Celui d'à côté Pv Alex mon Pichou Droïde

Le sweatpant qui collait à ses cuisses et le t-shirt à son dos, Alex cessa sa course lorsqu’il cru entendre quelqu’un.  Ce n’était probablement qu’une bête égarée : personne ne se rendait habituellement aussi creux dans le bois.  Toutefois, cela faisait partie de l’un des trajets que son père lui avait demandé de poursuivre «au cas où» et le druidon veillait au grain.  Il fronça toutefois les sourcils en pensant à son père, à la fois contrarié de devoir lui donner raison, et froisser par les événements des dernières semaines.

Le biochimiste avait cru qu’en n’habitant plus avec son père, leur relation s’en retrouverait grandement améliorée.  C’était sans compter le paternalisme longue distance, ou Gabriel qui continuait de s’immiscer dans la vie privée de celui qui occupait toujours sa maison.  Deux semaines plus tôt, il avait appelé Alex pour lui faire part de menus travaux à effectuer sur la propriété.  Rien de bien compliqué : à deux, ils pourraient très bien sans sortir eux-mêmes sans difficulté.  C’était vrai qu’Alex avait sous la main un ursidé fort comme un buffle, mais ni l’un ni l’autre n’avait la moindre idée de comment s’y prendre pour effectuer ces bricolages et autres rénovations.  Tout en parvenant à des résultats qui viendraient satisfaire le druide senior.  Nouvel appel.  C’était fou comment les jeunes n’étaient plus aussi débrouillards qu’à l’époque.  Ils n’avaient pas pensé regarder sur internet à la recherche d’explications?  Bien sûr, rétorqua le fils, mais ils n’avaient pas forcément les outils requis, ou les connaissances pratiques pour se sentir à l’aise de se lancer dans de tels projets.  Et puis, avec leurs emplois respectifs, et la conciergerie de la forêt, ils ne leur restait plus trop de temps pour s’occuper de la conciergerie de la cabane.  Alex raccrocha au nez de son père dès que le mot «paresseux» retentit.  Son portable vibra, et il préféra ne pas regarder immédiatement le message texte qu’il croyait, à tort, être en provenance de son paternel.  C’était Michael qui offrait de ramener leur géniteur sur terre.  Alex refusa.  Inutile de tenter d’expliquer au vieux bougre la réalité moderne de l’emploi et des responsabilités satellites sans risquer de se prendre un raisonnement du type «dans mon temps, on travaillait bien plus fort» suivi d’une accusation de se plaindre la bouche pleine.

Et cet après-midi, ce fut la cerise sur le sundae lorsque Alex avait appris qu’il devait prendre ses propres assurances, Gabriel ayant préféré annuler les siennes.  Charlie et Cormier vivaient donc dans une cabane en bois qui pouvait partir en fumée sans rien leur garantir.  Le laborantin avait passé une partie de l’après-midi au téléphone pour faire de nouvelles soumissions – après celles des rénovations – et si ce n’était pas au même genre d’escrocs qu’il s’adressait, il n’était pas certain de préférer les contracteurs généraux ou les courtiers d’assurances…  Avant de se choper une migraine ou de crier des bêtises au combiné, le canadien avait pris sur lui d’aller faire sa ronde.  L’odeur forestière, l’air vif et les raies de lumières jouant à travers la végétation arrivaient généralement à le calmer.  Avec un peu de chance, il rentrerait complètement revigoré et prêt à reprendre ses travaux de Sisyphe, ou mieux encore, avec une solution géniale à ses problèmes fonciers.

Le joggeur s’était donc arrêté et allongea le pas au-dessus du petit ruisseau qui coulait vers, à sa droite, une aulnaie marécageuse, afin de voir de qui, ou de quoi, il s’agissait.  Il fut surpris de voir quelques bosquets trembler avec vigueur alors qu’un lapin détalait en sa direction.  À un jet de pierre d’Alex, la bestiole sembla le voir, et elle bifurqua pour se précipiter dans un fourré dense, là où elle serait bien cachée.  Le scientifique releva le nez et le menton dans la direction de laquelle le cousin de Civet arrivait.  Les sourcils froncés, il crut reconnaître la silhouette humaine devant lui, bien que sa posture voûtée n’avait rien de celle, habituellement droite et fière qu’il lui connaissait.  Ce n’était que son Grand Méchant Loup-Garou de voisin.  S’il n’avait pas déjà été aussi proches amis, Alex aurait pensé que Derek avait du mal à contrôler une transformation, mais aussi loin de la pleine lune, il était peu probable qu’un lycanthrope y peine autant.

La voix de son voisin vint confirmer son identité et, croyant qu’il s’agissait d’une blague, Alex se permit un léger sourire alors qu’il répondait d’une boutade de son cru.

-C’est exactement la conclusion à laquelle j’étais arrivée, moi aussi.

Le laborantin se sentait maladroit.  D’une part, le naturel avec lequel il parlait au zoomorphe trahissait la complicité qu’ils avaient déjà eue, mais de l’autre… Cette relation n’était-elle pas supposée être morte et enterrée avec la rupture de ce que les élèves du lycée semblaient appeler le couple Sterek?  Après tout, Alex s’était montré infidèle en amitié et avait trahi son meilleur voisin en invectivant Derek de se faire pardonner plutôt que de jouer les gamins.  En affichant aussi ostensiblement son soutien pour le cadet (#teamStiles), il avait porté le coup de grâce et scellé le destin.  Puis, ils ne s’étaient plus véritablement adressé la parole.  En fait, Alex avait peut-être même tout fait pour éviter de se retrouver confronté à Derek et aux conséquences de ses actes.  Il en avait pâti, certes, et souffrait de la solitude que ce trou avait emmener avec lui dans son âme, mais jamais il ne risquait de l’avouer à voix haute.

Devant Alex, Derek semblait troublé, et c’est un réflexe qu’il avait cru mort qui le poussa en avant.  Il pourrait toujours prétexter un devoir druidique, si on le questionnait.  Il enjamba et contourna donc les obstacles végétaux sur son chemin, en direction de son sombre et mystérieux voisin.

-Y’a quelque chose qui va pas, Derek?  Qu’est-ce qui se passe?

Alex n’était qu’à quelques mètres et, honnêtement, il n’avait aucune idée de ce qu’il était en train de faire.  Il n’avait aucun plan d’action, ni même aucune intention claire, sinon que d’aider.

Le druide pinça ses lèvres ensemble du plus fort qu'il le pouvait lorsque Derek osa lui répondre, après un silence de mort, un soupir tout aussi lugubre et un nouveau temps d'attente. C'était qu'il était drôle, le voisin, à lui parler de la sorte, la bouche encombrée par un dentier surnaturel.  Si ça n'avait été du froid entre les deux hommes, le châtain se serait peut-être laissé aller à oser demander au noireaud si sa mère lui avait pas appris qu'il ne fallait pas parler la bouche pleine. Sauf que Derek semblait d'humeur encore plus sombre qu'à son habitude et il était évident que l'humour n'était pas sa priorité première pour le moment.  Et puis,  ce serait indélicat de lui mentionner Talia en vain de la sorte.

Le sérieux reconquit bien rapidement Alex, dont les sourcils vinrent, à leur habitude, trahir la surprise. Certes, les implications pour la gestion de l'oncle psychopathe avaient de quoi inquiéter Derek, mais pas au point de perdre tout contrôle sur lui-même.  La perte de son alpha et amie non plus...  D'ailleurs, pourquoi était-elle répartie? Une dispute particulièrement acide avec Peter ? Des nouvelles de sa famille dans cette autre monde?

Derek ne tarda pas à répondre aux interrogations muettes de son ancien ami. C'était donc une question de survie.  Ruby avait dû avoir le coeur déchiré de devoir laisser mari et fils derrière.  Mais s'ils l'avaient suivis, ils auraient couru le même danger qu'elle, selon toute vraisemblance. Derek pouvait-il encore profiter de la présence du bambin, ou le spectre de Ruby le hantait-il chaque fois qu'il voyait Ian?

-Oh! dit d'abord Alex, sous le choc et sans vraiment ne savoir quoi ajouter. Il abattit finalement le silence pour offrir ce qu'il considérait être des condoléances pour une personne non défunte.
-J'suis désolé.  C'est nul, mais t'y es pour rien.

Effectivement, Derek n'était qu'un observateur de la situation.  Un rôle passif qui ne lui seyait guère.  Il avait certes le droit d'être abattu, ce qui était même normal et rassurant sur la présence d'humanité chez le garou, même après les épreuves qu'il avait subies. Alex fit quelques pas dans les buis pour venir encadrer son voisin d'une accolade, mais le lycanthrope poursuivit avant qu'il ne parvienne à son but. Le Manitobain s'arrêta de nouveau pour écouter quel nouveau cataclysme Derek lui annoncerait.

Aucun : il ne dit rien et de contenta de relever le menton pour sortir de cette position recroquevillée sur lui-même qui ne lui était ni naturelle ni flatteuse. À la lueur du regard de son loup-garou préféré, Alex comprit immédiatement que Ruby avait transférer son statut à Derek. Il n'en fut toutefois pas moins surpris de découvrir les retombées nucléaires de ce cadeau.  Il franchit la distance qui les séparait et vint enlacer son  voisin, brièvement. Son ancien ami aurait été extatique de lui apprendre une telle nouvelle.  Lui qui semblait rêver d'être un alpha depuis le stade de zygote. Le Derek actuel, toutefois, semblait se retrouver devant la dure réalité des sacrifices et des souffrances qui incombaient inévitablement à la passation des rôles.

-Regarde le bon côté des choses, dit-il pour lui remonter le moral, tu seras peut-être capable de défendre ta ruche, maintenant!

Alex esquiva les grognements de son ami, incapable de dire s'il avait réellement aperçu une esquisse de sourire sur le visage du bourru. Il fit un geste pour retirer le sac de randonnée sur son dos et y récupérer la flasque de rye à l'intérieur, avant de remettre ses bretelles en position normale lorsqu'il réalisa que cela aurait le même effet sur le loup qu'une pichenette sur le cul d'un éléphant.

-On va aller chez moi, je te fais une tisane apaisante spéciale grand méchant loup, polis on préparera ton discours d'intronisation. Je peux venir avec toi quand tu parleras avec ton oncle. Et si il rouspète trop fort, je lui claquerai un journal sur le nez. Ça te va comme plan d'action?

D'un coup de menton, Alex fit signe au loupiot tristounet de le suivre.  Pas dans la direction de la cabane,  car il n'avait pas terminé sa patrouille, mais ils y seraient relativement bientôt.  Et puis ça leur permettrait de discuter un peu tout en restant du côté du bois éloigné du manoir.
Un vrai bro aurait certainement offert d'aller aux danseuses pour se divertir les idées.  Alex se mordit la lèvre à cette mauvaise idée,  mais offrit tout de même un compromis.

-Ou alors on peut aller dans un bar si tu préfères.  Je pourrai être ton wingman!

D'une chose,  il était hors de question qu'Alex ne s'approche de la tanière Hale sans l'équipement de sécurité nécessaire,  et cela impliquait nécessairement de la poudre de sorcier, entre d'autre arsenal. D'autre part, Alex aiderait avec plaisir son voisin : il savait très bien que le plus on laissait Mafdet tranquille et hors de ces drames humains certainement très puérils à ses yeux,  le mieux tout le monde se porterait. Le duo taciturne était donc arrivé à sa première entente sur le chemin de la réconciliation. Le point suivant, par contre, nécessiterait davantage de subterfuge et de compromis.

-Je préfère m'en occuper seul plutôt que de risquer que Gabriel ne m'accuser de lâcheté parce que je partage mes tâches. Par contre, si quelqu'un devait croiser mon chemin par hasard et me tenir compagnie,  je vois pas ce qu'il pourrait dire…

Ce serait bien mal connaître le paternel Cormier que de croire qu'il ne trouverait pas des bébittes, quoique son fils ne décide de faire, aussi Alex ne se berçait-il pas d'illusions.

Si le druide partageait le bonheur du loup de savoir leur amitié renoué, le lycan avait également donné aux méninges du laborantin matière à réflexions.  Et ces réflexions avaient un effet délétère sur la capacité de l'ermite à faire preuve d'expressivité quant audit bonheur. Alex avait beau être conscient qu'il ne connaissait pas la population de Beacon Hills au grand complet, surnaturelle ou non, il ne pouvait s'empêcher de se demander de quelle puma déprimée Derek pourrait-il bien avoir fait la connaissance.  Et une seule réponse lui venait à l'esprit, avec une conviction telle qu'il ne savait plus s'il s'agissait d'une intuition ou d'une conclusion logique. Pourquoi son amie puma ne se confiait-elle pas à lui? Avait- il réussi à l'exaspérer, avec son aversion ouverte de leur relation, à elle et celui qui prétendait l'aimer en retour? L'avait-il faite fuir à force de détester celui qu'elle aimait, comme il semblait avoir le don d'éconduire toutes amitiés?

Si, heureusement, jusque là l'étroitesse du sentier ne leur avait pas vraiment permis de discuter, et certainement pas de marcher côte-à-côte, ce n'était désormais plus le cas et Alex dû faire un violent effort conscient pour se tirer de ses récriminations et répondre à Derek.

-Ça me fait plaisir, parvint-il à répondre placidement.

***

Aussitôt entrés, Alex avait remis le rye dans le meuble de liqueurs où il allait, puis il saisit la canette de bière vide et terreuse qu’il avait ramassée durant son expédition et alla la déposer dans le recyclage.  Il l’avait retrouvée près du Nemeton, et devait admettre s’être fâché devant un tel manque de respect envers la vénérable souche.  Évidemment, les humains lambdas, et même certains surnaturels, n’avaient probablement aucune idée de ce qu’était ce tronc immense, ni d’où provenaient l’énergie qu’ils ressentaient dans son sous-bois, mais tout de même.  Venir camper sous le faîte fantômatique d’un tel arbre et laisser ses cochonneries derrière comme si c’était des hommes des cavernes - ou des femmes de néandertal, on n’était pas sexiste -  ça ne se faisait simplement pas!

Derek qui s'excusait mettait immanquablement Derek mal à l'aise.  Il répondit tout de même d'une moue qui signifiait de ne pas s'en faire, soulignant d'un geste de casserole qu'aussi longtemps qu'ils évitaient le sujet Stiles, tout devrait bien aller.

-T'as-tu dîné? Interrogea-t-il avant de reprendre. Je vais me faire du gruau avec des oeufs dans le sirop ;  t'en veux?

La casserole remplie d'eau alla rejoindre le canard sur le feu, puis il ouvrit un troisième rond, posa une tranche de beurre au fond de la poêlonne et s'affaira à cuisinier.

-Il paraît qu'elle l'a transformé,  et qu'il est devenu plus… C'était quoi le contraire de psychopate?  Sympathique.  Peut-être que c'est toujours vrai.  Il faut que tu lui fasses confiance si tu veux qu'il reste dans ta meute.  Non seulement pour l'esprit d'équipe,  mais pour qu'il sache qu'il a de la valeur à tes yeux. Sois honnête. Dis-lui que tu n'y est pour rien,  que c'est Ruby qui a décidé ainsi,  et que c'est probablement le meilleur moyen de laisser Peter prodiguer les meilleurs soins possibles à Ian : il n'aura pas de distractions.  Être une mère monoparentale est affreux.  Imagine père! Il a l'arsenal émotionnel de Ron Weasley!

Lorsque le canard se mit à siffler, Alex le saisit par l'anse, un sous-plat en guise de mitaine, et versa l'eau bouillante dans deux immenses tasses, tout juste à côté du gruau qui commençait déjà à refroidir en épaississant. Le biochimiste fouilla dans le garde manger après avoir tourné et enseveli les oeufs sous le sirop, pour en ressortir avec une petite boîte de bois travailler dans les mains.

-On m'a donné des échantillons un peu étranges.  Peut-être que ça te plaira ; je n'y ai jamais goûté. Il y a bacon fumé, steak au poivre, jambon à l'ananas et chorizo. Il y en a un qui te tente plus que les autres?  Ou si tu préfères me pas mourir aujourd'hui j'ai des trucs normaux.  Orange pekoe, citron-gingembre, menthe, caramel, chai, mélange de la Nativité…

Alex haussa les épaules.  Pourquoi Derek plutôt que Peter, en effet.  Si ce n’était pas un choix conscient de Ruby, c’était que le transfert répondait à ses propres règles naturelles, sans les constructions sociales que sont l’héritage et ses modes de passation patrilinéaires ou matrilinéaires, favorisant d’abord le conjoint survivant, ou les parents, ou les enfants, selon les cultures.  Non.  C’était un processus primaire et naturel, pragmatique.  Derek était probablement le meilleur alpha potentiel qui subsistait dans la meute, tout simplement.  Était-ce parce qu’il était le plus puissant, charismatique, sage, faisait preuve du meilleur leadership ou avait le meilleur ratio expérience / espérance de vie?  Si c’était ce que Derek se demandait là, ils pourraient bien tergiverser et théoriser jusqu’à la nuit des temps qu’ils n’en sauraient pas moins la réponse.  C’est pourquoi Alex se contenta de ne pas répondre.

Quand il offrit généreusement ses meilleures saveurs d’herbes à infuser à Derek, Alex grimaça en entendant sa réponse.  Il venait de se prendre le retour de blague en pleine poire!  Et ça fanfaronnait à coup de clin d’œil victorieux, en plus!

-Du thé à l’aconit! Et puis quoi encore?  C’est beau la confiance! ronchonna le druide pour la forme.  Il retourna malgré tout aux tasses, la boîte en main, et lança un sachet au hasard dans chacune.  Comme ça, s’ils n’aimaient pas ce que le destin leur avait réservé, ils pourraient toujours échanger de tasses.

-Je t’imaginais pas prendre le thé avec ton oncle.  T’es plutôt style café noir et corsé, il me semble.  Et mange avant que ça ne soit froid!

Le laborantin fit un signe impérieux à son voisin de s’asseoir, et laissa glisser les œufs cristallisés par le sucre d’érable dans les deux assiettes que Derek venait de déposer sur la table.  Le druide revint quelques instants plus tard avec la bouteille de sirop et un pot de cassonade qu’il ajouta au centre de la table.  Il croisa alors le regard interrogateur  de Derek et rétorqua d’un mouvement de sourcil outré.  Était-il en train de juger le pauvre canadien pour avoir la dent légèrement sucrée les matins de fin de semaine?  Alex était prêt à se draper dans son orgueil d’hôte généreux lorsqu’il réalisa qu’il s’était trompé et que le loup-garou pensait toujours à son oncle.

-Évite de le faire passer pour un idiot.  Explique-lui que tu ne voulais pas alourdir son deuil, ou je sais pas, et que tu ne pensais pas que ça le mettrait dans une mauvaise position.  Et si tu veux pas que je vienne, je viendrai pas, alors.

Imitant inconsciemment Derek, Alex retira le sachet de son thé et en prit une petite lampée en écoutant la nouvelle demande de son voisin.  Le druide éclata de rire.

-T’as rien à me rembourser.  Elle s’y connaît suffisamment en herboresterie pour ne jamais trop m’en prendre.  Même que la moitié du temps, on dirait qu’elle redonne un nouveau souffle à mes plants.  Et même si c’était pas le cas, voyez ça comme un cadeau pour Ian.

-Si tu préfères, on peut échanger nos tasses. Ça ne me dérangera pas. Je suis tombé sur citron-gingembre.

Derek mangeait avec appétit et Alex se retint de faire de l’humour à la fois facile, générique et douteux.  Ce fut néanmoins le lycanthrope qui relança la discussion.

- Il nous faudrait de la poudre de sorbier. Si tu la mets dans un sac, je peux le porter.  

Alex hocha de la tête.  C’était possible.  Même que Derek pourrait préparer l’endroit avant leur rencontre, s’il le fallait.

-Plus j’y réfléchis, plus je pense qu’il me faut l’appui de la meute. Chad et Mafdet pourront m’aider à le contenir si Peter s’énerve. Mick peut manipuler la poudre de sorbier. Et dans le pire des cas, il nous faudrait ces fléchettes qu’utilisent les chasseurs. Celles qui endorment un loup.
-Je n’ai pas de fléchettes. Je n’ai pas d’armes comme les chasseurs.  Je devrais peut-être, au cas où… Je sais pas.  Donc pour ça je peux pas vraiment t’aider.  Et je connais personne.  Peut-être dans une boutique de chasse?  Avec des munitions pour l’orignal, Ou alors tu pourrais demander à Mafdet de remplacer le contenu des fléchettes pour toi, et je regarderai ce qu’on pourrait utiliser. Mais tu sais, si Peter se sent piégé, ça ne jouera pas en ta faveur non plus...

-Quant à la meute… Je vois pas pourquoi ils ne t’appuieraient pas.  D’une part, c’est pas un système démocratique.  D’autre part, si c’en était un, je suis pas mal certain que tu aurais été nommé à peu près unanimement.  Tu penses vraiment que Peter se risquerait à un putsch ou quelque chose du genre?  Ça me semble déraisonné pour un père de famille célibataire, non?  Surtout s’il n’a pas le soutien des autres.  Il doit rester vivant et en bon état, pour Ian.

La discussion s’enchaîna et dériva doucement, alors que les œufs et l’avoine disparaissaient de leurs récipients respectifs.  Les gorgées de thé s’allongeaient avec le risque de se brûler la langue qui diminuait et Alex retourna bientôt refaire bouillir de l’eau.  À son retour, Derek l’interrogea sur un nouveau sujet, beaucoup plus personnel cette fois. Le scientifique haussa les épaules en soupirant, visiblement peu excité à l’idée de parler de lui-même.  Il débita sa réponse tout en fouillant dans la poche de son pantalon de jogging à la recherche de son portable.

-Ça va.  C’est cool de ne plus avoir mon père par-dessus mon épaule en tous temps, et Charlie est un étonnamment meilleur coloc que j’aurais pu l’espérer.  Il me donne un coup de main dehors, et prépare quasi tous les repas quand il bosse pas.  Ça me permet de souffler, parce que sinon je t’avoue que je sais pas si je pourrais y arriver, entre le boulot, l’entretien de la maison et mes obligations… héréditaires.  D’une manière, Gabriel est encore là, en fait.  Il m’a bien inculqué ses méthodes et ses commentaires.

Glissant son téléphone vers Derek, une application de rencontre ouverte sur la fenêtre de messagerie qui affichait quelques messages de sa part, le dernier dont il avait été le récipiendaire datant d’un peu plus de deux mois.

-Personne en vue.  Je n’ai pas vraiment le temps, en même temps, entre mes autres occupations et tout.  C’est pas très grave, au fond.  Ça ne me manque pas vraiment et c’est certainement plus simple que de constamment devoir m’assurer de cacher que je prend le thé avec des loups-garous.

Le druide sourit à son voisin, étant lui-même convaincu de ce qu’il avançait.  C’était pour le mieux ainsi, un point c’est tout.  Certes, il ne parvenait pas à masquer complètement le dépit que faisait naître en lui le manque d’intérêt apparent envers sa personne.  Il n’était peut-être pas suffisamment assidu dans sa recherche de relation, mais ce n’était pas non plus une recherche d’emploi après tout!  Et puis, ça ne donnait pas une excuse aux autres pour ne jamais répondre à ses messages instantanés.  Il avait remis en question la manière par laquelle il avait mis en valeur sa fiche à quelques reprises déjà, tout réécrit sa présentation, changé ses photos, mais rien ne semblait y faire.  Peut-être devrait-il mentir sur son âge, ou prétendre être neurochirurgien?  Il reprit son portable en retournant la question à l’expéditeur.

-Et toi?  J’ai entendu dire que tu avais eu une amourette après Stiles?  Vous n’êtes plus ensemble, si j’ai bien compris?  Enfin, je sais pas si t’as envie d’en parler.  J’espère juste que tu es heureux, tu sais.  C’est tout ce qui compte.

Beacon Hills était une petite ville, et les gens parlaient. Alex avait beau jeu de dire que tout ce qui comptait était le bonheur de son voisin : sa première réaction avait été de vouloir aller confronter son voisin pour lui dire ce qu’il en pensait; qu’il s’était remis bien trop rapidement de sa relation avec Stiles, et qu’il devrait mettre ses énergies à le retrouver plutôt qu’à courir dans les bras de la première venue.  Ou du premier venu.  Cette information lui avait échappée.  Toutefois, ce sujet était désormais complètement banni des lèvres du Cormier.

-Une louve? répéta Alex, incrédule.  C’était une suggestion étrange que de suggérer au druide de se mettre en couple avec un lycanthrope, considérant la relation qui existait naturellement entre les druides et les garous.  Il fallait bien s’avouer qu’Alex y avait déjà songé.  Après tout, il semblait avoir une affinité certaine avec les créatures surnaturelles, comme le prouvait son passé amoureux.  Depuis Andy, il avait croisé par hasard une ancienne flamme en visitant sa mère, et lui avait trouvé une aura surnaturelle.  Par la suite, avec eu une certaine forme d’intuition – qui s’appelle de la déduction – il s’était mis, à temps perdu, à chercher ses ex sur le web.  Bien que peu fructueuses, ses recherches semblèrent concluantes.  Un peu comme ce Therence Garnet, Alex semblait définitivement avoir une affinité pour le surnaturel.  Ça, par contre, il n’était pas obligé de l’avouer à son Grand Méchant Voisin.

-Après ce qui s’est passé avec nos parents? Je suis pas désespéré, non plus... grinça-t-il dans sa barbe naissante, avant de relancer la puck à Derek.  C’était à son tour de mijoter dans sa sauce!  Le nouvel alpha touilla son thé, cherchant certainement les mots qui lui convenaient, et Alex se retint de l’informer que lui aussi semblait attirer de drôles d’oiseaux.  Hormis Jenny, peut-être.

Tentant de son mieux de se montrer empathique, Alex hocha de la tête à la mention de Stiles.  Les ruptures n’étaient jamais propres et nettes.  De son propre vécu, une impression de vide, comme s’il avait oublié quelque chose, ou raté une bonne occasion, était fréquente, tout comme un sentiment d’avoir carrément perdu ou gaspillé son temps.  Ça ne semblait pas forcément être le cas de Derek, et Alex prêcha l’abstinence : il préférait encore ne pas dire que les regrets et l’amertume de son amis étaient probablement dus à l’affection qu’il éprouvait encore pour le fils du shériff.  Pas si c’était pour leur coûter de nouveau une longue absence.  Quant à l’étoile filante… Ce simple choix de nom indiquait bien à quel point Derek ne l’avait pas prise au sérieux, ou avait été heurté.  C’était un surnom qui en disait bien plus long qu’il ne le laissait paraître, et Alex afficha une moue compatissante.  Ce n’était jamais agréable de réaliser que quelqu’un s’était servi de soi, ou qu’on ne comptait pas autant à leurs yeux qu’eux aux nôtres.  Alex ne voulait pas trop insister pour avoir des détails, par pudeur et respect.  Derek était bien assez mature pour lui raconter de lui-même ce qu’il était à l’aise de dire et d’oblitérer le reste sans qu’on aille à le presser de questions.

Derek se justifia en brandissant, telle une targe, l’adage voulant qu’il valait toujours mieux ne pas être en couple qu’en souffrir.  Si Alex était bien d’accord sur le fond, il s’inquiétait que son voisin ne se serve de ce dicton comme d’une palissade imperméable et s’empêchait ainsi de rencontrer sa perle rare.  De même, il prétextait le chamboulement dans la vie de la meute pour s’extraire d’un risque qu’il tut.  Le risque d’accroître le ressentiment de Peter à son égard?  De se faire reprocher par son oncle de lui remettre en pleine face l’absence de sa perle rare à lui, en tentant de décrocher la sienne? À inviter quelqu’un au coeur de cette foire aux fauves, et à y risquer leur peau?

- Puis Ian m’offre plus d’affection qu’un millier d’ours garou.

Alex écarquilla les yeux, ses sourcils quelque part dans la stratosphère.  Son voisin en pinçait-il pour son colocataire, comme le scientifique venait de le comprendre?  Eux qui prétendaient toujours une certaine rancoeur suite à cette histoire de ruche et de territoire, voilà qu’au moins l’un d’eux tournait autour de l’autre, et sous son nez!  Le laborantin ébahi n’eut pas le temps de soupirer la moindre consternation, le moindre point d’interrogation en demi-ton que Derek poursuivait sur sa lancée.  Ian était un fédéraliste, donc.  Il serait parfait au Canada!  Qu’il ait séduit Mickael ou Chad, c’était une chose.  Rendre Mafdet gaga était carrément d’un niveau impossible à imaginer pour son assistant.

Alors que le loup-garou poursuivait sur les qualités de son neveu et les problèmes qui en découlaient, le cerveau d’Alex tentait un troisième redémarrage forcé. Le sournois financier poursuivait comme si de rien n’était et, lorsque son regard s’éclaira d’un "eurêka" en néons bleu poudre, Alex s’attendait à tout sauf à ce qui l’attendait véritablement.  Bon, peut-être pas tout, mais les idées qu’il avait eues, le cerveau toujours scotché sur la déclaration impromptue du loup, n’allaient pas dans la bonne veine.  Il resta donc un instant l’air hagard avant de répondre à la longue suggestion.

-De druide qui essaie de mettre un peu d’argent de côté maugréa-t-il d’abord, non content d’avoir été comparer à un voleur de taxes avant de poursuivre.  
-Je vois pas de problème à ça.  Sauf peut-être que je le trouve trop mignon et le kidnappe! Ahah! Ou s’il me prend pour un jouet. Le canadien plaisantait de bon coeur.

-Si tu veux, je pourrais même demander à Charlie de m’accompagner.  Ça te ferait plaisir?  Je pourrais aussi demander à d’autres amis.  J’ai cru comprendre que tu connais Andy?

Réalisant la vacuité de la tasse qu’il conservait entre ses mains, comme un oisillon dans un nid de paille, Alex se leva pour la porter à l’évier et offrit d’un geste de la main à son invité de récupérer la sienne en même temps.

-Et moi qui pensais que tu allais me demander de te faire un profil de rencontre ensemble!  Je sais pas si je suis déçu ou soulagé que ce soit pas le cas... nargua-t-il son ami en se dirigeant à la cuisine, Derek dans son dos.  Il ne réalisa que trop tard qu’il s’était lui-même privé du plaisir de voir sa réaction.

-Tu veux une bière? ajouta-t-il en ouvrant la porte du réfrigérateur pour s’en prendre une.

Spoiler:

L’alpha évita de répondre directement à l’offre d’inviter Charlie à rencontrer le petit-garou.  Était-ce une stratégie pour éviter le sujet et ne pas s’embourber dans un champs de rougissements façon Cormier?  Alex aurait-il vu juste dans les sentiments réprimés du fier loup à l’égard de l’ours nonchalant?  Quant à Andy, Derek avoua ne pas avoir pensé qu’ils pouvaient se connaître et le druide se contenta de lui confirmer d’un geste du menton qu’ils étaient à Phoenix simultanément.  Pas nécessaire de s’épancher sur leur relation passée et présente pour l’instant.  Le moment opportun se présenterait bien un jour, de toute manière.  Maintenant que leur amitié semblait s’être à peu près rafistolée, ils auraient le temps de rattraper le temps perdu et les potins négligés.

Alex revint au salon, un pack de dégustation, avec des bières de types et de saveurs variées, à la main.  Il le posa sur la table basse et fit signe à son voisin de se servir parmi le choix qui s’offrait à eux.  Certains garous avaient la fâcheuse tendance de profiter de leur immunité au poison que représentait l’éthanol pour coûter une fortune à leur hôte, d’autres préféraient l’abstinence – plutôt que de gaspiller leurs ressources à rester sobres – et certains, comme Derek, étaient raisonnables, buvant ce qui semblait être une quantité normale pour un humain normalement constitué.  Alex savait qu’il pouvait suivre son rythme sans risquer d’en être malade ou d’en avoir honte.  Et si il surestimait son endurance, il savait que le grand méchant loup prendrait soin de lui.  Ils trinquèrent, poursuivant sur le sujet des sites de rencontre, et Alex haussa les épaules.

-Bah.  Je suis bien trop encastré dans ma routine pour rencontrer quelqu’un autrement.  Entre le labo où nous sommes cloîtrés, et sans véritable roulement de personnel; la maison au milieu de nulle part; et les amis qui ne changent plus vraiment, je n’en ai pas l’occasion. C’est sûr, y’a plein de gens qui disent que Charlie et moi serions bien ensemble, mais je pense que c’est du foutage de gueule collectif. Cole et Nikita, au boulot, ont pris des paris à savoir si je prendrais la place de Stiles dans ta vie.  Malak est d’avis que je devrais reconquérir Jenny.  Will me cause toujours de sa cousine aux UK...

Et Andrew lui dit qu’il devrait pousser sa chance avec Andy et tasser le pion qui est présentement avec elle.  Sauf que d'une part, les retrouvailles entre les amis et la date qui avait suivie avait bien prouvé que leurs solitaires idylles d'adolescence n'était rien de plus que des amours passagers et qu'ils étaient bien plus confortables dans une relation réciproque d'adultes amicaux qu'amoureux.  Et Andrew ne connaissait manifestement pas le patron du Pink! qui, s’il était un meuble, ne serait pas un tabouret, mais plutôt l’une de ces lourdes armoires immenses en bois travaillé.  Impossible à bouger seul, jolie de l’extérieure et vide à l’intérieur – si ce n’était des traces de moisissures.

- Et avec ce que je suis, je me vois mal confier cette partie importante de ma vie à une telle machinerie sans âme.  Avant même de voir luire les iris sanglants, Alex avait compris à quoi son ami référait, mais il n’avait pas vraiment de solution pour lui.  De dépit cette fois, il haussa de nouveau les épaules, et tenta de bâtir une solution à partir de rien.

-Il est peut-être temps que quelqu’un invente un site de rencontre spécialisé pour les gens comme toi.  Tu connais pas de pro de l’informatique?  Suffit que ça ressemble à un canular pour l’humain lambda et le tour est joué.  Cachés sous le nez et les yeux de tous.

C’était largement trop optimiste, mais c’était bien une bière à la main que le temps venait de refaire le monde, non? Ça ne semblait pas être l’opinion de Derek, qui revint à la charge sur le sujet de la puma, mentionnant au passage son plus terrible défaut.  La réaction du druide fut instantanée.  Une main se crispa sur elle-même et l’autre sur la bière, ses sourcils se froncèrent dans un angle inquiétant et donnèrent même l’impression de s’être gonflés à la manière d’un chat prêt à engager un combat.  Sa mâchoire suivit le mouvement, se fermant si sèchement qu’Alex se demanda si c’était une étincelle qui était venue lui brûler l’intérieur de la joue.

-Tu vois bien! Si même Mick n’est pas capable de le supporter!  C’est un mec sage! tempêta Alex, par-dessus Derek sans véritablement l’écouter davantage.  Il entendit sans la comprendre la mention de l’organisation secrète, les services de l’italien et le coût effectif du service.  Le laborantin pesta quelques termes injurieux supplémentaires avant de réaliser que son voisin buvait sa bière en attendant qu’il ne redescende de ses grands chevaux.

-Désolé.  Il m’insupporte. répondit-il sèchement avant de poursuivre.C’était déjà un bully au lycée.  Il a causé bien trop de problèmes à Charlie pour qu’un simple boulot soit une compensation digne de ce nom, et je suis certain que cette histoire entre Andy et lui ne pourra pas bien se terminer, pas pour elle. Il baigne dans les trucs louches, et eux ferment les yeux sous prétexte qu’il ne les y inclus pas, ou plus.  J’sais pas comment il s’y prend pour charmer tout le monde.  Si tu veux mon avis...

Wuh-du-du.

Interrompu par la sonnerie de son ordinateur, toujours installé en face du financier, Alex hoqueta de surprise avant de réagir. Sur le point de mentionner quelque chose dans la ligne du diable qui devait être du type à porter des costards plutôt que des jeans, et à mitrailler les gens de voyelles, le druide resta la bouche entrouverte comme un saumon hors de l'eau. Il fallut la seconde sonnerie pour qu’il ne se précipite sur le portable pour le récupérer. Dans son empressement, il accrocha quelques touches et accepta involontairement l’appel un court moment avant de n’avoir pu saisir l’ordinateur et le retourner en face de lui.  La salutation de la femme s’interrompit, surprise, en voyant l’inconnu plutôt qu’Alex, mais lorsque sa mère lui fit face, Alex put voir qu’elle était tout sourire.

-Salut, mom.
-Alex, tu as de le compagnie…
-C’est Derek.
-Ton copain?
-Euh, non!  C’est mon voisin!
-Très mignon.  J’étais surprise que tu aies si bon goût.
-Mom!  Je peux te rappeler plus tard?
-Mmmh?  Oh, oui, oui.  Je viendrai vous visiter bientôt. Enfin, n'annules pas tes plans pour moi. Si tu es occupé, ton ami pourra me faire visiter. Bisous.
-Bonne jou...  La fenêtre de conversation avec la militaire était déjà disparue dans un signal sonore distinctif et Alex avait la ferme impression que la motivation initiale de l’appel n’était pas de l’informer que Janet comptait un jour mettre les pieds à Beacon Hills. Bien qu’elle ne fasse pas son âge et qu’elle soit jolie sous ses airs stricts et revêches, ce qui était d’autant plus étrange que le père d’Alex n’avait jamais sembler avoir un physique avantageux, Janet restait une femme de son âge et il n’appréciait pas davantage de la voir commenter ses amis de la sorte qu’il n’avait pu l’apprécier à l’adolescence.

Cramoisi de honte et de gêne jusqu’à la pointe des cheveux, Alex releva sur Derek un regard où se mêlait la confusion à l’outrage.  Par automatisme plutôt que par une volonté consciente de chasser de sa mémoire cet instant où sa mère avait flirté avec son meilleur pote, Alex engloutit une gorgée de bière avant de faire ce que tout bon canadien aurait fait en pareilles circonstances.

-Je suis désolé, Derek.  Je… je ne sais pas ce qui vient de se passer.  C’était ma mère.

Le scientifique ne réalisa même pas qu’il venait de souligner l’évidence-même.

Si Derek semblait d’accord avec Alex que Charlie et lui feraient un couple étrange, le druide trouva tout de même que le lycanthrope exagérait en plaçant le manitobain comme "mieux" que Charlie.  Alex tenait l’ours et le loup aussi haut l’un que l’autre dans son estime et cette position était également supérieure à la sienne, à ses yeux du moins. Même s’il savait qu’il s’agissait d’un biais malsain de sa part, cela restait vrai selon lui. On ne redresse pas une pénurie de confiance en soi d’un simple battement de cils – ou de sourcils.

Au moins, cette mise au point avait l’avantage de mettre au rebut l’hypothèse précédente du druide selon laquelle Charlie plaisait à Derek. Pourtant, avec leurs caractères similaires sur une variété de points, Alex ne trouvait pas l’idée si incroyable.   «Qui se ressemble s’assemble» sembla lui murmurer la voix de feue mémère* Cormier à l’oreille. C’était aussi elle qui disait que des tempéraments trop identiques généraient des tensions incroyables car il manquait d’équilibre dans ce genre de couples.  Bref, une vieille sage qui avait une expression et une petite morale pour chaque situation.  Comme quoi les chiens ne faisaient pas des chats!

Le métamorphe ne sembla pas apprécier davantage les paris pris sur leur relation à eux deux. Aussi surpris qu’Alex avait pu l’être lorsqu’il avait été mis au fait des gageures de ses collègues, Derek se renfrogna en quelques questions qui frôlaient l’outrage.  Au moins semblaient-ils sur la même longueur d’onde à ce sujet.  C’était l’un des avantages de pouvoir compter sur des amis honnêtes et transparents. Alex haussa les épaules en signe de son ignorance avant de répondre à son meilleur voisin.

-J’en sais rien.  Peut-être qu’ils trouvent que je parle souvent de toi, ou qu’on a le même genre de caractères. Après, c’est pas parce que ça travaille dans un labo que c’est moins mémère* que la moyenne...

Lorsque Derek mentionna que Jenny était sympa, Alex offrit une moue désabusée, ponctuée d’un haussement de sourcil.  Il avait eu une belle relation avec Jenny, et il était content qu’ils soient restés amis, car cette femme était réellement un rayon de soleil dans les vies qu’elle touchait, mais si il fallait mettre réellement faire une échelle de la valeur des gens, elle surpassait le reste de l’humanité de loin, facteur d’estime personnelle pris en compte ou non. C’était l’une des raisons de leur rupture : la pression qu’Alex se mettait sur les épaules pour sentir qu’il était a sa hauteur.  Il ne l’avait jamais reproché à Jenny, car elle ne lui avait jamais rien demandé du genre. Quant à savoir si elle intéressait Derek, Alex préférait ne pas se poser la question, et surtout ne pas jouer les entremetteurs.  C’était déjà suffisamment étrange que lui et son coloc aient la même ex!  Alex avait déjà vu à la fac quelques groupes d’amis qui semblaient avoir tenté toutes les configurations de couples possibles – un phénomène qui avait d’ailleurs été souligner dans la série Glee – et il avait toujours trouvé cela passablement malsain.

Alex fut soulagé une fois de plus lorsque Derek sembla partager le malaise que Janet avait causé lors de son court appel.  Certes, il avait quitté la résidence maternelle relativement jeune et n’y était jamais retournée, mais sa mère ne lui avait jamais semblé être du genre à courir les hommes, et certainement pas une cougar assumée!  Heureusement, le loup-garou parvint à tourner la situation à la blague, ce qui apaisa le laborantin.  Bientôt, l’alpha dû partir rejoindre sa meute et Alex le gratifia d’une étreinte avant de lui souhaiter du courage face à son oncle.

***

Définitivement, il n’y a qu’à Civet que je ne fais pas peur! blagua le druide en voyant détaler un lapin quelques mètres devant lui, deux générations de loup-garous par derrière.  Alex rendit son salut au chef des Hale et s’accroupit presque en même temps que celui-ci. Derek s’occupa de présenter le druide, le complimentant au passage sur sa gentillesse, malgré qu’Alex doute sérieusement de ne savoir atteindre celle de Mick.

-Bonjour Ian, se contenta de saluer le biochimiste avec calme et sobriété.  Il craignait que de ne parler trop fort risque de vriller les oreilles du gamin, qu’il fixait en silence, dans l’incertitude de ce qu’il devait faire ensuite.  D’une part, songeait-il, il était probablement préférable de laisser le garçon l’approcher de lui-même plutôt que de lui imposer sa présence.  Ensuite, il était définitivement trop jeune pour l’aviser qu’en cas de soucis il pourrait toujours venir lui quérir de l’aide. Les narines du louveteau frémirent légèrement alors qu’il semblait humer l’air, incertain.  Ian balança son regard entre les deux hommes présents avant de faire un premier pas vers Alex. Le laborantin n’avait pas beaucoup d’expérience avec les versions miniatures et il avait l’impression que ce devait présentement être écrit dans son front avec un néon clignotant.  Toujours en position accroupie, Alex regarda autour de lui s’il ne trouverait pas quelque chose qui pourrait intéresser Ian.  Lorsqu’il reporta son attention sur le bambin, celui-ci s’était mis à récupérer des brindilles et des feuilles au sol en faisant ses vocalises pour lui-même.

Prit de témérité, Alex se releva pour faire quelques pas en parlant à Derek pour s’assurer de ne pas surprendre le bout de chou en se retrouvant soudainement plus près de lui.  Les notions d’Alex sur la façon de traiter les enfants ressemblaient étrangement aux conseils que l’on donne aux campeurs s’ils se retrouvent en face de bêtes sauvages.

-J’y ai repensé et finalement, je crois pas que ce soit une bonne idée d’inviter Andy.  Elle a déjà du mal avec les enfants qui ont ni griffes ni dents...

Quant à Charlie, Alex jugea plus sage de ne pas le mentionner.  Pas avant que les deux têtes de mules ne se soient décidées à faire la paix. Lorsque Ian cessa sa cueillette et se tourna de nouveau vers Alex qui semblait désormais davantage digne de son intention que le sol forestier, le druide se laissa de nouveau choir à la hauteur du plus jeune Hale. À la grande surprise du druide, celui-ci se trémoussa d’un pas rapide vers Alex, son bouquet à bout de bras devant lui.  Croyant deviner l’intention du jeune loup, Alex l’encouragea et lui demanda si ça lui était bien destiné, en avançant maladroitement dans sa position accroupie vers l’enfant.  Ian était presque arrivé à destination au moment où son pied se prit dans une racine et qu’il bascula vers l’avant.  Dans un réflexe qu’il ne se connaissait pas, Alex saisit le gamin sous les aisselles et fut récompensé par le rire du bébé qui semblait vouloir recommencer l’expérience.

*:

Alex restait perplexe, mais il crut préférable de laisser tomber.  De toute manière, son ancien crush restait la meilleure juge de ce qu’il était préférable de faire, et de si elle avait envie ou non de rencontrer Ian et de lui servir de nouveau joujou. De toute manière, la déclaration suivante de son voisin avait déjà lancé le cerveau surexcité du druide dans une toute autre chaîne de pensées. Les sourcils d’Alex tressaillirent, alors qu’il se demandait si c’était un aveu de l’horloge biologique de l’alpha qui commençait à résonner dans sa fibre paternelle, ou une simple façon de dire que le gamin était à la fois charmant et facile à vivre. Derek était déjà, en quelque sorte, le second père de son cousin. Il semblait s’en occuper beaucoup, et bien, pour ce qu’Alex pouvait en juger.
 
Ce qu’Alex ignorait, c’était que la lueur vibrante dans son regard ne mentait pas. Malgré son inconfort apparent, il était heureux d’être avec le gamin, comme émerveillé. Il appréciait ce moment apaisant bercé par le rire d’Ian, et alors que ses craintes allaient se taire dans son cortex, il espérait que ce moment de répit sache durer suffisamment longtemps pour qu’il puisse l’apprécier à sa juste valeur.
 
La main du gamin se tendit comme un ressort et Alex la cueillit sans ronchonner. Il profita de la marche tranquille, loin de tout, pour prendre des nouvelles de la meute de son ami, et lui demander s’il avait eu l’occasion de discuter avec son oncle ; s’enquérir de sa réaction également. Probablement conditionnée par l’état de la nature autour d’eux, la conversation restait douce, et ne fut interrompue que par l’enfant qui tirait sur la main du druide. Dès qu’il eut l’attention d’Alex, Ian tendit les deux bras en sa direction et Alex le hissa sur ses épaules avec un sourire. Sitôt installé que les bras du louveteau se refermèrent sur le visage du canadien, lui barrant la vue en écrasant légèrement son nez. Le druide se contenta de replacer les bras du garçon plus confortablement sur son front en reprenant le chemin, les bras dans un drôle d’angle pour s’assurer de ne pas échapper le fils de Ruby Hale. Il ne fallut que quelques pas pour qu’un doigt pointu tente de lui empaler la joue. Alex pouffa de rire aux récriminations du bambin.
- Ian !
- Pique !
- Pas plus que moi !
-On va voir!

Cette fois, il posa la main dans le dos d’Ian et se saisit de sa main dans la sienne, en trottant vers Derek.  Une fois à sa hauteur, Alex se pencha et enfonça le doigt d’Ian dans la joue de son cousin. Le duo sembla trouver l’expérience bien plus comique que le ténébreux lycanthrope.

Ian s’était assoupi sur le dos de Derek. Alex avait songé un moment à un œil extérieur qui les verrait et pourrait croire en une famille moderne, alors qu’aucun des deux hommes célibataires n’était le parent de l’enfant. Ils discutaient toujours lorsqu’ils arrivèrent à la croisée des chemins et, le plus naturellement du monde, le druide se fit inviter à goûter chez son voisin.  Il accepta avec la même aisance.
-Avec plaisir!
 
Ainsi, il pourrait passer un peu plus de temps en leur compagnie, loin de ses tracas habituels.  Avec une spontanéité qu’il ne se connaissait pas, Alex prit alors Derek par les épaules et le tira vers lui en une accolade amicale*.

-Je suis content de t’avoir retrouvé!

*: