Sujet: Parenthèses Feat Tobias Mar 29 Juin 2021 - 17:39
Parenthèses
Chad ft. Tobias
Mon mug me réchauffe les paumes. Pieds nus, vêtu d’un pantalon de toile ample écru et d’un t-shirt blanc, j’ai l’impression d’être sur un vaisseau qui fend une mer de coton. La terrasse en surplomb sur la brume de la vallée génère un sentiment d’isolement encore plus prononcé que d’habitude.
J’ai pris l’habitude du silence qui règne au sommet de cette falaise loin de la ville et des gens. C’était un choix de vie. Un choix mûri à deux cerveaux, celui d’une solitude à deux. Un sanctuaire. Un cocon.
De l’amertume, j’en ai à revendre, de la colère sourde également, mais aucun regret sur mes choix passés, mes amitiés, mes fidélités, mon amour. Je me moque de passer pour l’excentrique à la maison accrochée au vide qui l’est tout autant. J’explore cette nouvelle vie avec une moitié de cœur en moins. Une partie arrachée avec le grand absent. J’en veux à Mick d’avoir choisi sa famille à notre union. Je comprends ce choix. Ça n'aide pas à guérir.
Un mail hier soir m’a empêché de dormir. Informations basiques : IL va bien. IL a vu le dernier Tarentino, celui qu’on devait regarder ensemble avec notre nouveau home cinéma qu’IL n’a jamais étrenné. Quelques mots sur la nouvelle Camaro qui va sortir, une taquinerie comparative avec ma Maserati. Pas de lieu, aucun détail qui me donnerait un indice de ce qu’il fait et où il se trouve.
Je n’ai pas invalidé l’accusé de réception de ma boîte mail. Mick sait que j’ai lu son message. Et comme pour tous les précédents, je ne répondrai pas. Je n’ai pas changé les serrures magnétiques de la maison. Il a toujours son passe. Quand il arrêtera de m’écrire dans le vide, je le ferai.
Je retourne ma tasse par-delà la balustrade pour vider le fond de thé avec ses débris de feuilles avant de m’en retourner à l’intérieur. Une couleur vive sur le côté de la terrasse suspendue attire mon regard. Je viens de retrouver la balle en mousse que Ian a égarée l’autre jour. Derek m’avait forcé à jouer à la nounou. Je n’avais pas trouvé mon alpha très clair dans ses motivations. Son « ça te fera le plus grand bien » avait sonné faux. Non pas qu’il ne le pensait pas, mais plutôt qu’autre chose le préoccupait. Ian plutôt content de me retrouver après quelques semaines d’éloignement m'avait convaincu, j’avais accepté de m’occuper du filleul de Mick. Comment oublier quelqu’un quand la vie s’acharne à vous le rappeler ?
(…)
Le projet est audacieux, le client exigeant. Comme à chaque fois que je dessine, que je conçois un habitat, j’ai mis de la musique en sourdine. Je trace sur ma palette graphique, invente des volumes que l’ordinateur me permet de visualiser dans tous les sens, dans toutes les perspectives. Dans ces moments-là, j’ai l’impression de sortir de mon corps, de voler. Pas besoin de l’herbe à fumer de papy Moineau. Encore une expression du grand absent qui reste gravée dans le marbre. Ezéquiel Jefferson m’avait fait l’honneur de sa visite. En trois heures, mon grand-père n’avait pas prononcé plus de dix mots, bonjour et au revoir compris. J’ai dû en dire deux fois moins, me contentant de « oui » ou de « non ». Trois heures d’un silence tranquille. Les Kawaiisu n’ont pas besoin de mots pour s’exprimer. L’esquisse d’un geste de la main, un regard un peu appuyé, un peu trop fixe, suffisent à disserter. Une sobriété qui me convient. Le téléphone, insistant, me sort de ma bulle créative : Amaro.
L’Italien ne m’avait pas recontacté depuis le flop de son tripot. J’ai cru comprendre qu’il avait trouvé une autre bâtisse. Lui aussi souffre d’un abandon. Le timing pourrait presque paraître suspect si je ne connaissais pas Mick comme je le connais. Mais le « figlio » du parrain avait quitté Beacon Hills pour ne plus y pointer son museau presque en même temps que Mick.
- Wilder ! réponds-je. - Chad, j’ai un service à te demander, attaque l'autre sans préambule.
Je soupire. Qu’est-ce que la mitraillette à voyelle peut me demander avec les facilités que lui offre son organisation ? Encore un truc tordu assurément.
(…)
Que le professeur Rapier ne réponde pas au téléphone n’est pas étonnant. Qu’il ne souhaite voir personne, non plus ! Qu’il rate la commercialisation d’un cru exceptionnel de son whisky favori est inenvisageable et inquiétant. Alessandro s’étant fait jeter comme une vieille chaussette, il a concocté un plan B. Je suis le plan B. Un type qui fait la gueule pour aller voir un autre type qui fait la gueule, voilà l’idée lumineuse du mafioso !
Je sonne à la porte du professeur de littérature. Derrière le battant, on s’arrête de vivre, presque de respirer. Je sonne à nouveau. Ça me gueule d’aller voir aux enfers s’il y est.
- C’est Wilder, dis-je à la porte close.
J’entends du bruit, un pas feutré qui s’approche, celui d’une souris, pas d’un chasseur. J’anticipe l’ouverture du judas pour coller l’étiquette de la précieuse bouteille offerte par Alessandro devant ma trogne. La porte reste close. Je vire la bouteille, présente ma bouille avec un sourire. Une grimace plutôt. Une voix cristalline traverse le battant :
- Dro ?
Là, je souris sincèrement. Ce que j’aimerais retrouver l’innocence de l’enfance. La porte s’ouvre enfin sur un spectacle affligeant. Le professeur me fait face dans une tenue des plus négligée, sa fille rangée entre ses pieds.
- Paraît qu’il faut un architecte pour livrer du whisky. J'ai accepté juste pour que l'assommoir italien la ferme.
Rien de ce que je peux apercevoir de l’appartement, ne correspond pas à ce que j’avais vu lors de ma première visite clandestine. De plus, Tobias Rapier semble avoir embrassé une moissonneuse-batteuse. Je m'attends à me faire arracher la bouteille des mains et me faire claquer la porte au nez. Machinalement, je sors la balle colorée de Ian que j’ai gardé dans la poche de mon pantalon de toile. Regard limpide d’Alice, ses lèvres qui forment un O parfait. Mon geste n’était pas calculé. Je laisse tomber la balle. Des petites mains s’en saisissent.
- C’est à mon…
Mon quoi déjà ? Fratrie de meute ? Ce n’est pas moi son parrain, même si je pallie à son absence.
- … petit frère d’adoption. Je pense que Ian n’aura pas d’objections à te la prêter.
Assit sur le tapis moelleux du salon en compagnie de sa princesse et une partie des peluches de cette dernière, le professeur observe sa tasse en plastique parme. Pour occuper sa fille qui vit de plus en plus mal ce nouveau mode de vie qu'il lui impose, l'anglais régresse et joue à la dînette pour oublier le danger qui rôde. Ce danger, invraisemblable épée de Damoclès que ses dernières mésaventures font peser au dessus d'Alice. Conscient que son état ne lui permet pas de s'offrir le luxe de représailles, le professeur se terre. Son appartement n'est plus qu'une pâle copie de ce qu'il a pu être par le passé. Désabusé le chasseur dont l'ego et la santé mentale ont été salement amochés se laisse aller. Il retient une grimace écœurée, transformant cette dernière en sourire attendri tandis qu'Alice vient de déposer un reste de cookie dans sa main. Le biscuit mou n'est que peu appétissant, ce qui n'empêche en rien l'anglais de mimer son régal. L'enfant trop jeune pour saisir la tromperie s'esclaffe.
À la droite du chasseur l'italien en peluche prend place, le museau échoué dans sa tasse bleue pâle. Visiblement l'animal apprécie ce breuvage, bien plus que ne le fait monsieur Eléphant qui n'a pas daigné un seul instant s'intéresser à ce qu'Alice a prit le soin de lui servir. C'est ce qui lui vaut de se faire jeter un croissant en plastique au visage. Narquois, le tueur juge du regard son impoli voisin. Doigt haussé bien haut, le britannique porte finalement sa propre tasse à ses lèvres. À l'intérieur de celle-ci se trouve un thé dont il sait apprécier les bienfaits. Un thé dont sa fille n'est pas prête d'avoir le droit de découvrir les arômes. Le bourbon glisse dans la gorge du chasseur, sa main droite tremblant soudainement plus qu'il ne serait juste de le faire lorsque la sonnette se fait martyriser.
Tobias se tend, se tasse sur lui même. Du bout de son index droit il coupe le son de la télévision pour mieux parvenir à jouer au mort. Son souffle s'étiole tandis que sa cervelle se remet en route. Il n'attend pas de visite, a même prit le soin de les proscrire. Jaz est passée un peu plus tôt dans la journée lui livrer des vivres. Le professeur s'est contenté de l'accueillir froidement, murmurant un simple remerciement du bout des lèvres avant de mettre la tatoueuse dehors. Il a été facile de mentir à Jasmine. Lorsque le lendemain du jour funeste où tout a basculé elle est venue lui emmener Alice qu'elle avait dû récupérer chez la nourrice, le chasseur n'a eu qu'à inventer une banale histoire. Il s'est fait agresser non loin du campus par un jeune homme en manque qui voulait lui dérober son portefeuille et sa montre. Cette version officielle a également été donnée à Katie lorsqu'elle est venue voir le chasseur dans son antre pour lui remplir un bon médical à l'attention de l'université.
Entre les lacérations qui ornent son abdomen et cette morsure qui lui a arraché un morceau de chair dans la nuque, Tobias est bien conscient que cette version n'allait pas de paire avec les faits qu'il avait à exposer au regard dubitatif de la docteure. Mais Katie sait que parfois il ne faut pas poser de questions, surtout lorsque l'on est pas certain de vouloir prendre connaissance des réponses qu'elles impliqueraient. Lorsque la jeune femme avait fait la rencontre du professeur, c'était après Gabriel. Le pitoyable ne semble donc pas faire peur à Katie.
Tobias souffle, sa fille quand à elle a déjà redressé la tête avant de prendre la poudre d'escampette. Pleine d'espoir elle attend son parrain sans savoir que c'est son propre père qui interdit à ce dernier de pointer le bout de son museau chez eux. L'imprudent derrière la porte joue de la sonnette. Encore. Frustré le chasseur ne prend même pas la peine de se montrer poli.
-Filez sonder le Styx voir si j'y suis !
Il se dirige vers la porte tandis que son visiteur se présente. Chad ? Serrant les dents en devinant que c'est là Alessandro qui a envoyé leur ami commun prendre de ses nouvelles, le chasseur devient blême. Il râle sa douleur tout en jetant un bref coup d'œil à travers le judas. Un présent alléchant et un architecte grimaçant s'offrent à sa vue. C'est donc de cette manière que l'on tente de le débusquer pour mieux le tirer hors de sa tanière ?
-Dro ?
Le tueur lève les yeux au ciel. Sa fille s'installe entre ses jambes. La petite trépigne d'impatience. Doucement le chasseur fait sauter les verrous qui assurent leur sécurité. Puis ouvre la porte d'un geste vif qui fait frémir tout son être.
-Quoi ?
Affublé d'un large pull noir et d'un boxer, le corps marbré par des hématomes qui peinent à se dissiper le chasseur devine qu'il a mauvaise mine. Alice en pyjama rose pâle n'aide pas à donner plus de rigueur à ce navrant tableau dont ils sont en train de gratifier leur visiteur. Lèvres serrées et nez pincé, le chasseur se retient. Il doute que le déplacement de Chad suffise à pousser Alessandro sur la voie du silence. Demeurant muet pour ne pas faire durer cet instant gênant plus qu'il ne serait raisonnable de le faire, Tobias se contente de fixer l'architecte de son regard défait. Il n'impressionnera personne aujourd'hui et ne se donne même pas la peine de se prêter à cet exercice qu'il maîtrise habituellement. Prêt à envoyer le loup sur les roses, il se fait trahir par sa propre fille qui se laisse embobiner par une balle en mousse colorée. L'enfant crédule ne quitte plus l'objet des yeux, se saisissant bien vite de l'offrande lorsque cette dernière est échappée par Chad.
Déjà l'enfant s'égare dans son nouveau jeu. Insouciante elle fait rebondir la balle en mousse. Riant aux éclats lorsque cette dernière retrouve le cocon de sa petite main. Ian retrouvera sa balle s'ils parviennent à l'arracher des mains de la petite fille.
Serrant les dents pour ne pas se montrer impoli, Tobias se contente de poser un regard plus perdu qu'assassin sur son ami.
-Vous n'auriez pas dû venir.
Il note ainsi l'évidence.
-J'ai dit à l'assommoir italien que je lui ferais un second trou d'évacuation s'il venait. S'il vous envoie c'est qu'il juge que mes menaces sont risibles. Ou bien qu'il se moque de votre intégrité physique.
Alice coince la balle colorée dans une de ses petites mains, puis file à quatre pattes dans la direction du salon. L'anglais tente de ne pas fléchir, de ne pas s'attarder sur ce regard qu'il sent se poser sur lui. Son abdomen le fait souffrir plus que de raison et la station debout ne lui est en rien confortable. Du repos, c'est là ce que Katie lui a recommandé là où Malone s'est contenté de lui dire qu'il survivrait à leur rencontre. Songer à cet homme, à cette bête suffit à faire grimper un long frisson à travers la grande carcasse du britannique. Il espère bien pouvoir revoir cet homme qu'il avait fait l'erreur de croire charmant. Mais les princes ne sont pas toujours ce qu'ils paraissent être. Mettre une raclée définitive au wendigo lui fera gagner un statut que même un crapaud ne lui envierait pas.
Le chasseur s'efface pour permettre à son visiteur de fouler le sol de son antre. La bouteille offerte par Alessandro trouve place sur le guéridon. Rapidement le professeur ferme la porte, clôt les uns après les autres les verrous.
-Nous prenions le thé. Voulez-vous surveiller Alice le temps que j'aille passer un pantalon ?
Il doit bien y avoir au fond de son dressing un bas de jogging qu'il pourrait enfiler et ce sans que sa main gauche immobilisée par son attelle ne devienne un handicap.
Je me contente d’hausser les épaules à sa rhétorique. Rapier, Amaro, tout un monde qu’il est préférable d’éviter. Quand on est quelqu’un l’ordinaire avec une vie normale.
- J'ai dit à l'assommoir italien que je lui ferais un second trou d'évacuation s'il venait. S'il vous envoie c'est qu'il juge que mes menaces sont risibles. Ou bien qu'il se moque de votre intégrité physique. - Deuxième hypothèse.
Beau mensonge, le chasseur n’est pas en état de me faire du mal. Demi mensonge, je ne me fais pas d’illusion sur l’importance que me donne Amaro. Nous sommes liés en affaires pas en amitié. Le professeur a bien l’intention de me fermer la porte au nez, sa fille l’en empêche. Je n’ai rien calculé avec la balle de Ian. J’ai mis ma main dans ma poche, elle s’y trouvait. Un détail qui devient mon sésame.
- Nous prenions le thé. Voulez-vous surveiller Alice le temps que j'aille passer un pantalon ? - Bien évidemment. Merci.
J’entre, fais un sourire à Alice qui me montre la balle. Je crains que Ian ne la récupère jamais. Un détail. Le professeur n’a pas attendu pour s’éclipser. Il pue la sueur et la douleur. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé, mais il n’y a pas que son intégrité physique qui a été impactée.
Alice m’a attrapé le bout du doigt et me conduit dans le salon. Je suis, cassé en deux, pour rester à la hauteur de l’enfant. Le champ de bataille qui règne autour de la table basse ressemble à ce que je trouve chez Derek. Un éléphant et un loup prennent une collation.
- Dro ! affirme Alice en me montrant son loup en peluche. - Très ressemblant !
Je souris, amusé. La petite fille semble très attachée à l’Italien que je peine à visualiser avec un enfant en bas âge.
- Là ! ordonne Alice en me montrant le fauteuil.
J’obtempère et m’installe. La fillette me colle sa dînette entre les mains et un boudoir prémâché d’un côté. C’est si facile avec les enfants, pas de préambules ni de discours inutiles. Alice me fait penser à Ian, même blondeur, même yeux très clair. Là s’arrête la comparaison, la fille de Tobias est bien plus téméraire et sociable que le fils de Peter. Je me prête au jeu, touille une boisson imaginaire, fais semblant de boire et d’apprécier le service. Du fond de l’appartement, j’entends son père en galère. Je n’ai rien dit sur le poignet en atèle, j’imagine qu’il peine à enfiler un pantalon.
Rassurée par ma participation à ses jeux, Alice s’emballe et me colle quantité de peluches et de livres en tissus sur les genoux. En moins d’une minute, je deviens aussi confortable qu’un pouf. L’enfant m’escalade, s’installe comme un chat paresseux avec un livre barré d’un marque page. Je suppose que c’est celui que le professeur lui lit. Alice lève le livre, me cogne le nez avec dans un message qui n’a rien de subliminal. J’ouvre le bouquin qui me semble être une première édition d’Alice au pays des merveilles.
Quand le professeur de littérature revient dans le salon, il nous trouve, moi en train de lire le passage sur un lapin toujours pressé, mon lobe d’oreille droite trituré pas la gamine. C'était ça ou mes narines.
- Dro ! Lapin ! annonce Alice à son père. - Non, moi c’est Chad ! - Chad ! Lire lapin !
Le professeur s’inquiète de l’envahissement de sa fille, je le rassure.
- J’ai l’habitude avec le fils de Peter, quand il dort à la maison. Pire qu’un koala sur un arbre blindé de bouffe. L’odeur de loup, je suppose et le lien de meute… - Dro ! Loup ! Chad ! Loup !
J’écarquille les yeux. Alice est trop jeune pour comprendre les sous-entendus dans ce que je viens de dire. Mais elle semble avoir perçu ma nature, identique à celle de l’ami de son papa. Je souris, lui gratouille le sommet du crâne avant de la poser par terre afin de me saisir de la tasse de thé que me tend son père.
Ses gestes sont empreints de maladresses. Je lui proposerai bien de le soulager de ses douleurs un moment si je ne connaissais pas son aversion des contacts physiques. Le thé est délicieux. Je tente de me débarrasser de l’armée de nounours, mais c’est sans compter sur la petite demoiselle qui insiste de m’en faire le gardien. Un silence embarrassant s’ensuit. Alessandro avait été vague au sujet de son ami, tout en sentant une gravité dans l’état du professeur. Je coupe le silence.
- Sortir le nez de mon blockhaus me fait du bien. Je suis sur un projet de construction ambitieux qui me fait perdre la notion de jour et de nuit. Je ne sors pas beaucoup non plus, avoué-je.
Je sais que je m’abrutis de travail pour ne pas penser ni sentir le grand absent dans cette maison forteresse. Alice va et vient entre son père et moi, visiblement heureuse de ma visite. Je ne considère pas le professeur comme un ami, mais plus comme une connaissance que je respecte. Je connais son passé, ou du moins une partie de celui-ci : un chasseur qui a été sans pitié, un père de famille qui s’est fait manipuler par un salopard. Le fait que je l’ai vu à l’article de la mort, dans une détresse consumée de désespoir, brise un peu les barrières sociales que se construit tout un chacun. C’est pour ça que je me permets d’être direct.
- Vous avez une sale tête Tobias, et Alice aussi. Sortir de votre appartement et prendre l’air vous serrez profitable.
Je sens que ma proposition est mal venue. Vu son état, j’imagine qu’il n’a pas envie de s’exhiber. Tout comme le jouet de Ian, je ne prémédite rien de ce qui suit. C’est juste une évidence qui ne me coûte rien.
- Cela vous dit de manger demain midi chez moi ? J’habite une maison perdue au fond de la forêt accrochée à la falaise, presque aussi inviolable que le Pentagone. Mon ancien compagnon appartient à une section armée… particulière. Même les mouches doivent taper un code pour entrer. C’est calme, pas de voisins. M’obliger à cuisiner me sera profitable. Et j’ai des jeux pour Alice.
Certains ont subi les foudres d’un jeune louveteau. Mick s’était appliqué à choisir des jeux comptables à la force d’un jeune lycan.
C'est finalement soulagé qu'il accueille cette visite impromptue qu'il était certain de ne pas désirer il y a encore cinq petites minutes. Chad par sa simple présence parvient à tirer l'anglais hors de sa zone de confort et cela sans même avoir besoin de faire un effort en particulier. Le pas plus pesant qu'à l'accoutumée et l'oreille tendue en direction du salon pour ne rien louper de la rencontre entre le loup et sa fille, Tobias se dirige vers son dressing.
L'y attendent ses nombreux costumes, vêtements qui brillent par leur inutilité depuis qu'il a décidé de ne plus mettre le nez dehors pour ne pas avoir à affronter le monde extérieur et les monstres qui pourraient s'y dissimuler pour mieux lui arracher sa fille. Son trésor, l'unique. L'amour de cette petite blonde, un sentiment si fort qu'il suffit à faire se lever chaque jour le professeur. Sans elle sa vie ne serait qu'une longue traversée du désert peuplée par de rares mirages. Parfois l'on songe s'être trouvé un autre, puis ce dernier périt. Le chasseur y avait pourtant cru, si fort que son cœur s'est fait cendres lorsqu'après Maryssa, c'est Wesley que la vie lui a arraché. Une certitude se fait dans l'esprit morose de l'alcoolique tandis qu'il tend sa main droite vers ce qui semble être un bas de jogging acceptable. Sans sa fille, jamais il n'aurait eu la force de se battre comme il l'a fait contre Malone. Et ce même s'il savait que ses chances de se sortir vainqueur de cet échange étaient minces.
Mince. Un mot bien trop doux pour décrire cet affrontement vécu comme une humiliation dont son être tout entier subit encore les conséquences. Pourtant ce soir là à aucun instant sa rage de vaincre, sa fureur de vivre ne s'est étiolée. Jamais il n'a offert cette résilience que le wendigo souhaitait. C'est ce qui a fait de l'anglais un être unique aux yeux de la bête anthropophage. Sans Alice ce n'est pas Angela qui aurait finit en gâchis de sang et de chair devant le sofa de Malone. Tobias aurait été dévoré, poussé dans la gueule du wendigo après avoir fait l'erreur de suivre la voie que lui dictait sa libido trop longtemps négligée.
D'un geste agile il déplie le pantalon noir, se penche pour mieux souffler sa douleur. Les mailles serrées de ce pull que lui a offert Jasmine pour le dernier Noël passé suffisent camoufler l'horreur, les marques profondes qui lui barrent l'abdomen. Tenant le vêtement grand ouvert de sa main droite, s'aidant comme il le peut de sa jumelle gauche devenue presque inutile, le chasseur souffle. Dos collé au mur, il inspire, lève une jambe puis une autre. Regrettant déjà de s'être prêté à cet exercice tout en sachant que dans quelques heures il devra se dévêtir, le chasseur quitte son dressing. Sous son pull, passant autour de sa taille et contre cette blessure qui lui cause tant d'inconfort réside une bande élastiquée noire. L'objet discret retient une lame faite d'argent. Certes sa taille n'est pas impressionnante mais elle ne fera pas défaut au chasseur si celui qui a été son amant avant de se muer en bourreau insolent devait pointer le bout de son nez.
Plus canard boiteux que félin distingué, Tobias progresse dans le couloir. En passant près de la cuisine, il s'éclipse pour mettre la bouilloire en route. Il lui faudrait un samovar. Un objet tant décoratif qu'utile. La culture russe et celle de l'Europe de l'est lui manque parfois, même s'il doit bien avouer qu'il n'a pas séjourné dans ces pays pour s'adonner aux plaisirs du tourisme. Lorsque l'anglais refait son apparition dans le salon, Alice babille. De la bouche de Chad s'écoulent des mots amusants, des mots d'adultes pour conter la magie aux enfants. Un lapin toujours en retard. Cette édition d'Alice au pays de merveilles appartenait à Wesley, c'est même un des rares objets que le libraire a laissé derrière lui après son trépas.
Alice ravie du changement procuré par l'arrivée de Chad dans leur antre tente de fourrer un de ses petits doigts espiègles dans l'oreille du loup devenu fauteuil pour peluches variées.
-Alice ! On n'étouffe pas les invités.
Même ceux qui s'imposent contre le gré de leurs hôtes. Chad discourt sur sa proximité avec le fils de Peter Hale. Le propriétaire de la balle en mousse certainement. Se doutant que son estimé collègue était un loup depuis plusieurs mois déjà, Tobias ne s'étonne même pas de la confirmation de la nature de son confrère. Son sourire se fait toutefois crispé quand Alice liste les loups de sa connaissance. Un italien connu de tous. Pas en peluche cette fois. Le britannique ne peut s'empêcher d'espérer que sa fille saura garder le silence sur ce sujet lorsqu'elle découvrira les joies du jardin d'enfants dans quelques années.
La bouilloire siffle. Appelant ainsi le chasseur qui presse le pas pour mieux fuir cet instant gênant. Il ne sait que dire, ne veut rien dire. Son état n'est pas glorieux et lorsque vient le moment de remplir une tasse de thé pour Chad, il apprécie une fois de plus les bonnes manières dont sait faire preuve le jeune homme. Malone et ses propos terrifiants ont su marquer l'esprit du britannique qui ne cesse de songer au pire depuis qu'il est revenu de chez le wendigo. Il lâche une cuillère à café dans la tasse de porcelaine, se satisfaisant du son cristallin qui se fait entendre. Un peu de douceur lorsque dans sa tête résonnent encore les hurlements d'Angela.
De retour dans le salon, il tend la tasse à son invité. Puis amorce un mouvement de recul inutile puisqu'il ne sert à rien de vouloir camoufler sa déchéance. Le silence fait son nid tandis qu'Alice progresse vers le piano. Ses pas sont hésitants mais pleins de volonté. Ils sont ceux d'une enfant qui ne désire qu'une chose : Découvrir le monde. Un souhait dont son père est en train de l'éloigner sans même chercher à se perdre en remords. Dans quelques semaines il ira mieux, saura retourner dans ce lieu où il a manqué de perdre la vie. Puis il prendra celle de celui qui hante ses nuits. Tobias soupire, il est inutile de préciser que lui et Alice ne sortent plus du tout de leur antre. Le chasseur baisse les yeux, honteux malgré lui. De s'être fait avoir et d'ainsi mettre son trésor en péril.
Toutefois le professeur se tend, soucieux des questions dont il redoute la venue lorsque Chad reprend. Alice a en effet une triste mine, esseulée dans ce grand appartement malgré l'amour indéfectible que lui porte son père. Lèvres scellées, Tobias conserve sa meilleure arme, le silence. S'y accroche tel un forcené. Il a tant à perdre qu'il sait que rien ne le forcera à prononcer ces quelques mots qui bafoueraient une promesse qu'il a faite à la bête qui habite ses songes les plus noirs. Alice chatouille les notes du piano en chantonnant.
Il est doux et étrangement mélodieux ce silence dans lequel le tueur se mure depuis déjà des jours. Un silence de mort habité par les rires de sa fille. Les pleurs également lorsqu'il ne sait lui donner ce qu'elle veut. Un peu de vie, la présence de son parrain qu'elle avait l'habitude de voir presque tout les jours. Le vide qui habitait les traits du chasseur s'étiole, son incompétence prend toute la place quand enfin l'impossible se fait entendre.
-Je... Je ne peux.
Pas sortir de chez moi.
Pourtant c'est bien de cela dont il est question. Chad évoque un absent. Sait se faire rassurant. Le cœur de Tobias se serre, terrifié il ne sait comment réagir à l'entente d'une invitation qu'il ne se sent pas en position de refuser. Un non suffirait pourtant. Quelques lettres, si claires. Définitives. Alice s'éloigne du piano et revient près de la table basse. Elle se saisit de son loup en peluche, le serre contre elle un bref instant avant de le laisser s'échouer au sol. Puis les petits pieds reprennent leur progression sur le tapis du salon. S'approchent.
-Papa ! Balle ! -Elle est à Ian cette balle. -Pas Ian ! Balle Aly.
Sans doute est-ce un sourire qui prend place sur les lèvres de l'architecte lorsque le chasseur se penche pour attraper sa fille et la porter tout contre son torse. L'enfant se calle contre son père, inconsciente de la grimace qui vient de traverser le faciès fatigué de ce dernier. Dans un soupir, Tobias murmure.
-On ramènera la balle demain. N'est-ce pas Alice ? Demain nous allons manger chez Chad et nous rendrons la balle à son propriétaire. Merci pour votre invitation.
[...]
Descendre les cinq étages avec Alice a été laborieux. Tobias redoute naturellement l'instant où il devra refaire ce trajet dans l'autre sens, pire même le manque d'ascenseur le dérange alors qu'habituellement il apprécie les bienfaits de ce court exercice sur sa pompe cardiaque. Il les a pourtant déjà grimpées en étant dans un état plus critique. Ce soir où aidé par son ami il sortait de cette cave dans laquelle Gabriel l'avait enfermé, torturé, brisé durant de longues heures. D'interminables journées qui avait eu raison de son bon sens. Piégé dans ce lieu obscur le chasseur avait espéré, attendu cette mort capricieuse qui se refusait à lui. C'était il y a quelques mois, à peine six. Depuis de nombreuses choses ont changé. Sa raison de survivre à su le trouver. Lui redonner cette rage qu'il pensait avoir perdue à tout jamais.
Rien a été simple ce matin. Vêtir Alice d'une robe émeraude, tenter de la coiffer et cela contre le gré de l'enfant bien consciente de ne pas avoir assez de cheveux pour que cela puisse permettre à son père de les lui nouer. Puis passer de longues minutes dans la salle de bain à se débattre avec un jean sombre, sceller uns à uns les boutons d'une chemise perle. Tobias n'a pas voulu tenter le diable en se saisissant de son rasoir, l'usage du coupe-chou lui paraissant incompatible avec l'état de sa meilleure main. Finir égorgé et esseulé dans sa salle de bain n'étant pas noté sur son programme, c'est en arborant une barbe plus touffue et négligée qu'à l'ordinaire qu'il approche de la maison de l'architecte.
Il n'aime guère ce lieu qui n'est pas sans lui remémorer ses débuts dans cette ville. Cette falaise, il s'en est déjà approché par le passé pour y commettre une erreur. Une des rares qu'il est prêt à reconnaître. Sans s'attarder sur ce frisson glacé qui parcourt sa grande carcasse, le tueur laisse son regard noir vaquer dans les environs. Et fatalement s'arrêter sur cette demeure qui semble défier la gravité. Même s'il refuse de se laisser étourdir par ce spectacle ahurissant, Tobias ne retient rien de de sa surprise lorsqu'il coupe le contact et bien vite part chercher sa fille dans son siège.
Alice peu habituée à quitter le béton rassurant du centre-ville regarde autour d'elle.
-Nous sommes arrivés chez Chad mademoiselle.
Il porte l'enfant contre lui, cette dernière trépignant déjà pour retrouver la terre ferme. Sans se risquer à céder tant la position de le maison lui semble inquiétante, le chasseur progresse vers l'entrée principale.
-Chad ! Chad lire lapin ! -Non Chad n'est pas ton serviteur ma belle. Ce rôle est le mien, je ne partage pas mon statut.
Il sourit, pose ses lèvres contre la peau douce de son enfant. Son nez se fait tendre caresse, appendice démesuré qui fait naître des frissons dans son sillage. L'anglais souffle dans un des plis du cou de sa fille pour produire un son qui n'est pas sans rappeler une expulsion de gaz.
La porte s'ouvre avant qu'il n'ait eu le temps de cogner contre le battant de cette dernière. Les esprits s'assagissent, Alice tend les bras vers son nouveau compagnon de jeu.
-Chad ! -Bonjour Chad. Votre demeure est impressionnante. Je vous devinais talentueux et j'en ai la preuve sous les yeux.
Je n’ai pas eu besoin de ranger la maison, je n’ai jamais été bordélique. Seul, mon bureau peut trahir mon activité en cours. J’ai investi dans une imprimante format A1 et quatre écrans XXL accrochés au mur face à mon bureau. Cela ressemble presque au mur d’écran du bureau de mon père sur lequel il peut suivre les bourses du monde entier en temps réel. Ici, le sujet est différent, mais la méthode de travail un peu identique. Sur les écrans, je peux faire des modifications en direct. Les plans papier fixés sur le mur adjacent par des aimants sur un linteau métallique me gardent à l’esprit le schéma d’ensemble de la demeure dont je suis en train d’établir les plans.
Je pousse du pied le robot aspirateur qui s’est coincé sur un coin de tapis qui s’est relevé. L’engin fait deux tours sur lui-même, dans un sens puis dans l’autre avant de repartir quadriller le sol. La veille, après avoir laissé Tobias, j’avais fait quelques courses au supermarché pour prendre l’inspiration et les produits frais que je servirai au professeur.
Je ne cherche pas à l’épater par une cuisine raffinée, mais je devine un côté épicurien qu’il masque sous une mine austère. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé, quelque chose de peu glorieux, si son principal ami dans cette ville l’ignore. Rare qu’Amaro manque d’information. Quoi qu’il en soit, l’appartement du professeur sentait, en plus du renfermé, le sang et la douleur qui se caractérise par une sueur âcre. J’ai déjà aperçu son enfant au Pink Print, Alice est d’ordinaire une fillette éveillée, ce qui n’était plus le cas. Dans la soirée, je m’étais attelé à confectionner des biscuits avec des emporte-pièce en forme d’animaux. Ian adore. Il aidait Mick à apposer des glaçages colorés dessus.
Je me suis réveillé en forme. Un petit déjeuner rapide et un peu de gym sur la terrasse, je file sous la douche en sifflotant. Je dois avouer que l’objectif de recevoir le professeur et sa fille me donne un cap qui me sort de ma mélancolie.
Je m’attaque à la préparation du repas : noix de Saint-Jacques aux pointes d’asperge, une recette de ma mère, pintade avec une purée de pommes de terre. Initialement cela devait être rissolé, mais j’ai pensé que ça serait plus simple pour Alice. De même que je lui découpe de fines lamelles de jambon, la viande de pintade est un peu dure pour une bouche qui n’a pas encore toutes ses dents. Comme dessert, j’ai pensé à une charlotte poire chocolat.
Les baies vitrées sont grandes ouvertes laissant passer le soleil et une brise agréable. Pendant les temps de cuisson, je dresse la table sur la terrasse avec le service que m’ont offert mes parents après l’annonce de mes fiançailles avec Mick. De la porcelaine contemporaine aux lignes épurées d’un blanc nacré qui donne un bel effet sur la nappe bleu nuit que je sors rarement. Les verres, en cristal de bohème, tintent lorsque je les pose.
À côté de la place que je réserve au professeur, j’installe la chaise haute de Ian, avec ses couverts et sa vaisselle incassable à l’épreuve des louveteaux. Je pose à côté un bavoir nappe qui couvre les jambes de l’enfant. Ian a eu sa période carnage à table. Ça lui a enfin passé. La disparition de Ruby l’avait fait rechuter. Pourtant, quand Derek me l’avait laissé sur les bras sans me demander mon avis, Ian s’était montré très sage. Comme s’il comprenait mon deuil en amour. Je règle le store électrique pour que nous soyons à l’ombre, tire les paravents transparents pour que la brise ne nous importune pas tout en conservant la vue qui est le trésor de cette demeure.
Le vin, un rouge californien, décante dans une carafe à la base évasée. J’ai sorti deux bouteilles de whisky choisies par mon ex-compagnon et une bouteille de grappa issue d’une querelle de coq entre l’Italien et Mick. Je ne suis pas un grand buveur, toutefois mon père s’est attelé à éduquer mon palais de sorte que je distingue les très bons alcools, des bons. En deçà, « autant boire du coca » affirme Stephan Wilder.
J’ai entendu la voiture arriver et souris lorsque l’enfant exprime son envie que je poursuive la lecture de son livre. Elle me rappelle un peu Ian qui bien qu’il a amélioré la tournure de ses phrases, n’en revient pas moins aux mots essentiels quand la fatigue le rattrape. Derek râle : je suis le seul que Ian appelle correctement. Mafdet a droit à « Af » et Derek reste « Ek ». Peter sauve la face avec un « papa » en bonne et due forme. J’ouvre avant que le professeur ait le temps de frapper.
- Chad ! - Bonjour Chad. Votre demeure est impressionnante. Je vous devinais talentueux et j'en ai la preuve sous les yeux. - Bonjour la princesse à son papa. Bonjour Tobias. Donnez-moi le sac à langer et entrez.
Je m’efface, puis referme la porte derrière mes invités. L’espace est vaste et donne sur la cuisine qui donne sur le nord en face de la porte, le salon et la terrasse sur la gauche à l’ouest et la salle à manger à l’est. Mon bureau se situe à l’étage inférieur et donne à flanc de falaise avec une entrée réservée aux clients. Les chambres sont à l’étage supérieur. Le double garage devant lequel le professeur s’est garé a été creusé dans la roche. L’ensemble s’intègre au relief abrupt. J’ai conservé le terrain plat naturel pour les extérieurs. Je laisse la flore locale reprendre ses droits sur la terre labourée par les engins de chantier. J’ai seulement planté des fruits des bois comme des fraisiers et des framboisiers que je picore sur place.
Je laisse le temps à mon invité se faire une idée des lieux en prétextant une urgence à la cuisine. Une exclamation d’Alice me fait me retourner. Dans un coin du salon, sur un tapis, sont réunis les jouets de Ian.
- Tu peux y jouer Alice. C’est solide, dis-je à l’attention de son père.
Je fais une grimace explicite et hausse les épaules. Choisir un jeu pour un louveteau est un vrai casse-tête. Maintenant que Ian est plus grand, c’est plus facile. Il a arrêté de tout mettre à la bouche. Je montre la terrasse à Tobias.
- La maison est sécurisée. Sécurité enfant sur le four. Alice ne peut ni se blesser ni casser quelque chose. Et l’espace fait qu’elle pourra toujours vous voir. J’ai sorti quelques bouteilles pour l’apéritif, mais j’ai d’autres alcools. Qu’est qu’Alice préfère boire ? Des jus de fruit ou de l’eau ? J’ai la timbale anti-versement de Ian.
Je passe en premier sur la terrasse. Je sais que sa situation perchée peut impressionner et mettre mal à l’aise.
- On peut aussi manger à l’intérieur si vous préférez. C’est du verre pare-balles, précisé-je, suite au regard inquiet du professeur sur l’habillage de la rambarde d’acier.
Comme le reste des vitrages de la maison. Sur la terrasse, Mick a fait des marques discrètes qui situent les zones exposées, celles où on pourrait nous atteindre. Mais encore faut-il que le tueur trouve l’angle accessible qui se trouve perché dans les arbres. Je tais pour le moment, le niveau de sûreté de la maison. Exagéré pour le commun des mortels, mais pas avec mon passé trouble et celui de Mick. Si Mick a toujours les clés, j’ai changé les codes d’accès et viré ses empreintes de la mémoire de l’alarme. S’il veut entrer, il devra avoir mon aval. J’ai toujours son matos de guerre dans la cave secrète sous le garage. Alice arrive vers nous en cahotant avec une peluche qu’elle brandit.
- Dro !
Je regarde le loup passablement mâchouillé, la petite, puis son père. Se pourrait-il que l’enfant soit au courant de la nature de son parrain ? Tobias remarque mon air étonné.
Un sourire sincère effleure les lèvres du britannique suite à l'accueil dont les gratifie Chad. En effet Alice est sa princesse, un trésor qu'il gâte sans doute trop et qui dans quelques années lui fera peut être payer les frais de son laxisme sévère. Mais le chasseur se moque des conséquences que peuvent avoir ses actes sur un futur qu'il juge trop lointain pour devoir s'en inquiéter. Tout en pénétrant à l'intérieur de la demeure de celui qui les a invités à quitter leur antre, Tobias pose les yeux sur un univers parfaitement propre. Une clarté sans pareille habille les lieux. Alice réclame le droit de vadrouiller dans ce nouveau terrain de jeu tandis que leur hôte referme la porte derrière eux.
Le vaste espace offre une vue sur une cuisine dans laquelle l'ordre règne. Il flotte dans les airs de douces fragrances qui font presque saliver le britannique. Une telle promesse, celle d'un bon repas, jure avec la manière dont Tobias se nourrit depuis qu'il a quitté l'appartement de Malone. Des repas simples. Plats livrés par de jeunes gens aux manières parfois teintées d'insolence, des conserves et autres soupers surgelés qu'il suffit de réchauffer au micro-ondes. Certes Tobias n'est lui même pas un grand cuisinier, mais il aime lier plaisirs et besoins lorsque vient le moment de remplir son estomac. Un plaisir dont son poignet gauche immobilisé le prive ces derniers temps. Un peu plus loin se dessine une terrasse donnant sur la falaise. Ce lieu ne ressemble à aucun de ceux dans lesquels le chasseur a pu entrer jusqu'à aujourd'hui. Là d'où il vient les maisons sont simples, des jolis cottages que l'on décrirait comme typiques. Des murs construits il y a plus de cent ans et qui survivront sans mal au siècle prochain.
Alice fait une trouvaille et d'une exclamation enjouée la dévoile aux deux adultes. Tobias tourne la tête pour trouver sa fille. Juchée sur un tapis l'enfant montre des jouets qui ne lui appartiennent pas. Les effets d'un autre sont toujours plus tentants que ceux dont on est soi-même propriétaire. Alice ne connaît encore rien de la jalousie, mais découvre chaque jour un peu plus ce qu'est l'envie. L'autorisation donnée par Chad ne met guère de temps avant d'être mise à l'épreuve par la petite fille qui oublie alors l'existence des deux adultes pour prêter toute son attention à un camion de pompier.
L'architecte grimace après avoir souligné la solidité des jouets. Amusé malgré lui, Tobias camoufle toutefois tout ce qu'il aime nommer émotions parasites. Se contentant d'être factuel lorsque vient le moment de souligner l'évidence.
-Les enfants abîment les jouets. Qu'ils soient humains ou de jeunes loups.
Faire des bêtises est paraît-il preuve de bonne santé chez l'enfant. Si le chasseur ne tolère rien de moins que la perfection de la part des jeunes gens à qui il enseigne en temps normal à l'université, il sait qu'il ne peut imposer les mêmes exigences à de si jeunes enfants.
Chad se fait guide, menant son invité vers l'impressionnante terrasse. La table déjà dressée n'attend que les gourmets qui viendront prendre place autour d'elle. L'architecte se fait rassurant, en effet il suffit à Tobias de lever les yeux dans la bonne direction pour avoir son trésor dans son champ de vision. Insouciante Alice s'amuse en tentant de faire rentrer son loup en peluche dans le camion de pompiers.
-De l'eau ce sera parfait. Avec un peu de jus pour lui donner du goût peut-être.
Quand vient l'instant d'arriver sur la terrasse le professeur se dit qu'il ne faut pas souffrir de vertiges pour vivre dans cette demeure. Il fait un geste de la main, exprimant là simplement que ce lieu sera adapté pour passer à table. Son regard noir épuisé par trop de nuit blanches se fait toutefois inquiet lorsqu'il glisse sur les alentours. Constamment aux aguets, le chasseur vit à nouveau dans la peur depuis quelques jours. Dans son appartement rien ne les protège réellement du monde extérieur et de ses dangers, si ce n'est lui même et une flopée de verrous. Si Gabriel a su venir le trouver, il devine sans mal que Malone pourrait commettre lui aussi cet exploit douteux. C'est la voix d'Alice qui le force à quitter ces songes douloureux. L'enfant vient de faire son apparition, brandissant avec elle une pâle copie de son parrain.
Le doute bruyant de Chad se fait entendre. Un silence blanc et pourtant lourd de sens qui arrache un rire écorché au professeur. Comprenant qu'il serait de bon goût de donner quelques explications à son hôte, Tobias lève les yeux vers le loup.
-Elle sait. Il faut dire qu'Alessandro ne cherche pas à cacher sa nature à la petite. Cela me convient. L'apprendre sur le tard pourrait effrayer Alice. Je suis bien placé pour savoir que la peur n'est pas un bon guide.
C'est pourtant ce sentiment qui régit leurs vies à Alice et lui depuis une semaine déjà. Cette terreur qui fait perdre toute raison à l'anglais. Un jour de discorde Alessandro lui avait jeté le souvenir de son échec au visage, celui d'avoir perdu un fils sans rien pouvoir faire pour éviter le drame. Le Tobias de cette époque avait été prit de court, ne savait rien de ce monde qui a finit par lui arracher les siens. Aujourd'hui ce n'est plus le cas, même si Malone a su le surprendre. Le timide professeur qu'il était à cette époque a laissé place à un assassin, un cruel guerrier prêt à donner sa vie et sacrifier son bonheur pour conserver sauve sa fille.
Chad pose sur l'anglais puis sur la fille de ce dernier un regard lourd de sens. La peur, Tobias est en plein dedans actuellement. Sortir de chez lui a été une épreuve tant mentale que physique et de nombreuses fois il a failli rebrousser chemin et faire faux bond à celui qui les avait invités. La vérité se fait finalement entendre, fracassant le peu de dignité qu'il reste au britannique.
-Ma peur nous protège pour l'instant. Je préfère nous couper du monde et la savoir en vie. Ne pas voir mon ami, priver ma fille de son parrain. Ses larmes plutôt que sa fin.
Il baisse les yeux, pour ne pas avoir à supporter le jugement de son prochain. Tobias respecte Chad, un jeune homme doué de bonnes manières et d'un esprit brillant. Un jeune homme à la pensée affutée, doté d'un appréciable sens de la répartie. C'est en se mordant les lèvres que le chasseur reprend, sans que jamais son hôte n'ait eu besoin d'en demander plus.
-J'ai fait une erreur il y a une semaine. J'en fais régulièrement vous savez. Dans quelques jours ce sera réglé.
Le professeur me confirme que sa fille “sait” pour le surnaturel. Je suis un peu perplexe sur le fait que le mafieux s’expose de la sorte. Amaro est tout sauf un inconscient. Je suppose derrière cette démarche, soit de dédiaboliser l’image des lycans que Tobias pourrait transmettre à son enfant malgré lui, soit un engagement sincère de l’Italien envers cette petite fille. Enfant de substitution à celui dont l’absence qui semble définitive prend encore beaucoup de place ?
- La peur est un instinct de survie primaire. C’est la colère qui en découle qui est dangereuse…
Les tortures que j’avais subies puis le décès de ma mère biologique m’avaient conduit à envisager un génocide. J’avais même commencé ces sombres projets avec Adriann, continué avec Samael disparue lui aussi comme il était apparu. J’avais tout arrêté pour une promesse : garder le doré de mes yeux. À cette époque, Mick voulait nous préserver une vie, nous ménager un avenir avec mariage et enfants. J’ai tenu ma promesse. Je me retrouve célibataire. Un point commun dans la meute, sauf pour Mafdet qui me rappelle une adolescente énamourée quand je la croise parfois. Pas souvent, et cela me convient. Je plains ce flic. J’ai du mal à ne pas le concevoir comme un jouet pour la féline. Pourtant, cela semble durer leur histoire. Faudrait lui donner une médaille à ce gars.
J’ai pris la peluche-loup tendue par Alice, tandis que les mots du professeur me rappellent une autre réalité : l’état dans lequel je l’ai trouvé hier. Blessé et tapi dans sa tanière. Il n’applique pas vraiment sa maxime.
- Ma peur nous protège pour l'instant. Je préfère nous couper du monde et la savoir en vie. Ne pas voir mon ami, priver ma fille de son parrain. Ses larmes plutôt que sa fin.
Je hoche la tête en silence. Non que j’approuve, seulement je n’ai pas à juger le comportement du professeur. Une enfant compte sur lui, et cela pour encore un paquet d’années. Je me doutais d’un problème, mon invitation n’était pas anodine ni innocente.
- J'ai fait une erreur il y a une semaine. J'en fais régulièrement, vous savez. Dans quelques jours ce sera réglé. - Dans quelques jours, votre poignet sera toujours hors service, dis-je, factuel.
Je rends son loup à Alice et l’attrape par la taille pour la déposer sur la chaise haute, évitant cet effort à mon invité. J’occupe l’enfant avec un toast simplement beurré pendant que je verse un peu de grenadine dans le verre enfant avec beaucoup d’eau. L’objet est solide, puisqu’il a survécu à une chute dans le vide. Mick était allé le chercher. Il avait fallu faire comprendre à Ian que ce n’était pas un jeu. J’offre à Tobias de nous installer à table. Pas de surprise sur le whisky qu’il choisit, je l’accompagne dans son choix. Quand il prend son verre de sa main valide, je me maudis sur le choix de mon menu : la pintade… Et je le vois mal ronger son os avec les doigts. Peut-être, si je coupe en filets et ne présente aucun os…
Je ne sais pas ce que le professeur a prévu pour se venger de celui ou celle qui lui cause une telle frayeur. Cela ne me regarde pas. Mais d’un autre côté, je souffre un sentiment d’oisiveté qu’un travail acharné sur mes plans ne comble pas. Proposer mon aide ? Il va la refuser à coup sûr. Il me doit déjà un sérieux coup de main, et le Britannique n’est pas homme à cumuler les dettes. Même si je n’ai pas agi par intérêt. Mes motivations ne sont pas claires à mes yeux. Peut-être est-ce l’éducation du professeur, cette élégance retenue qui me plaît chez lui. Mon éducation bourgeoise fait parfois tache dans le paysage californien. La sobriété et la retenue de la côte est contre l'exubérance active de la côte ouest ? Un silence apaisant s’installe. Le paysage prend le pas sur les hommes. Alice babille sur sa chaise, heureuse de la lumière, du soleil et de la brise qui la caresse.
- N’hésitez pas à vous resservir un verre, je vais chercher les entrées.
En passant, près de la chaîne hi-fi, je lance une playlist depuis mon téléphone, des airs classiques du sud de l’Europe, des adagios et des boléros qui se prêtent à un fond sonore apaisant sans être intrusif. En cuisine, je m’attaque à ma pintade et me dépêche d’en racler la chair de ses os pour le confort de mes invités. Je saisis les Saint-Jacques rapidement à la poêle, me retiens de justesse de les flamber comme c’est le cas dans ma recette. Même si l’alcool s’évaporera, ce n’est pas correct de servir cela à une enfant si jeune. La sauce aux pointes d’asperges attend au chaud en bain-marie. J’apporte poêle et saucière à table, quand l’adagio en sol mineur interprété par Il divo entame des notes que le tout un chacun connaît, même ceux qui ne sont pas familiarisés avec ces sonorités.
- J’espère que vous n’avez pas d’allergies aux coquillages ? - Chad, donner ! clame Alice en brandissant son assiette en plastique. - On pourrait croire que vous ne nourrissez pas cet enfant, dis-je en souriant.
Je sers modérément la demoiselle. Si cela lui plaît, il sera bien temps de remplir à nouveau son assiette. Le service fait, je retourne chercher la carafe de vin.
- Je ne voulais pas multiplier les bouteilles. Un blanc sec aurait été plus correct, j’ai opté pour être raccord avec la suite du repas.
Un bavardage qui pourrait passer comme pédant avec d’autres, mais à sa mine paisible, je devine que le professeur est sur la même longueur que moi. Alice a décidé de se passer de cuillère et attrape les Saint-Jacques comme si c’était des bonbons. Par contre, elle n’aime pas le goût des asperges. Je ressers le professeur en vin.
Il s'évertue à garder le silence quand son hôte trouve juste de lui préciser que son poignet brisé le sera encore dans quelques jours. Même s'il tente de ménager sa main gauche au maximum depuis une semaine, Tobias est bien souvent forcé d'aller contre ce bon sens qui lui dicterait de prendre le temps de guérir convenablement. Alice est jeune, tant qu'elle est entièrement dépendante de son père. Il faut donc que ce dernier puisse se montrer capable de s'occuper seul de sa fille pour qu'elle n'ait pas à pâtir de son état de faiblesse causé par ses récentes blessures.
Chad épargne le chasseur en se saisissant de la peluche que la petite blonde était venue lui montrer. L'architecte installe l'enfant sur la chaise haute, lui passe un bavoir autour du cou. La gamine sociable par nature se laisse faire et même distraire par un simple toast couvert de beurre. Tobias prend à son tour place autour de cette table élégamment dressée lorsqu'on l'y invite. Serein, sachant au fond de lui que le danger et la mort ne viendront pas les trouver dans cet endroit, il se permet de sourire. User d'une expression dénuée de peur ne lui ait pas aisé. En une semaine il est parvenu à oublier tout de ces codes sociaux qu'il avait tant peiné à accepter puis adopter. Fort heureusement Chad ne semble pas s'offusquer de ces maladresses dont le chasseur fait en cet instant démonstration. Le loup se contente de lui proposer un verre, et c'est sans surprise que Tobias choisit une bouteille d'un excellent whisky dont il est devenu friand depuis qu'il vit dans cette ville.
Avant Beacon Hills le chasseur ne cherchait qu'ivresse et oubli dans ces flacons. Mais depuis qu'il est entré dans le bar d'Alessandro il a apprit à renouer avec la notion de plaisir. Le professeur se sert de sa main droite qui bien vite se meut en serre autour de ce verre remplit d'un liquide coloré dont les nuances rappellent un métal qui a su rendre fous bien des hommes. Doucement il laisse glisser une lampée d'ambre dans sa bouche, s'enivre de ses effluves puissantes lorsqu'elles passent dans sa gorge. L'instant présent est doux, si tendre après ces journées et nuits passées enclavé dans une terreur complète.
Alice vide son verre en usant d'une promptitude qui se marie à merveille avec celle dont fait preuve son père lorsqu'il est dans un mauvais jour. Ces journées où il lui semble que son monde s'effondre autour de lui, que tout ne devient que défi. Des soirs où ses mains tremblent plus qu'à l'accoutumée. Des soirées qu'il termine seul dans son bureau, le nez penché au dessus d'une pile de copies lorsque sa fille dort enfin.
Le silence se fait roi, à peine émoustillé par les babillages d'Alice qui se plaît dans ce lieu qui lui était inconnu jusqu'à ce jour. L'enfant apprécie visiblement la présence de Chad et n'a mit que très peu de temps avant de parvenir à adopter ce dernier. À un an on rencontre moins de difficultés à se faire de nouveaux amis que lorsque l'on en a bientôt quarante-cinq.
Les verres se vident, celui du professeur se remplit à nouveau lorsque leur hôte le lui propose. Chad s'éclipse en direction de la cuisine. De la musique classique se fait soudainement entendre, Alice s'amuse avec sa timbale désormais vide. Elle agite l'objet quelques instants, puis bien vite le tend à son papa pour être une nouvelle fois servie.
-Papa. Aly soif !
Le professeur se redresse pour mieux se saisir de la carafe d'eau. Il remplit la timbale sans passer par la case sirop. C'est sans surprise que la jeune fille montre sa désapprobation en jetant l'objet au sol. Mine pincée le père de l'enfant regarde ce désastre. En effet la timbale du jeune Ian semble être faite pour résister à tout mais aussi à n'importe quoi.
-Alors ça jeune fille... Ce n'est pas très gentil. -Papa pas gentil ! -Hey !
Le chasseur se lève pour ramasser l'objet. Il grogne pour la forme lorsqu'il doit courber sa grande carcasse pour mieux attraper la timbale, en fourre l'embout entre ses lèvres pour nettoyer ce qui ne semble pas avoir eu les temps de se salir. De douces fragrances promesses de délices lui parviennent. En se redressant il en profite pour déposer un doux baiser dans les cheveux blonds de sa princesse. L'enfant remue. S'esclaffe lorsque son père insiste pour faire durer cette cajolerie. Tobias regagne finalement sa place, désignant son verre puis celui de sa fille.
-Papa est très gentil. C'est pour ça que j'ai le droit à autre chose que de l'eau ma chère.
Chad ne met que très peu de temps à refaire son apparition, une poêle dans une main et une saucière dans l'autre. L'odeur de ce futur repas est exquise.
-Absolument pas. -Chad, donner !
Alice ne perd pas le nord et ne quitte pas son nouvel ami des yeux tandis que ce dernier remplit l'assiette en plastique qu'elle vient de lui tendre avec insistance.
-La gourmandise est un joli défaut.
Le professeur jongle avec sa main valide et ses deux couverts. Il parvient sans trop de mal à faire passer une première noix habillée de sauce de son assiette à sa bouche. Alice préfère comme à l'habitude ses mains à sa cuillère. Silencieux, trop peut être, le professeur savoure cet instant. Il opine du chef pour faire comprendre que le choix du vin n'est pas un soucis. Le rouge est éclatant, sirupeux et dénué d'aigreur. Un délice. Son verre à peine vidé se retrouve à nouveau remplit par Chad. Un, deux, trois... Bientôt trop à ce rythme. Si le britannique pourrait s'en inquiéter, songer au fait qu'il doive ramener sa fille et la voiture à leur domicile un peu plus tard dans l'après-midi il n'en est rien en cet instant. C'est en faisant preuve d'un naturel des plus sincères qu'il répond à l'architecte.
-C'est parfait. Tout est parfait.
La musique, cette brise légère, le vin qui lui monte doucement à la tête, ce repas si différent des coquillettes au cheddar mangées la veille, Chad et la retenue dont fait preuve ce dernier. Tobias soupire son aise, un sourire apaisé aux lèvres. Son regard sombre pétille sans qu'il n'en soit réellement conscient. D'un coin de serviette crème il essuie la sauce qui vient de se déposer sur les commissures de ses lèvres.
-Vous êtes un homme plein de surprises. Votre présence est reposante. Et Alice n'a mit que peu de temps à vous adopter. Un jour il faudra que vous veniez manger à l'appartement.
Tobias n'est pas excellent cuisinier et se contente de reproduire des recettes qui ont bercé son enfance. L'anglais aime les plats riches, apprécie le fait de saucer avec un morceau de pain pour ne rien louper de son souper. Les tartes et les cookies qu'il prépare sont parfois un peu trop sucrés, mais c'est ainsi qu'il savoure ces moments. Le sucre, un vice enfantin qu'il a su garder en grandissant. Une de ces rares choses que quinze années de déchéance n'ont pas pu lui dérober, et ce malgré tout les efforts de Gabriel pour étouffer toute trace d'humanité chez celui qu'il osait appeler un ami mais qui n'était finalement rien de plus que son chien de chasse. Fidèle et sans réel libre arbitre. Mais tout dresseur, aussi bon puisse t-il être risque de finir mordu un jour.
Les assiettes se vident, bientôt ne reste plus rien de cette entrée fabuleuse. Chad s'éclipse pour aller chercher le prochain délice et cette fois c'est Tobias lui même qui remplit son propre verre ainsi que celui de son hôte. Tout en raclant le fond de sauce qu'Alice n'a pas voulu toucher, le chasseur se dresse.
-Si vous avez besoin d'aide n'hésitez pas à me faire signe Chad.
Sa proposition sonne dans le vent. En effet l'architecte est déjà en train de les rejoindre. Un large dôme de purée de ce qui semble être de la pomme de terre et de la volaille prennent la place laissée libre par les précédents plats. Le sourire du professeur grandit encore un peu plus tandis qu'Alice tend une nouvelle fois son assiette au loup. L'esprit moins vif qu'à l'accoutumée et rendu allègre suite à cette accumulation de bonnes choses, le chasseur se lève et amorce un pas chaloupé. Il tire vers lui la chaise de sa fille, l'approche pour mieux pouvoir l'aider à manger.
-Nous ne sortons pas beaucoup, voir plus du tout. Si je la laisse faire je vais avoir du mal à retrouver ma petite fille derrière la purée qu'elle va se tartiner sur le visage. Je suis un père laxiste, le futur nous dira si c'est une bonne chose. C'était déjà le cas avec Charles. Si Mary était encore là, je pense que nous aurions eu une famille nombreuse. J'aime la présence des enfants. Ils ne vous jugent pas, ne mettent pas d'arrières pensées derrières leurs actes. Une qualité qui se perd lorsque l'on prend de l'âge.
Tobias se fige, saisissant que ses paroles pourraient sembler accusatrices. Chad les a invités pour tromper sa propre solitude, il ne s'en est d'ailleurs pas caché. Faisant alors preuve d'une qualité que l'anglais apprécie : La franchise. Se sentant pousser des ailes le tueur avoue sans honte ses derniers péchés. Une sombre histoire d'envie, de luxure et finalement de gourmandise.
-J'ai croisé un charmant manipulateur, un comédien formidable il y a une semaine. Il m'a troublé et a titillé des instincts primaires chez moi. Mais si mes idées étaient purement licencieuses ce n'était pas son cas. Mais je vais régler tout ça. Il marche, vit et peut donc mourir à un moment ou un autre. Le plus tôt sera le mieux.
- Vous êtes un homme plein de surprises. Votre présence est reposante. Et Alice n'a mis que peu de temps à vous adopter. Un jour, il faudra que vous veniez manger à l'appartement. - « Ne jamais dévoiler toutes ses cartes », c’est l’adage que mon père adoptif m’a enseigné. Et je viendrai avec plaisir. J’ai un caractère conciliant, la petite princesse ne s’y trompe pas.
Elle pourra me mener à la baguette comme elle le fait déjà avec son papa. Les enfants sont fortiches pour deviner ce qu’ils peuvent obtenir ou pas d’un adulte.
(…)
La viande de pintade semble convenir à Alice et à ses petites dents pas encore tout au complet. Je n’aurais donc pas à sortir le jambon. Rasséréné par un environnement sécuritaire, je sens le professeur se relaxer, ses muscles se détendre. Il se doute qu’avec un lycan à ses côtés, l’alerte en cas de danger sera donnée bien plus tôt que si j’avais été un simple humain. Je l’écoute s’épancher sur des sujets un peu personnels comme l’éducation laxiste qu’il offre à sa fille. Il a perdu un fils en bas âge. Qui pourrait lui reprocher de se refuser à entrer en conflit éducatif avec cette seconde chance que lui offre la vie en la présence d’Alice ? Beaucoup feront le raccourci facile avec la différence d’âge et ne verront, dans la relation du professeur avec sa fille, que celle d’un grand-père et sa petite fille. De toute manière, je pense que Tobias se contrefout de ce que pensent les autres.
Il me parle d’une vie hypothétique, celle qu’il aurait eue s’il n’avait pas croisé le monde du surnaturel. Cela me renvoie à ma propre histoire. Je ne serais jamais venu à Beacon Hills, si je n’avais pas emmené ma sœur faire ce shooting photo dans les ruelles de Boston. Je ne saurais rien de ma réelle ascendance, quoique… Il serait bien arrivé un jour où j’aurais eu besoin de mon acte de naissance pour quelques formalités que ce soit. Emy serait en vie.
Le professeur enchaîne sur le non-jugement des enfants. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec lui. Pour le vivre avec Ian, je sais que les enfants jugent le comportement des adultes qui les entourent. Ils ne le verbalisent pas de façon claire, mais j’ai compris que Ian est déçu de ne plus voir Mick et qu’il garde un sentiment d’abandon vis-à-vis de sa mère. Ian va oublier. Il ne gardera que ce qu’on lui répétera plus tard.
Un ami psychologue de mes parents avait fait un exposé intéressant à la fin de l’un de ces repas dans lesquels mes parents nous traînaient, ma sœur et moi. Pas question de nous faire garder par une nounou comme les enfants de leurs amis. Pour Stephen et Pricillia Wilder, il n’y a pas d’âge pour apprendre. Nous étions toujours les seuls enfants lors de ces dîners avec l’élite bostonienne, contraints à rester sages et stoïques, écoutant les adultes parler de sujets qui nous dépassaient. Emy avait plus de mal que moi à supporter ces épreuves. Au début, je m’évadais dans ma tête, puis quand j’ai été en âge de comprendre et saisir les nuances des conversations, j’écoutais. J’avais été effaré d’apprendre par ce psychologue que tous nos souvenirs entre notre naissance et nos trois ans ne sont que des souvenirs de seconde main. Des propos rapportés par notre entourage, les albums photo, les vidéos familiales. Il avait raconté une histoire où il était intervenu en tant qu’expert dans un tribunal :
Un enfant de deux ans volé à sa mère célibataire par une femme qui avait perdu le sien dans un accident sordide. La mère de substitution avait au départ pris soin de ressembler à la mère biologique, et de recréer la chambre de l’enfant dans les moindres détails. Des albums photo retouchés, de « vrai faux papiers », jusqu’aux comptines que la vraie mère égrainait chaque soir à son bébé. L’enfant avait bien été perturbé au départ, dit qu’il voulait sa vraie maman, mais personne ne l’a cru. La substitution était passée inaperçue pour les voisins qui avaient gobé les longues vacances de la voleuse de bébé chez une vague tante. L’enfant décédé n’étant pas scolarisé, personne n’avait vraiment retenu les traits de son visage. Le rapt fut découvert fortuitement à l’occasion d’une analyse génétique faite automatiquement pour une insuffisance rénale de l’enfant et en prévision d’une transplantation d’organe. Le croisement des données avait montré que la mère déclarée n’avait aucun lien de sang avec son enfant. L’hôpital avait remonté l’anomalie à la police qui n’avait pas tardé à retrouver la vraie mère, qui pour les besoins de l’enquête avait donné ses caractéristiques ADN. Seulement, il était trop tard. L’enfant avait huit ans, il portait le prénom d’un autre et n’avait plus aucun souvenir de sa mère biologique. Pour lui, sa mère était celle qui l’avait élevé avec amour et tendresse, pas cette femme devenue dépressive après le rapt de son enfant.
Je regarde Alice qui somnole sur sa chaise, le ventre repu. Il n’y a pas que la fille dont l’attention est émoussée. Le professeur s’est laissé piéger par le bon repas et le vin si rond en bouche qu’il passe tout seul.
- J'ai croisé un charmant manipulateur, un comédien formidable il y a une semaine. Il m'a troublé et a titillé des instincts primaires chez moi. Mais si mes idées étaient purement licencieuses, ce n'était pas son cas. Mais je vais régler tout ça. Il marche, vit et peut donc mourir à un moment ou un autre. Le plus tôt sera le mieux. - Nous faisons tous des erreurs d’appréciation.
Un jour, cela peut devenir fatal. Je débarrasse la table à nouveau. Le bien-être évident de mes invités est agréable à constater. Cette maison s’habille d’un peu de présence amicale. Je ne suis guère un bavard et cela ne semble pas froisser le Britannique. Je reviens avec ma charlotte poire chocolat démoulée sans trop de difficulté et les biscuits en forme d’animaux.
- Gâteau !
Alice tend la main par gourmandise, mais je crois qu’elle n’a plus réellement faim. Je lui donne un biscuit en forme d’éléphant et remplis à nouveau son gobelet.
- Thé ou café ?
Je repars en cuisine lancer la commande. Quand je reviens sur la terrasse, je me suis permis d’apporter le sac à langer de la demoiselle. Le père ne le sent pas encore, mais un changement de couche s’impose.
- Vous permettez que je change Alice ? Pendant ce temps vous nous servez le dessert ?
Sa main valide devrait s’en sortir, mieux que pour la tâche pour laquelle je propose mon aide. L’accord paternel acquis, j’installe ce qui se doit en bout-de-table puis extirpe l’enfant de sa chaise. Un nouveau biscuit pour l’occuper, je m’attelle à la couche. Généralement, je laissais ce soin à Mick quand j’avais senti venir la grosse commission dans les culottes de Ian. Mon ex n’était pas dupe et il avait su fuir au moment opportun. C’est une Alice propre, avec une couche ajustée que je pose sur le sol. Je rapproche un transat de la chaise de son père. La petite comprend et grimpe dessus pour s’allonger, le pouce dans la bouche, le biscuit toujours serré dans l’autre. Je me rassis à ma place, devant une assiette copieusement servie en charlotte.
- Si vous avez besoin que quelqu’un couvre vos arrières quand vous vous occuperez de votre manipulateur…
Chad débarrasse la table sans perdre de temps tandis que déjà Alice somnole dans sa chaise haute. Repue et bouche entrouverte la petite fille se moque de la présence des adultes, se contentant de tendre la main pour récupérer son loup en peluche que Chad avait abandonné hors de portée des mains de la jeune fille avant que le repas ne débute. Trop épuisée pour quémander en usant de plus de virulence l'enfant agite la main une dernière fois, lasse, avant de finalement s'affaler un peu plus sur sa chaise.
Cette fatigue assommante ne dure pourtant pas. L'enfant se redresse et s'agite lorsque son nouvel ami armé de pâtisseries refait son apparition.
-Gâteau !
Alice tend la main vers l'assiette de sablés aux formes animalières, son père mire de son côté cette appétissante charlotte que Chad a prit le soin de préparer pour leur venue. L'esprit flottant dans une quiétude causée par ce sentiment de sécurité que lui inspire cette demeure et ce repas arrosé d'un vin qui a su se faire trop bon pour le bien être de son foie, le chasseur abat une à une les barrières qu'il a mit tant d'années à ériger. Des murs faits de craintes et de rancœur, des remparts qui n'ont qu'un but : Le protéger du mal que pourraient lui causer les autres. Ces gens, similaires à ce qu'il est lui même sur un point purement anatomiques. Mais également si différents. Cette différence est effrayante. C'est sur cette donnée que reposent les fondements de cette peur qui empêche le professeur de faire usage d'une intelligence sociale qui lui fait défaut.
Si aux yeux de certains de ces congénères il est quelqu'un de bien, cet avis n'est partagé que par peu de personnes. Le chasseur peine parfois à différencier ces deux notions : le bien et le mal. Il ignore encore quel sens mettait Mafdet derrière ces paroles le jour où elle les a prononcées. A-t-elle réellement connaissance de ce qu'est ce bien dont on ne cesse de leur vanter les mérites ? Un chemin qui les mènerait au jardin d'Eden selon tout ces prêcheurs qui ne cessent de lécher les fesses de ce dieu qui laisse mourir des innocents et qui demande à Noë de sacrifier ceux qu'il s'était evertué à vouloir préserver. C'est avec un sourire hésitant rivé aux lèvres que le tueur répond à son hôte en allant à contre-courant de ces clichés à la dent parfois dure qui vont de paire avec sa nationalité.
-Un café.
Avec trois sucres, mais il se doute que l'architecte saura penser à emmener avec lui le nécessaire. Chad semble avoir songé à tout. Le loup ne tarde pas à refaire son apparition avec le sac à langer de la petite Alice qui bave sereinement sur son éléphant en pâte sablée. L'odorat des loups est plus performant que celui dont est doté un simple humain. Même si dans ce cas précis l'humain à un véritable obélisque en guise d'appendice nasal. C'est en usant d'un mot d'esprit souhaité léger que le père de la petite fille donne une autorisation qu'il ne saurait refuser.
-Je ne vais certainement pas vous empêcher de vous porter volontaire pour...ça.
Un illuminé a un jour dit que les couches de nos enfants n'avaient que peu d'odeur. Cette personne avait dû sniffer trop de lait en poudre et cela a finit par lui ravager la cervelle.
Presque religieusement, le professeur découpe de larges tranches de gâteau pour ensuite les disposer dans les assiettes sorties pour cet usage. Le regard brillant de gourmandise et d'ivresse Tobias remplit par la suite le verre de son hôte ainsi que le sien de ce rouge sirupeux dont il ne reste bientôt plus une goutte dans la carafe. Alice prend place seule sur un transat installé aux pieds de son père. Pouce collé dans la bouche et biscuit serré dans une de ses petites mains l'enfant se laisse ainsi partir dans un sommeil réparateur. La nouveauté et l'excitation causée par cette dernière ont su épuiser la petite fille. Tobias tend à sa fille son italien en peluche, le pouce étant alors rapidement remplacé par un museau poisseux de salive. La proposition qui se fait soudainement entendre fait alors fléchir le cœur du britannique.
Le chasseur se tend tout en serrant les dents malgré lui.
-Chad...
La suite est évidente mais cela n'empêche pas cette dernière de demeurer un long instant coincée dans la gorge du professeur. Du bout de sa cuillère il prélève un peu de la douceur présente devant lui, savoure ce sucre qui adoucit ses troubles et éveille ses papilles. Le temps qu'il gagne de cette manière lui permet de s'offrir le luxe d'une longue réflexion. C'est en usant d'un ton de voix moins désabusé que Tobias reprend tandis que les paupières d'Alice se closent pour une heure ou deux.
-Chad. Je vous dois déjà un service. Une dette dont je ne suis même pas certain de pouvoir m'acquitter un jour.
Il espère même ne pas voir un jour cette occasion se présenter. Cela signifierait que le loup serait en danger de mort, un sort que le chasseur ne peut décemment pas souhaiter à celui qui aujourd'hui prend un rôle particulier. Celui d'une présence amicale, rassurante. Malone ne sera pas compliqué à mettre à mort, les wendigos même s'ils savent se montrer coriace pour celui qui ne connaît rien de la méthode à suivre pour les abattre ne sont pas plus résistants qu'un autre surnaturel. Hormis sa fourberie naturelle l'anthropophage n'est pas plus dur à tuer qu'un loup. Une balle en argent fichée entre les perles d'eau qui servent de prunelles à cette chose suffira à faire le job.
-Il m'a humilié, m'a prit par surprise. Le poignet brisé n'est que la partie visible de l'iceberg. Je ne suis encore en vie que parce que cette chose a bien voulu m'épargner. Il aime les supplications. En refusant de me prêter à cet exercice et en luttant jusqu'au bout j'ai visiblement fait débloquer son esprit malade. Si cette enflure ne m'a pas b...
Le chasseur se fige. Inspire tout en tâchant d'oublier les tremblements qui traversent son être. La peur n'est plus qu'un souvenir et c'est là uniquement la colère qui fait vibrer l'âme du chasseur. Tobias inspire profondément, cherche malgré lui à réfréner cette émotion qui ne donne jamais naissance à de bonnes choses.
-Je vais tuer ce salopard. Une balle dans sa tête suffira à faire mon bonheur. Je ne vais même pas prendre le risque de jouer au tortionnaire sadique. Si vous voulez m'aider, vous pourrez surveiller Alice durant mon absence. Si je reviens, c'est que j'ai vaincu. Sinon...
Une boule prend forme dans la gorge du britannique. La suite est plus ardue à annoncer. Car elle n'est rien de plus que le sinistre aveu d'un échec qu'il se refuse à imaginer.
-Si je ne reviens pas, il faudra cacher Alice. Prévenir Alessandro. Et vous munir de balles en argent. Il me tient sous son joug en menaçant de me garder en vie tout en tuant mes proches sous mes yeux à la moindre dérive de ma part. Le chasseur que j'étais est devenu sa proie et je trouve ça intolérable.
- Je ne vais certainement pas vous empêcher de vous porter volontaire pour...ça.
J’offre un sourire en coin à mon invité. C’est mon éducation qui me pousse à cette offre, car le fumet qui émane de la petite fille est bien plus puissant pour moi qu’à son père.
(…)
- Chad...
Ma proposition touche le professeur. À la place d’un grand discours, je me contente d’un clin d’œil. C’est son moment à se coller dans de sales histoires, le mien arrivera bien assez tôt, ou jamais. Toutefois, la vie m’a appris qu’elle n’est qu’une roue qui tourne. Je ne doute pas qu’un jour, le professeur pourra me rendre service.
L’après-midi s’égrène dans un moment paisible sur la terrasse. Les rayons du soleil sont tamisés par une brume de chaleur et de poussière qui montent de la vallée teintant d’un filtre orangé le paysage qui s’offre à nos yeux.
J’ai changé le style de musique pour de la pop que j’ai mise en sourdine. Alice s’offre une sieste longue et profonde. Preuve que la petite était stressée de l’isolement dans lequel son père l’a maintenu depuis sa mésaventure. La table débarrassée, la vaisselle qui se lave dans l’appareil de la cuisine, je n’ai laissé que l’assiette de biscuit, la timbale d’Alice et deux bouteilles tentatrices. Un whisky et une liqueur d’orange.
La quiétude de l’endroit plonge le professeur dans une langueur béate. Nous parlons du dernier livre qui occupe ma table de nuit. J’écoute ses propositions de lecture, puis nous débattons des livres que nous avons lus. Ma mère nous avait imposé à ma sœur et moi tous les classiques anglais et américains. La base de toute bonne éducation. Étrange combien citer Dickens à propos peut déstabiliser votre interlocuteur et vous faire gagner des points. Dans un milieu où l’on tire à mots mouchetés, il est essentiel d’avoir des munitions et donc une excellente culture générale. C’est ce que je retrouve avec le professeur, sans la perfidie qui suintait dans les salons bostoniens.
Alice remue et se réveille un peu grognon. Je guette les mouvements de son père. Une première tentative pour se lever, l’horizon qui bascule, l’alcool a réussi son forfait, moi aussi. Tobias n’est pas dupe de mon sourire franc et chaleureux.
- Il sera tard quand vous serez en état de conduire. La chambre d’amis est prête avec le lit de Ian. L’armoire regorge de vêtements de nuit ou de détente que mon père laisse là à demeure. Vous avez la même carrure, Il est juste légèrement plus petit.
J’attrape Alice qui serre son loup et tète son pouce. Elle se laisse faire quand je la pose sur les genoux de son père qui avait migré avec moi sur l’un des transats.
- J’ai prévu un buffet froid pour ce soir. Ils annoncent une chaleur qui traîne un peu.
Je n’ai pas honte de dévoiler mon jeu. J’ai simplement travaillé sur une faiblesse connue du professeur pour réussir mon forfait et le garder pour la nuit à la maison. Son aspect m’avait choqué la veille. Il émanait de lui une détresse profonde. Connaissant l’homme, je savais que j’aurais besoin d’un subterfuge pour le faire rester.
Alice, enfin réveillée, se redresse, presse l’intimité de son père qui se tend. Inconsciente de ce qu’elle fait subir à celui qui l’élève, la petite descend du transat et décide de me suivre à l’intérieur à quatre pattes.
- Chad ! Jouer ! - Avec les peluches ou aux voitures ? Ian a un garage.
Je soulève l’enfant pour lui épargner l’effort de me suivre dans la pièce de jeu. Dans mon dos, j’entends le professeur se lever lentement. Alice bat des mains quand elle voit les jouets. Je la pose par terre. Elle m’attrape la main, bien décidée à ce que je joue avec elle.
- Elle est plus malicieuse que Ian. Moins timide aussi ! Dis-je au professeur qui s’encadre dans la porte.
Ce paisible instant suffit à faire fléchir les unes après les autres les barrières que le professeur a su ériger entre lui et ce monde qui le terrifie depuis des années. Alice dort du sommeil du juste, vraisemblablement épuisée par le train de vie que lui impose son père depuis une semaine. Sa joie d'avoir pu quitter leur appartement et toute l'excitation née de cette visite rendue à Chad se paie en prenant la forme d'une longue sieste réparatrice. La table débarrassée, ne reste plus qu'à disposition deux bouteilles au contenu tentateur et l'assiette de biscuits préparés par l'architecte. Tobias inspire profondément, son regard noir égaillé par la flamme de l'ivresse en devenir se déposant sur ce spectacle majestueux que leur offre la nature.
La demeure de leur hôte est exceptionnelle et montre à ceux qui oseraient s'aventurer dans cette partie des bois l'étendue des talents du jeune homme. La discussion est aisée entre les deux hommes, les sujets variant naturellement. Ils échangent des avis, des conseils de lecture. Chad est un homme cultivé et cela ravit le chasseur qui doucement se laisse aller et ose se remplir un nouveau verre, puis un autre. La tête lui tourne et la quiétude se meut en allégresse. Sur les lèvres de l'anglais s'affiche une expression de bonheur non feinte. Un sourire apaisé. Les minutes passent, deviennent des heures. C'est l'éveil de sa princesse qui fait se redresser Tobias. Alice grogne, peu amène de s'éveiller sans reconnaître immédiatement le lieu dans lequel elle se trouve. Le britannique souffle lourdement et pose sa main valide sur l'accoudoir du transat dans lequel il était confortablement installé.
Un doux vertige le prend lorsqu'il tente de se lever. Le monde tangue autour de lui, tant qu'il doit fermer les yeux un bref instant pour parvenir à reprendre pied et renouer avec une réalité qui se montre capricieuse. Une expression surprise lui échappe. Lorsque son regard nuit se dépose à nouveau sur le monde qui l'entoure la première chose qu'il perçoit est le sourire avenant de son hôte. Saisissant qu'il est allé se jeter lui même dans le piège tendu par le loup et cela sans s'inquiéter des conséquences que cela pourrait avoir sur sa condition, le chasseur offre alors un sourire piteux à Chad. Tobias Rapier vient de se faire avoir comme un bleu, l'architecte n'ayant eu aucun mal à se servir d'une des faiblesses les plus connues du professeur pour lui imposer de rester pour la nuit. Il est certain que Tobias n'est pas en état de prendre sa voiture, pas avec Alice à son bord en tout cas. Pas avec sa fille dans sa vie. S'il fut une époque pas si lointaine où son ivresse ne l'aurait en rien empêché de conduire ce temps est à présent révolu.
Celui qui avait affirmé quelques mois plus tôt à Chad ne rien avoir à perdre ne peut plus se permettre de jouer les trompe-la-mort. Les conséquences funestes que pourraient impliquer une nouvelle erreur du chasseur gâcheraient une vie qu'il considère comme étant bien plus importante que la sienne. Sans prononcer un mot l'homme tend alors les bras pour récupérer son enfant. Alice se love contre le ventre de son père, inconsciente des souffrances que font naître cette position chez celui qui a failli finir éventré quelques jours plus tôt. Solides malgré leur irrégularité les points faits par Malone tiennent le coup.
-Vous aviez tout calculé. Il faut dire que je suis un homme prévisible. Et plus naïf qu'il n'y paraît.
Un défaut qui lui a déjà joué des nombreux tours par le passé. Alice remue, cette fois tout à fait réveillée. Tobias se tend et son expression de douceur se meut en grimace lorsque sa petite s'appuie sur un endroit qui n'est pas fait pour subir ce type de pression. Se mordant l'intérieur de la joue pour ne pas râler son soudain inconfort l'homme de lettres tend le bras pour assurer sa fille lorsque cette dernière rejoint le sol. Il ne faut que peu de temps à la petite fille pour que cette dernière ne se mette à suivre son nouvel ami. Chad promet une alléchante partie de jeu à Alice. Doucement et sans forcer, Tobias tente une nouvelle fois de se lever et parvient non sans mal à transformer l'essai. En voulant réduire sa consommation excessive d'alcool depuis maintenant plus d'un an, l'anglais a perdu ce qui était autrefois des automatismes bien rodés. Certes il boit toujours trop pour son bien mais il s'évertue à prendre le contrôle sur cette addiction pour qu'elle ne puisse plus régir sa vie.
Pieds nus, l'homme ignore avec superbe ses chaussures noires à la semelle sang qu'il a ôté plus tôt dans l'après midi. En douceur il quitte la terrasse et progresse à l'intérieur de la maison pour rejoindre les deux autres larrons. Pour éviter d'être un édifice instable, le professeur s'appuie contre l'encadrement de la porte qui mène à la pièce de jeux. Alice et Chad jouent aux petites voitures.
-Il faut dire que nous sortons beaucoup en temps normal. J'ai réussi à négocier un quatre-vingt pourcent à l'université. Nous allons voir des poneys un samedi sur deux, Alice passe de bras en bras au Pink Print depuis qu'elle est avec moi. C'est presque devenue la mascotte de cet endroit. Je ne suis pas le plus sociable des hommes et je veux éviter de transmettre ce qui peut ressembler à une tare à ma princesse.
Tobias amorce un pas vers le tapis couvert de jouets en tout genre, puis un autre. Tout en s'aidant du mur, il se penche puis se laisse aller à une position plus inconfortable qu'il n'y paraît. Assit en tailleur et incertain de savoir se relever sans aide le littéraire tend une main vers une voiture rouge rutilante. Alice lui dérobe avant qu'il n'ait pu y avoir accès et lui refile un autobus jaune à la carrosserie de plastique mâchouillée. Le chasseur fronce le nez, ses quelques neurones encore en état de marche se mettant à tourner puis vriller pour trouver une quelconque logique derrière l'état du jouet. Il bafouille sa surprise.
-Oh.. Je n'imaginais pas que les crocs pouvaient faire leur apparition aussi rapidement. Quel âge a Ian ?
Chad annonce alors que le petit garçon affiche au compteur quelques années de plus qu'Alice qui fêtera bientôt son premier anniversaire. Précisant par la suite que Ian a l'air plus âgé qu'il ne l'est réellement sans donner plus d'informations au professeur. Satisfait de cette réponse Tobias sourit et fait glisser le bus jaune sur le sol. Près de lui Alice ne dissimule rien de son plaisir.
-Vroum vroum bella macchina rossa !
Tobias serre les dents pour ne pas éclater de rire. Précisant rapidement qu'il est naturel d'entendre l'enfant s'exprimer de cette manière.
-Son parrain lui apprend des bêtises... Et l'italien.
Le chasseur joue avec sa fille, songe au fait que cette nuit qui approche ils ne la passeront pas dans un lieu dont l'adresse est connue d'un wendigo qui lui a promit de tout lui prendre s'il venait à fauter en divulguant ce qui s'est passé dans ce loft qui a bien vite prit des airs de scène de film d'horreur. Cette idée suffit à rassurer le professeur qui ne tient pas rigueur à Chad de ses agissements. Dans le coffre de la beline du chasseur dorment de nombreuses armes côtoyées par un sac qu'il a toujours avec lui pour pallier à un imprévu qui demanderait à ce qu'il laisse la garde de sa fille chérie à sa tante. Ils ne sont donc pas démunis pour la nuit.
Le professeur dépose son regard sur Chad, sa bouche s'ouvre tandis que vient son tour de faire une proposition.
-Alice va bientôt fêter son premier anniversaire. Lorsque tout cela sera terminé. Quelque chose de simple au centre équestre de la ville. Il y aura un autre petit garçon qui est gardé par la même nourrice, une collègue et sa fille de deux ans. Vous pourriez venir avec Ian si vous le désirez.
Alice a choisi les voitures. Un cortège de ces modèles réduits bouchonnent devant l’entrée de la rampe du garage. Je pousse des vroum vroum vite imité par la fillette. Le professeur s’étend sur les activités qu’il organise en temps ordinaire pour Alice. Parle du statut de sa fille dans le bar d’Alessandro. Je dois reconnaître ça à l’Italien, il gère son bar comme une affaire de famille. J’étais allé au Pink Print plusieurs fois avec les étudiants de ma promo au débit de mon installation à Beacon Hills. C’était encore l’ancien gérant qui tenait l’affaire, et je me souviens bien que le personnel était bien moins enjoué que maintenant.
Alice a compris que c’est plus drôle de mettre les voitures directement au dernier étage du garage et de les laisser rouler sur la rampe. J’accompagne ses gestes, corrige discrètement ses maladresses pour qu’une file de voitures dévalent la pente de plastique rouge pour ensuite filer sur le parquet. Du coin de l’œil, je surveille le professeur qui peine à simplement s’asseoir sur le tapis de jeu. L’homme est fier, je lui ai déjà dévoilé mon jeu pour le garder au moins une nuit à la maison. Je sais que je ne dois pas pousser mon avantage, même si c’est pour lui éviter quelques douleurs. Il a baissé la garde avec moi, pourtant je ne tiens rien pour acquis. Puis, ce formalisme social me convient. Faire les choses dans l’ordre. Prendre son temps à mieux se connaître pour mieux s’apprécier. Et du temps, j’en ai à revendre en dehors de mes heures de travail. Étant à mon compte, je m’impose bien les horaires que je veux. J’ai déjà prévu de travailler quand mes invités seront couchés.
-Oh. Je n'imaginais pas que les crocs pouvaient faire leur apparition aussi rapidement. Quel âge a Ian ?
Je regarde le bus que tient Tobias. Le jouet a fait les frais des émotions de Ian.
- Trois ans, mais il en paraît presque quatre. Je ne parle pas par expérience puisque j’ai été mordu, mais Ian possède un arbre généalogique fort du côté de ses deux parents. Son aura de loup est solaire.
J’imagine qu’adulte il sera comme Talia Hale. Je ne l’ai jamais connu, puisque Derek a perdu sa mère adolescent. Mais Ruby l’évoquait toujours avec beaucoup d’admiration, que je me fais de cette femme l’image de l’alpha parfait. Ian se remet de la disparition de sa mère. Peter et Derek sont aux petits soins pour lui tout en lui donnant une éducation plutôt stricte si on compare aux enfants de son âge. Une éducation comme celle que j’ai reçu, les mondanités en moins.
- Vroum vroum bella macchina rossa !
L’exclamation impromptue d’Alice me fait éclater de rire. Je me mords la joue en constatant que le professeur se retient de son côté. L’hilarité n’est pas compatible avec son état de santé actuel. L’intonation est là, j’ai l’impression d’entendre Alessandro.
- Son parrain lui apprend des bêtises... Et l'italien. - Cela promet !
J’ai vu Alice faire la tournée des bras au Pink Print et le naturel qu’avait l’Italien à la tenir contre son torse. Alessandro est un hors-la-loi et pourtant il possède plus de principes que pas mal de gens honnêtes ou soi-disant l’être.
L’enfant s’amuse, nous passe des jouets, va-et-vient entre son père et moi. Leur présence à tous les deux me fait du bien. Ils me sortent de ma morosité. La mission que m’a confiée Alessandro pour s’assurer que son ami allait bien se transforme en autre chose : la rencontre de deux solitudes.
Regarder le professeur jouer avec sa fille me montre combien j’étais dans l’erreur quand je voulais exterminer tous les chasseurs. Chaque personne est unique et les jugements hâtifs si vite établis.
- Alice va bientôt fêter son premier anniversaire. Lorsque tout cela sera terminé. Quelque chose de simple au centre équestre de la ville. Il y aura un autre petit garçon qui est gardé par la même nourrice, une collègue et sa fille de deux ans. Vous pourriez venir avec Ian si vous le désirez. - Oh ! C’est gentil. Il faut demander à Peter. Ne le répétez pas, mais il est aussi papa poule que vous !
Ils se connaissent, des collègues qui enseignent la même matière. De la bouche de Mafdet, Peter ne supporterait que Tobias en collègue et que la réciproque, soit aussi exact. Il y a des chances pour que le père de Ian accepte.
- Je propose de vous installer dans la chambre d’amis. Comme ça on montre les lieux à Alice avant que ça soit l’heure de dormir.
Le professeur me laisse entendre qu’il a des affaires pour sa fille toujours prête dans le coffre de sa voiture. C’est un homme prévoyant. J’offre mon aide et ma main pour l’aider à se redresser. Le changement de position est douloureux. Je n’ai pas besoin de le vouloir que mes veines noircissent, charriant la douleur et le mal du professeur.
- Désolé. C’était indépendant de ma volonté.
Je retire ma main prestement quand je suis assuré de l’équilibre du professeur, puis me dit qu’il peut mal interpréter mon geste.
- Pas que cela me gêne, au contraire ! Je ne veux simplement pas m’imposer. Cela vous permettrait de guérir plus rapidement. Je propose, vous disposez.
(…)
Alice se met debout en s’agrippant au lit pliant que j’ai rapproché du lit deux places où Tobias va dormir.
- Dodo bébé ! - Oui, c’est le lit des bébés et des princesses.
La fillette colle son visage à la toile ajourée qui permet de voir l’intérieur du lit enfant tout en sécurisant son occupant.
- Il y a une moustiquaire, mais nous ne devrions pas en avoir besoin. Fouillez la penderie à votre convenance. La porte coulissante donne sur une salle de bain. J’ai posé l’ancienne baignoire plastique de Ian et ses jouets ainsi que des serviettes et des peignoirs.
- Ali dodo là ? - Oui, à côté de ton papa. Je vous laisse découvrir et vous mettre à l’aise. Je vais aller consulter mes mails. Je laisse la porte de mon bureau ouverte, appelez si vous avez besoin de quelque chose. Attention si vous sortez, la porte se verrouille automatiquement. Il faudra sonner. Après manger, je vous créerai un code temporaire pour que vous vous sentiez plus libre.
Peter Hale est un collègue qui a su laisser un bon souvenir dans la mémoire du professeur. Un homme dont les cours semblaient être faits de cette rigueur qui plait tant à Tobias. Ils n'ont échangé que de brèves salutations polies durant cette année où l'anglais a officié au lycée, parfois la discussion dérivait sur un ouvrage dont il avait tout deux la connaissance. Dans le regard de Monsieur Hale réside une brume qui habite également celui du chasseur. Celle de l'horreur, de la mort et des pertes que rien ne saurait combler. Un homme dans la retenue et discret qui a su s'attirer les bonnes grâces du britannique. Tobias espère que son ancien collègue donnera cette autorisation. Le chasseur invitant le fils d'un loup à l'anniversaire de sa fille. Plus que de la sympathie, c'est une trêve que Tobias souhaite officialiser en agissant de cette manière. Il ne chasse plus, en tout cas plus vraiment depuis qu'il a déposé ses valises dans cette ville. Il a su voir avec le temps et au fil des échecs que l'ennemi n'était pas forcément pourvu de crocs.
Tobias opine du chef lorsque Chad les convie à découvrir cette chambre qui va être la leur à lui et Alice durant cette nuit. Un inattendu cocon de réconfort et de sécurité qui va permettre au père de la petite fille d'oublier cette terreur qui l'étreint depuis une semaine. Jamais il n'aurait songé à accepter cette proposition s'il ne s'était pas fait berner de la sorte par l'architecte. Sa fierté à peine égratignée par cette situation, le chasseur admet alors avoir de quoi vêtir sa princesse pour les jours à venir dans le coffre de sa berline. En redevenant père et en devant apprendre à évoluer avec ce statut seul, il a dû saisir comment gérer n'importe quel imprévu. Si il y a encore un an il peinait à s'occuper de lui même, sa fille l'a forcé à se reprendre en main. Il n'est plus le seul à pâtir des conséquences de certains mauvais choix qu'il pourrait être amené à faire. Chad tend une main pour aider l'anglais à se redresser, une main bien vite saisie par celui qui doute d'être capable de se relever seul. Dans un grondement sourd et douloureux, l'homme se redresse. Son ventre se tend, les points fait à la va-vite par Malone s'étirent plus qu'il ne serait raisonnable de le faire. Pourtant son état s'apaise durant un bref instant.
Tobias cille, son regard ébène chute sur la main de son hôte et le poignet qui y est lié. Chad s'excuse avant même que le chasseur ne puisse songer à s'offusquer. La main se retire, Tobias un peu perdu et hébété par la douceur de cet alcool consommé en trop grande quantité pour que cela demeure sérieux se contente d'ouvrir la bouche dans le vide. Il refuse de prendre note de la proposition qu'est en train de lui faire leur hôte. Peut-être n'est-ce qu'un acte désespéré de sa part que de vouloir guérir seul et assumer par lui même les conséquences de son erreur. Ou bien tout cela n'est qu'une histoire de fierté mal placée. Son état est pitoyable mais il refuse de s'en plaindre.
Sans réellement en avoir conscience, plus par instinct qu'autre chose il attire sa main contre son ventre. Son sourire laisse place à une mine pincée. Si l'homme peine à s'ouvrir aux autres, il peut se recroqueviller sur lui même en peu de temps.
Tout en gardant le silence, il se saisit d'Alice qui laisse alors choir au sol la voiture qu'elle tenait encore serrée dans sa petite main. La gamine se débat, cognant de ses pieds l'abdomen de son père qui s'interdit la moindre grimace qui pourrait dévoiler sa souffrance. Même s'il est conscient d'avoir su placer une certaine confiance en Chad, même si dans ce loup il voit plus un ami qu'un ennemi, il préfère tout de même retrouver ce mur de glace qui lui sert de faciès habituel. Une neutralité portant le doux nom de flegme, une sale manie que l'on attribue généralement aux britanniques.
Tobias Rapier n'est que clichés. Une parodie de gentleman, un bien triste sire.
Une fois dans la chambre d'amis, il trouve sans surprise un lit parapluie installé près d'un lit double. Une preuve de plus s'il en fallait une que Chad avait tout prévu. Alice s'extasie devant ce lit qui n'est pas le sien. Aux yeux de l'enfant cette nouveauté prend des airs d'extraordinaire. Leur hôte joue les guides avant de leur annoncer qu'il va prendre congé pour aller travailler.
-Merci. Pour ce que vous faites pour nous.
[...]
Tobias vêtu pour la nuit d'un t-shirt noir et d'un pantalon crème confortable se dresse, sa fille déjà endormie callée contre lui. Chad est déjà reparti dans son bureau non sans prendre le soin de leur souhaiter une bonne nuit. À pas de loup le chasseur retrouve leurs quartiers temporaires, s'empresse de vider sa vessie et de se brosser les dents après avoir installé sa fille dans le lit qui lui est destiné. Morose Tobias observe son reflet dans la glace. Le pli soucieux qui barrait son front s'est atténué mais nul doute qu'il saura refaire son apparition au petit matin.
Curieux l'anglais soulève le maillot de corps cintré qu'il a dégoté dans le dressing. Du bout des doigts de sa main droite il titille le bandage, ose en soulever un coin. Les bordures boursoufflées de la plaie virent au rouge, une simple pression maladroite suffit à faire se tendre le professeur qui est pourtant censé avoir déjà subit bien pire.
-Bordel mais quel fils de p*te...
Une bordée de jurons à peine soufflée lui échappe. D'un geste rageur il arrache le bandage avant d'ouvrir l'armoire à pharmacie située sous le meuble qui supporte la vasque. Il imbibe généreusement un gant de toilette d'antiseptique en espérant que cela sera suffisant, puis plaque le morceau de tissu éponge contre son ventre. Tobias se mord alors l'intérieur de la joue pour ne pas pousser un cri de douleur. La brûlure le force à se cambrer, il espère bien ne pas s'infliger ce supplice de plus pour rien. Il demeure ainsi quelques longues minutes avant de rincer le gant de toilette et remettre le flacon de produit à sa place. Une gerbe d'eau fraîche sur le visage l'aide à retrouver un peu de contenance.
Tobias finit par rejoindre la chambre. Avec maladresse il ôte le pantalon pour ne conserver que son boxer avant de se glisser sous les draps pour s'offrir le luxe d'une nuit qu'il espère reposante.
[...]
La nuit fut douce même si entrecoupée par la malice de la petite Alice qui a tenu à rejoindre son papa dans le lit aux alentours de cinq heures du matin. Tobias sifflote un air gai tout en s'agitant dans la cuisine pour préparer des délices. De sa main droite il remue la pâte, versant par la suite une louche de cette dernière dans une poêle à crêpes antiadhésive. Du bruit trahissant la vie dans son dos le fait sourire.
-Bonjour Chad.
Alice relâche la jambe de son père à laquelle elle était toujours fermement agrippée. En body et pieds nus, l'enfant se dirige vers leur hôte.
-Chad ! Papa faire gâteau ! -Je me suis permis de fouiller. Votre intérieur étant très bien organisé je n'ai eu aucun mal à trouver le nécessaire. Je ne voulais pas vous réveiller.
Une crêpe saute, fait un demi tour avant de revenir dans la crêpière. Alice applaudit cet exploit qui n'a pourtant rien de novateur.
-Mais je n'ai pas trouvé de confiture... -Papa donner gâteau !
Sujet: Re: Parenthèses Feat Tobias Sam 2 Oct 2021 - 16:38
Parenthèses
Chad ft. Tobias
La maison est silencieuse. Un silence qui ne marque pas l’absence, mais le repos de ceux qu’elle abrite pour un jour ou deux. Je ne pense pas réussir à retenir Tobias plus longtemps. À mon bureau éclairé à la seule lueur des différents écrans, j’avance mon projet. Le baby-phone de Ian, qui n’a pas bougé de sa place habituelle, me retransmet le calme apaisant de respirations qui s’approfondissent.
Les murs de béton qui séparent mon cabinet professionnel de la partie habitation filtrent tous les bruits qui peuvent s’y entendre, même pour mon ouïe surdéveloppée. L’appareil posé sur une étagère derrière mon dos fut l’un des premiers achats que nous fîmes avec Mick après avoir gardé Ian la première fois. Une maison trop bien isolée, trop bien conçue affirmait l’absent, pouvait se montrer problématique. Deux portes closes et mes oreilles de loup devenaient sourdes.
Le Baby-phone a cela de supérieur aux discrètes caméras de surveillances qui parsèment la maison, que l’on n’a pas besoin de se brancher sur l’application dédiée pour entendre les pleurs d’un enfant.
Après le repas, comme promis, j’avais donné un code provisoire au professeur, lui permettant de sortir et rentrer à sa guise. Un gage de confiance de ma part. Une confiance qui s’arrête aux détecteurs de mouvements. Le système de sécurité vient de Mick. Deux moniteurs de contrôle, un dans ma chambre, l’autre dans mon bureau que j’éteins quand je reçois un client pour qu’il ne voie pas ce qu’il se passe chez moi. Plusieurs niveaux de vigilance. Passive : une alarme se déclenche lors de mouvements extérieurs. Je suis averti, entre autres, quand une voiture s’engage sur le chemin qui mène à ma propriété bien avant qu’elle soit visible depuis la maison. En niveau intermédiaire : Le système réagit en sourdine quand il détecte des mouvements dans des pièces différentes. L’écran s’est allumé quand Tobias est allé récupérer sa veste oubliée dans le salon. Le niveau haut déclenche une sirène, verrouille tout ce qui peut l’être et m’avertit sur mon téléphone du problème. Le niveau ultime ajoute un gaz invalidant ou létal dans l’atmosphère de la maison.
Avant de rejoindre mon bureau, j’avais enclenché le baby-phone sans le déplacer de la chambre de Ian. Mon acuité auditive se charge d’amplifier les sons. Ceux des respirations du professeur et de sa fille. Mon intention n’est pas de les surveiller, je doute que le professeur se risque à fouiller au-delà de la pièce où je lui en ai donné l’autorisation. Seulement, Tobias est plus mal en point que je le pensais. S’il va mal, je l’entendrai.
Il est deux heures du matin passées quand je lance les sauvegardes de mes disques durs et prends le chemin de ma chambre et de mon lit. J’ai plus avancé sur la poignée d’heure lors de cette soirée que durant la semaine qui vient de s’écouler. La présence amicale du professeur et de sa fille m’a mis dans de bonnes dispositions créatives. L’homme n’est pas fait pour vivre seul, les loups encore moins.
(…)
Un bip me sort d’un rêve où je vole au-dessus d’un paysage magnifique. Sur l’écran de contrôle posé sur la commode de linges de corps, je vois Tobias s’agiter à la cuisine. J’en devine la raison. J’acquitte l’alarme et tire la couette sur ma tête pour grappiller quelques minutes de repos supplémentaires.
L’enthousiasme d’Alice finit par me sortir du lit. Cela serait mal poli de poursuivre une grasse matinée tandis que mes invités sont bien réveillés. Je rejoins la troupe en bâillant.
- Bonjour Chad. - Bonjour ! Bien dormi ? - Chad ! Papa faire gâteau ! - Chouette ! - Je me suis permis de fouiller. Votre intérieur étant très bien organisé je n'ai eu aucun mal à trouver le nécessaire. Je ne voulais pas vous réveiller. - Vous avez bien fait, répondis-je en prenant Alice dans mes bras. - Mais je n'ai pas trouvé de confiture... - Papa, donner gâteau !
Je passe à portée du père qui donne une crêpe nature à sa fille.
- C’est dans ce placard, dis-je en poussant une façade étroite qui revient vers moi, dévoilant des rangements étroits, mais profonds où s’aligne toute une épicerie.
De ma main de libre, je sors plusieurs pots dont du cacao. J’installe Alice dans la chaise haute, et sors les œufs et le bacon du frigo. La cuisine résonne des sons anodins de gens qui déjeunent. Alice démontre une adaptabilité impressionnante. Tobias joue au papa modèle, premier fan de sa fille. Toutefois, je capte les signes de douleurs quand il bouge. Il peut tromper bien des gens ainsi, mais pas un loup, pas un presque ami qui commence à bien le cerner. Tobia s’est clairement mis en retrait quand j’ai proposé mon aide. L’homme est fier et têtu. Plus que moi en tout ça. Et…
La sonnette de la porte retentit. Pourquoi les alarmes de l’extérieur ne m’ont-elles pas prévenu en avance de l’arrivée d’un intrus ?
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Sujet: Re: Parenthèses Feat Tobias Sam 2 Oct 2021 - 17:48
clickAlessandro & Tobias & Chad xxx« I miei migliori amici. »Je remue le nez, quelque chose me chatouille. Je lève une paupière, j’ai les cheveux d’Andy sur le visage. Je grogne, repousse les fils d’or vers leur propriétaire. À côté, ça arrête de ronronner, étire une jambe, puis l’autre. Une main me pousse la joue. Je mords. Doucement.
- Aieuh ! - Tu prends toute la place, mio Gattino ! On va finir par faire lits à part !
Les mots de trop !
(…)
Je salue Dan qui installe les chaises et les tables sur la terrasse. Sophie sert les premiers clients au comptoir. Ce matin, mes employés se débrouilleront sans moi. Rien qu’ils ne peuvent pas gérer seuls. Le matin est généralement tranquille. La surveillance que j’avais ordonnée a porté ses fruits : le loup est sorti de sa tanière. Envoyer Wilder au casse-pipe était une bonne idée. Un espresso dans le ventre, je ne m’attarde pas et prends le volant de mon italienne. Un regard dans le rétroviseur, je vois un type monter dans une voiture garée le long du trottoir d’en face. L’un de mes trois pots de colle attitrés. Je ne sais pas ce qui est arrivé à ceux qui nous avaient suivi Andy et moi aux Bahamas, quoi qu’il en soit les hommes chargés maintenant de ma sécurité sont en mode excès de zèle. Leur job est ingrat, je l’ai fait avant eux. Par bonté d’âme, je les préviens de mes déplacements. Les semer leur causerait des ennuis dont ils ne sont pas responsables. Je me suis donc fait une raison. Sur terre, je ne suis pas le seul à avoir un service de sécurité collant.
Je me gare un peu avant la boîte aux lettres de Wilder, attends que l’autre fasse de même.
- Je vais couper à travers bois. Les gens que je vais voir sont sur ta white-list. Tu peux rester à m’attendre ici. Si tu me suis, évite de déclencher l’une des maudites alarmes de Wilder. - Elles sont où ? - Là, où seuls des gens comme moi peuvent les repérer… - Je vois, je vais rester là. Appelez-moi en cas de problème. J’ai de l’artillerie lourde dans le coffre. - Ce n’est pas de cette artillerie-là que je vais avoir besoin.
Je souris d’avance de la tête que va faire Tobias en me voyant. Je me suis habillé en conséquence : vêtements sombres, jeans, basket de trail. La forêt s’éveille dans un gazouillis assourdissant. Cela me rappelle les exercices de méditation de Cormier. Je ne suis pas fan de ce type d’environnement : de la végétation dans tous les sens, des ronces qui s’accrochent aux habits, le terrain qui se dérobe en ornières cachées de feuilles mortes. Au détour d’un buisson, je croise le regard sombre d’une biche. Pendant une poignée de secondes, l’instinct du prédateur prend le dessus, crocs, griffes et étincelles bleutées dans le regard font fuir le cervidé.
Je souris, hume l’odeur du gibier, celle de sa peur. C’est d’excellente humeur que je poursuis mon cheminement chaotique sous les frondaisons pour pouvoir surprendre les deux corniauds qui se sentent seuls au monde en cet instant.
L’impossible maison apparaît devant mes yeux. Je dois reconnaître que le spectacle ne me laisse pas indifférent. C’est beau, sauvage. Seulement, je serais incapable de vivre ici dans ce silence. J’ai besoin du bruit de la ville pour m’endormir. Quoique celui des vagues aux Bahamas faisait aussi leur petit effet sur mon bien-être. J’écrase la sonnette.
(…)
La caméra trahit mon identité, mais c’est un Chad pas moins médusé qui m’ouvre.
- Oui ? - Buongiorno tutti ! - Dro ! - Mia bella ! - Dro ! Papa faire gâteau ! - Cela tombe bien ! Je n’ai pas déjeuné. Puis-je ? interrogé-je le propriétaire des lieux.
Chad soupire, et lève les yeux au ciel. Néanmoins, avant de s’effacer de l’encadrement de la porte, il se retourne vers Tobias avec une question muette dans le regard. Si le père ne souhaite pas me voir, il ne peut pas l’exprimer clairement tant sa fille est à la fête, menaçant de tomber d sa chaise haute pour me rejoindre. Un geste de son père pour la retenir, une grimace furtive vite planquée sous un masque rigide me font interroger Chad du regard. Celui-ci se contente de hausser les épaules et de me laisser passer.
- Ciao, mio amico ! E la bella ragazza ! - Dro trasportare Ali ! - Certo che carino.
Je soulève Alice qui m’étrangle aussitôt avec ses bras. Je réponds un café à la demande de Chad.
- Et des pancakes, ils ont l’air délicieux. Comment vas-tu mio amico ?
Je me suis installé en vis-à-vis de l’Anglais, perché sur un tabouret haut, Alice posée sur ma cuisse.
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Sujet: Re: Parenthèses Feat Tobias Mar 5 Oct 2021 - 11:22
Parenthèses
Feat : Chad et la surprise
Il roule une crêpe nature qui suffira à faire le bonheur de la petite fille. Souriante l'enfant se saisit de cet avant-goût de paradis. Tobias se décale pour laisser Chad accéder à un placard. Le pas de deux ou plutôt de trois qui se met en place dans la cuisine est naturel. Rien ne trouble la quiétude de ceux qui commencent à prendre leur petit déjeuner. Chad fait cuire bacon et œufs brouillés tandis que son invité s'affaire devant la crêpière. Ils déjeunent dans un silence ponctué par les exclamations de joie d'Alice qui s'amuse de cette situation inédite. Elle est en effet habituée à vivre uniquement avec son père, un quotidien à deux qui sait se faire bien rodé. Tobias prend grand soin de ne pas imposer ses rares aventures à sa fille. Son célibat lui apporte cet avantage, celui de ne pas avoir à partager sa progéniture avec un ou une autre.
L'anglais plonge un nez qu'il n'a pas petit dans son bol de café. Un morceau de confiture de fraise détrempé se fraie un passage dans sa gorge mais ce n'est pas cela qui manque d'être la cause de son étouffement. La sonnette vient de retentir, un son brutal qui fait éclater la bulle d'allégresse dans laquelle le professeur évoluait depuis la veille. Soudainement elles refont leur apparition. Ses craintes les plus justifiées en cet instant qui donnent naissance à des délires paranoïaques. Tremblantes, ses mains lâchent son bol. Chad récupère de justesse l'objet de céramique et lui évite une chute qui aurait été fatale. En apnée, l'anglais ferme les yeux. Cherche s'il ne reste pas au fond de lui un peu de force à puiser pour survivre et lutter contre ce qu'il imagine déjà être la pire des épreuves.
Il l'a retrouvé.
Et il vient lui voler Alice. Et Chad par la même occasion. Un sacrifice que le professeur aurait jugé ennuyeux il y a quelques jours mais qu'il trouve à présent intolérable. Le cœur de l'anglais s'emballe tandis que dans son esprit meurtrit se rejouent des scènes d'horreur à l'infini. Le triste sort d'Angela dont il a lui même été l'instigateur. La gueule dentue de monsieur Doyle, si près de son visage. Bien trop pour que cela puisse demeurer raisonnable. La voix de Chad perce la terreur du chasseur. Un nom, une plaie certes mais pas celle que craignait tant Tobias.
Un mince flux d'air parvient à se frayer un chemin vers les poumons du professeur. Alice laisse exploser sa joie à l'entente du nom de leur visiteur.
-Dro ! Dro venir voir Ali !
Éprit d'une soudaine envie de se fracasser le crâne contre la table, le chasseur doit se faire violence pour réfréner cet instinct. Une telle scène serait traumatisante pour sa fille qui ne pense plus qu'à une chose : Retrouver les bras de ce parrain dont on la prive depuis une semaine déjà. Tobias se lève, le pas malgré lui un peu tremblant. Il espère sans trop y croire que tout va bien se passer et ne pas être la cible d'une pluie de questions et de reproches. Alessandro est déjà en train de pénétrer l'intérieur de Chad. Tobias lance un impuissant et muet appel à l'aide à l'intention de l'architecte, mais cela ne mène à rien. Serrant les dents pour ne rien dire d'inconvenant, le professeur se fait spectateur des retrouvailles de son ami et de sa fille. Alice retrouve des bras chéris. Son père quant à lui se force à prononcer un bonjour timide.
-Bonjour...
Et tout aussi honteux.
Tobias lève les yeux au ciel avant que sa verbe assassine ne lui échappe. Alessandro tend le bâton pour se faire battre.
-Très bien. C'est toujours un bonheur de voir un ami.
C'est mielleux, cela sonne faux et pourtant la vue de son ami lui fait plaisir. Il aurait simplement aimé pouvoir maîtriser lui même ces retrouvailles. Une semaine, peut être deux c'est là tout le temps dont il avait encore besoin avant d'être capable de retourner voir le wendigo et ainsi régler des soucis qu'il estime être les siens. Le chasseur sourit, rien ne sonne juste et c'est normal car s'il ne peut pas prendre le risque d'attrister sa fille en prononçant un mot malheureux à l'encontre d'Alessandro, Tobias sait se montrer fourbe et salopard tout en conservant un langage courtois.
-Tu devrais prévenir la prochaine fois. Histoire que je puisse me préparer à l'idée de ressentir autant de joie.
L'anglais ne sourit plus et se tasse sur lui même. Incertain de savoir conserver ce calme de faussaire apparent. Il n'a guère besoin d'envenimer la situation et ne veut avoir à supporter la vision des larmes de sa fille qui s'amuse à faire entrer des morceaux de crêpe dans la bouche de son parrain. Offerte à sa joie et insouciante du haut de ses un an, la petite fille s'accroche à Alessandro. Par crainte d'en être à nouveau séparée durant une semaine. Tobias silencieux laisse son regard défait glisser sur son hôte, visiblement lui aussi surpris par cette visite de l'italien. Cette vision suffit à insupporter le professeur qui lâche une question, la seule qui ait encore un peu d'importance.
-Pourquoi t'es là ?
Le ton est accusateur même si les crimes de l'italien ne sont pas encore clairement définis. S'ensuivent naturellement d'autres accusations.
-Je t'ai dis que j'allais bien. Que je ne voulais voir personne et pourtant tu as envoyé Chad au casse-pipe. C'est Katie qui t'a prévenue ? Jaz ? J'ai juste besoin de quelques jours pour régler des problèmes. Si je ne le fais pas c'est vous trois qui risquez de trinquer. Il sait où je vis, il sait que je suis déjà en sale état. Je n'ai pas besoin que tu viennes ici pour rendre une situation déjà dantesque encore plus compliquée. Tu t'es prit pour ma mère ? J'ai déjà un exemplaire au pays et je ne cherche pas à faire collection.
Toutes ces questions ne cherchent pas forcément une réponse. Tobias n'est même pas certain de vouloir les entendre de toute façon. Dans sa nuque glisse un torrent de sueur glacée. Ses mains s'agitent. Il agit tel un drogué en manque. Manque de sang, de tabac, d'alcool, de sommeil et de vengeance. Son regard illuminé par la folie en devenir chute sur son bol. Il serre les dents pour ne pas hurler sa peur, se mord l'intérieur des joues pour conserver ce simulacre de normalité qu'il monte de toutes pièces pour sa fille depuis plus d'une semaine.
-Je suis désolé Chad. De m'emporter de la sorte chez vous. C'est impoli de ma part d'agir ainsi.
Le murmure du britannique est timide, mais sa culpabilité n'est pas moins sincère.
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Sujet: Re: Parenthèses Feat Tobias Mar 19 Oct 2021 - 23:02
clickAlessandro & Tobias & Chad xxx« I miei migliori amici. »- Très bien. C'est toujours un bonheur de voir un ami.
Pas besoin d’être un lycan pour comprendre que mio amico ment comme un jumeau de Pinocchio. Même s’il est évident que ma visite agace, je suis soulagé de voir Tobias suffisamment en forme pour cuisiner et accepter l’invitation de Wilder. Je n’en espérais pas autant de l’architecte. C’était sans compter sur la solitude d’un homme seul.
- Tu devrais prévenir la prochaine fois. Histoire que je puisse me préparer à l'idée de ressentir autant de joie. - Mi scusi, amico. J’ai oublié la fragilité de ton cœur d’artichaut. - C’est quoi un cœur de tarte au chaud ? - C’est le meilleur, la mia principessa.
Les sarcasmes de Tobias sont la preuve qu’il ne va pas trop mal, même si je lui trouve le teint pâle et la mouvance trop prudente. Alice se plaît à me donner la béquée. Ma joie de retrouver ma filleule n’est pas feinte. Je m’inquiétais autant pour elle que pour son père. Chad joue à l’hôte muet. Lui aussi m’offre la vision d’une tête en papier machée.
- Pourquoi t'es là ? - Pour dire bonjour à miei amici ! déclaré-je avec un grand sourire. Je prends notre hôte à témoin : est-ce que je mens, Chad ? - Non, soupire le bêta surpris de ma sincérité. - Je t'ai dit que j'allais bien. Que je ne voulais voir personne et pourtant tu as envoyé Chad au casse-pipe ! - Je note qu’il n’a pas un seul trou de trop… - C'est Katie qui t'a prévenue ? Jaz ?
Je sais à qui demander plus de détail, maintenant. Je n’y manquerai pas.
- J'ai juste besoin de quelques jours pour régler des problèmes. Si je ne le fais pas, c'est vous trois qui risquez de trinquer. Il sait où je vis, il sait que je suis déjà en sale état. Je n'ai pas besoin que tu viennes ici pour rendre une situation déjà dantesque encore plus compliquée. Tu t'es pris pour ma mère ? J'ai déjà un exemplaire au pays et je ne cherche pas à faire collection.
Je ne rétorque pas, car Alice continue à me gaver comme une oie.
- Je suis désolé Chad. De m'emporter de la sorte chez vous. C'est impoli de ma part d'agir ainsi.
Wilder répond par un geste sobre. Je repose Alice sur le sol, m’essuie les lèvres avec la serviette papier donnée par Chad et attaque de la voix calme et posée d’une discussion ordinaire pour ne pas inquiéter Alice qui comprend les conversations des grands surtout par les émotions palpables :
- Je ne me prends pas pour ta madre, mais ton attitude donne envie d’endosser le rôle. Que tu souhaites protéger Chad, je le conçois, mais moi… Je ne peux plus aller chier tranquille sans qu’un garde vérifie qu’il n’y a pas une bombe planquée au fond des gogues ! - Parolacce ! Dro ! - Sì ! Scusami bella mia.
Je souris à Alice, tout en lui faisant un clin d’œil. Je me lève et regarde mio amico avec affection et une pointe d’amusement.
- T’oublies que je gère une entreprise d’élimination. Tu vexes presque le professionnel que je suis.
Je suis interrompu par la sonnerie de mon téléphone. Un regard sur l’écran, je décroche : - Je te rappelle dans quelques minutes.
J’attrape Alice pour lui faire un câlin avant de la reposer à terre.
- Le travail m’appelle. Merci pour le café, Chad. Il était délicieux. Et toi, dis-je en désignant Tobias, évites de foncer tête baissée dans les ennuis en solitaire. Ce n’est pourtant pas les soutiens qu’il te manque ici ! Allez, ciao !
Je rejoins ma voiture en empruntant le chemin. Je n’ai plus besoin d’être discret. J’imagine que Chad va aller tracer mon odeur pour voir où je suis passée et remédier aux trous de son système de surveillance. À mi-chemin de la route du comté, je croise un membre de la meute des Hale.
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Sujet: Re: Parenthèses Feat Tobias Ven 22 Oct 2021 - 11:48
Parenthèses
Feat : Chad et la surprise
Alice ne se doute de rien, en effet malgré leurs actuels différents les adultes qui l'entourent parviennent à conserver des voix calmes et posées. Tobias abat des cartes dont il use peu souvent en temps normal. Il se sent en cet instant hypocrite, lui qui généralement ne gaspille pas son énergie inutilement pour ménager ceux qui l'entourent. Mais ce matin alors qu'il est encore trop tôt pour songer à s'énerver, ou même à penser de manière logique, c'est sa fille qu'il doit caresser dans le sens du poil pour ne pas avoir à supporter la vue de larmes embuant le regard azur de sa princesse. Alice pleure déjà bien trop souvent depuis une semaine, depuis que son père en agissant sottement a chamboulé leurs existences. Le chasseur serre les dents, peinant à dissimuler sa colère plus longtemps. Tobias ne pipe mot, conscient que rien ne pourrait défendre ses actes et ses choix aux yeux de celui qui brille par un excès de confiance en lui. Un trait de la personnalité de son ami qu'il trouve généralement distrayant mais qu'il juge en cet instant horripilant.
Le professeur conserve donc le silence, parfaitement imité par Chad qui doit penser que cette discussion ne le concerne pas. Une fois de plus l'architecte fait preuve de justesse dans sa réflexion. La discrétion du loup s'ajoute à la longue liste des qualités que l'ancien chasseur lui songeait déjà acquises. Tobias se moque du nombre de gardes qui peuvent avoir comme mission de surveiller son ami, de fouiller le moindre de ses étrons. Il est la seule valeur qu'il juge sûre à ce jour. Après tout, il sait tuer, s'est fait de la mort une bonne amie après en avoir eu si peur. Un jour son heure viendra, celle où il devra rejoindre sa demeure luciférienne. Une fatalité qui ne l'inquiétait pas tant il y a encore un an, mais à présent il tente de repousser cette échéance autant que possible. Une volonté qui suffit à lui transmettre une rage de vivre, une fureur qui lui a permit de rester en vie quand est arrivé le moment de racheter sa survie de la plus odieuse des façons alors qu'il était sur le point de périr par les crocs de cette horreur anthropophage. Silencieux, il fixe son ami de son regard le plus noir. Rien de ce qu'il pourrait dire ne serait courtois.
-T’oublies que je gère une entreprise d’élimination. Tu vexes presque le professionnel que je suis. -Tu oublies que je suis une entreprise d'élimination à moi seul.
Alessandro n'a rien le temps de rétorquer au lucide manque de modestie de son ami. Le portable de leur visiteur vient de sonner, promettant ainsi la fin rapide de cette entrevue dont le professeur se serait bien passé. Alice retrouve les bras de son parrain pour un ultime câlin avant de nouveaux jours de séparation. L'enfant sera triste c'est certain, même si l'apparition de Chad dans le paysage morose de leurs existences a su faire revenir un peu de bonheur dans leur vie. Ce lieu, cette demeure loin de tout et que Tobias avait l'audace de croire loin de ses responsabilités il y a encore trente minutes, fait naître chez le chasseur un profond sentiment d'apaisement. L'anglais acquiesce d'un simple hochement de tête, conscient des risques. Toutefois il se refuse à admettre à voix haute que son jugement puisse manquer de jugeote. La fierté est un mauvais guide et il rique d'en payer le prix. Du bout des lèvres, il murmure une simple salutation à l'intention de son ami. Le premier qui a su voir en lui autre chose qu'un homme froid au passé sanguinaire lors de son arrivée dans cette ville.
Alessandro a su discerner l'humain derrière le flegme glacial, un peu de raison et de bon sens chez cet ivrogne qui était venu échouer dans ce qu'il avait eu l'audace de penser être un bar tranquille.
-Au revoir. Si je change d'avis tu le sauras bien assez vite.
Alessandro s'en va aussi vite qu'il n'avait fait son apparition. Tobias s'offre quelques secondes de calme, tente d'oublier qu'en cet instant ses mains tremblent plus qu'il ne serait raisonnable de le faire. Son regard usé par une vie défaite chute sur son hôte. Il est navré que Chad ait eu à assister à un pareil spectacle. Tobias se remémore la proposition que le jeune homme lui a fait la veille. Un peu d'aide, pour surmonter cette épreuve, pour guérir plus vite après avoir subit des sévices qui ont laissé des plaies qui semblent commencer à s'infecter malgré les bons soins que le chasseur tente d'y apposer. Son ventre lui fait mal et dans son abdomen se dissimule une bête qui quémande son dû. Inlassablement. Du sang, la mort de cet imposteur, les tripes de Malone couvrant le sol. La rage aussi mauvaise conseillère puisse t-elle être est ce qui permet au tueur de se mouvoir et d'aller de l'avant.
-Il se peut... Il n'a peut être pas tord même si ça m'écorche la bouche de l'admettre. Il ne se prend pas pour ma mère, il est déjà rendu au niveau supérieur.
Tobias soupire, il a perdu en une semaine le peu de dignité qui lui restait mais il s'accroche aux miettes de ce qui reste de sa fierté tout en sachant que c'est certainement là une belle erreur. Alice est retournée jouer avec le garage. Heureuse d'avoir revu son parrain la petite chantonne un air joyeux dans lequel son père reconnaît sans mal quelques mesures britanniques. Tobias se passe une main sur le visage, hésitant. Non loin d'admettre ses tords, il finit par opter pour la fuite pour ne pas avoir à regarder ses échecs en face.
-J'ai besoin d'une cigarette. Je peux vous laisser quelques minutes avec la petite ?
[...]
Il est allé se réfugier sur la terrasse, cigarette dans une main et sa flasque chérie dans l'autre. La tentation de s'en saisir a été trop forte lorsqu'il en a sentit le métal froid en passant dans la chambre qui les accueille pour récupérer son paquet de cigarettes dans sa veste. Il souffle d'imparfaits ronds de fumée blanche et odorante. Sursaute en entendant une voix moqueuse qui retentit dans son dos. Tobias grimace sa stupeur. Puis attaque en premier.
-Il n'est même pas dix heures et le défilé des emmerdeurs paraît pourtant déjà bien entamé.
Sujet: Re: Parenthèses Feat Tobias Mer 3 Nov 2021 - 17:56
Parenthèses
Mafdet ft. Tobias
C’est morne au lycée. La Française rigolote est repartie dans sa France lointaine emportant avec elle la joie de vivre de mon collègue de SVT. Peter n’est plus là pour émailler la salle des profs de ses sarcasmes. Mick est parti, collant sur le visage de Chad la même tronche maussade qui ne quitte plus Derek. Ambiance mortifère au manoir, au lycée. Heureusement que chez les Turner c’est un show permanent. Dick possède un pouvoir exceptionnel : celui de savoir afficher un bonheur naïf, les pieds dans une merde totale.
J’ai préparé un mélange de plantes séchées réputées pour leurs capacités calmantes et apaisantes. Ian ne veut plus de mes décoctions. Il refuse en bloc mon aide médicamenteuse. Alors cette fois-ci j’ai triché en achetant une peluche de Winnie l’ourson. Cela n’a pas été difficile de défaire une couture et de disséminer mon mélange dans la ouate duveteuse. J’ai un peu plus peiné à recoudre l’ensemble pour que mon forfait reste invisible aux yeux inquisiteurs du louveteau. Le résultat est plus que probant : Winnie sourit bêtement tout en exhalant des senteurs douces de fleurs mellifères, de lavande et d’autres notes imperceptibles.
J’ai conscience qu’une telle prescription est à la limite du placebo. Je compte sur l’odorat développé de Ian pour se sentir à l’aise avec ce jouet. Quand je coupe le contact de ma Kawa devant le manoir, je constate que je me suis déplacée pour rien. La voiture de Derek n’est pas là, et tout est silencieux. Par acquit de conscience, je descends de ma moto pour vérifier que la porte d’entrée est verrouillée. Je profite d’être là pour faire le tour de la grande bâtisse et aller voir l’endroit où Peter a disparu. Il est facile de repérer l’endroit précis où la faille interunivers s’est ouverte : la terre est morte. Et je crains que rien n’y repousse avant des siècles. Je m’agenouille, ratisse la terre brûlée du bout des doigts. Ce n’est pas vraiment un résidu d’incendie qui au contraire se montre fertile. Non, ici la terre semble souillée. Je suis trop loin du Nemeton pour le percevoir, mais je sais que cette anomalie le révulse. J’avais pensé à creuser, évacuer ces résidus d’une obscure magie. Mais la question de son devenir restait entière. L’enlever d’ici pour polluer ailleurs ?
(…)
J’ai promis une sortie filles à Jo après les cours. Je décide donc de m’arrêter chez Chad pour lui donner la peluche. Ça le fera sortir un peu de son donjon d’acier et de béton.
Deux voitures stationnent au début du chemin stabilisé qui mène chez Chad. Une sportive sans occupant et une autre, où un gars semble s’emmerder ferme. La clique italienne. Je lève la main pour saluer le type, histoire de le rassurer sur mes intentions. Ce genre d’énergumène a la gâchette facile. Je croise son patron qui revient à pied de la maison de Chad. Ce n’est pas le genre à faire de la randonnée, mais celui à prendre sa caisse pour faire vingt mètres.
- Ciao ! Ils sont un peu sur les nerfs là-bas. - Merci du cadeau…
Je remets les gaz. Euh, l’Italien a mentionné un pluriel ! Qui ?! Derek et Ian ? Une Mercédès me renseigne sur le visiteur de Chad. Je soupire et hésite à faire demi-tour. La peluche coincée dans le guidon m’oblige à m’arrêter. Je gare ma Kawa loin du corbillard allemand.
(…)
Chad m’ouvre, le visage désabusé.
- Elle voulait quoi la mitraillette à voyelles ?
Le bêta se contente de lever le menton en direction de la terrasse.
- J’ai vu sa berline. Je suis passée au manoir pour donner ça à Ian, mais il n’y avait personne. Tu peux passer lui donner quand ils rentrent ? Ce soir je suis prise.
Je pose l’ours en peluche sur le banc qui jouxte l’armoire à chaussures et file voir ce qui amène Tobias dans cette maison.
- Il n'est même pas dix heures et le défilé des emmerdeurs paraît pourtant déjà bien entamé. - Tss. Vous devez posséder le don de les attirer.
Je m’approche, le vent me rabat une odeur de tabac, de sang, de souffrance.
- Vous rayonnez de joie de vivre et de santé, très cher.
Je connais l’Anglais pour son maintien très « balais dans le cul », mais sa raideur présente n’a rien de ses habitudes.
- Zouli nounours !
Une chose mi-rampante mi quatre pattes se pointe sur le seuil de la terrasse avec ma peluche coincée entre les dents. Ses mains étant occupées à maintenir son équilibre et à se mouvoir.
- Ce n’est pas pour toi, Minette, mais pour Ian. - Ha un buon profumo ! affirme la voleuse en s'asseyant sur ses couches, câlinant l'ours. - Redonne-moi ça, avant d’y coller ton odeur de Barbie. Bien que ça soit trop tard…
L’enfant me regarde interloquée. Elle zieute son père, cherche un appui pour son caprice, puis chouine quand je lui retire le jouet des mains. Des larmes de crocodile ne tardent pas à suivre. C’est là que je me rends compte de l’ampleur des dégâts sur Tobias.
Brumes du Passé : Humain Meute & Clan : Rapier's Familly Âge du personnage : 45 ans
Meute & Clan : Aucun Âge du personnage : 46 ans
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Sujet: Re: Parenthèses Feat Tobias Ven 5 Nov 2021 - 12:19
Parenthèses
Feat : Chad et la surprise 2.0
L'anglais déjà revanchard demeure silencieux lorsque la nouvelle arrivante fait mention d'une malédiction. En effet l'homme attire les ennuis plus aisément que du sucre n'attirerait des insectes. Cigarette à nouveau coincée entre les lèvres, Tobias observe celle qui s'approche de lui. Nonchalante, Mafdet représente un danger. Si la féline peut se montrer trop tactile pour que cela puisse convenir au britannique, elle sait également se faire taquine. Rien ne semble rassurant dans ces quelques constatations que le professeur a pu faire sans mal en travaillant avec celle qui enseigne la chimie. Tobias se contente de fumer, tirer sur sa cigarette sans daigner poser son regard sur celle qu'il pourrait juger comme étant plutôt jolie. Mais Mafdet parle trop pour que le chasseur puisse songer à la trouver sympathique, elle est aussi bien trop remuante et imprévisible pour que Tobias trouve sa compagnie rassurante en cet instant. Son regard noir transpire l'ennui tandis qu'enfin il se dépose sur celle qui est à son tour, venue troubler la quiétude de ce qui aurait pu être un agréable début de journée.
Il lève les yeux au ciel lorsque son ancienne collègue mentionne une santé et une joie de vivre qui sont actuellement inexistantes. Sur le point d'envoyer sur les roses ce chat chafouin, l'anglais sent son flegme se fissurer lorsqu'une exclamation de joie provenant de sa progéniture lui parvient. Alice ne tarde pas à faire son entrée dans ce qui est devenu une improbable arène. À quatre-pattes la petite fille trimballe entre ses dents une peluche inconnue au bataillon. Mafdet s'emballe tandis que l'ancien chasseur écrase sa cigarette et la jette dans le vide. Alice peu habituée aux refus rétorque en usant de mots trop fournis en voyelles. Tobias lève les yeux au ciel. Fatigué malgré la dernière nuit qui fut riche en sommeil réparateur, il sent sa patience le fuir. Un grognement lui échappe quand Mafdet récupère l'ami Winnie et fait pleurer Alice dans la foulée.
Certes ces larmes ne sont rien de plus que celles d'un crocodile et un adulte sain d'esprit ne céderait pas au moindre caprice de son enfant. Mais s'il fut un temps où l'anglais savait agir en faisant preuve de logique, il est à présent révolu. Depuis une semaine, si ce n'est plus, il vit en mode survie. Ne fait que craindre son prochain. Sans piper mot, Tobias se penche pour se saisir de sa fille. La manœuvre n'est pas aisée, son ventre lui donnant l'impression de se déchirer suite à cet effort malheureux. Chad étant devenu fantôme dans sa propre demeure, Tobias n'a personne à qui refiler son précieux paquet.
Il souffle en se redressant. Alice tire sur le maillot de corps de son père, griffe le cou de ce dernier. Toutefois les larmes se tarissent et un pouce parvient sans trop de mal à trouver sa place pour étouffer les vagissements colériques de la petite.
-Un peu de tact n'étouffe personne...
C'est en quelque sorte l'hôpital qui se moque de la charité, mais le britannique n'en a que faire. Tout en faisant abstractions des fantaisies du maux qui l'accable, il reprend, en s'adressant à sa fille cette fois.
-Cet ours ne t'appartient pas. Il est pour Ian, le petit garçon dont nous avons parlé hier.
Alice boude en pointant la bestiole en peluche de la main. Tobias se saisit de cette même main, la portant à ses lèvres pour y déposer un baiser qui signera, il l'espère, le début de l'apaisement. Tendre malgré l'épuisement, il marmonne.
-Ce n'est pas ton ours. Tu as déjà ton italien en peluche.
Il dépose son doux fardeau au sol, désigne l'intérieur de la maison.
-Il va s'ennuyer sans toi. -Dro a Alice ! Pas a Ian ! Dro jouer avec voitures.
Alice se meut sur ses petites jambes, passe à côté de la féline sans oublier de lui jeter un regard noir. Les pas de l'enfant sont encore hésitants et lorsque cette dernière manque de trébucher, c'est son père qui accourt à son secours.
En fond sonore se fait entendre une agaçante mélodie. Un trait d'humour dysharmonique qui ne convient guère au professeur. Mafdet pointe du bout de sa langue acérée des sujets sensibles, douloureux. Si Tobias n'est pas un parent parfait, il refuse d'être la cible des railleries de celle qui est venue les lui briser de bon matin.
-Fermez-la.
Alice a déjà prit la poudre d'escampette pour retrouver loup en peluche et petites voitures. Le ton dont use le tueur est inflexible et morne à la fois. Sa patience n'est plus et son cœur s'emballe au rythme de ces respirations saccadées qui mettent ses poumons à l'épreuve. Mafdet pourtant peu habituée à voir l'anglais si ferme ne se calme pas pour autant. Pire, elle semble voir dans cette scène un jeu vicieux. Elle abat une nouvelle carte qui cette fois pousse l'homme à grogner sa colère. Sans qu'il ne sache réellement contrôler les pulsions qui l'habitent, Tobias s'approche du porte-poisse ambulant.
-Cessez ! Je n'ai pas envie de jouer au con avec vous. Vous gagnerez quoi qu'il puisse arriver. La prochaine fois que le son disgracieux de votre voix se fait entendre, je vous fait passer par dessus la rambarde histoire de voir si les chats retombent vraiment sur leurs pattes. Vous n'êtes pas bien grosse et même dans mon état je devrais parvenir à vous soulever !
Les bases sont posées et rien chez le britannique ne pourrait trahir l'existence d'une possible plaisanterie contenue dans ses dires. Il ne menace pas, il promet même s'il doute de pouvoir réellement donner vie à cette prémonition qu'il vient de délivrer. L'homme demeure dans un piètre état et ses jambes peinent à le supporter lorsqu'il est debout depuis trop longtemps. Il fulmine, défiant du regard la féline. Elle saisit la perche et fort heureusement pour le professeur personne n'est là pour le voir charger sa cible.
Sujet: Re: Parenthèses Feat Tobias Dim 14 Nov 2021 - 16:02
Parenthèses
Mafdet ft. Tobias
- Un peu de tact n'étouffe personne... - Le quoi ? rétorqué-je, un sourcil levé bien haut.
C’est pire qu’une boule de poil. Ça se loge au fond de ma gorge et enfle. Je lance un sourire narquois à Tobias. Il possède autant de tact que le lac du loch Ness abrite un monstre. Cependant, il ne fait pas cas de ma personne et sermonne gentiment sa fille. Voici une facette du professeur que je ne connaissais pas.
Surprenant. Amusant et incongru. Je ris silencieusement quand je comprends l’analogie entre une peluche d’Alice et le gérant du bar branché. Il est vrai que la petite subit les influences italiennes de son parrain. Avec un père tueur professionnel soi-disant à la retraite et un parrain mafieux, la gamine a un avenir bien tracé.
La môme, relâchée au sol, retourne à l’intérieur non sans me lancer un regard snob au passage. L’imitation de son père est si évidente que je ris aux éclats.
- C’est votre portrait craché ! - Fermez-la. - Elle a tout d’une future Calamity Jane !
Le mot de trop, je le sais. Mais sa réplique acerbe m’a agacée.
- Cessez ! Je n'ai pas envie de jouer au con avec vous. Vous gagnerez quoiqu'il puisse arriver.
Je feule ! Vil personnage qui aime bien charger son langage de lames acérées, mais qui refuse d’en faire les frais en retour.
- La prochaine fois que le son disgracieux de votre voix se fait entendre, je vous fais passer par-dessus la rambarde histoire de voir si les chats retombent vraiment sur leurs pattes. Vous n'êtes pas bien grosse et même dans mon état je devrais parvenir à vous soulever ! - Blablabla… Au pays des idiots, vous êtes le roi !
Le branquignol n’attendait que ça pour foncer tel un buffle maladif. Il a pour lui sa sature et sa masse corporelle. Rien de tracassant pour un félin agile. J’esquive à la dernière seconde, laissant traîner un pied qui en bute un autre de cinq pointures de plus. L’édifice Rapier perd l’équilibre. Gestes vains et douloureux pour prendre appui sur le vent.
Tobias me doit son nez sauvé d’une rencontre intime avec le mur par un rapide crochetage de sa ceinture au niveau de ses reins. Je ne fais pas cas de ses borborygmes barbares et l’assois de force sur le premier fauteuil de terrasse qui se trouve à ma portée.
- Pas bougé ou je mords ! Chad ! Au lieu de te planquer, va chercher le matos de soin de Mick !
Tobias n’est pas disposé à jouer au patient coopératif.
- Pas bougé, ou Alice me voit me transformer en minet. Et je suis gentille, j’opterai pour le petit gabarit.
La menace atteint ma cible qui reste le cul posé là où je l’ai assis. Mais l’ordre ne concerne pas le niveau sonore. La langue acerbe du professeur ne perd pas en vigueur. Je ne réplique pas, j’attends le retour de Chad qui arrive bien vite avec une énorme valise. Mick possède tout un tas de trucs de ce genre de plusieurs tailles.
Après une brève recherche, j’attaque sans préavis par une dose de morphine, une piqûre dans la cuisse à travers le pantalon.
- Taisez-vous, et vous en sortirez vivant !
Je procède avec plus de délicatesse pour la suite. Tobias est transféré sur un transat pour libérer son ventre de toutes contraintes. Sous prétexte de le maintenir immobile, je demande à Chad de lui plaquer les épaules contre le dossier. Le loup n’est pas idiot et profite du contact pour absorber la douleur de Tobias. L’Anglais n’a pas le temps de s’en offusquer, il est trop préoccupé que je fouraille sur sa plaie. Je désinfecte et nettoie. Ce n’est pas une attaque de loup : trop de marques de dents.
- On va vous faire une piqûre d’anti bio large spectre. La gueule des prédateurs est un foyer à miasmes.
Je joue à la couturière, une tache que j’ai souvent occupée dans ma vie à recoudre les hommes qui se vident de leur vie. La morphine, l’action de Chad, la fatigue semblent avoir raison de l’Anglais qui subit un peu moins bruyamment. Les points de suture terminés, j’applique un onguent qui protégera de l’infection. Puis j’attaque le reste des blessures, en commençant par le poignet.
- Pas bouger ! ordonné-je en tâtant le plus légèrement possible le poignet du patient. C’est cassé ! Faux immobiliser sinon pour perdrez l’usage de votre main.
Je devine que la case hôpital n’est pas envisageable. J’agis donc comme y a mille ans, quand la radioscopie n’était même pas une idée envisageable. Chad joue à l’assistant et trempe les bandes de plâtre dans une bassine puis me les passe.
- Papa, bobo !
Alice s’inquiète. Elle devine le malaise de son père qui se laisse faire sans vraiment être entièrement d’accord. La petite s’agite, s’affole.
- Tu veux aussi qu’on te plâtre le poignet comme ton papa ? Tu pourras faire des dessins dessus. Au pire, on enlèvera si ça ne te convient pas, ajouté-je avant que le ronchon de service fasse son rabat-joie.
(…)
Alice s’amuse, peine à attendre que son plâtre sèche. L’hôpital improvisé se transforme en jeu pour la fillette qui éponge le front de son père avec l’application d’une infirmière en herbe. Même un poignet vaguement bloqué dans son plâtre à cause de ses mouvements constants, Alice reste adroite et succède à Chad pour la distribution de sparadrap. La participation d’Alice semble calmer le pachyderme anglais. Je termine de soigner chaque blessure. Certaines commençaient à s’infecter.
Je range le matériel, note ce qu’il faut remplacer. Mick, même si je doute le voir venir cherche un jour son matos, était très maniaque. Puis, une valise de soin incomplète ne sert à rien. C’est un fait.
- Chad, je vais la remettre à sa place.
Dans le dos de Tobias, je fais un signe à l’architecte pour lui signifier qu’ensuite je m’en vais sans passer par la case des salutations. Je me moque de recevoir un quelconque merci du sieur Rapier qui ne croule pas sous l’envie d’en donner.
Le rugissement de ma kawa avertit le professeur de mon départ.
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Sujet: Re: Parenthèses Feat Tobias Mar 23 Nov 2021 - 11:44
Parenthèses
Feat : Chad et la surprise 2.0
Si la charge est immédiate, la chute se fait plus soudaine encore. L'anglais ne réfléchit plus, il fonce et c'est sans surprise que sa mire esquive. Un pied barre le chemin d'un des siens, il part en avant rattrapé in extremis par une main qui se saisit de sa ceinture. C'est un râle tant rauque que douloureux qui passe la barrière des lèvres de l'homme. Son ventre barré de larges plaies se rappelle à son souvenir, il souffle et maudit celle qui vient de réveiller cette souffrance qui peinait déjà à s'effacer.
-Ne me touchez pas ! Je vous l'interdis !
Des revendications plus crachées qu'énoncées qui résonnent dans le vide. Assit de force sur une chaise, Tobias se débat et tente de se redresser sur ses jambes qu'il devine tremblantes. Il n'est pas en capacité de tenir tête son ancienne collègue. Mais si son corps se révèle être une fois de plus un traître, son esprit quant à lui ne peut se résigner. La résilience est un don, une qualité qui permet à certains de ses congénères de savoir agir de la manière la plus juste lorsque cette dernière leur ait dictée par autrui. Mais l'anglais, fier animal, refuse de voir son sort reposer entre les mains de son prochain. Son passé lui a apprit que sa confiance pouvait être salie sans que cela ne puisse déranger celui qui serait responsable d'un tel sacrilège. Avec les années et au fil des actes manqués l'homme a donc apprit à ne compter que sur lui même. Ou presque. Des exceptions comme Alessandro ou encore Chad sont celles qui confirment une règle qui chez le britannique prend des airs de mantra : On est jamais mieux servi que par soi-même.
Nulle menace ne saurait le forcer à plier. Au chat qui mord on ôte les dents. Le britannique ne cesse de se rebiffer, peu amène à l'idée de se laisser dicter sa conduite par la brune.
-Je fais encore ce que je veux ! Laissez-moi tranquille espèce de déesse en carton !
Tobias se fige. Il ne veut avoir à tolérer le fait que Mafdet prenne une forme plus animale devant Alice. L'enfant est jeune et n'a pas à vivre avec une telle image profondément imprimée dans sa mémoire. La petite blonde parle et prendre le risque qu'elle puisse évoquer de cette rencontre avec une femme capable de se transformer en minette, quelque soit la taille de celle-ci, leur attirerait des ennuis à tout les deux. Le professeur grommelle pour la forme, se tend lorsque Chad revient. Il n'apprécie pas le fait qu'un homme qu'il apprend à voir comme un ami puisse le voir dans une pareille position de faiblesse. Soufflant comme un bœuf, le britannique inspire lourdement lorsque une aiguille se fraie un passage à travers le tissu léger de son pantalon pour se planter dans sa cuisse.
Celui qui fut chasseur sanguinaire avant de retrouver son rôle de professeur serre les dents tandis qu'on le transfère sur un transat. Il darde d'un œil curieux et inquiet la moindre des actions de son ancienne consœur. L'homme se tend alors qu'une main délicate glisse sur sa plaie, il se cambre, rapidement stoppé dans son élan par les mains de Chad posées sur ses épaules qui le forcent à faire preuve de plus de docilité.
La docilité, un autre concept inconnu pour celui qui a trop longtemps courbé l'échine face à l'infâme personnage qui s'est révélé être l'assassin qui a prit la vie de son fils. L'anglais en mauvaise posture râle, peut être plus pour la forme qu'autre chose. Déjà sa cervelle se noie dans un épais nuage de coton qui le mène sur la piste de l'oubli. Il ferme un œil, puis un autre. Les ouvre à nouveau lorsque une aguille perce sa peau pâle.
Le sommeil le guette, car il faut bien avouer qu'il ne dort que très peu depuis une semaine. Mais bien vite il est arraché à cette somnolence et se cambre lorsqu'une caresse sur son poignet fait naître une douleur lancinante qui remonte le long de son bras. Serrant les dents le britannique foudroie celle qui joue les infirmières de son regard le plus noir. Il ne veut... Non il ne peut perdre l'usage de cette main qui est celle qui lui offre le plus d'agilité. C'est la voix de sa fille qui le ramène vers de meilleures pensées. Une boule prend forme dans sa gorge tandis que son regard épuisé tombe sur sa princesse. Si pure et riche d'une innocence qu'il se doit de préserver.
-Papa, bobo ! -Non ma chérie... Tout va bien.
Son mensonge ne paie pas de mine et ne va guère de paire avec le spectacle pitoyable qui se joue devant le regard innocent d'Alice qui ne tarde pas à s'affoler. Il tend une main vers sa fille pour tenter de la rassurer, mais encore une fois il se heurte à un échec fracassant. Ses sourcils se froncent alors que la féline mentionne une idée qui paraît folle au professeur. Tobias ouvre la bouche prêt à conseiller à la druide d'aller gratter au fond de sa litière pour voir s'il y est.
Finalement le plâtre se révèle être une riche idée qui suffit à apaiser Alice. Elle prend soin de son père, fait de cette débandade un jeu en devenant son infirmière personnelle. C'est un vague sourire qui égaille les traits de celui qui se perd dans les prunelles azur de sa progéniture. Entre deux eaux, l'homme mire sa princesse, soupirant d'aise lorsque cette dernière lui éponge le front en usant d'une gestuelle dotée d'une douceur approximative. Il cesse alors de prêter attention à Mafdet, se contentant d'ouvrir la bouche pour murmurer une mélodie sans sens destinée à son trésor. Il est gaga, complètement abasourdi par la beauté de sa fille. Totalement perché, Tobias ne réagit même pas tandis que son ancienne collègue s'éclipse pour aller ranger la valise de premiers soins.
Il soupire, laissant sa fille l'escalader pour mieux se lover contre le torse paternel. Sa main valide caresse les ondulations blondes. Un bruit lui parvient au loin, celui d'un moteur. Bouche grande ouverte le chasseur met quelques secondes à faire le lien. Ce son qui vient de lui parvenir est annonciateur du départ de celle qui a joué les couturières avec le cuir de son ventre. Il se contente de fermer les yeux, conscient malgré tout de l'ampleur du service que viennent de lui rendre Mafdet et Chad. Le britannique sourire, l'esprit encore empêtré dans un épais voile de coton. Une torpeur qu'il ne se serait pas autorisé s'il était chez lui. Il se doit de garder son esprit clair lorsqu'il est isolé avec sa fille, sans filet. Mais aujourd'hui Tobias sait qu'il n'est pas seul et qu'il peut alors se permettre un relâchement qui lui semblerait intolérable en temps normal.
Son ami vaque non loin de là dans cette vaste demeure atypique, les sens exacerbés par la condition de l'architecte font de lui un parfait gardien pour la petite Alice qui se laisse glisser au sol. L'enfant part, le pas mal assuré. Manquant de glisser une fois de plus alors qu'elle retrouve l'intérieur de la maison. Tobias souffle une inutile recommandation.
-Doucement ma chérie. -Aly pas boum ! Aly soif. Papa faire dodo.
Il ne sait à quel moment son corps achève de le trahir. Ses paupières se ferment en douceur, sa respiration se fait alors plus profonde et régulière. Pas tout à fait parti dans les bras de Morphée mais non loin de l'être, il sent une présence à ses côtés. Une gestuelle fluide, trop pour que cette personne près de lui soit sa fille.
-Merci.. D'être là. Mafdet est partie avant que je ne puisse la remercier, je semble passer pour un odieux connard et ce en toutes circonstances.
Fait regrettable mais pas moins explicable. Tobias vagit, ouvrant enfin un œil sombre et vitreux pour observer le loup qui paraît s'être figé.
-Cela m'arrange généralement car ça me permet d'éloigner les téméraires auxquels je risquerais de m'attacher. Les gens finissent par partir, par mourir et je ne veux plus avoir à subir toutes ces pertes. Je suis navré de vous savoir seul, il me semblait que vous aviez mentionné une personne partageant votre quotidien...
Mick affirmait que notre maison était une forteresse. Elle restait pourtant perméable aux casse-pieds ! J’avais dans l’idée d’offrir un havre de paix au professeur… Nous nous prenons deux ouragans coup sur coup… Je sais bien que derrière ses sourires de pub pour dentifrices et son arrogance, Amaro s’inquiétait pour son ami. Tobias l’avait écarté alors qu’il était dans la panade. À moins que l’Italien soit jaloux que l’Anglais me fasse plus confiance qu’à lui ? L’idée de moucher ce pénible me plaît.
Autant, je sais comment me comporter devant Amaro, autant Mafdet me glace et me fait perdre mes moyens tant elle se situe en dehors de tous les codes sociaux que je connaisse. Cette sale impression qu’elle donne aux gens d’être de vulgaires souris avec lesquelles elle s’amuse. Sans pitié. Seulement, force est de constater qu’avoir une momie vivante dans son carnet d’adresses donne accès à un savoir oublié depuis la nuit des temps.
Je m’efface dans ma propre maison. Je n’ai pas le temps d’agir quand je vois Alice se saisir de la peluche destinée à Ian. Je cesse de respirer quand Mafdet reprend le jouet des mains de l’enfant sans réel ménagement. Je crains une réaction nucléaire de la part du professeur. Par pur réflexe, je rentre la tête entre les épaules.
Tobias est trop mal en point pour résister à la féline. Je vais chercher la mallette demandée. Je répugne à entrer dans cette cave qui contient encore les affaires de Mick. Un arsenal pour nous défendre a-t-il dit en partant. Autant de souvenirs grinçants dans mon cœur.
Mafdet joue les infirmières, son autorité et l’abattement du professeur font que je peux le soulager sous couvert de le maintenir sur son fauteuil pendant qu’elle nettoie ses plaies et les recoud avec une précision et une habileté que je ne lui soupçonnais pas. Cette femme a vécu plus de cinq mille vies. Elle m’étonne quand elle charme Alice en détournant l’inquiétude de la petite en lui offrant le même plâtre que son père.
(…)
Avant de partir, Mafdet me donne la consigne d’offrir la peluche qu’elle a amenée à Ian et d’éviter qu’Alice n’y colle son odeur. Ian est devenu suspicieux et moins malléable qu’à son habitude. Je sais que Derek galère avec son cousin, mais je suis d’une aide pitoyable en ce moment. Je vaque à la cuisine tout en surveillant d’une oreille attentive mes deux hôtes. Entendre la complicité de l’enfant avec son père adoptif me froisse le cœur. Cela me renvoie à mes espoirs de devenir père avec Mick. C’était il y a un siècle. Tobias me montre sans le vouloir ce que je manque.
Alice me rejoint à la cuisine. Je l’installe sur la chaise haute et lui donne de quoi s’occuper sous couvert de m’aider. Je prépare un brunch. Sur la terrasse, le professeur se repose. C’est le mieux qui peut lui arriver.
(…)
L’heure tourne, j’ai donné à Alice des feutres à l’eau et des feuilles de papier. Je m’approche du professeur pour vérifier qu’il va bien.
- Merci. D'être là. Mafdet est partie avant que je ne puisse la remercier, je semble passer pour un odieux connard, et ce en toutes circonstances. - Mafdet n’est pas une femme de formalité. C’est elle qui est partie sans un au revoir. Je crois que vous la connaissez aussi bien que moi. Imbuvable, mais une alliée inestimable.
Le professeur continue, perdu dans ses pensées.
- Cela m'arrange généralement, car ça me permet d'éloigner les téméraires auxquels je risquerais de m'attacher. Les gens finissent par partir, par mourir et je ne veux plus avoir à subir toutes ces pertes. Je suis navré de vous savoir seul, il me semblait que vous aviez mentionné une personne partageant votre quotidien...
Je tique. Je ne m’attendais pas à cette question. Je suis pris de court.
- Comme vous le mentionnez : les gens finissent par partir. Mon ex-compagnon s’est choisi un combat que je ne pouvais pas suivre. Ou pour être exact qu’il ne m’a pas autorisé à suivre.
Une armée de l’ombre qui lutte pour aider les surnaturels, mais qui refuse dans ses rangs ces êtres qu’ils affirment défendre. Réalité ou affabulation de Mick ? Difficile de cerner la vérité. Mick gérait très bien le rythme de son cœur et pouvait me mentir sans que je le détecte. Je m’en suis aperçu trop tard. J’aide le professeur à se lever du transat pour qu’il ne force pas sur ses nouveaux points de suture.
- Je propose de manger à l’intérieur, le vent se lève.
Alice n’a pas très faim, elle a picoré çà et là lors de la confection du brunch. Je dessine des traits avec les restes d’œuf dans mon assiette. Je me suis pris une flèche en plein cœur en croisant Mick la première fois. Pour finir par me manger un mur. Arrêt net en plein vol. Un bonheur réduit en miettes, mon cœur aussi. Je lève les yeux vers le professeur. Je suis le même cheminement que cet homme : le repli sur soi.
Le trouble s'installe sur les traits de Chad tandis que celui qui habituellement préfère se montrer discret met les pieds dans le plat. Tobias ne s'intéresse guère aux affaires de cœur de ses congénères, car il estime généralement ne pas avoir à fourrer son appendice nasal dans ces histoires. Mais l'effet de la morphine rend son esprit douceâtre et il doit avouer en cet instant qu'il est inquiet pour Chad. Un jeune homme agréable, gentil, peut être même trop. Et surtout discret et trop attaché à ses bonnes manières pour imposer ses soucis à autrui. Des qualités que l'anglais sait apprécier à leur juste valeur en temps normal, mais aujourd'hui cette situation l'inquiète plus qu'elle ne l'intrigue. En effet, il a apprit au fil des rencontres et même des heures passées près de l'architecte à voir en lui un ami. Le retrouver ainsi esseulé et d'humeur morose n'est pas pour plaire au professeur.
En quelques mots Chad exprime sa solitude et les causes de cette dernière. Tobias se contente de conserver le silence pour ne pas s'ingérer dans le cercle privé, trop certainement, du jeune loup. Toutefois le regard noir du chasseur ne parvient à se détacher de son hôte. Il le scrute, silencieusement. Attend une suite qui ne viendra pas. C'est sans sourciller que le géant britannique saisit une main tendue et se redresse maladroitement. Il s'accroche à cette ancre imprévue. La douleur n'est plus, ne reste qu'une gêne et le sentiment d'avoir dérivé malgré lui hors de ce chemin qui lui semblait droit. Le chasseur se crée une mine de circonstance, une pâle copie de ce flegme qu'il a apprit à fabriquer de toutes pièces pour paraître insensible. C'est en cet instant inutile mais les vieilles habitudes ont la dent dure.
Alice picore plus qu'elle ne dévore, Chad assure au père de la petite fille qu'elle est repue des gourmandises qu'elle a su grappiller ici et là durant la préparation du brunch. Tobias se demande combien de temps a duré cette sieste qu'il avait jugé à tord éphémère dont il s'est offert les bienfaits. Chad joue du bout de sa fourchette, peignant dans le fond de son assiette une œuvre abstraite au jaune d'œuf. L'anglais se contente de dévorer ce repas qui lui remplit l'estomac et apaise son esprit tourmenté par ces images avec lesquelles il va pourtant devoir apprendre à vivre. L'atroce fin d'Angela se joue sans cesse dans sa cervelle abimée par la noirceur. C'est comme un film de mauvais goût, un vieux bouquin à sensation dont King pourrait être le l'auteur que l'on déconseillerait aux esprits sensibles. Les hurlements de la jeune disquaire aux cheveux bleus, ce viol qui a précédé la chute de cette dernière... Le monstre se délectant de celle qui était venue aider un homme en lequel elle avait fait l'erreur de voir un ami. Puis un autre personnage, silencieux, passif et assit sur un sofa taché de carmin. Un protagoniste plus vicelard encore que ceux présentés au premier plan. L'anglais manque de s'étouffer avec son jus d'orange lorsque son cœur se lève malgré lui. Il repousse légèrement son assiette au loin, ferme les yeux. Pour les ouvrir bien vite lorsque la voix de Chad se fait entendre.
-Loin des autres, on ne peut pas être déçu.
Une certaine sagesse semble résider dans ces quelques mots. À moins que ce ne soit uniquement la lassitude de l'architecte qui pousse ce dernier sur la pente de la solitude. Tobias essuie ses lèvres en usant de minutie, ose un regard vers sa fille qui s'affaire avec des feutres et des feuilles de papier.
-La solitude n'est pas une solution. Elle va agir comme un pansement de l'âme dans un premier temps, puis bien vite saura devenir votre ennemie.
Il est devenu un expert sur le sujet, lui l'homme qui a trop longtemps vu en ces congénères des ennemis potentiels, des gens qui pourraient un jour lui nuire pour finir par lui faire perdre toute raison. Mais ce n'est plus le cas depuis qu'il vit dans cette ville car au fil des mois il a apprit à voir en l'humain du bon. Il n'apprécie pas le contact humain, terrifié à l'idée que l'on puisse effleurer sa peau sans avoir obtenu son consentement. L'anglais a alors su construire autour de sa personne des murs de glace censés être suffisants lorsque viendrait le moment de refouler les audacieux qui auraient pu songer à devenir ses proches. Tout petit déjà il se tenait à l'écart de cette société qui l'effrayait, ne restant cantonné qu'aux limites familiales. De nombreux échecs, des trahisons qui ont su s'enchainer lui ont permit de voir le monde différemment. Certes il n'est toujours pas friand des bains de foules et il peine encore à saisir les clés du fonctionnement des conventions sociales qui réagissent ce monde, mais Tobias a tout de même su tirer quelques maigres leçons de ses erreurs. D'une voix morne il se reprend et retrouve le fil d'une diatribe fondée sur quelques certitudes aiguisées grâce l'action du temps et à son expérience personnelle.
-En demeurant seul, on finit par se détester soi-même. Le moindre de nos défauts et parfois même certaines de nos qualités nous deviennent insupportables. C'est un cercle vicieux qui fait que l'on en arrive à se décevoir sans jamais avoir besoin d'un autre pour trahir notre confiance. Ou encore notre cœur. Ne prenez pas exemple sur le vieil aigri qui vous fait face Chad. Parfois j'en veux à mon épouse de ne plus être là, mais plus souvent encore c'est à l'incapable que j'ai pu être que j'ai envie de faire la peau. Sans Alessandro j'aurais quitté cette ville avant d'avoir prit le temps de défaire mes bagages. Sans vous, je serais mort dans une cave de la main du pire démon qui soit. Alice m'offre un renouveau que je n'aurais eu l'audace d'espérer. Les secondes chances ne sont pas des légendes créées uniquement pour les chansons trop romancées de certaines midinettes.
Le britannique si peu loquace à l'ordinaire se tait soudainement. Son regard noir tombe sur le loup, une lueur pétille dans ces prunelles sombres qui caressent le faciès fermé de l'architecte. Une ébauche de sourire effleure les lèvres de l'homme qui habituellement n'affiche que triste mine et rictus à la vue de son prochain. Il semblerait que Tobias ait bien changé durant ces deux dernières années.
-Vous êtes un homme bien. Quelqu'un de gentil que la vie tente d'abimer. Ce sera compliqué, mais je pense que vous saurez surpasser ces pertes. Cela prendra peut être six mois ou même dix ans, mais vous y arriverez. Parce que vous n'êtes pas seul. Vous avez une meute, quelques amis. Je suis votre ami, si un jour vous avez besoin de parler n'hésitez pas.