentiment laissé passer au travers de ceux-ci et lui en indiquer une poignée qui me plaisent particulièrement. Une bouffonne pour Alice, une en action pour imprimer et afficher chez moi, ainsi qu’une qui me fait tout à coup douter de l’usage privé.

« Je suppose qu’une photo de profil est considérée comme un usage public? »

Je préfère valider que de rompre sa confiance. Pour la suite, je l’interroge à savoir si Juliette préfère poursuivre notre travail d’équipe ou si elle a terminé avec moi, avant de m’éclipser pour une rapide toilette. J’apprécie la liberté de mouvements et le confort maintenant que je suis libérer du baudrier à ma taille. Mes cuisses, peu habituées à cette entrave, m’en remercient particulièrement.

À mon retour, je retire mes varapes et attends poliment la réponse de Miss Crown, alors que l’impatient propriétaire du gym s’impatiente et toussote. La pauvre demoiselle en sursaute et s’excuse. Je lance un regard sobre à Harris avant de sourire à Juliette.

« Je veux bien continuer pendant que je suis dans la zone. Dans le pire des cas, je ferai une sieste bien méritée cet après-midi. » Ou j’irai aux thermes dans une ville à proximité. Qu’en sais-je ?  L’artiste suggère que nous poursuivions avec la boxe. Je lui répond en saisissant mon sac de sport : « Avec plaisir, laissez-moi juste un moment pour me changer. »

J’enfile mes baskets pendant que Harris indique aller chercher un partenaire de combat. Je me dirige vers la toilette des hommes, dans un petit bâtiment dont l’autre moitié est réservée aux femme. Je peux y enfiler d’autres vêtements, dont l’équipement de protection intime. Je reviens rapidement, portant mon second short et la veste à capuche que j’avais prise ce matin, non sans avoir vérifier l’état de ma coiffure, et réalise avoir été plus rapide que Harris. Cette fois, j’interpelle la photographe pour m’assurer d’avoir son attention sans la surprendre :

« Miss Crown ? Je me demandais si vous développez vos clichés vous-mêmes ? »

Je n’ai pas fait partie du club de photographie du lycée, trop occupé avec ma famille et mes autres comités, et n’ai donc jamais pu expérimenter cet environnement. Harris arrive alors que Juliette me répond, accompagné d’une blonde avec une coupe au carrée. Nous nous saluons rapidement : je l’ai déjà croisée avant ou après mes séances d’arts martiaux mixtes. Harris explique qu’il pensait qu’un modèle féminin ferait bien. Il préfère que l’objectif de Juliette focalise sur elle, plutôt que sur moi. Je suis content de voir que ma partenaire de boxe ne semble pas intimidée de m’affronter.  Dès les premiers échanges, il est également évident qu’elle ne cherche pas à se prouver ou à m’amadouer. Nous bloquons tous deux la force de nos coups et faisons preuve d’une retenue générale, pour favoriser la caméra davantage qu’une certaine compétitivité.

Miss Crown est derrière moi, de biais. J’adopte une posture principalement défensive, ponctuée de coups lorsqu’on me le requiert ou que ma partenaire m’en donne le signal. C’est moins intéressant qu’un réel combat, et je m’interroge un instant sur la raison pourquoi les catcheurs choisissent davantage ce genre de spectacle que du réel sport.


Je m’hydrate d’une longue gorgée d’eau en balayant du pouce les photos que Ryan vient de m’envoyer de son concert d’hier. Je lui répondrai plus tard. Les dernières dizaines de minutes se sont finalement montrées intenses. La boxeuse nous quitte et je répond d’un rapide « à mardi » au sien. Harris indique alors à Juliette un groupuscule qui vient d’arriver au parc : il s’agit du reste du comité. Il énumère encore quelques activités offertes par la ville, mais admet en avoir probablement oublié. J’attends patiemment le verdict du propriétaire et de l’artiste pour savoir si je profite librement du reste des activités de la journée, ou si ma présence est toujours requise.

« Relaxe, Harris, on a toute la journée. »
J’envoie un clin d’oeil à Juliette. Une petite pause ne me ferait pas de mal non plus.