Dick lorgne sur sa fille sans pour autant cesser de prêter à la route toute l'attention qu'elle mérite. Dans la voiture c'est le silence qui se fait entendre si on fait exception du bruit du moteur. Jo a rendu Beyonce muette, tapé sur les doigts de son père quand ce dernier a tenté de rétablir la musique et son autorité par la même occasion. Depuis le canadien s'ennuie. Même Troy est calme, trop effrayé à l'idée d’abîmer le précieux paquet qui trône sur ses genoux. Richard note l'idée. Offrir à son fils de porter des objets fragiles rend ce dernier aussi sage que la plus docile des images. Le policier tend une main vers l'autoradio, caresse du bout des doigts le bouton du volume alors qu'ils approchent de la maison de son meilleur ami.

-Fais ça et j'offre à Beyonce sa première leçon de vol.

L'adulte râle, sacre.

-Tu mettras un dollar dans la boîte quand on reviendra à la maison.
-Jo je suis ton père. L'adulte responsable c'est moi ! Je commande et tu obéis.
-Les adultes responsables disent moins de gros mots. Tu jures, tu paies. Gaffe sinon je te balance à Mamy.

Le flic fronce les sourcils à l'entente de cette odieuse tentative de chantage. Entre sa fille et lui les choses ne s'arrangent pas. L’adolescente est trop intelligente pour son bien et commence à débusquer certains des mensonges de son père. Depuis cette nuit où il est rentré de l'hôpital après s'être absenté pendant plusieurs longues heures alors qu'il était censé être aller boire un simple verre avec Brian. Foutu Crocotta qui dans ces bois avait failli avoir leur peau à tout les trois. Fort heureusement ses blessures avaient été minimes ce qui lui avait permis de jouer son numéro d’illusionniste devant son fils. Mais Joanie ne s'est pas laissée berner et attend toujours ce moment, cette discussion que son père lui a promit. Discussion à laquelle il aimerait pouvoir échapper car il ignore encore ce qu'il peut dire, et ce qu'il doit passer sous silence pour le bien de son aînée. Comme il ne répond rien à sa fille, cette dernière semble lire une certaine indifférence dans le comportement de son paternel.

-Je peux aussi te balancer à Mady.
-Will aussi dit des gros mots.
-À Mafdet alors. Qui te fais le plus peur entre ces trois là ?

Richard renâcle, préfère garder le silence pour ne pas s'enfoncer encore un peu plus. Lorsqu'on sent le fond du trou sous nos pieds, mieux vaut éviter de continuer à creuser. Et il ne peut décemment avouer à sa gamine, que la femme qui le terrorise le plus actuellement c'est elle.

Il réduit sa vitesse tandis que déjà, la silhouette de la maison de la famille de son ami se dessine. Il se gare près de la voiture de Madison, fait sauter sa ceinture de sécurité avant de se tourner vers son fils.

-Ça y est bonhomme. On y est. Tu as prit ton cadeau pour les oiseaux ?

Le gamin se fige, un doigt couvert de crème au beurre près de la bouche, sa seconde main refermant vivement la boite en carton sur son forfait. Dick se passe une main sur le front à la vue de cette catastrophe qui était prévisible mais qu'il n'avait pourtant pas vu venir. Les sourcils de Troy se froncent. Richard soupire puis sort un sac en papier brun du vide poche de sa portière. Une semaine de miettes diverses, des raisins secs récupérés dans le fond du paquet de muesli. De quoi nourrir les petits oiseaux qui pourraient vouloir venir se poser sur la mangeoire qu'a fabriqué le petit durant une de leur visites à la meute. Ainsi que les quelques vielles bougies qu'il a pu dégoter au fond d'un tiroir. Il n'y en a pas 38, mais ce n'est pas le compte des années qui a de l'importance aujourd'hui. Ce qui compte aux yeux du flic, c'est le fait de venir ici fêter sa vieillesse en devenir avec cette famille qui est naturellement devenue la sienne.

-Je savais que tu avais oublié. Maintenant descend et arrête de manger ce gâteau.

Joanie referme son bouquin puis quitte l'habitacle du véhicule sans se presser. En tout cas c'est l'image qu'elle tente d'offrir à son spectateur de père. Mais ce livre qu'elle a acheté et auquel le canadien n'a pas comprit grand chose lorsqu'il a tenté d'en lire une page, c'est un cadeau pour Tobias. Tobias à qui l'adolescente envoyait un message il y a une heure seulement. Le môme a vu ce que son amie avait de pire à lui offrir : sa mère. Une rousse hystérique qui hurle et qui a abandonné mari et enfants il y a des années de cela. Mais le jeune loup est pourtant revenu chez les Turner à plusieurs reprises depuis ce jour là, une preuve s'il en fallait encore qu'il est suffisamment attaché à son amie pour ne pas la laisser à la première difficulté.

Mady ouvre la porte de la maison tandis que Richard en est encore à fermer celle de la Ford dont il vient de s'extirper à son tour. Troy lâche son présent entre les mains de la tante de Will, récupère un bisou pour finalement se mettre à courir à la recherche de celui qu'il commence à appeler tonton.

-Jeune homme ! Tu sais que tu peux venir ici les mains vides.
-Ben... La première fois que Will est venu à l'appartement il avait plein de nourriture. J'ai cru que c'était une tradition à renouveler jusqu'au jour où on serait tous obèses.  

C'est le cousin de Will en popant soudainement derrière sa mère qui fait naître un sourire nouveau sur le visage du flic qui en est déjà à embrasser chaleureusement les joues de la louve. D'une main faussement timide, Jo tend son bouquin à son ami.

-J'ai trouvé le livre dont on avait parlé, la suite d'Une brève histoire du temps. Je me suis dit que ça te tenterait peut être d'y jeter un œil.

Il ne faut guère plus de choses à la jeunesse pour qu'elle ne disparaisse du champ de vision des adultes. Dick soupire puis demande à son tour, de l'espoir plein les yeux.

-Il est là Will ?

L'impala est certes dans les parages, mais l'alpha pourrait être parti se balader dans les environs.

-Il fait des travaux à l'étage pour... Oh et puis zut ce n'est pas à moi de t'en parler ! File le rejoindre, je reste avec le petit qui lui ne va pas m’abandonner pour aller voir son copain.
-Oui parce que c'est toi ma copine Mady !

[...]

-Vieux t'es là ?

Dick cogne à la porte qui lui semble être la bonne. Il ne sait rien des travaux en cours mais ils semblent avoir prit la priorité sur ceux de la salle de bain pour mecs. Le canadien a grimpé les escaliers quatre à quatre avec la délicatesse d'un pachyderme. Will l'a entendu, le flic en est certain.

-J'ai emmené un gâteau. Je voulais faire une surprise car je rentre au pays dans trois jours. 

Il referme la porte derrière lui en entrant dans la pièce, fait un premier pas, et manque d'en faire un second à reculons cette fois quand un éclair passe. Un éclair en intérieur, avec de la fumée et tout le reste de la panoplie du mauvais petit électricien. Richard pose un regard inquiet sur son ami, fixe les cheveux de ce dernier. Dressés de cette manière sur le crâne de Willem, ses cheveux pourtant coupés courts parviennent à lui faire gagner quelques centimètres de hauteur supplémentaire. Dick porte une main à sa bouche pour l'humidifier et ainsi mieux recoiffer son ami mais le loup le prend de court.

-C'était pas plus sécure en coupant le jus ? Surtout si t'es pas sûr de ce que tu fais.

Willem est un loup, mais Richard n'a pas encore prit l'habitude d'intégrer cette donnée à sa manière de penser. Le surnaturel c'est bien trop frais pour lui. Il sait que ça existe et conçoit presque ça comme une normalité, mais devoir penser au fait que son ami tienne plus du super-héros que de l'humain lambda, ce n'est pas encore un automatisme. Alors quand sous ses yeux, son pote joue avec l'électricité sans avoir prit des précautions qui lui paraissent essentielles, Dick panique. Pas paternel, mais pas loin de l'être non plus. Will branche ses fils, dans le bon sens cette fois. On jouera les imitateurs de chanteurs francophones une autre fois.

-Mady pouvait vraiment pas se passer de son four pendant dix minutes ?  

La tante de Will est une excellente cuisinière, meilleure encore que la mère du canadien qui pourtant s'en sort toujours sans mal derrière les fourneaux. Avec peu de choses elles peuvent l'une comme l'autre faire des plats fabuleux qui ravissent les grands et les petits. Une cuisine familiale dont l’ingrédient principal semble être l'amour. Richard ne quitte pas son ami du regard, cherche pourquoi ce dernier bidouille dans l’électricité de cette grande maison, alors que lors de sa dernière venue dans cet endroit c'était la salle de bain des mecs qui était à l'ordre du jour des travaux. Certes Dick n'est pas venu depuis un petit bout de temps, mais il court sans cesse entre son boulot, les enquêtes qu'il a le droit de mener, celles dont il ne devrait pas s'occuper et ses enfants. Les vacances à Vancouver qui approchent à grands pas lui bouffent le peu de temps libre qu'il lui reste. Il se contente de fixer le loup, attend en silence la raison de ce changement de programme dans les priorités de son ami. Mady a laissé sous entendre que quelque chose se tramait, mais s'est vite rattrapée.

-Tu as laissé la salle de bain de côté ?

Il vient de se faire prendre de vitesse par le médiateur. Les sourcils de Richard se froncent sous le poids de l'incompréhension. Le canadien ouvre la bouche, reprenant par automatisme la drôle d'explication que vient de lui donner son ami.

-Bubulle ? Qui c'est ça Bubulle ?

Bubulle. Normalement ça devrait être un poisson rouge. C'est un peu le nom générique qu'on refile à ces petites bestioles quand on est en panne d'imagination. Mais le flic ne comprend pas vraiment où se trouve le lien entre un locataire pour bocal et un panneau électrique. Il se gratte le nez, visite l'endroit quand soudainement ça le démange de l'intérieur. Il n'ose demander plus de renseignements, plus par peur de passer pour un idiot qu'autre chose. Willem vient de lâcher cette justification avec tant de simplicité... Le canadien cherche et ne trouve pas, mais fort heureusement son ami devine son trouble. Et se reprend. Pas vraiment plus facile à suivre malheureusement. Le père de famille se fige en plein curage de nez, bouche bée quand enfin tout devient plus clair. Will parle très vite. Trop vite pour dire des choses trop importantes. Le flic expire et expulse l'index qui se trouve toujours dans sa cavité nasale quand enfin la lumière se fait dans sa cervelle. Sans penser à la dernière question de son ami, sans chercher à retenir une exclamation de joie il se jette sur le loup, l'enserre entre ses bras.

-Baptinse tu vas faire un bébé !

Le voilà qui en pleurerait presque de joie, comme-ci c'était à lui qu'on venait d'apprendre qu'il allait être une nouvelle fois papa. Ou peut être même plus, car ce gamin ce ne sera pas le sien. Ce n'est pas lui qui va devoir subir des nuits entrecoupées pendant deux ans, qui va changer les couches matin, soir, et à tout les autres moment de la journée où bébé jugera drôle d'intoxiquer tout ceux qui sont proches de lui. Ce n'est pas sur lui que ce bébé vomira son trop plein de lait. Il va se contenter d'être le tonton qui donne des bonbons et qui paie le cinéma. Et ce sera très bien ainsi. Will lui tapote gentiment le haut du dos, lui explique avec au moins autant de douceur que le bébé est déjà fait, et qu'il ne reste plus qu'à attendre que la cigogne daigne s'occuper de la livraison.

-Ton bébé a un nom de poisson rouge Will. Je comprenais pas. J'me demandais pourquoi tu voulais faire des travaux pour un poisson rouge. Faudra pas dire à ton bébé qu'il a eu un nom de poisson rouge. Les gamins deviennent susceptibles en grandissant, regarde Jo et Tobias.

Richard ne relâche pas son ami, le serre fort contre lui, tente comme il le peut de lui transmettre sa joie. Une joie spontanée, un sentiment simple et surtout un bonheur non feint. Un sourire magistral habite le visage du flic, son regard pétille. Cette fois c'est sa main qui claque le dos du loup. Il ne prononce pas son bonheur à voix haute, ne sait quels mots utiliser pour décrire ce dernier. Il ne connaît même pas la future maman. Enfin si. De la française de son ami il sait beaucoup de choses, des histoires que le loup lui a conté. Et Mafdet ne s'est quand à elle pas gênée pour se fendre de quelques moqueries bien senties à l'encontre de sa collègue qu'elle juge trop parfaite. Une princesse de contes de fées. Ne manquerait plus que les oiseaux et les écureuils armés de balais et de ramasses-bourrier pour parfaire cette légende qui entoure la française. Mythe qui a également été relaté par Joanie.

Le flic soupire puis enfin relâche son ami après une dernière accolade. Un large sourire fend en deux le visage du canadien.

-Dire que j'étais venu te dire qu'on part deux semaines chez mes vieux. J'ai 38 ans dans trois jours, j'avais emmené un gâteau et quelques bougies. Je vais présenter Maf à mes parents, ma mère est déjà en train de devenir cinglée et je me demande si je ne devrais pas demander au Canada de prendre une assurance vie ou un truc du genre.

À ce duo qu'il imagine déjà explosif, il doit ajouter Gloria qui pour l'instant ne s'est toujours pas désistée pour leur journée à Capilano. Ce n'est ni Mafdet, ni sa mère qu'il craint à ce sujet mais sa propre fille qui serre toujours les dents lorsqu'il est fait mention de sa génitrice. Richard a tenté de préparer le terrain avec son fils, lui a parlé d'une dame qui passerait une journée avec eux durant leurs congés sans toutefois oser dire de qui il s'agissait. De peur que son ex-femme ne décide de rebrousser chemin, le canadien a voulu éviter de risquer de décevoir son fils. Ce qui est certain c'est que le père de famille a grand besoin de ces congés qui approchent et il espère que ce derniers seront reposants. Qu'il pourra alors oublier son travail et surtout ce stage de trois jours qu'il doit aller faire à Sacramento à son retour.

-Et puis Joanie voulait aussi qu'on vienne vous voir. Elle a un truc à montrer à ton cousin et selon elle c'était compliqué de le faire au lycée. Cette gamine a le don de me faire flipper en ce moment, comme si elle était déjà adulte. Un mélange entre ma mère et la sienne.

S'il fut une époque pas si lointaine où le canadien avait encore l'impression d'être le roi chez lui, ce temps semble à présent révolu. Quand il croise le regard vert et acide de sa fille, quand elle l'observe, aussi silencieuse que sournoise, il sait qu'elle sait. Ignore juste qu'elle est l'étendue des dégâts. Joanie est une jeune fille franche, mais comme Richard a développé durant ces derniers mois une réelle tendance à fuir les discussions sérieuses, leur relation est proche de l'impasse sociale.

Ils sont tous installés paisiblement dans la véranda. Enfin presque tous, dans la chambre de Tobias ça rigole et pas qu'un peu. Richard tente de ne pas y penser, car ce serait là le début d'une nouvelle crise d'angoisse toute paternelle. Tendu, il s'efforce de ne pas hausser la voix pour faire comprendre à sa fille qu'elle doit baisser le volume de son plaisir. Non pas son plaisir. Sa joie, la joie c'est bien mieux. C'est un sentiment innocent et enfantin. Son bébé est trop jeune pour le reste. La fenêtre claque brusquement. Plus de rires. Enfin c'est ce qu'on essaie de leur faire croire. Il se penche vers son pote puis questionne presque timidement.

-Qu'est ce qu'ils sont en train de faire ?

Willem hausse les épaules. Le canadien plus blême qu'à son habitude fait de son mieux pour se rappeler que le cousin de son ami semble être un gentil garçon. Pas comme lui au même âge. À dix-huit ans le père de famille avait déjà trouvé le mode d'emploi et s'entraînait régulièrement avec Gloria. À vingt ans il se mariait et se préparait à devenir papa. Willem a trouvé des bougies pour parfaire le compte et combler les manques du stock de la famille Turner. Pas une seule de ces chandelles ne se ressemble, une disharmonie joyeusement bordélique. Keanus arrive à son tour les mains chargées de bières, Mady a réussi à dissimuler les frasques gourmandes de Troy. Une douce ambiance familiale s'installe, une bulle de bien être que le canadien n'aurait jamais cru trouver dans cette ville en s'y installant quelques mois plus tôt.

Les gamins descendent dès le premier appel, les joues rougies et l’œil trop brillant pour que la santé mentale du policier demeure intacte. Richard inspire, cherche son calme. Puis demande avant que Willem ne puisse montrer à tous son astuce.

-Pourquoi vous avez fermé la fenêtre ?  

Joanie glousse et son copain baisse les yeux, plus coupable que la notion de culpabilité elle même. Cela suffit à faire s'emballer le rythme cardiaque du canadien. Une main réconfortante se pose sur une de ses épaules pendant un bref instant. Comme si tout le monde savait. En fait c'est bien ça le problème, tout le monde est doté de super-oreilles dans cette famille. Il est le dindon de la farce dans cette histoire, le pauvre humain incapable de connaître les activités de sa fille lorsque cette dernière est avec son copain. Pendant une fraction de seconde, il doute même au sujet du truc que Joanie voulait montrer à Tobias. Puis se remémore la présence de ce bouquin soporifique qu'elle lui a fait acheter. Sous les yeux ébahis des Turner les plus juvéniles, Will allume la bougie centrale. Puis retire son bras avant que ce dernier ne s'embrase en même temps que toutes les autres chandelles. Troy applaudit tout en gratifiant Willem de nouveaux compliments. Jo demeure bouche bée. Pas assez longtemps pour que le flic ne puisse décocher son portable et immortaliser l'expression de sa gamine qui se veut blasée au quotidien.

Tobias sauve sa copine en vendant la mèche. Dick réagit au quart de tour face à l’enthousiasme de son garçon.

-L'alcool à brûler c'est interdit aux enfants ! C'est dangereux. Comme les produits à ménage. Si tu fais ne serait ce que penser à y toucher, tu auras le droit à une chiée de lignes à faire. Compris Troy ?

Le gamin hoche la tête en réponse à son père et celui qu'il considère comme son oncle. Dick étant fils unique, le gamin manque de repères familiaux. À ça il faut ajouter le manque d'une maman, les grands parents qui vivent au loin. Troy est fier de s'estimer propriétaire récent d'un tonton, de deux quand il ajoute Keanus à l'équation. Madison reste Mady, ce qui dans la tête des Turner est devenu synonyme de bons gâteaux et de chaleur humaine. Richard se penche au dessus du gâteau, ferme les yeux en faisant son vœu.

"Faites que je ne sois pas grand-père avant mes quarante ans."

Il ouvre à nouveau les yeux avant de souffler sur les chandelles avec une énergie nourrie par l'espérance. Ses poumons se retrouvent vidés de leur air mais c'est bon, plus aucune flammèche ne s'offre à son regard. Sourire béat aux lèvres, il laisse à Madison le soin de couper le gâteau au chocolat garni et recouvert de crème au beurre vanillée. Will lui tend une bière au moment où il s’apprête à répondre à sa question. Sans poser ses lèvres sur le goulot, il soupire son bien être à l'avance.

-Je vais profiter, dormir et manger des repas que je n'aurais pas eu à préparer moi même. Ma mère va même me couper les cheveux, paraît que je ressemble à un des voyous que je suis censé arrêter.  Comme-ci j'avais à nouveau quinze ans.

C'est là la majeure partie de son programme pour ces deux semaines de congés. Oublier ses responsabilités d'adulte, passer son métier au second plan de ses préoccupations. Ne plus penser à cette poisse qu'il attire depuis qu'il vit dans cette ville, ne surtout pas imaginer ce qui pourrait mal se passer lors de son stage à Sacramento. Oublier ce qu'il a fait dans cette ruelle la veille.  Il va se faire chouchouter par sa maman. Comme un grand gamin. Vanessa a immédiatement approuvé le programme de son fils.

-Rappelles-nous ton âge ?

Ça se moque gentiment de lui. Il faut bien dire qu'il aime user de sa place de fils unique. Ses parents ont mit du temps à trouver le mode d'emploi pour procréer de manière efficace, ont même dû chercher de l'aide auprès de spécialistes. Les bébés éprouvettes étaient encore inconnus au bataillon. Et le prix à payer est exorbitant. Il sait que sa mère le voit comme son trésor et que ces difficultés à concevoir n'ont en rien aidé le cordon ombilical à se couper. C'est en quittant la ville, en changeant de pays il y a bientôt cinq ans que Dick a mit fin brusquement à une relation presque trop fusionnelle.

-Nessa est super contente qu'il agisse comme ça. Elle pourrait encore lui torcher les fesses et mettre son dentifrice sur sa brosse à dent qu'elle le ferait avec bonheur.
-... Sinon on va voir Capilano. Jo a 17 ans dans dix jours.

La bave du crapaud n'atteint pas la belle colombe qu'est Richard. Il refuse de donner plus de crédit aux dires de sa fille qui ne sont pourtant pas très éloignés de la vérité. Si le père de famille se sait fils à maman, c'est aussi car son propre père n'était pas aussi présent qu'il ne l'aurait aimé quand il était enfant. Policier c'est un travail qui vous colle à la peau, dont on ne se débarrasse pas une fois le seuil de notre maison franchit. C'est en devenant adulte qu'il est devenu proche de son père, qu'il a comprit que les absences et les non-dits de ce dernier n'étaient pas là pour l'éloigner, mais uniquement pour protéger l'innocence du gamin qu'il était.

Joanie sort son portable pour montrer à tous des vues du pont. Et c'est un autre qui met les pieds dans le plat.

-Oui et puis y aura aussi sa mère. Elle est venue chez eux y a pas longtemps.

Plus un bruit, plus un son ne se fait entendre. Les adultes retiennent leurs respirations tandis que Joanie fait claquer son cellulaire sur la table d'extérieur. Tobias se fige en se rendant compte de son erreur et c'est en courant qu'il file suivre son amie qui est en train de se lever pour prendre la fuite. Timide une voix enfantine coupe le silence.

-La maman de Jo ? C'est aussi ma maman ? Je vais voir ma maman !

Gorge serrée, le flic ne sait quoi répondre à son fils. Il tentait de garder le silence sur ce sujet depuis le début. Il tend les bras pour attraper son petit garçon et le serrer contre lui, mais ce dernier se redresse en comprenant l'ampleur de la cachotterie.

-Ma maman est venue à la maison ! Tu me l'as pas dit ! T'es juste un méchant !

Dick se lève immédiatement pour tenter de prendre son fils entre ses bras, pour se trouver des excuses qui seront sans aucun doute mauvaises aux yeux du petit. Pour quémander un pardon qu'il n'est pas certain de mériter. Joanie vient de quitter le navire, peu amène à l'idée de venir secourir le reste de sa famille. Richard est sidéré, n'a pas vu venir ce retournement de situation qui vient de transformer un moment heureux en instant tragique. Troy fuit, file en courant suite à ce qu'il voit sûrement comme une trahison. Le petit n'a pas tord et son père ne sait comment se mettre à sa place. Le départ de Gloria avait été un drame, un bouleversement sans égal dans la vie des Turner. Si Jo éprouve une rancune sévère envers sa mère, Dick se contente de serrer les dents la plupart du temps. Pour ne pas empirer les choses, pour ne pas évoquer la grande absente devant son fils. Troy est loin d'être bête, sait bien que tout ses copains d'école ont un papa et une maman.

Le flic s'élance après son fils pour ne pas le laisser seul, pour ne pas risquer de le perdre lui aussi. Ces bois sont terrifiants, on ne sait quelle rencontre malheureuse le petit pourrait y faire. Le père crie le prénom de son fils, le supplie de revenir, lui ordonne de faire demi-tour quand il se fait stopper par l'alpha. Regard rougit par des larmes sur le point de poindre, il sent les bras de Madison passer autour de ses épaules, l'enserrer pour l'empêcher de suivre le même chemin que Troy. Dick opine du chef, malgré tout toujours prompt à la docilité en cas de doute. Ses lèvres mordues et rongées par l'angoisse et la culpabilité, il se contente de souffler quelques mots habités par le poids du désespoir.

-C'est de ma faute. Il me déteste et c'est de ma faute.

Une des mains de la louve se meut en caresse dans le dos du flic. Il est proche du moment où sa tristesse va s'afficher sur son visage. Une détresse lourde, un manque que lui aussi a subit quand Gloria est partie sans prendre la peine de s'expliquer. C'était trop, trop pour elle. Le point de non-retour avait été franchit alors que le père de famille pensait son bonheur à son niveau de plus haut. Il ne sait que dire à son fils, il ne sait comment réagir face à sa propre fille qui semble voir en lui rien de plus qu'un homme-enfant.

-Ce n'est pas toi qui a abandonné tes enfants. Will va te le ramener. Tu as confiance en Will ?

Le flic opine du chef par automatisme à l'entente de cette question qui ne peut mériter qu'une seule réponse. Quand enfin les bras rassurants de la tante de son ami relâchent leur étreinte, il comprend. Avant le réconfort, c'était pour qu'il ne suive pas son fils et son ami. Pour qu'il laisse le temps à son gamin de reprendre pied. Richard renifle bruyamment, puis lève les yeux, cherchant sa fille dans les environs. Tout les deux ils doivent avoir une discussion. Près de Tobias, elle le fixe avec des yeux ronds comme des soucoupes, puis baisse son regard vert acide immédiatement. Visiblement bien consciente d'avoir mal agit elle aussi.

Richard fonce et fond sur sa fille comme une buse sur sa proie. Attrape une main de Joanie, la mène à l'écart. Des choses doivent être dites, des vérités prononcées également. Franchise contre franchise. Si à presque dix-sept ans elle ne peut comprendre certains des choix de son père, c'est qu'elle manque elle aussi de cette maturité qui à ses yeux fait défaut à son paternel.

La grange devient lieu de recueillement. Ici tout se sait, les secrets ne servent à rien dans une famille de surnaturels dotés de capacités hors-normes. Cul posé sur le frigo que les hommes ont dégoté pour leur salle de bain, la jeune fille attend la foudre.

-Tu vas avoir dix-sept ans. Tu me trouves immature, me juges pour quelques gros mots qui m'échappent parfois. Mais tu ne vaut pas mieux que moi. Je suis ton père. Tu me dois le respect. Et plus important encore tu dois respecter ton petit frère.

Ça vibre dans la poche du flic. Il lève une main pour montrer à sa fille que cet échange pour l'instant à sens unique n'est pas terminé. Son cœur fourmille, ses tripes se serrent. Son regard s'éclaire d'une flamme nouvelle quand il lit le message de son ami.

" Je suis avec Troy. Je discute un peu avec et on rentre. "

Frénétiquement, son soulagement et sa joie illuminant ses traits, il renvoie un message en retour sans perdre un seul instant.

" Dis lui que je l'aime. Et que je suis désolé. Vraiment désolé. Je suis en train de parler avec Jo. On vous attend. "

Il remet son cellulaire à sa place, baisse les yeux quand sa fille demande confirmation de la bonne nouvelle qui vient de tomber.

-Will a trouvé Troy ?
-Oui. Ils reviennent bientôt.
-Tu n'aurais pas dû inviter Gloria. On aurait pas tant de problèmes !

Les sourcils du canadien se froissent, un des deux grimpe de quelques marches sur l'échelle de son front. Il cherche le sarcasme, mais sur ce visage hautain que lui offre sa fille il ne lit que calme et détachement. La boule qui lui serrait le ventre se meut en déception puis en colère. Sa voix tonne dans la grange, sa colère sans filtre se fait entendre. Cette fois nul besoin d'être un loup pour connaître son état de nerfs.

-De ma faute ? Je ne suis peut être pas le père parfait et je m'en moque car je ne concoure par pour ce titre. Je veux juste que mes enfants soient heureux, que vous ne manquiez de rien. Ton petit frère a le droit de connaître sa mère et je ne vais pas te laisser, toi la petite chieuse égoïste de seize ans, me prendre de haut et imposer tes choix à tout le monde. Je suis ton père, mais elle c'est ta mère. Respecte la. Fait semblant je m'en moque. Mais joue le jeu. Au moins pour Troy. Si tu veux que je te considère comme une adulte, cesse de penser à ton nombril avant de songer à ta famille.

La gamine demeure bouche bée face à ce regain d'autorité paternelle auquel elle n'est pas habituée. Des mots qui fâchent, des sous-entendus qui ne doivent pas le rester une minute de plus. Un laisser-aller poussif qui prend fin en quelques phrases. Dick se montre patient la plupart du temps, se fait violence pour ne pas hausser la voix de peur d'effaroucher son ado. Joanie imite la carpe quelques secondes, puis se lève. Tient tête à son père, croyant encore pouvoir trouver une faille à exploiter dans le comportement dans ce dernier. Une fissure où se faufiler pour sortir gagnante de cet échange.

-T'es mal placé pour me juger. Tu débites des mensonges sans cesse, tu nous caches des choses. Tu choisis tout pour nous, on ne sait même pas pourquoi on est venus vivre ici, dans ce trou paumé au milieu de nulle part. J'ai laissé mes amies à Sacramento tout ça à cause d'un de tes caprices.
-Si on était restés à Sacramento c'est ta vie que tu aurais laissé là bas.

Des mots crus, le pire des mensonges touche à sa fin. Jo se passe une main sur la bouche, regard exorbité sous le poids de cette affreuse vérité que vient de prononcer son père. Elle tremble, se colle contre le policier, puis pleure. Sans même émettre le moindre doute au sujet de cette bombe qui vient d'être lâchée. Richard étreint sa fille, murmure plus d'explications.

-J'ai fouillé là où j'aurais pas dû. Trop pour que ce soit acceptable aux yeux de certains. Si j'avais été seul, je serais resté sur place. Mais c'était hors de question que je prenne le moindre risque pour vous deux. Vous êtes mes mômes. Ta mère a peut être ses défauts mais sans elle vous ne seriez pas là. Elle m'a fait deux cadeaux, les plus beaux qu'on puisse imaginer. Je veux pas d'autres enfants, je pense que Maf partage mon souhait. Vos imperfections font de vous mes perfections ambulantes. Je refuse de vous perdre.

Ils restent un moment dans cette grange. Serrés l'un contre l'autre. Le flic s'excuse, sa fille fait de même. Cette fois les deux pleurent.

[...]

il tourne en rond sous les regards impuissants des membres de la meute. Les minutes se font longues, trop pour sa santé mentale qui vient d'en prendre un coup. Sa fille pose un regard nouveau sur lui, Mady l'a étreint un bref instant quand il sont sortis de la grange. Un début de franchise qui laisse deviner que d'autres vérités se feront prochainement entendre. Dick redresse la tête quand des éclats de rire lui parviennent. Immédiatement il s'élance quand son fils juché sur les épaules de son ami entre dans son champ de vision.

-T'as vu Timon on est revenus !

Froncement de sourcils chez le flic qui cherche malgré lui un peu de logique dans les dires de son garçon. Troy retrouve la terre ferme pour mieux s'envoler à nouveau dans les bras de son père. Dick rit, nerveusement. Couvre de baisers son tout petit.

-Je suis content. Je suis désolé. Vraiment désolé aussi. J'voulais pas te rendre triste. Mais c'est ...
-Compliqué. Pumbaa me l'a dit !

Dick pose son regard chocolat sur son ami. Puis sourit. Expression heureuse pour celui qui est devenu une ancre. Puis il murmure en chatouillant son fils qui bien vite se tortille dans ses bras.

-Ça me va. Timon est le plus intelligent tu sais.

Le gamin s'esclaffe, demande à retrouver la terre ferme. Puis questionne sans laisser le temps nécessaire au bonheur pour s'installer.

-Je vais voir ma maman ? Elle est jolie ? Est-ce que c'est elle la dame qui te fait crier ?

Dick baisse les yeux sur son garçon. Puis sort son portable. Des photos anciennes, des clichés pour ne pas oublier. Quand il était seul, avant qu'il ne vienne dans cette ville, souvent il a regretté. A cherché ses erreurs. Les premières années il a même osé espérer un retour à ce qu'il voyait comme étant la normalité. Marié deux enfants, une belle mère acariâtre. Ne manquait plus que le chien à l'équation. Il cherche, retrouve des souvenirs.

-Ta maman m'a dit qu'elle essaierait d'être là pour Capilano. Elle vit loin et quand elle est partie tu étais tout petit. L'autre jour elle a dit que c'était de ma faute. Je ne savais pas qu'elle était triste. J'étais trop content pour le voir. Je venais d'avoir un petit garçon que j'aimais de tout mon cœur jusqu'à la lune. Je vous aime jusqu'au soleil depuis qu'elle est partie.

Une jolie jeune femme rousse se dévoile sur l'écran de son portable. Cheveux de feu pour un tempérament volcanique.

-Elle a les yeux verts comme toi. Et comme Jo. Elle est très belle, même maintenant. Je ne t'en ai pas parlé parce qu'elle n'est pas sûre d'être là pour Capilano. Je ne voulais pas que tu sois triste. J'ai fait une bêtise et j'en suis désolé.

Un baiser sur sa joue. Un pardon murmuré. Son cœur se réchauffe. Une main sur son épaule, sa fille sûrement. Un secret se fait entendre.

-Will aussi va avoir un bébé. Je serais son copain. Je lui montrerais le hockey et je lui lirais des histoires. Lui aussi il va aimer son bébé jusqu'au soleil !

Troy était si heureux de lui apprendre cette nouvelle qu'il n'a pas eu le cœur de lui dire qu'il avait déjà été mit au courant. L'après midi a suivi son cours, paisible après ce trop plein d'émotions. Le gâteau remplit les estomacs de tous et à présent Mady est partie préparer les repas de la semaine. Keanus montre quelque chose aux adolescents sur son ordinateur. Avec Will ils sont allés s'affaler sur de vieux transats. Troy avait tenu à les suivre pour mieux s'endormir sur l'alpha une poignée de minutes plus tard. Lèvres pincées, le canadien lève un regard soucieux au ciel quand son ami fait mention de la venue de Gloria. Il espère lui aussi qu'elle sera là, qu'elle ne leur fera pas faux bond une fois de plus. Richard n'a pas cherché à adoucir ses propos la dernière fois qu'ils se sont vus. Cette chance qu'il offre à la mère de ses enfants, ce sera la dernière.

-Je lui ai dit que si elle ne venait pas... Que c'était le dernier effort de ma part. Jo ne veut plus en entendre parler, mais c'est pour Troy qu'il faut qu'on essaie encore une fois.

Il s'étend un peu plus et sourit, amusé en entendant les ronflements de son garçon. Il aime venir dans cette maison où il s'est tout de suite sentit accueilli. Une seconde famille, plus proche géographiquement que celle dont il partage le sang. Retourner au Canada c'est une idée tentante, certains jours plus que d'autres. Mais en quittant cette ville il laisserait aussi beaucoup derrière lui. Il doute de pouvoir traîner Mafdet loin de sa meute et refuse même cette idée. Les ultimatums rendent les relations malsaines. Vancouver reste un endroit de paix où il peut se ressourcer et oublier ses ennuis pendant quelques jours. Une ou deux semaines loin des procédures et des piles de factures. Une ou deux semaines avec sa mère et son père. Savourer chaque instant, leur présenter Mafdet. Hank Turner apprécie déjà cette belle fille qui a brisé le cocon de solitaire dans lequel vivait Richard. Et sa mère... Disons que Vanessa appréhende, chose normale car il faut bien avouer que la dernière officielle de son fiston ne lui a pas laissé un bon souvenir. Mais elle semble heureuse même si elle conserve une retenue que son mari n'a pas.  

Richard tourne la tête vers son ami. Il ne connaît toujours pas la future maman. Mademoiselle Jouve, la professeure de français de Joanie. Définitivement pas la meilleure matière de la gamine qui préfère se fixer sur ce qu'elle nomme des enseignements prioritaires. L'adolescente parle déjà d'université alors qu'elle n'est rendue qu'à la moitié de son parcours au lycée. Université, un nouveau cauchemar en approche. Si la gamine y voit une clé pour son indépendance, le flic se contente de distinguer un nouveau gouffre financier nommé études supérieures.

Will aussi angoisse à propos du futur. Dans quelques mois sa vie va changer à tout jamais. On va mettre un petit être entre les bras de l'alpha, un petit être qui sera avant tout une partie de lui.

-C'est bien qu'il t'ait pas tiré dessus. J'ai failli éclater la tête d'un môme nommé Garnet à coup de crosse de hockey quand je l'ai trouvé dans la chambre de Jo, les mains trop près des seins de mon bébé. Il avait failli se faire dessus. Je suis plus confiant avec Tobias, je l'imagine plus sérieux que moi au même âge.

Il n'est pas un homme assez bien pour sa fille. Il manque parfois de sérieux et se montre également trop impulsif pour son bien lorsqu'une situation lui échappe. En Therence, il se voyait plus jeune. Ce qui avait malheureusement joué contre le garçon qui n'a pas redonné signe de vie depuis un long moment. Les sourcils du père de famille se froncent à l'entente des dires de celui qui sera bientôt lui aussi un membre de ce club.

Richard trouve la situation de son ami cocasse, presque drôle. Il ne cherche même pas à dissimuler ce sentiment quand tout sourire il questionne.

-Il sait pour toi ? Le père d'Amance est au courant ?

Will confirme la chose ce qui a pour effet de plier de rire le policier. Il se rend compte de l'incongruité de cette situation. Les sourcils de Willem grimpent sur le front de ce dernier face à ce qui peut sembler être de la moquerie. Mais l'hilarité naissante du flic est plus nerveuse qu'autre chose. Il se rend compte que ce qu'il appréhende malgré lui, le fait de présenter Mafdet à ses parents ne peut que bien se passer, et ce même si quelques grains de poussières devaient se coincer dans les rouages de ce qu'il tente de prévoir avec son père.

-J'te promet que je me moque pas.

Absence totale de crédibilité de la part du canadien qui peine à retrouver un peu de contenance. Il se redresse, cette fois confortablement assit avant de pointer son ami du doigt.

-Tu as su ne pas te faire tirer dessus par beau-papa. Beau-papa qui sait ce que tu fais avec sa petite fille chérie. Ils sait forcément. Surtout avec...

Dick se mime un ventre arrondi. Puis arrive sans se presser au sujet le plus important dans ce que vient d'évoquer avec lui son ami. Des inquiétudes qu'il serait étrange de ne pas éprouver. C'est dans ce sentiment que selon Richard réside la preuve que Will sera un excellent père.

-Tu as su gérer le chien, le père. Et elle t'aime. Je crois qu'il faut qu'on se fasse une raison. Toi et moi nous sommes des abrutis.

Il vient de lâcher cette affirmation avec un naturel des plus désarmants. Il n'est pas le plus brillant des hommes et parfois il peut manquer de douceur. Il aime péter dans le lit et il a déjà uriné dans un lavabo par faute de moyens. Willem s'offusque pour la forme. Le flic rend son doigt mobile et l'agite sous le nez de son ami.

-Ne fait pas cette tête la. Les filles ne restent pas avec des abrutis. Si elles le font c'est parce qu'elles nous aiment. Vous allez voir, c'est génial la vie avec un bébé. Les premiers mois on oublie le vrai sens du mot sommeil, on vit avec les odeurs de lait et de merde. Puis on s'habitue, on s'adapte. Et quand on pense à notre vie d'avant on finit toujours par la trouver incomplète. En plus tu triches ! Tu as Mady !

Il abandonne sa légèreté habituelle pour un peu de profondeur. Il n'est pas le père parfait et ses actions passées ont sans doute pu aider la maman de ses enfants à quitter le navire. Mais ce qu'il voit aujourd'hui, c'est qu'il est parvenu à faire de ses deux petits des gens bien. Des embryons de bonnes personnes. Des êtres bourrés de défauts mais dotés d'encore plus de qualités. Parfaitement imparfaits. C'est sur un ton plus amusé qu'il continue. Cette fois il débute avec une bêtise, pour ne pas demeurer sage trop longtemps.

-Bon tu n'as pas de seins. Ce qui durant les premiers mois sera un soucis. Mais on peut faire plein d'autres choses. Et puis c'est comme tout. Les essais font les réussites. Et on oublie bien souvent le nombre d'échecs. Suis ton instinct et tout se passera bien. Et en cas de besoin je suis là aussi. Je peux faire nounou, lui apprendre à sacrer et lui payer trop de bonbons.
 

Le canadien perd quelques couleurs quand son ami mentionne le camping. Un mauvais souvenir dont il peine toujours à se défaire. Il doute de pouvoir un jour oublier cette nuit qui a failli leur être fatale. Richard ouvre la bouche pour rétorquer qu'il est hors de question que son garçon aille dormir lui aussi dans une tente au milieu de ces bois qui cachent toutes sortes de créatures dont il doute de la sympathie. Willem ne lui en laisse pas le temps. Il prononce des mots rassurants, un brin moqueurs également.

-J'ai l'impression de frôler la mort un jour sur deux depuis qu'on est venus vivre dans cette ville. Ça allait plutôt bien avant.

Pourtant il ne regrette en rien son aménagement dans cet endroit. Il est arrivé à Beacon Hills il y a quelques mois, tête basse et enfants sous le bras. Les conséquences d'un excès de zèle. S'il avait été seul.. Si l'unique vie dont il avait eu la responsabilité était la sienne, il serait resté à Sacramento. Trop intègre pour parvenir à détourner le regard, il aurait cherché autant que possible à trouver les coupables, ceux qui achetaient ses collègues les uns après les autres. Richard sait que ce qu'il fait actuellement n'est pas beaucoup plus futé. Ce jeu qu'il mène avec Amaro, ce dossier qu'il a monté sans avoir la permission de le faire. Ce type lui file des boutons. Puis il songe à son propre comportement de la veille, à ce gars qu'il a étalé dans cette ruelle. Un sale bonhomme qui s'en prenait à un autre. Le canadien a paré cette violence en usant de ses poings. Il pense aux dires racoleurs de l'autre... Tout le monde aime le fric ?

Richard ignore s'il aime l'argent, mais il sait qu'il en a besoin. Les factures, ces billets d'avion pour rentrer à la maison quelques semaines, la voiture d'occasion qu'il a dégoté pour les dix-sept ans de Joanie et la sienne qui tombe en panne, sans doute aidée par des mains mal intentionnées. Tout ça a fini de plomber ses maigres économies. Sa fille va avoir sa propre voiture. Un danger public pareil ne devrait pas avoir le droit de passer derrière le volant, mais un second chauffeur va soulager le policier dans son quotidien. En parlant de danger, deux mômes qui semblent penser que le casque est une option passent non loin de là, les fesses juchées sur un scooter trop bruyant pour que cela soit réglementaire.

-Jo vient de réussir l'examen de conduite... J'espère que ça se passera bien et qu'elle sera prudente.

Frisson chez l'alpha qui n'a pas oublié cette soirée au cirque et la conduite désastreuse de la fille de son ami. Cette fois c'est au tour de Willem de perdre quelques couleurs. Dick sourit et offre un clin d'œil au loup.

-Non mais ça va bien se passer.

Troy se frotte les yeux et remue doucement. Il crie famine alors qu'il a mangé deux larges parts de gâteau il y a moins d'une heure. Dick soupire, attendrit par le regard encore endormi de son petit. Pouce dans la bouche le gamin se colle un peu plus contre Willem. Richard est déjà sur le point d'accepter l'invitation pour le diner, mais son fils le coupe dans son élan. Dans un pop sonore il relâche son pouce couvert de bave, pose deux yeux verts suppliants sur son paternel.

-Oh oui ! Papa dit oui s'il te plaît !
-Je sais pas. Je crois qu'il reste des haricots de ce midi à la maison.

Le petit se fait soudainement un peu plus pâle à l'évocation du menu qu'il a prit grand soin de bouder un peu plus tôt dans la journée. Si Troy ne saisit pas la blague que vient de prononcer son père, ce n'est pas le cas de l'alpha qui a bien vite compris que Richard acceptait l'invitation pour  le souper.

-J'aime pas ça. C'était pas bon et tout vert.

Un murmure à l'oreille du petit suffit à rassurer ce dernier. Il saute à pieds joints sur le sol, s'accroche au cou de son père quelques instants. Un câlin après le drame qui a eu lieu plus tôt dans l'après midi. Le cœur du flic se réchauffe, puis il observe abasourdi son fils qui file déjà tel un éclair en direction de la maison en appelant Madison. Une présence féminine qui n'est pas sa sœur. Mafdet est un drôle de personnage aux yeux de l'enfant. Pas une maman, même pas un véritable membre de la famille. Une énigme, l'amoureuse de papa. C'est une nouvelle catégorie dans laquelle le petit a bien vite rangé la féline. De l'inédit.

-Il y a des légumes verts au menu ce soir ?

Si c'est le cas il y en a un qui risque de faire triste mine devant son assiette.

[...]

Madison est en train d'achever la préparation du repas. Elle a proposé à Richard de faire autre chose en plus du menu prévu, quelque chose qui ne convienne aux nouvelles habitudes alimentaires de l'ancien célibataire. Le flic n'a pas perdu de temps avant de souligner l'inutilité d'un tel geste, mais il semblerait qu'il ait parlé dans le vent. La femme de la maison s'active bien plus vite que le canadien ne saurait le faire dans un pareil cas de figure. Le four tourne à plein régime, des casseroles au contenu frémissant reposent sur la gazinière. Des effluves de nourriture embaument la pièce. Un véritable délice pour les sens.

Richard s'occupe du panier de petits pois frais qu'il a trouvé non loin du potager. Il écosse, silencieux et dévoué à cette tâche dont la louve a bien voulu lui céder la responsabilité. Troy gâte les mésanges à l'extérieur, Keanus donne un cours accéléré de mathématiques à Joanie dans une des pièces de cette grande maison. Face au flic, Tobias se gratte le nez, joue avec les petits pois sans même y penser. Une bille végétale échappe à l'adolescent et roule sur le sol. C'est Will qui se penche et qui attrape le légume devenu solitaire.

La main de Mady passe, attrape les premiers petits pois pour les plonger dans l'eau bouillante. Il y aura donc des légumes verts au menu. Troy va être ravi.

-Vous vous aimez bien avec Jo.

C'est une affirmation et le silence se fait instantanément dans la pièce. Will redresse l'échine et pose son regard vert sur son cousin. Tobias baisse les yeux vers la table un bref instant, dévisage les cosses vides comme si une échappatoire pouvait s'y trouver. Madison quant à elle s'approche du reste du petit groupe, fixe le flic puis son garçon. Richard ne sait pas lui même pourquoi il ose un pas sur ce chemin qui peut se révéler dangereux. Le copain de Joanie bredouille une réponse, lève un regard qui se souhaite sûrement assuré sur le père de son amie. Dick garde son sérieux, amusé de parvenir si facilement à intimider ce garçon qui semble se vouloir blasé en toutes circonstances.

-C'est très bien. Tu es un gentil garçon, ça me va. C'est pour ça que je te laisse aller dans sa chambre quand tu passes à l'appart. Pense aux préservatifs et attend ses dix-sept ans si tu t'intéresses à sa fleur. Et parle lui de ... Juste parle lui avant. Qu'elle sache. Je sais qu'elle peut être un peu... Enfin tu vois parfois elle est...

Tobias doit comprendre ce que le canadien ne parvient à exprimer clairement.

-Lui parler quand elle est en rogne, c'est un peu comme mettre volontairement ses couilles dans une tapette à souris. Fait gaffe à ça.

Willem ricane, Madison porte une main à sa bouche. Peut être un peu choquée par le choix des mots utilisés par le flic pour parler de Joanie. Les joues du petit prennent feu tandis que le canadien se met à remplir son saladier de petits pois pour la seconde fois.  

Le repas s'est déroulé dans un calme bordé de chaleur humaine, un des traits caractéristiques de cette maisonnée où l'on est toujours prêt à accueillir son prochain. Richard a même pu échanger quelques mots avec cette jeune femme qui travaille au Pink Print et qu'il ne connaît encore que très peu. Il lui semble à présent avoir rencontré tout les membres de la meute de son ami si on fait exception d'Amance qu'il ne connaît toujours pas. Le jeune O'Brien, un ami de Joanie qui partage la classe de cette dernière est venu une fois chez lui. Un lycéen calme doté d'un caractère doux qui était venu réviser ses cours de sciences en présence de la rouquine. Un gamin gentil qui avait refusé une invitation à rester pour le repas mais qui n'avait pas rechigné au moment d'accepter une part de tarte aux pommes. La maman du petit était venue chercher son fiston. Une femme charmante et discrète qui avait partagé une tasse de café avec le père de famille tout en s'assurant du bon comportement de son garçon.  

À présent les enfants sont à l'étage. Troy a promit de ne pas ennuyer les grands, et Tobias s'est assuré que cette promesse serait tenue en offrant au gamin de lire un de ses mangas. Une quête à propos d'un groupe de pirates. Un truc régulièrement diffusé sur les chaines de télévision. Richard se réchauffe machinalement les mains pourtant déjà tièdes autour d'une tasse de thé aromatisé, discute avec Keanus. Il fait l'impasse sur les homicides et autres crimes démoralisants quand le frère de son ami lui demande comment se passe la vie au poste de police. Mais il ne se fait pas prier pour conter la dernière anecdote en date. Un vieux monsieur, peut être un peu sénile venu se plaindre de la disparition de son chat bien aimé. L'homme accusait ses voisins de vol, allant même jusqu'à parler de barbarie.

-Il nous a appelé en rentrant chez lui. Monsieur minou attendait sagement devant la maison.  Les chats sont parfois taquins et je pense qu'il avait juste tenté de s'offrir une jolie balade dans les environs.

Les gens des petites villes ne sont pas si différents de ceux des grandes métropoles. Pour un homme seul, la perte d'un repère aussi puissant était un véritable drame. À aucun moment Richard ne s'est moqué du vieillard. Trop respectueux pour se permettre de juger son ainé. Il ne sait ce qu'il deviendra dans quelques années. La solitude sociale abime les gens, fait mal à ceux qui se souviennent d'un temps où l'on communiquait autrement que par le biais d'écrans interposés. Aux yeux du canadien, c'est aussi ça être flic. S'assurer chaque jour qu'aucun membre de la communauté ne soit abandonné aux bras de la solitude.

-Il était très gentil. Je serais aussi prit de panique si Maf partait chasser et oubliait de revenir à la maison.    

Keanus sourit mais n'ose rire à l'entente des dires du policier. Mady revient, les mains chargées de biscuits secs couverts de chocolat. Richard se fige et pose son regard brun sur son ami jusque là silencieux quand ce dernier ouvre la bouche et propose ses talents de mécano. Dick se gratte l'oreille, observe Willem qui ne lui semble soudainement pas à son aise. En tout cas pas autant que d'habitude. Le flic pense à sa voiture qui est tombée soudainement en panne devant le poste de police il y a une petite semaine. Trop soudainement pour que cela soit normal. Il n'a même pas besoin de mettre son instinct de flic en route pour relier ce fait à ce qui s'était passé un peu plus tôt ce jour là.

Amaro visitant les cellules de près, sans doute bien trop près pour que cela fasse plaisir à l'italien. Cet enfoiré est bon, trop pour faire des erreurs qui le pousseraient à finir en taule pour le restant de ses jours. Pourtant Richard sait qu'un jour ce moment arrivera, celui où il aura assez de preuves pour débarquer chez cet homme avec un mandat. Il a décidé que ce serait ainsi et pas autrement qu'il reviendrait au Pink Print. En uniforme, dans le plus grand respect de la loi. Pour montrer à tout ces gens, ces chers clients que le patron des lieux n'est rien de plus qu'une enflure aux mains souillées par le crime.

-La voiture m'a lâchée il y a une semaine devant le poste. Elle ronronnait le matin et s'est mise à cracher sa colère quand j'ai tenté de rentrer chez moi à la fin de la journée. Le garagiste m'a tiré 200 billets pour la remorquer et rebrancher des câbles.

Nul besoin que le mot sabotage soit prononcé à voix haute pour que tout le monde comprenne ce qui s'est passé ce jour là. Richard peine à accepter les conséquences de son excès de zèle. Il respire profondément, puis reprend. Sa rancœur vivant encore un peu plus à chacun des mots qu'il prononce. Il a songé au pire, rendre coup pour coup. La loi du Talion. Une loi bien connue de tous, même de ceux qui n'ont jamais mit les pieds dans une église. Une barre à mine qui chute malencontreusement sur un rétroviseur, puis un autre. Ce même objet qui glisse sur un pare-brise pour le faire voler en éclats. Nul besoin d'être un génie pour savoir faire ce genre de choses. Dick a déjà vu des copains du lycée à l'action, pire à cette époque il a même fait le guet pour ces mêmes copains qui depuis ont eux aussi connu les bancs inconfortables des cellules de prison.

-J'avais clairement pas besoin de ça. Il y a encore une pièce à changer, abimée par ce farceur. J'ai payé les billets pour le Canada, j'ai cinq cent billets à lâcher pour le cadeau d'anniversaire de Joanie. Mon banquier commence à m'appeler un peu trop souvent pour mon bien.  

Il baisse les yeux sur ses poings qui se sont serrés sans qu'il ne s'en rende vraiment compte. Puis se fait violence pour apposer un sourire sur ses lèvres devenues grimaçantes. Inconsciemment il se demande combien de caméras de surveillances bordent les alentours du bar de l'italien. Le mauvais sketch joué la veille au fond de cette ruelle lui revient en mémoire.

-L'urgent est déjà réglé. Et je veux pas empiéter sur ton temps libre. T'as déjà plein de choses à faire pour l'arrivée du bébé et celle d'Amance dans les parages. Ce serait plutôt à moi de te proposer mon aide.  

Soudainement prit d'un doute, le flic reprend en croisant le regard de son ami.

-Vieux. J'ai besoin de rien pour mon anniversaire. Je suis un grand garçon, ça fait belle lurette que souffler mes bougies me suffit. Être ici avec vous aujourd'hui c'est déjà parfait.

Ce qu'il vient de dire est vrai. En tout cas on ne peut nier qu'un fond de vérité réside dans ses dires. Cela fait des années qu'il n'attend plus de présents pour son anniversaire. Un dessin fait par son fils, un sourire de sa fille, tout cela est suffisant pour faire son bonheur. Quand on devient parent célibataire et que l'on compte le moindre dollar pour ne pas finir à sec à la fin du mois, on passe automatiquement ses propres désirs au second plan. Il a aperçu un sac floqué du nom d'une grande chaîne de magasins de sport dans la chambre de sa fille il y a quelques jours en venant pour y faire un peu de ménage. Cette découverte a fait naître un sourire sur son visage. Il sait bien que son ainée n'est pas une grande amoureuse des activités sportives, et devine sans mal qu'elle a pensé à son anniversaire. Un cadeau qui a sûrement été payé avec son argent. Mais cela n'a aucune importance. Un geste inattendu alors qu'entre lui et Joanie les tensions se font plus fortes à chaque nouvelle crise.

Willem ne se démonte pas, renouvelle son offre malgré la réaction du père de famille. Dick s'amuse de la réaction presque offusquée de son ami. Le policier porte sa tasse à ses lèvres, soupire juste quelques mots avant de terminer son thé aromatisé.

-Je te l'emmènerais après mes congés. Merci.

La tasse vidée de son contenu retrouve la table, une cavalcade dans les escaliers fait redresser la tête au policier. Son garçon se jette sur lui, vient se lover tout contre lui à la recherche d'un câlin. Pouce dans la bouche, le petit se cale tout contre le torse de son paternel. Marmonne au sujet de son doudou. La boule d'énergie arrive à la fin de ses capacités et réclame son lit avec la ponctualité d'une horloge suisse. Willem cite l'évidence, ce qui tire un grognement déjà ensommeillé à Troy. Il y a de fortes chances pour que ce dernier s'endorme dans la voiture sur le chemin du retour. Pourtant Dick sait bien que son fils, s'il se réveille en arrivant à l'appartement, ne manquera pas de lui réclamer une histoire pour se rendormir au bout de quelques lignes lues.

-Il est vingt heures passées. C'est déjà bien qu'il ne soit pas allé se cacher au fond d'un lit pour commencer sa nuit.

Jo et Tobias descendent les marches à leur tour. Si sa gamine n'a plus le bouquin qu'elle avait emmené entre les mains, c'est un magazine que Richard n'a jamais vu auparavant qui est fermement tenu par la jeune fille. Les joues rougissantes, l'adolescente souhaite une bonne nuit à son ami, puis à tout les autres membres de la meute. Il aimerait que Joanie apprenne la réalité de la nature de son ami, de leurs amis qui sont au fil des semaines devenus une seconde famille pour eux. Mais comment conter à cette gamine cette histoire qui semble encore un peu folle à son père. Rien de ce qu'ils ont vécu avant d'arriver dans cette petite ville perdue au fin fond de la Californie n'aurait pu les préparer à une telle découverte. Joanie est certes futée, mature pour son âge mais cela ne fait pas tout. Pourtant Richard en est certain, plus longtemps ce secret perdurera, plus dure sera l'annonce.

Il ne sait lui même comment il aurait vécu le fait que Mafdet lui cache tout cela plus longtemps. S'il s'est au début senti trahi par Alex et Brian, avec la féline la blessure était ailleurs.

Richard se lève, son koala personnel toujours bien accroché à son cou. Doucement il murmure.

-Troy. Tu dis au revoir mon grand ?

Son fils agite machinalement la main avant de percuter et se mettre à réclamer des bisous. Les bras de Mady s'ouvrent pour une dernière accolade, puis c'est le tour de tout les autres. Richard félicite une dernière fois son ami pour sa future paternité, puis sourit en pointant sa fille du doigt.

-Tu peux aussi compter sur Jo pour la peinture. Elle a aidé mon père quand mes parents ont acheté leur maison.
-Oui, grand père avait dit que j'étais de la super main d'œuvre.
Joanie approuve, voyant peut être également dans cette proposition l'occasion de passer du temps avec Tobias en dehors des cours.

À présent les Tuner sont sur le seuil de la maison, prêts à rentrer chez eux. Un dernier au revoir avant trois semaines loin de cette meute que Dick considère fatalement un peu comme la sienne. Il n'est pas un loup, et sait que même si on lui proposait de le changer, il refuserait sûrement. Être humain c'est son truc, un truc qu'il maitrise. Il est l'idiot qui court après les wendigos, l'abruti qui juge bon de se  battre contre plus fort que lui, dans le simple espoir de protéger ses concitoyens.

Joanie file dans la voiture tout en se plaignant à propos de la fraîcheur de cette soirée. Troy suit le mouvement, le pas hésitant et le portable de son père entre les mains lui servant de lampe torche de fortune.

-Encore merci. On vous enverra une carte, ils doivent en vendre de jolies à Capilano. Je compte sur toi pour féliciter la future maman de notre part.