Qui veut la peau du coyote ?  ||| Tobias

C'était prévisible mais la venue de Judith à Beacon Hills n'a guère suffit à modifier les habitudes de celui qui craignait pourtant que ce chambardement ne vienne troubler sa douce routine. La jeune femme a su sans mal prendre ses marques auprès de cet oncle qu'elle ne connaissait jusqu'ici presque pas, si ce n'est à travers les dires de ses parents ou encore ceux de ses grands-parents. Elle a vite compris qu'il ne valait mieux pas déranger l'homme sans avoir une bonne raison de le faire. Jude s'est révélée être assez futée pour saisir les quelques subtilités de celui qu'elle se plaît à surnommer "Oncle Tob". Après avoir vécu chez le professeur durant une longue semaine, elle a prit ses aises, ses clics ainsi que ses clacs et s'en est allée en direction de LA. Tout semble bien s'y passer pour la future photographe, elle ne revient qu'une fois par semaine, au volant d'une voiture de location réglée par son oncle, pour profiter de la machine à laver et piller le réfrigérateur par la même occasion.

Peut-être manquera t-elle à son oncle lorsqu'elle sera partie pour retrouver l'agitation londonienne, mais jamais Tobias ne l'avouera. Il aime certes les membres de sa famille mais les préfère aussi éloignés que possible de sa vie. Jasmine est une exception et elle doit le demeurer. La tatoueuse a l'esprit assez ouvert pour ne pas chercher ce que peut lui dissimuler son jeune frère là où Georges ou encore leur mère ne sauraient être capables de fermer les yeux sur certaines des sombres activités de Tobias.

L'homme s'agite, préparant sa fille qui n'a de cesse de vouloir quitter son gilet et ce même si son père lui a déjà tout dit de leur destination. L'enfant certes charmée à l'idée de revoir son parrain dans un futur proche peine à se montrer complaisante envers celui qui a fort heureusement retrouvé sa pleine mobilité depuis une poignée de jours.

Adieux le plâtre, au revoir les pansements qui lui barraient encore le ventre quelques jours plus tôt. Le professeur est allé à la rencontre de son agaçante ancienne collègue pour qu'elle retire les derniers points deux semaines plus tôt et depuis l'homme se porte comme un charme. Il n'a su quoi dire à la féline, se contentant de la remercier pendant qu'elle faisait son office. Il a su éluder avec brio les questions qu'elle s'est bien gardée de lui poser. L'omission est le plus doux des mensonges et il permet à l'anglais de ne pas trop peiner à trouver le sommeil lorsque la nuit dérobe sa place au jour.

Parfois, quand son esprit s'égare plus qu'il n'est raisonnable de le faire, les cris de la douce Angela lui parviennent encore. Effrayante condamnation qu'est le remord lorsqu'il affecte ceux qui survivent.

Perdu dans ses songes, Tobias manque de sursauter lorsque sa fille s'accroche à lui et tente de lui arracher une partie de l'oreille.

-Papa. Alice partir voir Dro !
-Nous partirons quand tu auras retrouvé ton gilet jeune fille.

Alice fait la moue, tirant un peu plus fort sur sa prise. Tobias grimace pour la forme avant de se saisir de la petite main pour l'aider à se desserrer.

-Alice on ne fait pas mal à son papa. C'est mal vu par la société et j'aime avoir deux oreilles.

[...]

Le confort est une notion vague mais Tobias sait où se trouve le sien. Ainsi installé sur Son tabouret, devant un verre de whisky dont il sait qu'il saura l'apprécier, en train d'échanger quelques mots avec son ami sans jamais éprouver le besoin d'ouvrir la bouche, l'homme savoure cette quiétude dans laquelle il baigne quand il se rend dans ce qui est sans aucun doute un de ces lieux favoris en ville. Jenny babille devant Alice, ce qui force l'apparition d'un sourire avenant sur les traits du britannique. Il n'a pas encore prit le temps d'emmener sa nièce dans cet endroit qu'il considère comme son cocon. Et il est heureux de ne pas avoir sauté ce pas ce soir quand Alessandro pose une photographie sur le zinc. Le feuillet change de main et Tobias peine à demeurer flegmatique lorsqu'il reconnaît le doux illuminé qui se trouve au centre de l'image. Entouré par ses automates, le coyote donne des envies assassines à celui qui éprit par la folie avait cru que son bonheur pourrait être auprès de cet hurluberlu.

Scipion en mettant les voiles a également su plonger le britannique dans un état de rage frigide. Il ne connaît qu'une destinée possible pour celui qui a prit son cœur et son pénis entre ses mains, s'est donné le luxe de jouer avec avant de prendre la poudre d'escampette. Un fumiste qui finira tas de cendres. Un sourire doucereux que l'on pourrait qualifier de malsain effleure les lèvres de celui qui généralement n'offre que le marbre de son indifférence à la face du monde. Il n'a définitivement pas su apprécier la fin de leur relation à sa juste valeur.

-Donne moi deux jours.

Le délai n'est pas aussi court qu'il le paraît. Il est même amplement suffisant aux yeux de celui qui doit simplement trouver un doux mensonge à murmurer à l'administration de la faculté et une personne douée de patience qui saura prendre soin de la prunelle de ses yeux en son absence. Immédiatement Tobias songe à Chad qui lui a déjà proposé de lui rendre un pareil service. N'aimant guère se sentir redevable envers son prochain le professeur est toutefois parvenu à accepter cette idée : L'amitié est régie par d'étranges codes et il espère bien ne jamais avoir besoin de tirer Chad d'une mauvaise passe car cela indiquerait alors que l'architecte se trouve dans une situation dangereuse mettant son existence en péril. Jasmine devient naturellement le plan B de son frère, au cas où l'ami de ce dernier ne serait pas disponible.

Un plan B ennuyeux car la sœur du tueur pourrait avoir la triste idée de lui poser des questions dont elle n'aimerait pas les réponses. Jasmine appréciait Scipion, plus pour les tatouages qu'il arborait que pour la bruyante personnalité de ce dernier. Elle serait capable d'en vouloir à son frère si elle apprenait que ce dernier compte bien dépecer le coyote.

Tobias sourit à cette idée tandis que sa fille dans les bras de son parrain exprime sa joie d'être une petite princesse choyée par tout ceux qui posent les yeux sur elle. Il est un mauvais exemple pour cet enfant qui un jour ou l'autre posera des questions et saisira par la force des choses que son papa et son parrain se livrent parfois à des activités dont la morale ne sait tolérer l'existence. Tobias a tout de même tué et débité un flic quelques mois plutôt et tout cela devant le regard mécontent du forrain. Son ego blessé marié à cette logique qui lui dicte que laisser un témoin d'un pareil crime en vie n'est pas une riche idée sont les meilleures raisons du monde pour arracher celui qui ne cessera jamais d'être un tueur à la navrante normalité de sa vie.

-Il m'avait dit venir de là bas. C'est sot de sa part d'y être retourné.

Sot et prévisible... Peut-être arrogant par la même occasion. Ce fantasque personnage est plein de surprises et ce même en écrivant les dernières lignes du conte de sa vie. Scipion n'a décidemment rien à envier à leur amie Laura.

Tobias vide son verre avec la promptitude de celui qui sait que le prochain ne tardera pas avant de lui être servi. Sans surprise Alessandro accède à cette requête avant même que son ami n'ait besoin de l'énoncer. Le professeur retrouve son flegme chérit avant de donner un ton plus léger à leur discussion.

-Merci encore pour la bouteille que tu m'as offert pendant ma convalescence.

Le mot est doux pour parler de ces jours durant lesquels le professeur et sa fille se sont terrés dans leur appartement.

-Une amie de Jude est passée, elle a trouvé cet alcool à son goût.

Cette femme qui affiche sans honte son amour de la vie est un oiseau rare dont Tobias se surprend à apprécier la compagnie. Juliette aime le bon alcool et surtout sait apprécier une musique de qualité. Le tout sans se formaliser du manque d'expressions de l'oncle de Judith. Cette femme n'est pas seulement un volatile au plumage bariolé. C'est une véritable perle.

Alessandro avait tord, il n'y a pas que les membres de la gente masculine qui savent apprécier le whisky et les bienfaits de celui-ci. Mademoiselle Crown est revenue voir Tobias, prétextant un nouvel oubli de la part de Judith pour justifier sa présence. Sans avoir osé songer qu'il pouvait s'agir d'un mensonge le tueur a ouvert sa porte à celle avec qui une fois de plus il a partagé un verre, puis un autre, le tout en écoutant une de ses dernières trouvailles pour mélomanes de goût. La jeune femme semble facile à vivre, ses manières sont douces, spontanées et elle apporte à sa façon un nouveau courant de fraîcheur dans la vie de celui qui aurait tendance à se reposer sur sa routine et les acquis que cette dernière lui confère.

Miss Crown est indubitablement devenue Juliette dans l'esprit du professeur. Il ne sait pas encore si c'est là une bonne ou bien une mauvaise chose, mais il voit difficilement ce qui pourrait lui arriver de pire que ce qu'il a déjà pu connaître par le passé. Après avoir connu l'horreur Tobias se surprend à aspirer au meilleur.

[...]

Il quitte la demeure de son ami après avoir partagé avec lui une tasse de thé. Alice ne paraît pas troublée à l'idée de vivre quelques jours chez Chad et elle a su montrer un grand intérêt à cette boule de poils que l'architecte a eu l'idée incongrue d'adopter. Le jeune matou va découvrir que la vie peut se faire bien rude lorsque l'on devient le centre de toutes les attentions d'une jeune enfant. Le chaton est une peluche vivante qui n'a pas eu de mal à faire naître du ravissement dans le regard de la petite Alice. Chad n'a pas fait de manières en apprenant que son ami avait besoin de faire garder la prunelle de ses yeux durant son absence. Il a dû juger que préserver son ignorance au sujet de ce projet était la meilleure des options qui s'offraient à lui et cela convenait totalement à celui qui ne veut pas faire entrer le crime dans la vie de celui en qui il voit un ami brillant avec qui il est toujours appréciable de venir échanger quelques mots dont ils sont pourtant tout deux avares.  

Si Alessandro est à lui seul tout un cinéma grandiloquent, Chad tient plus du roc. Il est de ces forces tranquilles qui savent rassurer leurs interlocuteurs. Ces deux extrêmes se complètent, reflétant chacun une part de la personnalité du professeur. Après avoir quitté la propriété toujours aussi déroutante de son ami, Tobias prend la direction du centre-ville, puis du Pink Print. L'heure du rendez-vous prévu avec son ami est presque arrivée. Il se gare dans une rue proche du bar, attendant patiemment quelques minutes en profitant de ce moment pour se replonger dans une de ses lectures favorites. Si Tobias prend de l'âge et que sa barbe blanchit au fil des mois, le génie tiré de l'esprit brillant de Leroux n'a quant à lui pas prit une ride. Le héros de son enfance sait toujours titiller la cervelle de celui qui a l'audace de se décrire comme brillant. Le professeur est de ceux qui se savent intelligents, bien assez pour vouloir imposer son savoir aux étudiants qui prennent la peine d'assister à ses cours. Il n'est certes pas le plus pédagogue des professeurs, mais il ne manque pas de passion quand il conte, dévoile et romance son amour de ces œuvres dont on se souviendra encore dans cent ans.

Cette bulle de douceur est brisée en mille éclats quand le coffre s'ouvre pour bien vite être refermé avec brutalité. Rouletabille vient de se faire voler la vedette par un nouveau personnage aux manières des plus discutables. Alessandro tient plus de Balmeyer que de Sinclair. Levant brièvement les yeux au ciel, l'anglais ferme son livre d'un geste sec avant de le ranger dans son vide poche.

Alessandro prend place sur le siège passager et avant que Tobias n'ait pu le saluer le voilà qui lance des hostilités dont le professeur ignorait qu'elles étaient prévues au programme. Marmonnant un modeste bonjour après avoir dardé son ami d'un regard voulu noir et surtout outré, le britannique met le contact et sort de la rue sans se forcer à jouer le jeu de la sympathie. Il est encore bien tôt, trop pour qu'il parvienne à se montrer courtois. De plus la gratuité de la pique lancée par Alessandro n'est pas pour lui plaire. Il roule alors lentement, à un rythme si lénifiant que même les gars qui les suivent doivent sombrer dans l'ennui le plus total. Tobias est un grand enfant de 45 ans immature, plus encore qu'il ne l'était avant de souffler son dixième anniversaire. Aucun radar ne les flashera s'il ne dépasse pas les quinze miles à l'heure.

Cette journée commence très mal et ce cinéma à l'italienne qui vient de débuter ne gagnera pas de bonnes critiques de la part de son public britannique s'il continue ainsi.

[...]

LA est encore si loin...

Cela ne fait que vingt minutes à peine qu'ils ont quitté Beacon Hills et déjà l'ambiance est plus tendue que ne l'était la robe portée par la plus célèbre des Kardiashian durant le dernier Met Gala. Tobias sourit brièvement en songeant à Kim, puis au postérieur de cette dernière, la part la plus intéressante de cette personne. Celle qui fait naître le plus de débats en tout cas. Avant d'être arraché à ces doux songes par une main impolie qui caresse le bouton du volume du son. Rapidement, il râle. Ce qui ne sert à rien car cette main semble plus décidée qu'elle ne devrait l'être lorsqu'il s'agit de rompre la mélodieuse harmonie qui se fait entendre dans l'habitacle. La main de Tobias claque celle de son ami puis il crache un avertissement voué à demeurer unique.

-Ne touche pas à ma musique.

Sa musique et dans sa voiture de surcroît ! Le professeur n'aime pas qu'on vienne le taquiner sans raison, il serre les dents avant d'appuyer sur la pédale d' accélérateur. Quand Alessandro lui recommande de ne pas dépasser la vitesse autorisée Tobias se surprend à éprouver une certaine forme de tendresse pour ceux qui délaissent volontairement leurs compagnons à quatre pattes au bord des routes. Alessandro n'est pas vulgaire chien, mais un loup doué de raison qui pourrait se vexer si son ami décidait de l'oublier de cette manière.

Et ces nounous armées qui les suivent comme leurs ombres pourraient ne pas apprécier cette plaisanterie. Tobias souffle avant de se reconcentrer sur la route. Cette drôle d'aventure ne fait que commencer. S'énerver de cette manière ne ferait que gâcher le plaisir à venir. L'anglais a besoin de sa dose de sang, de cris et de sale. Ce train de vie de monsieur tout le monde qu'il s'efforce de suivre le rend nerveux et fragilise au fil du temps sa capacité à agir avec raison.

[...]

Pause pipi. Le club des quatre ne cherche même pas à se montrer discret et Tobias peine à bien supporter cette situation. Après avoir vérifié que lui et Alessandro étaient seuls dans le bloc des cabinets d'aisance, le tueur murmure son agacement pour le faire connaître à son acolyte.

-C'est quand même fou qu'on doive supporter la présence de tes nouveaux amis. La dernière fois que je me suis renseigné, j'étais capable d'assurer seul la sécurité de ton postérieur.  

On se racle la gorge non loin de là, une porte s'ouvre et c'est un des clones de Julie Andrews qui fait son apparition. Ces quelques jours vont être bien longs...

D'humeur maussade il se contente de suivre son ami sans trop prêter attention à ceux qui ne les lâcheront visiblement pas une seule minute durant leur périple vengeur. Certes sa mère lui a envoyé une sœur et elle n'est sans aucun doute pas entièrement innocente au sujet de la venue en Californie de Judith, mais elle sait laisser à son fils le sentiment qu'il peut encore agir librement tant qu'il use de mesure dans ses choix. Margareth n'approuverait certainement rien de ce que son fils et l'ami de ce dernier s'apprêtent à faire, mais ce qu'elle ignore ne peut pas lui causer de tords. Lawrence devine avec justesse une part des travers de son fils et ne l'a jusqu'à ce jour jamais dénoncé mais ce n'est sans doute pas ainsi que Margareth réagirait si elle apprenait que son dernier né est devenu un assassin cruel et incapable d'éprouver le moindre remord. Elle ferait enfermer son fils, en prison ou dans une maison de fous, si cette horreur parvenait à ses oreilles innocentes.

Gardant les lèvres serrées pour ne pas râler face à cette situation qui n'est pas pour lui plaire, Tobias se contente de suivre son ami en tâchant d'ignorer ceux dont la présence demeure compliquée à oublier. Sentant tout du trouble de son ami sans que ce dernier n'ait besoin de l'exprimer à l'aide de mots, Alessandro agite sous le nez du britannique une carotte tentatrice. Un bon verre d'un liquide aux nuances ambrées est ce qui pourrait en effet soulager son esprit de ces soucis qui l'habitent en cet instant. Soudainement plus aise qu'il ne l'était quelques secondes plus tôt, Tobias soupire son soulagement ainsi que son assentiment.

Après un voyage tendu de deux heures pour rejoindre cette ville bien trop grande à ses yeux, le professeur a besoin de souffler. Dans quelques jours tout ira mieux, il aura pu soulager son âme des tout ces nombreux tracas qui l'agitent. La mort lui manque, ainsi que les cris qui l'accompagnent lorsque l'on laisse le temps nécessaire aux mortifères préliminaires pour qu'ils puissent faire leur effet. Tapi dans l'ombre de cette vie qu'il souhaite d'une banale normalité, l'ennui le guette. Un ennemi sournois qui le pousse à songer au passé et à tout les essais loupés qu'il a accumulé depuis ces vingt dernières années. Nul homme ne devrait s'infliger un pareil supplice sans être prêt à renouer avec d'anciennes odieuses manies.

Si le crime demeure mal vu en société ce n'est finalement rien de plus qu'un hobby comme un autre aux yeux de celui qui a poussé ce vice à son paroxysme. Jusqu'à en faire un véritable art, un mode de vie idyllique qui soulage les esprits meurtris mieux que ne peut le faire n'importe quel autre loisir. Sa place en enfer il la sait certaine et déjà réservée. Il y retrouvera alors d'anciens compères et pourra soulager son dantesque malheur en torturant Gabriel en usant des atroces manières que celui-ci a su lui transmettre pendant quinze trop longues années.

[...]

Paisible, il mire ce verre qu'il vient de soulager d'une délicate gorgée. Le second, mais il ne veut pas perdre de temps en comptant le nombre de verres qu'il ingurgite. Tobias boit certes moins qu'il ne l'a fait par le passé, mais sa consommation d'alcool n'est pas pour autant devenue raisonnable. Aujourd'hui ce n'est pas lui qui paie, la mafia toute puissante invitant sans le savoir un sac à vin à venir mettre sa proéminence nasale dans son bar.

Le paternel d'Alessandro n'est sans doute pas à une bouteille près. Et même si c'était le cas, cela n'empêcherait en rien Tobias de dormir la nuit.

Silencieux, autant qu'à son habitude en tout cas il allume une cigarette après l'avoir portée à sa bouche. Il tend son paquet à son ami, une habitude entre deux hommes qui savent que la ruine ne viendra pas les taquiner de sitôt. Tobias manque de s'étouffer à travers un long nuage de fumée lorsque ses songes lui intiment que cette virée est plus drôle qu'elle ne pourrait le sembler. Ce qui les mène en Louisiane n'est qu'une longue suite d'erreurs. Des tords partagés que Tobias ne nie pas mais il doute que l'avis de son ami soit aussi objectif que le sien sur le sujet.

De sa voix rauque le professeur énonce une évidence.

-Nous sommes tout deux responsables de cette situation. Nous avons été plus sôts que brillants sur ce coup.

Des sourcils se haussent, des mâchoires se crispent. Cela amuse celui dont on ne parierait pas sur le fait qu'il puisse être un clown de service. Innocemment, trop peut-être, Tobias reprend.

-Entre moi qui ouvre mon lit à un courant d'air et toi qui prête une petite fortune à un clochard, nous nous sommes fait prendre à notre jeu tout en pensant en maîtriser les règles. Scipion est un marionnettiste à ses heures perdues, il n'a pas eu de mal à nous manipuler toi et moi.

C'est presque un affront de rappeler ainsi son échec à celui qui normalement sait ce qui va se passer, quand et comment. Si Tobias vit bien la fin de cette relation dans laquelle il avait audacieusement cru, grand optimiste qu'il est encore, ce n'est peut être pas le cas de celui qui s'est fait rouler par celui qui ne sera bientôt plus qu'un souvenir. L'anglais sourit franchement derrière sa cigarette, le regard narquois tandis qu'il observe son ami. Tout cela l'amuse, lui le pince-sans-rire par excellence. Sans rien cacher de son plaisir Tobias soulage son verre d'une nouvelle gorgée avant de laisser choir sa cigarette à moitié entamée dans le cendrier.

-C'était un bon coup, sans cette histoire de flic mort sans doute t'aurais-je laissé gérer ça seul. Il voulait en faire des brochettes... Cet idiot nous aurait mit une armée de cannibales sur le dos. Comme si devoir gérer Doyle n'était pas assez compliqué comme ça.

La surprise d'Alessandro fait douter durant un bref instant celui qui en a sûrement trop dit tant il était dévoré par cette allégresse moqueuse qui le pousse à parler plus vite qu'il ne réfléchit. Sans doute aurait-il dû comme à son habitude se taire pour ne pas plomber l'ambiance déjà lourde qui pèse dans cet avion. Tobias n'a rien dit de ses mésaventures à son ami, ni à personne d'autre. Mafdet semble avoir saisit dans quelle catégorie se rangeait celui qui a fait mordre la poussière au britannique, mais il s'est bien gardé de confirmer cette théorie qui fut celle de la féline. Les menaces proférées par le wendigo contrarient celui qui ne souhaite pas laisser ce grain de poussière se glisser dans les rouages de cette vie bien rangée qui est la sienne.

Tobias ferme la bouche tandis que dans la cervelle de son ami semblent se faire les liaisons qui s'imposent. L'anglais est coriace, ardu à effrayer et encore plus à tuer. Un être suffisamment tordu pour toujours trouver son avantage dans les problèmes qui s'imposent à lui. Le soucis Doyle n'est pas encore solutionné mais cela ne devrait tarder. L'ancien chasseur ne demande qu'à le redevenir mais le cannibale à depuis quelques semaines déserté son appartement, son poste et même leur ville entière. Il est désormais loin des yeux du professeur ce qui n'arrange en rien les mauvais sentiments que ce parasite fait naître chez celui qui s'ennuie, assez pour songer à sa vengeance longuement lorsque dans son appartement il est le seul éveillé.

L'ennui demeure un mauvais guide, un piètre ami qui dicte mille folies à celui qui en souffre. Pareil a un Jack Torrance, Tobias est continuellement sur ce fil tendu entre raison et démence. Face à cette sale bête, quand enfin il aura su en retrouver la trace il choisira la hache. Plus létale encore que ne l'est le maillet de roque originel. Le britannique est un dramaturge dans l'âme, il aime le spectaculaire. Un charmant défaut qui fait de lui un tueur imprévisible et cruel.

Le professeur manque de s'étouffer lorsque la stupeur, à moins que ce ne soit de la colère, de son ami s'abat sur lui. Il répond alors sans perdre de temps à choisir ses mots, sachant qu'il n'en existe aucun qui aurait le pouvoir d'arranger sa situation.

-Combien connais-tu de Doyle ?

Aujourd'hui le britannique se complaît à enfoncer des portes ouvertes, une vilaine manie qui ne convient guère à Alessandro si Tobias se fie à la mine contrariée qu'affiche ce dernier. Bien vite, avant même que son ami ne puisse avoir la possibilité d'en rajouter l'anglais justifie l'impensable.

-Je fais des erreurs, beaucoup d'erreurs. Il paraît même que c'est humain alors vois-tu cela me rassure au sujet de ma condition. J'ai baissé ma garde car dans certains instants je ne songe plus à être armé. Après m'avoir fait mordre la poussière et commencé à m'éventrer il m'a fait promettre de garder le silence. Ses arguments auraient pu sortir de ma bouche et les mourants sont dociles. Tu n'en sauras pas plus.

Car Tobias même s'il a retrouvé sa forme et sa santé après cet après-midi musclé redoute malgré tout que cet échec ne vienne lui prendre ce qu'il a de plus cher. Sa fille, sa princesse qui lui donne chaque jour le sentiment qu'être resté en vie durant toutes ces années avait peut-être un but. Lui qui pendant tant de temps ne fut rien d'autre qu'un mort ambulant forcé de survivre dans un monde qui lui avait prit ce qu'il lui était le plus cher réapprend à présent que la vie n'a pas que des mauvais côtés.  Auprès de cette enfant trop jeune pour saisir que le mal et le bien sont deux choses distinctes, il redevient lui même insouciant. Alice est sa seconde chance, un droit au bonheur qu'il n'aurait jamais cru pouvoir obtenir.

La perdre est une idée à laquelle Tobias refuse de songer tant elle lui paraît être intolérable. Son visage se ferme tandis qu'il noie sa détresse dans son verre de whisky. Il n'ouvre la bouche que pour mettre un point final à cette discussion déplaisante.

-Je ne peux pas t'en parler tant que je n'aurais pas vu la mort de ce fils de pute.

L'enjeu est bien trop important pour que Tobias ne puisse se permettre d'éventer ce secret plus qu'il ne l'a déjà fait.

L'ambiance de ce périple pourtant sympathique au premier abord peine à s'alléger. Il faut avouer que ni Tobias ni Alessandro ne font preuve de bonne volonté pour rendre ce début de voyage plus agréable. Est-ce cette lassitude qui régit son existence qui rend ainsi le professeur amer et encore plus froid qu'à l'accoutumée ? Sa vie actuelle n'est pas mouvementée, loin de là. Lui qui aspirait à la normalité se retrouve prit à son propre piège tant il est parvenu à son but. Seul avec sa fille, travaillant dans un domaine qu'il trouve parfois plus ennuyeux encore que ne l'est la pluie, l'ancien chasseur a l'impression que sa vie tourne en rond. Certes cette routine qui est si chère à son cœur peut se montrer rassurante, mais elle ne lui convient pas sur la durée. Elle l'use d'une manière si vicieuse que l'homme n'a pas eu le temps de réagir lorsque sa situation a changé si lentement, inexorablement, qu'il est devenu un tout autre homme que celui qu'il était en arrivant en Californie.

La plupart de ces changements lui sont bénéfiques et sa fille lui apporte une joie sans pareil. Il ne regrette rien de l'homme, cette bête incapable d'éprouver la moindre émotion, qu'il fut par le passé. Mais l'action, le goût du risque, cette adrénaline qui donnait à son existence une folle cadence lui manque.

Lorsque leur avion se pose, Tobias est toujours plongé dans de lourds songes que ne concernent que lui. Cette poussée philosophique, plus dérangeante encore que ne le serait de l'urticaire, ne l'aide pas à se montrer aimable. Bien au contraire. Et cette moiteur étouffante qui les accable lorsqu'ils quittent l'aéroport n'arrange en rien son état. Il râle pour la forme, regrettant le port de cette cravate qui ceint son cou. La voiture qui les attend est superbe. Tape à l'œil également. Il ne manquerait plus qu'elle soit de couleur rouge pour que l'on puisse en arriver à se poser des questions au sujet de la taille du pénis de celui qui s'apprête à la conduire. Sachant qu'un trait d'humour de sa part y faisant référence enfoncerait un clou de plus dans le cercueil de sa bonne entente avec son ami pour la fin de la journée, Tobias se contente de fermer la bouche. Seul un rictus moqueur effleure ses lèvres, avant de bien vite disparaître.

Le moteur puissant donne plus de charme à la voix de Lady Gaga qu'elle n'en avait déjà. Tobias mire le paysage de cet état dans lequel il n'a jamais mit les pieds auparavant à travers la vitre de sa portière. Songeur, il laisse ses pensées s'égarer auprès de celui qui n'est plus près de lui depuis un trop long moment. Les parents de Wesley vivent dans cet état. Des gens qui ignorent encore tout de ce qu'était la vie de leur fils lorsque cet ange a été arraché à ce monde. Même s'il a pensé aller rendre visite à ces gens dotés d'esprits trop étroits pour bien se marier avec cette époque, Tobias a fini par se raviser pour ne pas salir la mémoire de cet homme qu'il a aimé. Wes n'aurait jamais approuvé que son amant puisse se rendre chez ses parents pour aller les confronter, les injurier sans doute et probablement finir par se faire embarquer par la police.

Tobias souffle. Lascif, comme le dépressif chronique qu'il est. Les amants de passage lui conviennent mieux que ce jeu étrange auquel il ne veut plus se donner. À force d'avoir tant perdu, l'anglais se juge maudit. Si son amour mène à la mort ceux à qui il est destiné, jamais plus il ne fera l'affront de laisser son cœur lui dicter ses choix.

Il répond à son ami en usant de la ferveur de l'automate qu'il est depuis ce matin, proposant une sortie qui lui avait été conseillée par le défunt libraire.

-Wes m'avait parlé de ces boutiques portées sur l'ésotérisme que l'on trouve dans cet état. J'aimerais y faire un tour si cela ne te dérange pas.

Il demande, lui qui généralement ordonne. Un exploit pourtant commun lorsqu'il se trouve avec son ami, un des rares êtres qu'il connaisse avec qui il peut partager ses plus sévères travers. Sans avoir honte de son parcours Tobias sait que ce dernier n'a rien de noble. La morale ne tolère ni le meurtre ni la torture. En tout cas pas dans ses formes les plus barbares car l'homme civilisé ne l'est pas autant qu'il ne le paraît. L'humain, fourbe et narcissique par nature, peine souvent à saisir que sa liberté se doit de s'arrêter là où commence celle de son prochain.

Soudainement plus amène à l'idée de faire la discussion, Tobias demande, poussé par un accès de curiosité morbide.

-Tu sais ce que tu veux faire à Thalberg ? J'avais pensé le dépecer mais je ne suis finalement pas fan des trophées. Je trouvais l'idée distrayante. Après tout ce gars est une toile ambulante.

Une toile qui a su plaire au professeur, qu'il a caressé avec tendresse, chérit en usant de ses lèvres et même de sa langue ou d'un autre de ses appendices. Mais ces détails n'ont pas besoin d'être mentionnés à voix haute car Tobias ne compte pas divulguer ses lubies les plus graveleuses à celui qui de toute façon ne voudrait pas en avoir connaissance. Ce qui se passe dans son lit ne concerne que lui et ceux avec qui il s'adonne à l'adoration de la luxure.

-J'ai besoin de sang, d'entendre des cris. Tout cela me manque. Cette manière d'adorer la mort. J'ai besoin de me rappeler que je ne suis pas une proie mais un chasseur.

La fin du coyote ne sera régie par aucune règle, les seules limites connues pour ce sinistre spectacle étant l'imagination de ceux qui se feront funestes instruments de la fin de celui qui a commit de terribles erreurs en quittant Beacon Hills de manière prématurée. S'il a eu l'audace de croire qu'il serait capable de berner la mafia, Scipion a également oublié que la chasse était dans le sang de celui dont il s'était fait un bref compagnon de jeux pour adultes consentants. Tobias ne tolère que très mal le fait d'avoir été prit pour un con, de s'être fait berner avec tant de facilité que cela en devient presque vulgaire par celui en qui il lisait l'illusion d'une relation viable. Autant qu'elle ne l'aurait pu l'être entre deux personnes si différentes en tout cas.

La lassitude n'a pas eu le temps de s'installer dans leur brève histoire pour y distiller son poison que déjà celle-ci trouvait une fin qui laisse un goût d'inachevé au professeur. Si le forain songeait sottement que jamais son amant ne le traquerait, ce dernier s'est trompé en minimisant la rancœur que Tobias pourrait éprouver envers sa personne. Il n'est point agréable de se faire larguer de cette manière, sans qu'aucune discussion n'ait pu poser les prémices d'une conclusion sentimentale à l'amiable. Tobias est rancunier, un défaut qui aujourd'hui condamne celui qui vivait trop dangereusement pour que son existence ne dure éternellement.

Les deux hommes parviennent à trouver la boutique qui avait été conseillée à l'anglais par son doux libraire. Et lorsque sa devanture s'impose à leurs regards, Tobias ne peut que se demander comment son tendre Wesley a pu se retrouver à entrer dans un pareil endroit.  S'il se juge croyant, car il faut bien croire en l'existence d'une personne pour parvenir à la haïr, il ne croit pas en toutes ces superstitions et vieilles croyances sur lesquelles certains basent une large part de leur existence. Pourtant cet endroit dans lequel ils n'ont pas encore mit les pieds parvient à lui donner une impression qu'il ne saurait définir avec exactitude. Affichant son flegme habituel, l'homme n'est pourtant pas aussi fier qu'à son habitude lorsqu'il se permet d'entrer dans ce lieu dans lequel il est certain de ne pas avoir sa place. Sa curiosité piquée par cette envie qui le pousse à découvrir ce qui peut être enfermé dans un pareil endroit le pousse à pénétrer ce lieu insolite sans songer à regretter ses actes.

Une odeur puissante dans laquelle se mêlent effluves d'encens, de poussière mais aussi de moisissure le prend au nez. Étouffant carcan au mysticisme déroutant qui pousse Tobias à regarder ce qui se trame autour de lui. Sur des étagères en bois vermoulu se marient en un délicieux capharnaüm bric et broc sans sens. Un étrange mélange désordonné qui pourtant paraît juste sans que le professeur ne sache rien y comprendre. Le lieu est silencieux, enfin presque. Résonnant seul le son d'un vieux coucou sur lequel s'affichent trois aiguilles qui font démonstration d'une course incessante après le temps. Une pile de livres attire sans surprise le regard du littéraire. Il tend une main, puis se ravise en songeant qu'il est peut être bon de ne rien toucher dans ce qui ressemble plus à un musée de mauvais goût qu'à un lieu commercial. Retenant son souffle, manquant de se cogner contre des cornes de boucs pendues au plafond tant il est désarçonné, le professeur se fait violence pour ne pas sursauter quand une voix rauque se fait entendre.

-Bonjour messieurs.

Tobias redresse la tête pour traquer cet intrus qui pour l'instant demeure toujours hors de sa vue. S'il était du type froussard et aisément impressionnable, il avalerait sa langue sous l'effet de la surprise lorsque la silhouette d'un homme à la haute stature, presque autant que lui, et peau brune se détache de l'ombre. Cordial, l'ancien chasseur répond à celui qui est sans aucun doute leur hôte après s'être offert le luxe de la réflexion.

-Bonjour monsieur.

Alessandro l'imite. Sur les lèvres du propriétaire de la boutique s'affiche un sourire dont Tobias ignore s'il est suffisant ou bien chaleureux.

-Que puis-je pour vous messieurs ?
-Pas grand chose je le crains. C'est la curiosité plus qu'une quelconque attirance qui nous fait venir dans ce lieu.

Le sourire de l'homme s'élargit. Un de ses semblables fait son apparition sur les lèvres de celui qui pressent qu'il a tout à craindre de la part de son vis à vis.

-J'ai vu que vous étiez intéressé par les livres. Suivez moi, j'ai une œuvre unique qui devrait vous intriguer.

Sans attendre que la moindre réponse ne lui soit donnée, l'homme se glisse entre Tobias et Alessandro, ouvre la porte d'une vitrine en se servant d'une clé ridiculement petite. Sur le même étage se tiennent compagnie quelques fruits sculptés de manière à devenir des instruments de musique primaires, une poignée de clous disposés sur un coussin de velours carmin rongé par les mites ainsi qu'un présentoir occupé par un épais volume couvert d'un cuir vert émeraude. L'homme s'en saisit, l'ouvrant sans s'indigner de la masse de poussière alors libérée par l'ouvrage. Tobias se tend, serrant les dents avant d'annoncer qu'il n'est pas intéressé.

-Je pense que ce n'est pas mon genre.
-Vous seriez surpris mon cher. Ce livre ouvre l'esprit des septiques. Il est écrit en français mais cela n'est pas un soucis.

Sans qu'il ne puisse saisir ce qui est en train de se produire, il se retrouve avec l'ouvrage poussiéreux entre les mains. Cherchant du secours auprès de son ami, il voit ce dernier s'éclipser dans un des recoins de cette boutique qui par sa simple existence parvient à déranger le britannique. Ici rien n'est logique, que ce soit l'ambiance pesante, cette odeur étouffante qui prend au cœur le professeur ou même ce propriétaire qui semble lire dans la tête de ses clients potentiels. Tobias fixe l'inconnu qui demeure trop silencieux pour qu'il ne trouve cette situation agréable. L'anglais aime le calme mais certaines de ses limites sont en train d'être franchies. Celles de ce qu'il peut comprendre. Comment cet inconnu peut-il lui conseiller un ouvrage écrit dans une langue étrangère tout en jugeant que son client saura tout y comprendre alors que Tobias est bien certain de ne jamais avoir croisé cet énergumène par le passé ?

Certes son esprit n'a pas toujours été aussi clair qu'il ne l'est actuellement mais il doute d'avoir pu être capable d'oublier cet étranger aux manières troublantes. L'anglais ouvre la bouche pour annoncer son désarroi du bout de ses lèvres soudainement moins assurées.

-Comment ?
-Appelons ça l'instinct.

Un clin d'œil et l'affaire se clôt sans que jamais Tobias n'ait à prononcer le moindre mot. Il tient son nouveau livre, n'osant l'ouvrir, ayant peur malgré lui ce qu'il pourrait y découvrir. Il ne craint pourtant ni le diable ou encore le blasphème, son existence étant déjà souillée à maintes reprises par des pêchés que même un curé pensant parler à la place de Dieu ne saurait lui pardonner. Le regard ébène du professeur se plisse et sans éprouver la moindre gêne il se perd dans les traits de celui qui lui fait face. Inflexible l'homme ne se sépare pas de ce sourire que Tobias peine à ne pas juger insupportable. Un murmure met alors fin au silence qui faisait son nid.

-Votre ami a besoin de mon secours.

Et l'homme disparaît, sans prononcer un mot de plus. Tobias cherche les caméras, puis le cuivre en songeant à cette possibilité qui est peut-être la seule qui soit encore logique dans ce sanctuaire où l'incompréhension dérobe sa place à la raison.

Son livre en main, l'anglais fouille du regard ce monde étrange qui l'entoure. Il se demande inconsciemment comment son tendre Wesley a pu connaître un tel endroit. Et pire encore en arriver à le recommander à celui qui fut son dernier amant. Sentant que cet instant hors du temps est fait pour durer, le professeur prend finalement place sur un rocking-chair couvert d'une couverture sentant la naphtaline. Ses doigts caressent l'ouvrage, pianotent la mélodie de l'impatience. L'ancien chasseur inspire, puis sort son cellulaire de sa poche pour taper un bref message à l'intention de son ami Chad. Même s'il éprouve une confiance complète envers l'architecte, le père qu'il est s'inquiète pour sa fille mais aussi pour ce minet qui doit subir l'affection parfois brutale de l'enfant qui est venue envahir son espace. Alice aime toujours autant fourrer ses petits doigts dans les oreilles et bouches de ceux qu'elle apprécie.

Rapidement le téléphone émet une vibration qui annonce à son propriétaire qu'il est en dehors de la couverture du moindre réseau téléphonique. Ronchonnant mentalement après les ploucs vivant dans cet état, Tobias se redresse quand se fait entendre un bruit sourd qui n'augure rien de bon.

-Alessandro ! Presse-toi je t'en prie ! Cet endroit n'a pas de réseau.

Cet argument en vaut bien un autre, mais c'est étrange car la brève tirade du britannique n'attire à elle aucune réponse. L'homme sort son arme sans même y songer, la portant droit devant lui sans craindre d'effrayer celui qui de toute façon semble être une parfaite représentation des angoisses de tout homme normalement constitué. Vaillant et prêt à aller au secours de son ami qu'il craint en difficulté, Tobias oublie la prudence. Un violent coup donné à son crâne le surprend, il finit au sol avant même d'avoir comprit ce qui vient de lui arriver. Sonné mais assez conscient pour parvenir à songer à sa survie, il fait chuter celui qui vient de le prendre en traître d'un agile et pourtant prévisible croche pied. L'homme s'écroule tandis que le professeur cherche son arme qui s'est fait la malle. Pareil à un buffle furieux, il se redresse, chancelant en s'accrochant à une étagère qu'il entraîne dans une nouvelle chute. Armé d'une corne dont il ne cherche plus à connaître la provenance, Tobias mime une assurance qui brille par son absurdité dans un pareil instant. Rageur, il pousse un cri rauque qui puise sa puissance dans sa fureur.  

Un coup de feu lui fait perdre toute sa concentration alors qu'il rue vers son ennemi pour le mettre à terre avant de jouer ses meilleures cartes pour parvenir à voir l'autre perdre sa vie. Un échec, celui de trop. Lorsque l'on ceinture sa nuque à l'aide d'une corde rêche, que l'on se presse contre son dos, l'anglais déjà sonné perd son souffle et voit son courage ainsi que sa détermination se faire soudainement vacillants. Doucement, cruellement, ce monde qui l'entoure se fait plus sombre qu'il ne l'était déjà.

Ses cris ne sont plus depuis déjà bien longtemps et sa respiration lourde est devenue fuyante. Sifflante. Dans un râle guttural celui qui est peut-être trop vieux pour ce genre de conneries voit sa conscience s'effacer.

Il ne se souvient de rien, si ce n'est qu'il a perdu et qu'il est chanceux d'être en vie après cette défaite à laquelle il a été confronté. Sous son crâne résonne une fracassante mélodie qui lui donne l'impression que dans sa tête vit un petit être maléfique qui se plaît à lui faire subir mille supplices. Il n'ose ouvrir les yeux, peu certain d'être capable d'un tel exploit dans sa situation qui lui paraît être des plus délicates.

Après la douleur c'est la peur qui s'installe, un sentiment sournois qui peut se montrer délicieux lorsqu'il étreint les autres mais qui n'est pas fait pour convenir à celui qui habituellement fait tout pour tenir toutes les cartes du jeu de la vie entre ses mains. Le récit de cette sombre histoire ne met pas plus de temps avant de refaire surface, d'éclairer son esprit, comme si les chocs étaient parvenus à étouffer sa mémoire durant un bref instant. Le britannique râle en songeant à l'étrange boutiquier qui a su entrer dans sa tête, puis au brutal et peu aimable ami de ce dernier. L'anglais a su une fois de plus foncer dans les ennuis, tête baissée sans même oser songer qu'il pouvait se mettre en danger en s'offrant le luxe d'une innocente virée shopping.

La voix d'Alessandro se fait entendre, accablant d'un nouveau mal celui qui a l'impression que se répercute inlassablement ce son tel un écho dans son esprit. Pour seule réponse l'ancien chasseur hausse un sourcil tout en prenant bien soin de conserver ses paupières closes. Ses lèvres remuent et pourtant aucun mot ne lui échappe. Une douleur s'ajoute alors à celle qui fait déjà vibrer son crâne. Sa gorge lui paraît être faite de papier de verre tant chaque respiration lui est difficile. Déglutissant, il frémit sous cette vague de mal-être qui traverse sa personne. Puis marmonne quelques mots.

-J'suis content que tu ne sois pas mort.

Et il est heureux d'être toujours de ce monde. Son rôle de père l'oblige à être de retour dans trois jours auprès de sa princesse. Alice ne devra jamais apprendre qu'il a risqué de perdre la vie alors qu'elle était si jeune. Tobias devrait apprendre la sagesse au fil des ans, à songer à celle qui a besoin de lui mais pourtant ses mauvaises habitudes, comme celles de ses congénères, ont la dent dure. Il ne peut cesser d'être un tueur, un cruel assassin, uniquement car il l'a décidé. Sa volonté, même si elle est nourrie par l'amour sans bornes qu'il éprouve pour sa fille, ne peut lui permettre de réussir un tel exploit.

Il se décide finalement à ouvrir les yeux, jugeant que sa souffrance ne pourra pas atteindre un plus haut niveau que celui qu'elle touche actuellement. Une erreur dont il paie immédiatement le prix, il grogne pour la forme avant de se forcer à renouer avec la réalité. Son regard noir fouille les environs, traque la moindre explication qui pourrait s'offrir à lui, mais tout cela ne sert à rien. Il baisse les yeux, voit les liens tranchés tout en saisissant sans qu'on ait besoin de tout lui expliquer que ce sont là les nounous d'Alessandro qui viennent de leur sauver les fesses. Ces braves hommes n'étaient peut être pas aussi inutiles qu'il ne l'avait jugé au premier abord... Son ego accepte cette information, pliant sous le poids de cette évidence. Il n'a plus trente ans et ses réflexes ne sont peut-être plus aussi bons qu'ils ne le furent par le passé. Une conclusion qui ne sait pas plaire à celui qui craint que l'on ne vienne lui arracher sa fille sans qu'il ne puisse être capable de la protéger. Avoir perdu un premier enfant n'est pas un traumatisme dont on se remet sans que cela n'ait de conséquences sur une nouvelle expérience avec la parentalité.

Cette petite fille qui enrichit sa vie et est devenue sa raison de se lever chaque jour est une source de bonheur sans bornes, mais également une charge qu'il a parfois du mal à assumer seul. Tobias soupire, se saisissant du verre d'alcool que lui tend son ami avant de le vider sans sourciller. L'expérience n'est pas aussi satisfaisante qu'en temps ordinaire mais elle permet à l'homme de se remettre les idées en place.

Il ancre un pied hasardeux au sol, puis se lève sans même que son compagnon de déroute n'ait pu songer à l'aider. Une proposition qui aurait de toute évidence été refusée par le britannique et ce malgré l'état dans lequel il se trouve. Son pas est hésitant mais il ne s'en préoccupe pas. Sa bouche s'ouvre et s'en échappe alors une foule de questions.

-Où sont nos nouveaux camarades de jeux ?

La réponse fuse, le britannique enchaîne sans que la moindre émotion ne puisse entacher son flegme habituel.

-C'est après toi qu'ils en ont ?

Un rictus glacial égratigne l'expression blasée du professeur. Tobias se tourne vers son ami, annonçant ses doutes et certitudes sans que rien ni personne ne puisse le stopper dans sa réflexion.

-J'ai tué pas mal de gens, tant que j'en ai perdu le compte. Et j'ai dû en chagriner bien plus encore. Qu'on puisse vouloir voir ma tête sur une pique n'a rien de surprenant. Ce qui m'intrigue, qui m'ennuie même, c'est que Wesley ait pu me recommander cette boutique. Tenue par ce qui doit-être un mentaliste ou un homme ayant des talents semblables... Comment mon doux Wes a-t-il pu atterrir ici ?

Un changement de propriétaire, une douce hypothèse qui permettrait de préserver le souvenir que Tobias a de celui qui a partagé sa vie durant une belle année avant que la mort ne vienne une fois de plus le séparer de l'être aimé. Il a envie de croire en cette idée, se montrer plus naïf encore qu'il ne peut parfois l'être pour ne pas avoir à songer au pire. Wesley aurait-il pu mener un double jeu, le bernant pour finalement offrir sa tête au premier venu ? Cette idée n'arrange en rien l'état de celui qui serre les dents pour ne pas laisser éclater cette rage qui s'éveille en lui. Il doute mais ne peut avouer à voix haute devant son ami qu'il craint avoir une fois de plus fait entrer une personne qui n'était pas digne de sa confiance dans son lit avant d'offrir au doux libraire la clé de son cœur.

Tobias détourne le regard pour ne pas avoir à rencontrer celui d'une des rares personnes dont il puisse être certain qu'il n'a jamais tenté de lui causer de tords. Des spécimens de moins en moins courants ces derniers temps. Si les songes du professeur l'ont guidé vers cette possibilité, ceux d'Alessandro doivent lui avoir donné cette même idée. Craignant de ne pas être capable d'étouffer cette colère qui le ronge de l'intérieur, Tobias reprend place sur ce fauteuil qui aurait pu être le dernier trône sur lequel son fessier se serait assit. Il faut au moins voir du bon dans cette situation : Ses ravisseurs du jour avaient eu la bonne idée de se servir de liens et non de clous pour le forcer à rester en place. Ses mains n'auraient sans doute pas supporté d'être une fois de plus la cible de l'inventivité de personnes en ayant après lui.

Tobias ne parle plus il se contente de boire, un verre après l'autre, le contenu presque entier de cette bouteille que les nourrices d'Alessandro sont venues leur apporter pendant qu'il était encore inconscient. Ces deux hommes, à force de fouiller dans cette boutique, parviennent à dégoter un carnet si petit qu'il aurait aisément pu passer inaperçu dans cette caverne d'Ali Baba. Un registre rempli de noms qui se révèlent bien vite être ceux de chasseurs. Se dessinent alors à l'horizon quelques certitudes, de nouvelles craintes qui font douter le britannique. Wesley savait et il avait encaissé avec peu de difficultés les révélations faites par le professeur au sujet de son ancienne vie. S'il avait prit cette réaction pour une marque de l'amour inconditionnel de son amant, Tobias ne peut s'empêcher de songer que ce dernier savait peut être déjà tout et ce bien avant qu'ils ne deviennent intimes. La visite de Wesley à Eichen House peu de temps après une unique rencontre qui ne s'était pas déroulée de la meilleure des manières, les nombreux bouquets de roses acceptés alors que cette marque d'affection maladroite touchait au harcèlement, ce rendez-vous puis ce premier baiser. Ce pourrait-il que cette candeur affichée par le défunt libraire ne soit finalement qu'une manœuvre dédiée à la manipulation d'un homme qui malgré lui ne souhaitait que peu de choses : Être aimé et aimer à nouveau.

Si son nom n'est pas dans ce carnet, il le sera sans doute dans le prochain. Cette boutique qui au premier abord semble innocente serait donc le repères de deux inconscients menant une croisade visant à chasser le chasseur. Les songes du professeur s'égarent et en s'éparpillant parviennent à le mener au souvenir de cet ami chez qui il a laissé sa fille pour quelques jours. Chad a lui aussi essayé de mener cette quête de justice avant de se raviser en saisissant qu'en chassant de cette façon on devenait fatalement plus sombre encore que ne le sont nos proies.

Trouver des carnets dans un tel fouillis relève de l'exploit. Il faudrait, pour être certain de ne rien laisser derrière soi, tout brûler. Une idée partagée par Alonzo, à moins que ce ne soit Jack, que Tobias ne tarde pas à approuver d'un hochement de tête. Alessandro annonce la couleur, élabore un plan qui règle ces soucis que personne n'avait su prévoir. Incapable de prononcer le moindre mot tant il est en colère après lui même, le professeur laisse son ami gérer cette situation et se contente d'obéir aux ordres donnés.

Alonzo retourne dans la boutique et appelle celui qui va jouer le rôle de consultant en vaudou. Il est étrange de se dire qu'on retrouve un personnage de ce genre dans une organisation mafieuse. En temps normal cela aurait arraché au britannique un trait d'humour corrosif mais il n'est plus en état de plaisanter. Il vient en quelques minutes de retrouver une sobriété presque parfaite et le sérieux qui le caractérise lorsqu'il est en public. Chacun s'adonne à une tâche bien précise. Jack s'occupe de ceux qui savent que la fin de leur existence est proche, Alonzo fouille pour trouver ce que lui conseille d'utiliser l'homme au téléphone tandis qu'Alessandro et son ami cherchent après avoir enfilé des gants la trace de ces carnets qui ne doivent pas être bien loin.

[...]

Sept carnets similaires au premier, soigneusement enveloppés dans un pan de madras lui même rangé avec un grand nombre de coupons de tissus aux teintes bariolées. Ils auraient pu passer cent fois auprès d'eux sans jamais les trouver s'ils ne s'étaient pas tant obstinés dans leurs recherches. Cette fois le nom du professeur est bien présent, avec une de ses anciennes adresses indiquant sa localisation dans la banlieue de Belgrade. Une adresse connue par peu de personnes. Gabriel qui aujourd'hui ne peut plus donner la moindre information au sujet de celui qui l'a suivi dans sa quête de sang et d'injustice durant des années et Tobias lui même.

-On a ce qui pouvait te vendre, pas besoin de foutre le feu. On peut se les faire à l’ancienne.

Tobias ne saurait être pleinement satisfait de cette situation car l'information qui lui semble être la plus importante dans toute cette histoire est toujours manquante. Qui est celui qui l'a vendu ? L'évidence est dure à nier, mais la suivre serait jouer de facilité alors que rien n'est aisé dans ce monde. Incapable de détourner son regard noir de ce feuillet qui le dénonce comme étant un cruel chasseur, l'anglais lève la tête pour répondre à son ami.

-J'ai besoin de réponses.

Parfois la nuance entre envie et besoin peut être si vague que l'on peine à différencier les deux, mais l'homme sait qu'elle est cette sensation qui l'étreint depuis son éveil. D'un geste sec, rageur, il déchire sans mal le carnet en deux avant d'en jeter les morceaux au loin. Lorsque sa bouche s'ouvre une fois de plus, le ton de sa voix n'a plus rien de comparable avec ce qu'il est en temps ordinaire. Le flegme n'est plus, entièrement remplacé par une fureur qui ne demande qu'à exploser.  

-Il faut que je sache ! Comment mon homme a pu me demander de venir ici ? Ces hommes sont certainement installés dans cet endroit depuis bien longtemps et même moi je ne peut pas croire à un changement de propriétaire. Personne ne connaissait cette adresse ! Pas même Wes !

On l'invite à retrouver son calme habituel mais tout cela ne sert à rien sinon le pousser encore un peu plus loin sur la pente de la colère. Un sentiment dangereux qu'il s'interdit en temps normal. Le professeur a toujours préféré l'action aux cris qui ne servent à rien sinon brasser de l'air. Dans quelques heures cette crise ne sera plus qu'un mauvais souvenir mais en cet instant il est bien incapable de retrouver son calme. Tout en désignant le carnet à présent inutilisable il annonce son choix pour la suite de cette opération périlleuse.

-On cogne. On fait peur. Assez pour qu'ils parlent et ensuite on brûle tout.

Sa voix rendue rauque par la colère ne tremble pas. Il espère simplement que ces réponses qu'on va leur donner d'une manière ou une autre sauront le satisfaire sans entacher le souvenir qu'il a encore de son doux libraire.

[...]

Le sang, quelques armes utilisées avec soin et la colère de celui qui ne pouvait tolérer qu'on joue avec sa raison plus longtemps ont su faire leur effet. Ces hommes sont certes ivres mais ils ont bien saisit qu'ici prendrait fin leur existence. Tout le reste, ces préliminaires emprunts de violence ne sont que détails. C'est dans l'indifférence totale, si ce n'est celle de leurs tortionnaires, que se trouvera la conclusion de leur triste histoire. Un de leurs amis n'est plus en état de prononcer le moindre mot depuis bien longtemps. Pas mort certes, mais non loin de l'être. L'ancien chasseur n'a su canaliser sa colère et a perdu d'une manière malheureuse la maîtrise de ses gestes. Le second est encore capable de marmonner. Dans sa bouche quelques dents manquent à l'appel et c'est aussi le cas pour ses mains dont la plupart des doigts ont finit tranchés. Avant que toutes ces blessures ne gâchent l'effet souhaité celui qui en temps ordinaire sait se convaincre qu'il n'est plus un tueur mais un tendre père de famille fait de sa main une serre en forçant son vis à vis à garder une élocution assez claire pour qu'il puisse être compris.

-Qu'avez vous dit à ce jeune homme.

L'homme se sentant pressé et visiblement oppressé par cette poigne qui s'est refermée sur sa mâchoire babille quelques aveux.

-Il est venu ici.. Pour vous.
-La suite et plus vite que ça.
-Cadeau de noël... On lui a proposé de.. De revenir avec vous...

Tobias fouille dans sa mémoire, puis se remémore cette bague ornée d'une pierre noire que son amant lui avait offert il y a maintenant de nombreux mois. Un bijou qu'il n'a que rarement porté, le jugeant trop ostentatoire pour qu'il ne puisse se permettre de l'afficher à sa main de manière régulière.

-Votre ami a lu dans sa tête..

L'homme opine du chef, son regard s'écarquillant quand il saisit que cet aveu est le dernier qu'il aura l'occasion de faire dans sa triste vie. Le poids qui pesait sur les épaules de Tobias s'allège considérablement quand il saisit que toute cette histoire est en train de trouver une fin qui sauvegarde le souvenir de son défunt amant. Un sourire froid habille ses traits, il se redresse. Et enfin annonce.

-On brûle tout ça et on va s'occuper de l'autre.

La colère du britannique l'a rendu ingérable et incapable de raisonner avec justesse. Un triste constat qui démontre que la bête n'est jamais bien loin, attendant que l'homme civilisé qu'il s'évertue à devenir ne chute pour lui laisser assez de place pour s'exprimer. Une expression désordonnée, salissante et qui ne sert finalement qu'à peu de choses sinon faire oublier au professeur ses craintes en lui permettant de sombrer dans l'immoralité la plus totale. Belgrade. Un lieu, une information sur le tortueux passif de son amant dont Wesley n'avait jamais eu connaissance. Il ne faut que peu de temps pour que l'évidence se fasse dans l'esprit de celui qui s'est laissé happer par l'appel du sang.

Gabriel seul connaissait cette adresse, l'ayant lui même partagée avec Tobias quelques années plus tôt. Ils étaient restés seuls dans cette maison, traquant l'inhumain, poussant leur vice qu'ils avaient l'audace de nommer justice à son paroxysme. Tobias se tend, toutes ces informations ne sont pas faites pour se marier. Cette conclusion pourtant évidente ne donne pas de but à cette sordide mécanique dont ils viennent de bloquer les rouages. L'homme à leurs pieds vient de souffrir un martyr tout ça pour finir par donner une information fausse ou encore incomplète. C'est une folie que d'agir ainsi en sachant que nos chances de voir le prochain lever de soleil sont inexistantes.

-Ils tuent des chasseurs. Gabriel aurait donc dû avoir son nom dans un de ces carnets.

McNeal était l'ordure suprême, le boss de fin dans un jeu malsain. Rien de ce qui se passe depuis qu'ils sont entrés dans cette boutique n'est logique. L'esprit du britannique qui peine à s'apaiser fourmille dans le but de trouver la solution de ce casse-tête. Si la mention faite à Gabriel suffit à faire tressaillir celui qui bave son sang, Tobias n'est en rien surpris de cette réaction logique de la part de toute personne censée dont la route aurait un jour croisé celle du blond. Celui en qui Tobias avait cru voir un ami était un homme violent qui savait frapper ses compagnons comme ses ennemis lorsqu'il se trouvait sur le front.

Un jour le professeur saura accepter qu'il s'est laissé berner pendant tant d'années, qu'il a confié chaque instant de sa vie à cet homme qui ne lui voulait pas autant de bien qu'il ne le disait. Naturellement mauvais, il a réussi sans mal à faire d'un homme brisé qui venait de tout perdre sa copie presque parfaite.

Celui dont la fin ne saurait tarder perd les dernières couleurs qu'il affichait encore lorsque la vérité éclate. Gabriel n'est plus et sa carcasse dort au fond de l'océan. Abattu de la main de son jouet, un chien de chasse qui un jour a jugé que mordre la main de son maître était la meilleure des choses à faire s'il voulait être certain de voir demain. L'homme passe enfin à table, il lui est demandé de se répéter à plusieurs reprises car le moindre de ses dires est incompréhensible.

Briser les dents d'un homme dont on attend des réponses n'était peut être pas une riche idée... Mais personne ici n'a jugé raisonnable de se mettre entre Tobias et ceux qui avait réussi à le faire entrer dans une sombre colère.

Après les loups Gabriel tuait sans relâche ceux qui avaient décidé de changer de voie.  Sans doute piqué dans son égo par le départ de Tobias. Déçu par son pantin défectueux celui qui ne méritait pas le nom d'homme traquait ceux qui à ses yeux étaient des traîtres. C'est inquiétant car d'autres hommes comme ceux qu'ils s'apprêtent à exécuter pourraient s'être vu confier une tâche semblable. Tobias qui ce matin encore ignorait qu'on en avait après sa tête craint soudainement pour son avenir, celui de ses rares amis et surtout celui de sa fille.

Il ne veut pas que sa princesse ait à payer un jour le prix de ses erreurs.

Le regard d'Alessandro rencontre le sien, y cherche son assentiment. D'un geste sec du menton Tobias accepte que son ami mette fin à cette sordide entrevue.

[...]

Jack et Alonzo ont su créer une diversion suffisamment convaincante pour leur permettre de quitter cette boutique sans avoir à justifier ce qui s'y est passé ou encore s'inquiéter de cette fumée qui s'élève doucement dans le ciel. Tobias est sorti par l'arrière boutique tandis que son ami utilisait la porte de devant. Une voiture, malheureuse que le choix des deux hommes de main se soit porté sur elle a par un triste de jeu de malchance et d'étranges coïncidences finit sa route dans une borne incendie.

Rien qui ne saurait troubler la suite de cette journée que Tobias espère moins éprouvante que ne le furent les derniers évènements. Ses mains tremblent encore un peu, sous le poids de cette ivresse légère qui le rattrape mais aussi de cette adrénaline dont le flux est en train de se réguler. Il a cru vivre ses derniers instants dans cet endroit, lorsque dans la boutique une corde lui coupait la respiration. Un moment effroyable dont il ne souhaite pas qu'il puisse se reproduire un jour. Pendu pour des crimes qu'il a décidé de ne plus commettre, voilà là l'œuvre d'une cruelle destinée qui ne cesse de s'acharner sur lui.

Sans les hommes qui suivent Alessandro sans dévier de son ombre, il ne serait plus de ce monde. Lui qui était au premier abord chagriné par la présence de ces deux nourrices ne voit plus le moindre mal dans leur présence.

Alessandro le traîne dans un restaurant pour lui remplir l'estomac et ainsi l'aider à écluser ses derniers abus. Sans chercher à rechigner le professeur suit son ami, s'installe sur une chaise et se saisit du menu déjà posé sur leur table. Une serveuse les salue, dépose tasses et cafetière fumante avant de retourner vaquer un peu plus loin. Sans desserrer ses mains dont il peine encore à conserver la juste maîtrise, l'anglais focalise sa pleine attention sur le menu plastifié.

Comme bien souvent c'est Alessandro qui met fin à ce silence dont Tobias aurait apprécié qu'il soit interminable. Ils ne parlent que rarement de Wesley, le sujet étant encore douloureux pour celui qui gère pourtant mieux ce deuil qu'il n'est parvenu à le faire avec celui de son épouse. Il ne pouvait se laisser aller, se morfondre et se perdre encore une fois alors qu'Alice comptait sur lui. Sa fille est une force qui lui a permit de garder la tête hors de l'eau.

-Il m'aimait. Un sentiment qui rend sot. Les mauvaises langues disent qu'on retrouve sa cervelle après le mariage.

La serveuse revient avant qu'il n'ait pu en dire plus. Ils passent commande, de quoi nourrir un régiment ou bien un duo de tueurs affamés. Salade de choux, oeufs brouillés au fromage, saucisses de porc épicées et assiette de gaufres, Tobias ne sait choisir lequel de ces mets lui siérait le plus alors il les commande tous. Il règlera la note et son ami ne trouvera rien à redire à cela. Entre Alessandro et lui il n'est jamais question d'argent. Ils savent tout deux dégainer leurs cartes bleues sans que l'autres n'ait à réclamer quoi que ce soit. C'est un luxe que peuvent se permettre ceux qui ont sur leur compte en banque de quoi vivre cette vie et celle qui suivra. Le seul bémol dans cette histoire est qu'une place au paradis est une des rares choses qui ne peut pas s'acheter.

Ça et l'amour. Certains ont bien sûr tenté l'expérience, mais elle déçoit par son manque de réussite. La serveuse s'en va pour donner son bon en cuisine, Tobias reprend, un sourire amer rivé aux lèvres.

-Mais je peine à y croire. J'ai épousé Maryssa au bout de quelques mois de relation et même la mort n'a pas su faner les sentiments que je ressentais pour elle lorsque je récitais mes vœux. Avec Wesley c'était différent, je l'aimais d'une manière plus tendre, comme s'il était devenu une nouvelle habitude de vie. Il me manque. Parfois. Mais rares sont les larmes qui me viennent lorsque son souvenir vient me frapper dans mes moments solitaires.

Et pourtant il a toujours été sincère lorsqu'il déclamait ses sentiments à celui qui savait que le cœur du professeur était déjà en partie prit par un fantôme avec lequel il ne servait à rien de lutter. Jamais Tobias n'a ôté son alliance, on lui avait même donné la permission de la conserver avec lui lors de son bref internement dans l'institut psychiatrique de Beacon Hills. Un endroit sordide où il avait toutefois su trouver refuge lorsque dans sa vie tout semblait aller mal. Pour ne pas en arriver à de désolantes extrémités il s'était fait soigner. Un fou, c'est ce que lui avait dit Lewis. Le rossignol n'était peut-être pas loin de cette vérité qu'on avait encore jamais essayer de faire admettre à Tobias.

Une époque révolue et pourtant pas si lointaine. Depuis Tobias a su évoluer, dépasser les limites de ce qu'étaient ses espérances. Alice l'a aidé, bien plus que ce psy qu'il voit toujours toutes les deux semaines auquel il ne peut rien dire. Et une chose est certaine : Ses amis, surtout celui qui lui fait face en cet instant ne sont pas sans avoir joué leur rôle dans cette renaissance qu'il s'offre.  

-C'est compliqué de parler de lui. Il aimait beaucoup Andy et l'ancienne amie de Shepherd, Mademoiselle Jouve est partie et je ne peux lui en vouloir pour son absence même si j'aurais aimé qu'Alice connaisse sa marraine.

Il boit une gorgée de ce café âpre qu'on est venus leurs servir sans qu'ils en fassent la demande. Une grimace éphémère habille ses traits, son ventre gargouille et un regard glissé dans la direction du comptoir lui indique que leurs commandes ne sont toujours pas prêtes. Ses doigts glissent sur la table, tapotent une brève mélodie avant qu'il ne fasse un aveu.

-Sans toi, Andy ou encore Jasmine j'aurais du mal seul avec Alice. Cette vie nouvelle m'étouffe certains soirs et comme je dors peu la nuit, j'ai le temps de penser à cette situation. Lorsque j'ai adopté la petite je vivais avec Wes. Je n'ai pas pensé que j'allais finir père célibataire. Jamais je n'aurais pensé que ma vie changerait autant quand j'ai fuis la Pologne en y abandonnant Gabriel.

Après s'être restaurés, les deux amis rejoignent leur hôtel pour y troquer leurs costumes contre des vêtements plus adaptés pour le lieu de leurs retrouvailles avec celui qui a eu l'audace de croire qu'il pourrait mettre les voiles sans que jamais il n'ait à payer le prix de ses facéties. Paire de jean et simple chemise accompagnées de chaussures faites pour la randonnée. Des atours simples, ceux de monsieur tout le monde, qui ne craignent ni les tâches de boue ou encore celles de sang.

Ils utilisent un 4x4 gracieusement prêté par l'organisation  locale, puis se mettent en route. Derrière eux les hommes d'Alessandro les suivent et Tobias ne songe pas un seul instant à se plaindre de cette présence qu'il jugeait à tord oppressante quelques heures plus tôt. L'humidité ambiante donne l'impression au britannique qu'il est en train de devenir une éponge poisseuse qu'on aurait délaissée près d'un évier après en avoir fait l'usage. Il râle, glissant une main dans ses cheveux qui ont tendance à boucler lorsqu'ils sont en proie à un climat aussi capricieux que celui-ci. Puis se questionne au sujet de celui en qui il a cru voir ou en tout cas voulu discerner un compagnon de vie qui aurait su égailler son quotidien pendant quelques mois.

Scipion n'est pas de ces hommes que l'on présente à sa mère ou même à ses amis. Un phénomène dont Tobias n'a jamais su comprendre toutes les nuances, mais dont il doit avouer qu'il était un bon coup. Une qualité qui ne suffit pas à faire oublier tout les défauts de ce fantasque fugueur.

Il a quitté la Californie sans même prendre la peine de dire au revoir, avec les poches pleines d'un argent qui n'aurait jamais dû lui être confié. Une erreur de la part d'Alessandro que Tobias peine toujours à s'expliquer. Quand une idée passe par la tête de son compère avant d'être prononcée à voix haute par ce dernier, celui qui aujourd'hui redevient chasseur ne manque pas de réagir.

-Il y a quelque chose qu'il affectionne plus encore que ses machines et automates. Il aime son vieux poste de télévision et la ribambelle de cassettes qui l'accompagnent. Des objets fragiles et si faciles à briser.

C'est certes un coup bas mais il n'en a que faire. Dans cette histoire rien n'est pour lui plaire et ce depuis le début. Son égo piqué à vif parce la non-fin de cette relation qu'il commençait à entretenir avec le coyote ne lui permet pas de laisser cette affaire trouver une fin aussi simple que la mort du coyote et leur retour à lui et Alessandro à Beacon Hills. Il veut faire souffrir cette enflure à qui il a fait bien trop vite confiance. Un trublion qui lui a dit je t'aime avant le troisième rendez vous et qu'un jour, fatalement, il aurait finit par imiter.

Il sourit, d'un rictus froid et mauvais dont il est impossible de nier qu'il est habité par la cruauté. Après sa mésaventure et la raclée qu'il s'est prit face à Doyle il a besoin de se sentir vivant et surtout capable de donner la mort avant que son vis à vis n'ait le temps de songer à se défendre. Tobias souffle quelques mots qui rendent cette situation plus cocasse encore qu'elle ne l'était déjà.

-Ce fumier était persuadé que jamais je n'irais le chasser.

L'amour, ce sentiment qui rend sot, a encore frappé.

[...]

Insouciant le coyote vit ses derniers instants sans avoir la moindre idée de ce qui l'attend. Une fin sanglante dans laquelle toutes les atrocités seront de mise et encouragées. Tobias ignore l'ampleur de cette somme que son ami a confié au forain. Sans doute n'est-elle démesurée que pour le coyote, mais une fois de plus tout cela n'est qu'une histoire d'égo malmené. Se faire rouler avec tant de facilité par un beau parleur en haillons pourrait mettre n'importe quel homme, même le plus calme, en colère. Et Alessandro n'est pas le plus sage des hommes que Tobias ait pu rencontrer dans sa vie.

La boîte à outils ouverte puis abandonnée sur le sol dévoile ce qu'elle contient : De quoi nourrir l'imagination de tout être normalement constitué. Tobias accompagné d'Alessandro se dévoile, à pas de loup les deux assassins progressent vers la roulotte. Son occupant ne se doute de rien. Et aucun témoin n'est présent dans les environs pour le prévenir du danger. Sans un bruit, Tobias se penche et attrape cette hache qui a un jour servit à trancher un poulet en morceaux réguliers. Il joue avec un bref instant, puis tend son bras. Prêt à frapper, Tobias laisse une expression juvénile de bonheur donner vie à son visage habituellement fermé. Puis fend l'air, jouant de son instrument comme s'il était une batte de base-ball avant de décapiter la voyante de métal dans un grand fracas.

L'objet brisé gargouille son agonie mécanique, son propriétaire ne tardant pas avant de sortir de sa roulotte. Agité et remuant les bras en tout sens, le coyote crie et braille sa surprise avant de reconnaître son ancien amant qui n'est pas venu seul.

-Tobias bordel que fais-tu ? Tu aurais pu appeler ! Pourquoi l'as-tu emmené avec toi ici ? Il t'a forcé à venir me faire du mal ?
-Oh tu sais chéri j'ai toujours autant de mal avec le téléphone.

Tobias peine à ne pas sourire, cette situation l'amusant bien plus qu'il ne veut le laisser paraître. Scipion ne s'attendait visiblement pas à être retrouvé avec tant d'aisance et ce même plusieurs mois après sa fuite loin de Beacon Hills. Ce jeu dangereux dont l'anglais devine qu'il est pourtant considéré comme étant bien rodé par le forain se retourne contre lui. Il ne sait combien de fois cet étrange phénomène a pu aller dans des villes, quémander de l'argent pour une énième construction de son rêve d'enfant bercé par les mélodies d'Elfman avant de mettre les voiles, ses poches percées pleines d'une somme rondelette ne lui appartenant pas. Tobias s'en veut. D'avoir été si sot, de s'être fait berner avec tant de facilité par celui qu'il a fait l'erreur de penser charmant. Pire encore, inoffensif. Mais ce soir cette triste histoire aura su trouver une conclusion satisfaisante et les erreurs de jugement du britannique, mais aussi celles d'Alessandro, seront bonnes à être jetées aux oubliettes.

Tenant toujours la hache en main, Tobias s'approche de celui qui fut malgré tout ses défauts un amant de choix. Alessandro tord le cou et d'autres membres tout aussi précieux de certaines des mécaniques construites et entretenues avec soin par le forain. N'ayant visiblement pas tout saisit de la raison de la présence du britannique en ce lieu, le coyote s'affole et demande du secours auprès de celui qui se délecte de ce charmant spectacle.

-Hey ! Empêche-le de tout casser !

Impassible le tueur mime l'indifférence la plus totale. Ce manège commence à le lasser et après les évènements de la matinée il n'a guère envie de s'épuiser en courant après le coyote volage. Quand ce dernier recule après avoir tenté une nouvelle fois de faire appel à la bonté de son ancien amant, Tobias ne tarde pas plus longtemps et attrape le vilain animal par le col pour l'empêcher de se faire la malle. Personne ne vit en ce lieu, si ce n'est cet étrange personnage et ses amis faits de métal. Il ne pourrait donc pas aller bien loin et encore moins chercher du secours auprès d'une âme charitable.

Débute alors une danse totalement dénuée de sensualité. Tobias en est naturellement le meneur ce qui n'est pas compliqué tant son vis à vis est faible et fluet. Les coups, avec une nette préférence pour les plus bas s'enchaînent. Rapidement le visage et le corps peu vêtu du coyote se parent de marques sombres qui n'ont pas le temps de guérir. Sans un mot Tobias officie et se livre tout entier à cette passion qui l'anime. La mort et la souffrance qui se doit de la précéder aujourd'hui sont une part de sa vie et de son être qu'il ne peut négliger constamment. Il lâche totalement les rênes, offrant à cette sombre violence qui ne cesse de l'habiter la possibilité de prendre le pas sur ses habitudes d'homme civilisé.

Quand l'animal ne bouge plus, l'anglais redessine avec une lame de scalpel certains des contours de ces œuvres brouillonnes qui donnent vie à cet être si maigre qu'il se demande comment il a pu faire pour ne pas le briser durant leurs ébats passés. Scipion crie, supplie, gémit et pousse même le vice à déclarer son amour à l'ancien chasseur... Mais pas une seule de ses manœuvres ne parvient à stopper le professeur.

Cela fait bien longtemps qu'ils n'ont plus de spectateur, mais ni Tobias ni Scipion n'en sont chagrinés. Un nouveau jeu débute, aussi malsain que le précédent si ce n'est plus. L'anglais sourit tandis que sur le visage de sa victime se dessine l'expression d'une souffrance qui frôle l'apothéose.

[...]

Quand Alessandro sort de la roulotte de Scipion cela fait déjà quelques minutes que cette situation n'amuse plus Tobias. En effet le forain ne bouge plus, c'est à peine s'il respire encore. Tout en reprenant son propre souffle Tobias dont les fesses sont posées à même le sol lève un regard vers son ami qui tient un dossier sous son bras et une cigarette en main.

-Cela ne sert à rien de faire durer ça plus longtemps. Tu veux en finir avec lui ?

Il est trop tôt au goût d'Alessandro pour mettre un point final à cette histoire. Conscient d'avoir pourtant mené à bien la tâche qui était la sienne, Tobias observe silencieusement son ami qui s'affaire sans le couper en posant les bases d'une discussion qui peut être remise à plus tard. Il a apprit de son ancien amant certaines choses qui lui paraissent de maigre importance mais dont il veut parler avec le parrain de sa fille pour que certains secrets ne viennent pas souiller leur relation dans un futur plus ou moins proche. Sans sourciller ni rien montrer de son trouble, l'anglais demeure aussi calme que possible lorsque son regard blasé glisse sur son ami qui vient de jeter sa cigarette dans la roulotte du coyote.

Coyote qui geint tout près de son ancien petit ami, sans que jamais sa conscience ne parvienne à s'éveiller. Pas même lorsque l'italien parle de jeter ce déchet au feu.

-Je n'ai aucune préférence. Réglons ça et je t'offre un verre dès qu'on trouvera un bar acceptable dans les parages.

Tobias se lève pour suivre ce mouvement qui lui est dicté par les envies de son ami. S'il est soudainement d'une humeur moins bonne qu'il y a encore une heure, il n'en montre rien. Il est parfois utile de savoir cacher ses émotions à son prochain.

[...]

Le verre de whisky était agréable, presque autant que le second qui inévitablement a été commandé par celui qui ne saura jamais totalement se détacher de ce vice qu'est son alcoolisme. Scipion n'est plus qu'un vague souvenir que l'anglais juge dans sa globalité être joyeux.  Après tout le forain était un bon coup et ils ont tout deux passé de bons moments. Même leur dernière danse n'était pas dénuée de charme, en tout cas au regard de celui qui en a mené la cadence.

Après être rentrés à l'hôtel, les deux hommes ont chacun retrouvé leurs chambres. Tobias a pu appeler Chad pour s'assurer que tout se passait bien à Beacon Hills et ainsi échanger quelques mots avec sa fille qui n'a pas cessé de lui parler du chaton de l'architecte. L'anglais se douche, envoie ensuite un message à sa sœur qui lui demande si le festival de Jazz est à son goût. Le professeur ignore si son ainée est naïve ou bien suffisamment intelligente pour ne pas poser de questions dont les réponses la pousseraient à sa perte. Après s'être changé, Tobias quitte sa chambre, traverse le couloir pour aller toquer contre la porte de son ami. La porte ne tarde pas avant de s'ouvrir sur l'italien dont les cheveux sont encore humides.

-Je suis prêt pour le restaurant.

Il entre, fermant la porte derrière lui avant de rester près de celle-ci. Et ce même quand Alessandro lui propose de prendre place sur une chaise le temps qu'il finisse de se préparer. S'écoulent alors de longues minutes silencieuses, tant qu'au bout d'un moment l'anglais décide de prononcer quelques mots dont l'augure est généralement mauvaise.

-Il faut qu'on parle.

Alessandro se fige. De sa bouche sort une expression que Tobias croit avoir entendu cent fois, si ce n'est pas mille, depuis qu'il connaît l'italien. Un "Cosa" surpris qui ne suffit pas à décourager l'ancien chasseur.

Sans laisser le suspense s'installer plus longtemps, Tobias reprend.

-Scipion a parlé. De choses et d'autres. D'un contrat qui m'impliquait d'une certaine façon. Même les menteurs peuvent commettre l'erreur de dire la vérité. De qui étais-je la garantie ? La sienne ou la tienne ? On est amis depuis un moment toi et moi. Et tu sais que je ferais toujours mon possible pour te porter assistance. Pourquoi ne m'as tu pas parlé de ça ?