Thérapie facilitée

Sujet: Thérapie facilitée Ven 6 Nov 2020 - 19:56

Thérapie facilitée ω Evelyn Lair

Je complète le dossier de la jeune patiente qui vient de sortir de ma salle de travail. J’entends la réceptionniste lui offrir une sucrerie et soupire en cochant les cases du formulaire. D’anciens collègues m’ont reproché déjà de ne pas offrir de telles friandises aux enfants que je voyais. Je juge que si j’avais voulu être gâteux, j’aurais opté pour la pédiatrie et, surtout, mon boulot est de soigner les gens, pas de leur créer de nouveaux problèmes de santé. J’ai mon rôle de soignant à coeur, malgré tout ce que l’on pourrait dire dans mon dos. La pauvre fillette a subit une mauvaise chute en cours de gymnastique et a fait une commotion cérébrale. C’est le premier dossier qui est tombé sur mon bureau à mon arrivée ici, et je n’admettrai pas commencer à m’y attacher.

Le temps de remettre quelques notes au propre, et mon téléphone vibre sur mon espace de travail. Ma prochaine rencontre est dans cinq minutes. Je range le dossier au nom de Laeticia Miller et récupère le prochain. Je le parcours scrupuleusement, comme toujours. D’autant plus que ce sera notre première rencontre ensemble. Une mauvaise maîtrise de leur dossier peut laisser une mauvaise impression aux clients. De mon côté, cela m’aide à me faire une première impression d’eux. Bien que je ne les traite pas, je dois être conscient que certaines blessures physiques sont accompagnées d’une contrepartie psychologique. Pire est la blessure, plus cette corrélation devient forte.

J’ai donc affaire à une accidentée de la route. Une miraculée, à en croire les informations dont je dispose. Je m’attend à devoir traiter des séquelles typiques de ce genre de situation et, à terme, effectuer un peu de réadaptation. Je retire une liste d’exercices appropriés d’un tiroir, après avoir fouillé dans le mauvais. Je n’aurai qu’à indiquer lesquels seront pertinents à sa situation particulière.

Nouvelle sonnerie du téléphone. Cette fois, l’alarme m’indique qu’il est l’heure de mon rendez-vous. Je ne mets pas d’alarme pour la clôture de ceux-ci, par égard pour mes clients. Je m’assure que les papiers sur mon bureau sont soigneusement placés et me dirige vers la salle d’attente.

« Evelyn Lair? » interpelé-je, les yeux sur le dossier pour m’assurer de ne pas me tromper.

Lorsque je relève le regard pour en embrasser la pièce et accueillir ma patiente, je ne peux m’empêcher de hausser un sourcil. Non seulement l’état de la femme qui se dirige vers moi n’est pas du tout ce que son dossier m’avait laissé imaginer, mais un autre détail me chatouille les narines. Ce n’est pas son apparence relativement jeune non plus. Je lui souris néanmoins avec une courtoisie professionnelle.

« Suivez-moi dans la salle trois, je vous prie. »

Un instant plus tard, j’ouvre la porte de mon cubicule et la laisse passer devant. Je referme la porte derrière moi et me dirige vers le meuble exigu qui me sert de bureau. Je n’y ai aucune affaire personnelle. Seulement un autocollant aux couleurs de l’arc-en-ciel sur le montant de la huche. Non pas pour m’afficher, mais plutôt pour laisser comprendre à mes patients que je suis un allié. L’odeur dans la pièce me donne raison et trahi la louve qui me rend visite. J’indique à madame Lair la chaise et le lit médical qui se trouvent côte à côte, pour l’inviter à prendre place sur l’un ou l’autre, et j’entame les présentations.

« Bonjour Madame Lair. Mon nom est Jonah. »

Mon accidentée de la route m’interrompt un instant. Je lui souris de plus belle en hochant de la tête et reprend.

« Je suis votre soignant. Vous pouvez m’appeler Jay. Asseyez-vous, je vous prie. J’ai d’abord quelques questions à vous poser. »

Je prend moi-même place sur ma chaise, pour lui faire face. La veste fournie par la clinique trône sur le dossier de celle-ci. Je l’ai retirée un peu plus tôt. Je saisis le bic et le porte-bloc sur mon bureau et sourit de nouveau.

« Vous éprouvez les séquelles d’un accident de voiture, c’est bien cela ? »

Foutaises! Toutefois, je veux bien jouer le jeu et prétendre y croire, car je n’ai pas encore mon quota de clients et qu’un dossier facile ne peut pas me faire de tort. Evelyn doit bien avoir ses raisons. Peut-être que ses assurances refusent de la couvrir sans qu’elle ne suive une thérapie, ou que son employeur requiert un avis spécialisé pour dire qu’elle est de nouveau complètement apte et fonctionnelle. Ça ne me regarde pas.

code by lizzou

Sujet: Re: Thérapie facilitée Dim 8 Nov 2020 - 10:57

Sanitatem brevis, vita longa.

Jay ac Evelyn

Cabinet de Jay, 30 Octobre,

Assise sur sa chaise, Evelyn laisse son regard se perdre dans le vide. Son esprit se concentre sur des réminiscences visuelles, des lambeaux de son et une sensation de malaise. Depuis son accident, l'avocate ne s'était que rarement confrontée à l'horreur de ses souvenirs. Elle pensait que l'oublier et le ranger dans un coin de son esprit lui permettrait de passer à autre chose. Plusieurs semaines après l'évènement, Evelyn devait s'avouer qu'il lui était impossible de faire autrement. Le hurlement des pneus se mêlaient aux gémissements des blessés dans son esprit et un frisson la parcourait au souvenir flou. Elle se rappelait s'être réveillé peu de temps après l'impact, peut être dix ou quinze minutes. Sa vision était alors floue et elle avait mis de longues secondes à comprendre que ce n'était pas des larmes qui coulaient sur ses joues mais bien le sang. Ses yeux, brûlés, la rendaient aveugle. Le reste n'était que douleur.

Les yeux d'Evelyn papillonnèrent lorsqu'elle entendit son nom. Tournant son visage vers l'homme, l'avocat lui sourit et reprit aussi vite contenance. Il devait être soit le secrétaire soit le thérapeute lui même. Son air assuré ainsi que son âge laissait Evelyn pencher pour la deuxième option. Elle prit note qu'il semblait professionnel et à l'aise avec les gens. Evelyn avait longuement craint de tomber sur un de ces praticiens plus portés sur le massage que le soin. Malgré tout, elle s'était efforcée de venir, à la fois à la demande de son frère que de l'hôpital qui l'avait pris en charge à New York. Malgré ses souvenirs flous, elle devait avoir un suivi. Pour ne pas paraître trop formelle, Evelyn portait un simple jean et un épais pull en cachemire sur un débardeur de sport.

Suivant Monsieur Knevezic, Evelyn entra dans le petit cabinet et nota aussitôt l'esprit formel du cabinet. Avec un petit sourire complice, elle s'assit sur le lit médical. Elle devrait bien laisser l'homme l'ausculter, aussi Evelyn ne voyait aucun intérêt à faire un détour par la chaise. Croisant ses jambes délicatement, elle répondit d'un ton presque joyeux et informel. Evelyn se sentait à l'aise avec le corps médical, souvent cultivé et preuve même de l'élévation par le travail à l'image des avocats. Elle les considérait volontiers comme des confrères et comptaient nombre d'entre eux parmi ses amis à New York.

Enchantée Jay. Vous pouvez m'appeler Evelyn si vous préférez.

Fidèle à son métier, le praticien lui posa presque aussitôt une question sur son dossier. Evelyn reconnut là l'homme cherchant à bien faire. Elle ne doutait plus une seule seconde de l'efficacité de Jay et de ses renseignements à son sujet. Se prêtant au jeu, elle haussa rapidement les épaules et affecta un air détaché que son regard troublé démentait.

J'ai été au cœur d'un accident voici quatre semaines en effet. Une voiture a emboutie la mienne du côté conducteur et je me suis retrouvée encastrée pour près de quatre heures. Pour ne pas vous mentir, le choc m'a assommée une majeure partie du temps. Je me suis retrouvée à l'hôpital avec une blessure à l'abdomen, des éclats de métaux apparemment ainsi que le visage partiellement brûlé. Il ne m'a fallut que quelques jours pour me remettre. Cependant, on m'a demandé un suivi. Evelyn posa son main parfaitement manucurée sur son ventre et fronça les sourcils. Honnêtement, je vais bien. Je suis encore secouée par la violence du choc sans vous mentir mais je ne ressens rien de plus qu'une gêne ici. Le pire a été lorsque j'étais dans l'ambulance.

EPSILON

Until the firmament.

Sujet: Re: Thérapie facilitée Dim 15 Nov 2020 - 20:23

Thérapie facilitée ω Evelyn Lair

J’écoute l’histoire de Madame Lair en prenant de rapides notes sur mon calepin, en m’efforçant de démontrer une neutralité toute professionnelle. Toutefois, je ne peux m’empêcher de remarquer l’absence de cicatrices visibles ou, plus précisément, des signes de brûlures. Je ne suis pas expert en la matière, mais tous les grands brûlés que j’ai eu l’occasion de rencontrer auraient été jaloux d’un tel rétablissement. Les meilleures guérisons peuvent prendre jusqu’à un an avant de d’être considérées belles : une peau fine et rougeâtre, comme toujours à vif. Madame Lair confirme d’elle-même la rapidité surnaturelle de sa convalescence, avec une désinvolture étonnante. J’en conclus qu’elle se sent à l’aise de parler de sa guérison miraculeuse avec un confrère possédant ces gènes hyperactifs.

Le geste de ma patiente sur son abdomen me fait redresser le menton, curieux. Elle admet ce qu’elle qualifie de gêne dans cette région. Un nouveau coup d’oeil à la date de naissance de Madame Lair me fait taire la question d’une grossesse insoupçonnée. Non pas que ce soit impossible, mais les probabilités ne jouent pas de ce côté. Puis, il n’est pas impossible qu’une douleur ait survécu presque un mois, si un corps étranger n’a pas été retiré, par exemple.

« Je voie. Notre rencontre d’aujourd’hui a principalement pour but d’évaluer votre état, de sorte à pouvoir ensuite noter votre progression. Je devrais pouvoir vous donner quelques exercices à pratiquer à la fin de la séance. Comme vous êtes déjà assise, je vais débuter en vous demandant d’effectuer certains gestes pour déterminer la portée de vos mouvements. »

Je demande donc à Madame Lair une panoplie de petits exercices rapides, que ce soit d’écarter ses genoux, ou d’effectuer une rotation du mollet en gardant la cuisse bien droite, d’étirer ses bras et avant-bras à divers angles, de faire des ouis et des nons, etc. Je note mes observations sur la feuille de suivi, dont la majeure partie représente une forme humaine. J’ai déjà entouré la zone désignée par Evelyn, et mes notes remplissent désormais les petites lignes qui flottent autour du portrait anonyme, comme des satellites.

« Très bien. Vos articulations semblent être dans un état correct, certaines sont même en excellent état. Maintenant, Evelyn, si vous pouviez vous étendre et relever légèrement votre haut. Je vais vous demander de respirer lentement en gonflant votre abdomen, puis en le dégonflant autant que vous le pouvez. Je vais glisser mes doigts sur votre aine pour évaluer l’état de votre caisson abdominal, et si votre malaise réside bien là, je pourrai vous montrer ce que j’ai évalué. Si vous êtes mal à l’aise ou que la douleur devient trop grande, vous devez m’en aviser, à n’importe quel moment. »

J’offre à Madame Lair un sourire rempli de compassion. Je n’éprouve aucune réticence à ausculter ainsi mes patients, mais je suis également conscient que cela peut en mettre certains mal à l’aise. Certaines, principalement. C’est précisément la raison pour laquelle il y a un protocole strict à suivre : expliquer les gestes qui seront faits, leur raison, et inviter le patient à partager son ressenti, quel qu’il ne puisse être.

code by lizzou

Sanitatem brevis, vita longa.

Jay ac Evelyn

Cabinet de Jay, 30 Octobre,

Evelyn surprit le regard de Jay vers son ventre et elle sourit naïvement. Touchée par la pensée que le thérapeute ait pu la croire enceinte, l'avocate décida de ne pas relever la curiosité de Jay. Elle avait depuis longtemps passé l'âge d'avoir des enfants et n'en avait jamais ressenti le besoin. Son frère s'occupait très bien de la continuation de la lignée. De plus, sa carrière l'avait tenue occupée bien trop longtemps pour vouloir s'encombrer d'un mari ou d'enfants.

Le reste de la séance se passa d'une manière simple et ordonnée, à l'image du thérapeuthe. Evelyn suivit ses instructions sans réellement se poser de questions, ni ressentir de gêne. Malgré tout, l'avocate n'arrivait pas à comprendre le miracle de sa guérison. Elle était arrivée gravement blessée, pour ne pas dire avec l'abdomen déchiré, à l'hôpital. Et pourtant le lendemain, elle en sortait. Affaiblie et épuisée mais bel et bien en forme compte tenu de l'accident. Les médecins pensaient que les ambulanciers avaient exagéré la gravité de ses blessures et qu'Evelyn faisait une simple fixation sur cet état de fait. Ils n'avaient pas osé utiliser le terme honni mais l'avocate savait parfaitement ce qui se cachait derrière : le déni.

C'était en partie pour cette raison qu'elle avait souhaité voir un spécialiste comme Jay Knezevic. Les évènements se succédaient depuis les quatre dernières semaines. De l'accident jusqu'à son arrivée, cette étrange discussion avec Monsieur Hale et l'agression envers le professeur Rapier. Evelyn ne connaissait pas les conséquences de cet acte dans sa vie professionnelle mais elle en payait déjà le prix personnel. La culpabilité, un sentiment bien étrange pour une avocate, la tourmentait depuis deux jours. Comment pouvait elle deviner d'être capable de soulever un homme et le jeter contre un mur ?

Je ne vois aucune objection à ce que vous m'auscultiez.

D'un geste souple, Evelyn remonta son haut jusqu'à la limite de soutien-gorge. Avec une pratiquante féminine, son comportement aurait été le même pour protéger son intimité. L'avocate espérait simplement que le thérapeute n'y voit aucun mal. Il semblait si compatissant et sensible qu'Evelyn en doutait sérieusement. Malgré tout, lorsque le jeune homme approcha, elle ressentit un accès de violence terrible. Ses yeux s'écarquillèrent soudainement et Evelyn recula vivement. Un frisson la parcourut alors que ses lèvres se tordaient pour découvrir ses dents dans un rictus menaçant.

Vous en êtes un, n'est ce pas ?

EPSILON

Until the firmament.

Thérapie facilitée ω Evelyn Lair

Un sourire aux lèvres, je fais signe à Madame Lair qu’il n’est pas nécessaire de relever autant son vêtement. Si je craignais, à en juger l’austérité apparente de ma patiente, une dame prude, me voilà bien remis en place.

« Vous n’avez pas à lever si haut si ça ne vous est pas confortable. Jusqu’au nombril suffirait. »

Si j’apprécie l’enthousiasme de la femme, je ne peux pas paraître avoir l’intention d’en abuser. Surtout que l’erreur est entièrement la mienne, de ne pas l’avoir précisé plus tôt. Heureusement, ma cliente semble dotée d’un bon tempérament et comprendre que j’agis en tant que professionnel. Qu’elle se doute ou non de l’indifférence que sa poitrine pourrait m’apporter est un détail dans la chaîne d’événements de notre rencontre.

L’accord qu’elle a verbalisé plus tôt me semble toujours tenir et je procède donc sans perdre de temps : je déteste devoir terminer abruptement un rendez-vous par manque de temps, ou être en retard pour le prochain. Cela décale ensuite ma journée entière.

D’un geste que je juge réflexe, Madame Lair se cambre et se distancie de moi. Ma réaction est immédiatement de retirer ma main et de lever le regard vers son visage, dans l’espoir d’y trouver une explication. Le faciès de ma patiente semble déformé par un sentiment que je méprends pour de la peur, alors que mon odorat aiguisé confirme plutôt comme étant de l’agressivité. Qu’ai-je donc fait pour déclencher cet accès de rage? Je plisse les yeux alors que cette question étrange me tombe sur la tête comme un diable sortirait de sa boîte.

Je me redresse sur mon siège et, d’un geste des talons, le fais rouler vers le mur opposé en maintenant le contact visuel. Il est clair que je ne laisserai personne venir m’intimider dans mon bureau. J’aimerais également ne pas devoir expliquer des dommages bestiaux à mes supérieurs, et encore moins devoir les rembourser. Une réaction hostile et frontale me semble donc déraisonnable.

Une fois que je chasse le choc de la surprise, je lève les mains en symbole de paix et me lève debout. Je m’assieds contre mon bureau, dans une attitude que je juge à la fois impossible d’être méprise pour de l’hostilité, ou pour une posture qui me préparerait à attaquer la dame par surprise. Un vœu de paix, en somme.

« Je… suis confus. »

Le loup féral est la pire sorte de loup, avec le loup inexpérimenté. Ce sont d’ailleurs souvent le même individu, disait maman.

« Je suis thérapeute, et je suis aussi.. » Mes iris se zèbrent de dorures l’espace d’un fragment de seconde, en guise d’une explication plus claire au terme qu’elle n’a pas utilisée. Je termine ensuite ma phrase d’un simple mot affirmatif : « Oui. »

Je lance un coup d’oeil vers la porte et la vitre qui est juste à côté. Il ne faudrait certainement pas que quelqu’un passe et croit que je suis en mauvaise posture. Cela les mettrait en danger. Je redescend donc mes mains et les place sur mon genou, de façon visible.

« Vous aussi, n’est-ce pas, Madame Lair ? Je pensais que vous le saviez depuis la salle d’attente, tout comme moi. »

Une crainte naît alors en moi : et si il s’agissait d’un chasseuse qui ait trouvé le moyen d’imiter la palette de parfums caractéristiques à ma race? Je ne reprend même pas mon souffle, avant de poursuivre, un rictus avenant forcé sur mon visage :

« Si cela vous pose problème, je peux vous référer à un autre spécialiste. Par contre, je suis ici pour vous aider, si c’est ce que vous voulez. Ce peut être avec votre lycanthropie autant que ce peut être des séquelles de votre accident. »

J’espère sincèrement ne pas m’enfoncer et signer mon arrêt de mort. Ou devoir reprendre la fuite. Je doute que la meute adoptive d’Alice m’ouvre les bras si cet incident venait à leurs oreilles. Ou si ma sœur leur a raconté comment Claude est devenu alpha.

code by lizzou

Sanitatem brevis, vita longa.

Jay ac Evelyn

Cabinet de Jay, 30 Octobre,

Poussée par son instinct, Evelyn ne se rendit pas compte de l'attitude agressive qu'elle avait. Laissant retomber son T-shirt, elle laissa retomber débardeur et pull pour découvrir ses crocs. Son visage se transforma d'une froide beauté à la sauvagerie même tandis que ses yeux s'écarquillaient, coloré d'un inconscient orange. La proximité avec le jeune thérapeute avait déclenché un instinct en elle. Elle connaissait son origine mais ne l'aurait jamais cru aussi puissant. Frissonnante de violence, l'avocate résista de justesse à son désir de se reculer et de se défendre.

Lorsque Jay recula, elle respira plus librement et continua de fixer d'un regard furieux le thérapeute. Il avait fallu qu'elle tombe sur le membre du corps médicale doté d'une nature similaire à la sienne. Monsieur Hale l'avait prévenue, ou du moins sous entendu, qu'une importante communauté de loups-garous vivaient à Beacon Hills. Evelyn ne s'attendait simplement à tomber sur l'un d'entre eux aussi vite. Elle n'était pas prête, la puissance de ses sentiments et de ses instincts s'imposaient à ses sens et son lobe frontal. Elle réussissait étonnamment bien à contenir ces nouvelles bouffées du cortex reptilien mais à grande peine. La présence de l'un des leurs, l'un des siens se reprit-elle, semblait exacerbé sa nature profonde.

Par chance, son interlocuteur était aussi diplomate dans les affaires médicales que surnaturelles et leva les mains en signe de paix. Evelyn se détendit et retrouva des traits humains. Ses épaules s'affaissèrent alors que sa conscience resurgissait de l'oubli animal dans lequel elle s'était plongée involontairement. Le marronnage n'était pas quelque chose qu'elle aurait pu possible chez elle et pourtant Evelyn en était la victime consentante. Avec un nouveau frisson, l'avocate vit Jay baisser ses mains en regardant par la vitrine. Elle se rendit compte alors de l'étrangeté de la scène pour un observateur étranger. Leur échange aurait pu paraître plus violent qu'il ne l'était vraiment et impliqué une chose que le thérapeute n'avait absolument pas fait.

Je suis désolée.

Sa voix était rauque et légèrement essoufflée tant son cœur battait fort dans sa poitrine. Evelyn inspira et expira lentement par trois fois, retenant son souffle entre chaque mouvement. Elle reprenait peu à peu le contrôle absolu de son corps et de son esprit. Elle écouta longuement les paroles de Jay. Elle avait vu juste dans sa nature et regrettait profondément d'avoir été proche de briser la relation de confiance entre un praticien et son client. L'avocate connaissait par le bout des doigts cette sensation de rupture. Elle l'avait ressentie à de nombreuses reprises dans son métier.

Je suis... une louve depuis un peu moins d'un mois. Je crois. J'ai des raisons de soupçonner que cela m'est arrivé durant l'accident. Mes souvenirs sont flous quant à celui-ci mais cela expliquerait certaines choses. Evelyn fronça les sourcils et pencha la tête sur le côté, réfléchissant. Ma nature m'a été révélée il y'a une dizaine de jours à peine. J'apprends encore. J'essaye. L'avocate s'éclaircit la gorge, consciente de l'aspect décousu de ses propos. Se redressant, elle adressa un sourire rassurant au thérapeute. Votre nature a surpris la louve en moi et j'ai perdu le contrôle l'espace d'une seconde. J'espère ne pas avoir brisé votre confiance à mon égard. Je comprendrai que ce soit le cas... Si cela ne l'est pas, peut être pourrions nous reprendre la séance ? J'ai mille questions à vous poser, notamment sur le système des meutes. Je suis; et je vous assure regretter de l'avouer, perdue.

EPSILON

Until the firmament.

Thérapie facilitée ω Evelyn Lair

Le postérieur toujours appuyé contre mon bureau, les mains toujours croisés sur le genou relevé qu’elles enserrent, j’écoute Evelyn s’excuser. Je hoche la tête, soulagé, et lui offre un sourire qui démontre que je lui pardonne, magnanime que je suis. Alors que je m’adresse doucement à elle, je laisse Madame Lair reprendre son souffle, et le contrôle d’elle-même, en quelques secondes de respiration consciente. Un exercice utile et souvent négligé, tant par les louveteaux que les sportifs. La maîtrise de ses propre insufflations est à la base d’une saine gestion de soi.

Un poids se lève sur ma conscience alors que l’épée de Damoclès que je craignais au-dessus de ma tête ne se volatilise. Un simple mot de cinq lettres vient me confirmer que je ne suis pas en danger mortel : nous avons plus en commun que l’on pourrait croire au premiers abords. J’abaisse doucement la tête vers l’avant lorsque les soupçons d’Evelyn viennent corroborer mes propres observations. Je la laisse poursuivre, entend la voix d’une tante qui m’était chère répondre à ma patiente que les vrais apprentissages durent toute une vie. Je tais ce propos, qui risquent de la décourager, alors qu’elle se dégorge. Lorsqu’elle redevient la dame droite et confiante qui est entrée dans mon bureau, je repose mon pied au sol, et mes mains sur le bureau derrière moi. Je ne vais pas l’abandonner : s’il y a une chose que ma famille ma apprise et en quoi je crois irréfutablement, c’est que la force vient non pas du nombre, mais de la cohésion. Une brebis égarée peut mettre en péril la bergerie entière.

« Votre séance n’est effectivement pas terminée. Je reviens dans un instant, je vais aller vous cherche un gobelet d’eau. »

Je ne prend pas plus d’une minute pour aller à la fontaine et revenir. Je tends le gobelet à la femme nouvellement mordue et retourne de l’autre côté de la pièce, pour laisser sa louve respirer. Je tire le fauteuil à roulettes de derrière mon bureau et m’assoie en face d’elle, sans obstacle ni interférence entre nous.

« Au vu de votre guérison miraculeuse, j’avais présumé que vous étiez déjà mordue à votre arrivée à l’hôpital, ou très rapidement par la suite. »

Je penche mon torse vers l’avant, les coudes sur les genoux et les mains jointes, et dépose mon regard marron dans celui de ma comparse. Mon air jovial se fait sérieux. Ni morne ni autoritaire ou antipathique, mais simplement dépourvu de légèreté et de traits facétieux. La conversation que nous allons aborder ne doit pas l’être sur un ton de plaisanterie.

« Ce qui est arrivé est derrière nous. Vous avez raison de regarder vers l’avenir et de vouloir conserver des atouts dans votre main. Nos instincts et nos sens sont plus développés que ceux des autres humains. Ce qui s’est produit il y a quelques instants est probablement dû à ce que vous manquez d’habitude, ou d’aisance, avec ceux-ci. »

Ce qui, si je me fie à mes observations préliminaires sur cette bourgade visiblement bondée de surnaturel, ne devrait pas durer éternellement, mais pourrait aussi se révéler dangereux. Je préfère discuter d’un point qui pourrait lui éviter de tels quiproquos à l’avenir. Ou en limiter les conséquences.

« Il y a des gens qui vous conseilleront de pratiquer votre ouïe ou votre vue désormais plus sensibles. C’est effectivement important, mais ne sous-estimez pas votre odorat : c’est une source d’information fiable. On ne dupe pas le nez aussi aisément que les yeux ou les oreilles. N’oubliez pas que nous sommes des animaux et, en tant que tels, nos corps communiquent constamment à l’aide de phéromones. Vous et moi avons la chance de pouvoir les détecter et, avec suffisamment de pratique, les reconnaître et les identifier. Nous pouvons nous reconnaître entre nous de la sorte, même à une certaine distance, par exemple. Certes, certaines odeurs peuvent venir dissimuler ces subtilités. »

Ces gens qui semblent se doucher à l’eau de toilette, par exemple.

« Si vous parvenez à maîtriser votre nez, vous aurez beaucoup plus de facilité à reconnaître les intentions de la personne en face de vous. La nuance entre la crainte, le désespoir ou la colère blanche, par exemple. Des indices qui vous permettront d’anticiper la réaction de l’autre dans une situation tendue : tentera-t-il de se cacher ou d’acheter la paix, ou encore de fuir ou de m’attaquer ? Pareillement, vous saurez distinguer l’attraction du désir et de la camaraderie, ou de la jalousie. Une fois maîtrisé, c’est un outil qui ne ment jamais. »

Les battements cardiaques non plus, mais c’est un art plus subtil, qui demande plus de concentration et, surtout, de savoir faire abstraction des bruits de fond qui viendraient autrement obstruer la reconnaissance et l’interprétation de ceux-ci.

« Je vais fermer cette parenthèse. Vous souhaitiez discuter des meutes ? »

Après tout, de par la nature de notre rencontre, nous sommes chronométrés et je serais navré de m’accaparer trop de son précieux temps.

code by lizzou

Sanitatem brevis, vita longa.

Jay ac Evelyn

Cabinet de Jay, 30 Octobre,

Evelyn se sentit soulagée lorsque son interlocuteur relâcha sa posture défensive. Il retrouva même son air jovial et presque enfantin qui plaisait à sa patiente. Si l'avocate s'en voulait encore d'avoir réagi à l'avalanche sensorielle de sa nature, Jay n'y trouvait aucune rancune. Au contraire, il adoptait un air pédagogue qui fit sourire en coin Evelyn. En deux semaines, elle se faisait apprendre des choses par des personnes plus jeunes qu'elle. Elle n'aurait jamais permis à un avocat junior d'en faire autant dans son cabinet. Elle en était d'autant plus surprise de ne pas éprouver de remords. L'avocate était pragmatique et logique. Elle découvrait un monde inconnu et il était tout naturel que n'importe avec plus d'expérience d'elle dans ce domaine était une source d'information. Sans aller jusqu'à croire des adolescents, elle pouvait se fier aux dires de jeunes et charmants, quoique bourru pour monsieur Hale, trentenaires.

Les paroles de Jay trouvèrent ainsi écho dans l'esprit d'Evelyn. Sa diatribe sur l'odorat la laissa pourtant sceptique l'espace d'un instant. Elle usait autant de ses yeux que de son ouïe au cœur même de son métier. Pourtant cette emphase sur l'odorat lui rappelait l'important de ce sens. Il était éveillé à chaque instant de sa vie, plus encore que les autres. Souvent l'odorat avertissait du danger au cœur du sommeil ou au moment de goûter un poison alimentaire ou aérien. Il n'était certes pas infaillible mais Evelyn prenait tout à fait conscience de son importante. Les explications qui suivirent la confortèrent dans sa nouvelle croyance. Quelle aubaine pour une avocate de pouvoir apprendre à ressentir ce que son interlocuteur ressentait. Jay offrait l'objet du désir de tout membre de la caste judiciaire. Un frisson la parcourut et son regard se figea. Un savoir offrait tant de questions.

Dites moi ce que je ressens alors, qu'est ce mes paroles trahissent ?

Evelyn laissa son souffle s'échapper au travers de cette questions innocente. Mais elle voulait la preuve de ce qu'affirmer le thérapeute.

Je veux savoir ce qu'est une meute, ce qu'elle représente ? J'imagine qu'il existe une hiérarchie dans notre monde et je veux la comprendre. Expliquez-moi ce qui les composent, comment elles se dirigent et leur mode de vie. Peut être même pourriez vous m'aider à savoir lesquelles je peux trouver autour de la ville, voir ailleurs dans notre pays.

EPSILON

Until the firmament.

Sujet: Re: Thérapie facilitée Dim 21 Mar 2021 - 16:11

Thérapie facilitée ω Evelyn Lair

Madame Lair semble obnubilée par mon discours. Non sans me rappeler Angie qui, en bonne première de classe, oubliait souvent de ciller dès qu’un prof ouvrait la bouche pour parler. Si la comparaison m’amuse, je n’en laisse rien paraître, par respect pour ma patience qui pourrait mal interpréter, une fois de plus, mon attitude. C’est à sa question que je me permet un délicat sourire. La malice vient enflammer mon regard. À quoi m’attendais-je? Évidemment que la femme est une Thomas et veut des preuves de ce que j’avance plutôt que de me croire sur parole. Je n’ai pas besoin d’une grande inspiration : nous sommes dans une proximité relative, la pièce est fermée et limite donc les possibles perturbations et autres interférences.

« Je dirais que vous sentez l’envie. Enfin, dans le sens de désir. Rien de charnel. C’est venu masquer l’agacement d’il y a quelques instants, et la colère précédente. Je serais tenté de croire que les informations que je vous ai données vous intéressent à des fins personnelles. Ensuite, je ne fais pas de magie : je ne saurais prédire si c’est parce que vous comptez déterminer ainsi si votre mari va voir ailleurs, ou autre chose. Ce n’est qu’une prédisposition émotionnelle. Et dans ce cas-ci, elle explique votre intérêt pour ce que j’ai à vous dire. »

Je ne le prend aucunement mal. Les gens qui prétendent ne vivre que par altruisme et pour des intérêts plus grands qu’eux-mêmes sont, la plupart du temps et à mes yeux, des menteurs ou des lâches. Qu’ils mentent à autrui est une chose, nous le faisons tous, mais à eux-mêmes : cela me fait pitié. Evelyn enchaîne avec une nouvelle question, plus complexe, et je prend un moment pour y répondre. Le temps de formuler une réponse cohérente et aussi claire que possible.

« Comme vous vous en doutez certainement, une meute est un regroupement de loup-garous loyaux à un leader, l’alpha. C’est lui qui prend les décisions importantes, et il doit se montrer loyal à sa meute en retour. Chaque meute a un fonctionnement qui lui est propre. Certaines sont plutôt totalitaires, d’autres plus démocratiques avec un alpha qui écoute chacun de ses bêtas. Ce sont tous les autres loups au sein d’une meute. Dans mon ancienne meute, il y avait un espèce de conseil auprès des chefs de familles. Si j’avais un grief, j’en parlais à mes parents et il me représentaient auprès de notre alpha. c’était une alternative hybride qui fonctionnait bien vu la taille de notre meute. La plupart du temps, les bêtas ont une grande liberté dans leur vie quotidienne. L’appartenance à une meute est réellement basée sur le respect et la confiance : sans ceux-ci, la meute est fragilisée. Si l’alpha perd le respect et la confiance de ses bêtas, il peut être défié en duel. Le survivant sera celui qui restera à la tête de la meute. Si un bêta perd la confiance de la meute, il peut être exilé ou, s’il a commis une faute grave, tué. »

Je réalise à quel point mes propos peuvent sembler morbide. Je relève donc un regard serein vers ma patiente.

« Ça peut sembler très violents, mais ces cas de figures sont rares. J’ai vécu une trentaine d’années dans la même meute sans que quelqu’un soit condamné à quoi que ce soit. Il faut dire que les exilés fragilisent en quelque sorte la meute qu’ils quittent. D’une part, parce que chaque meute gagne en puissance par le nombre, mais aussi parce qu’il y a désormais quelqu’un qui connaît le fonctionnement de la meute et n’en fait plus partie. Cela peut être dangereux si cette personne a des envies de vengeance. »

Je m’humecte les lèvres et prend une gorgée d’eau avant de poursuivre.

« Cette personne, c’est un oméga, comme vous et moi. On peut devenir oméga par bannissement, comme j’ai dit, ou si on est le seul survivant d’une meute décimée, par exemple. Ou comme vous, lorsqu’un alpha nous partage la Morsure sans nous inclure ensuite dans sa meute. »

Je pince les lèvres à cette mention. J’ai une opinion forte sur ces lâches qui créent plus de malheurs qu’autre chose en laissant de pauvres loups égarés terrorisés la population alors qu’ils ne comprennent généralement pas eux-mêmes ce qui leur arrive. C’est ma motivation pour aider Evelyn : le mieux elle dissimule sa nature lupine, le moins j’aurai moi-même à craindre pour ma survie.

« Je ne connais pas les meutes ici : je viens également d’arriver en ville. Il y en a dans la plupart des régions du pays; je sais qu’il y en avait au moins quatre dans la région de San Francisco, par exemple. Pour le mode de vie, c’est un peu comme le fonctionnement interne : cela varie beaucoup. J’ai même entendu parler de meutes nomades. »

Quelle idée étrange. Pourquoi laisser le confort de son chez-soi et user ses semelles à longueur de vie sur la route? Je suis dégoûté à la simple idée de ce manque de civilité.

code by lizzou

Sanitatem brevis, vita longa.

Jay ac Evelyn

Cabinet de Jay, 30 Octobre,

Evelyn leva un sourcil circonspect en écoutant les explications de Mr Knevezic. Elle ne pouvait s'empêcher de réagir de cette façon à chaque fois qu'un homme évoquait le principe de désir tout en se défendant de parler du plus primaire des souhaits. La sexualité n'était pas quelque chose de tabou chez l'avocat et elle voyait bien que les paroles du thérapeute ne tournaient pas autour de la question. Elle laissa le trentenaire terminait ces explications avant de lui sourire doucement et de croiser ses jambes pour couronner son genou de ses mains. La tête légèrement penchée sur le côté, l'avocate ne put s'empêcher de donner une leçon à son interlocuteur.

Ne cherchez pas à vous dédouaner pour avoir utiliser le mot désir. dit elle avec une emphase sur le fautif. Vous perdez ainsi en cohérence et vous vous discréditez au passage. Un véritable adversaire retournerait la situation en posant la question de votre désir charnel pour lui.

Le regardant droit dans les yeux, Evelyn leva sa main gauche. L'absence d'alliance à son annuaire brillait autant que sa peau pâle et l'absence de marque sur le dit-doigt.

Autant ceci que mon intitulé aurait dû vous faire tiquer quant à la question de mon mari volage. Si tant est, il existait.

Evelyn se tut à nouveau et laissa ses pensées dériver vers les dernières paroles du thérapeute. La découverte du monde surnaturel et de son fonctionnement était aussi électrisant que familier aux yeux et oreilles de la louve. D'une certain façon, ce n'était que le développement extrême de la nature sauvage mais adaptée par les esprits humains. Les fondements même de la société à une échelle plus réduite et sans les connivences et les excuses invoquées. Evelyn hocha la tête sèchement. L'avocate savait se montrer froide et impitoyable, bien que cela ne soit pas sa nature profonde, et comprenait parfaitement ce qui l'attendait.

A l'écoute, elle observa et essaya d'écouter l'aura caché des paroles de Jay. L'avocate ne pouvait pas en être certaine mais il lui semblait déceler un trouble et une douleur à l'évocation des Oméga et de leurs origines. Nouvelle et inconsciente de son état jusqu'à peu, Evelyn ne ressentait aucun ressentiment envers l'Alpha qui l'avait mordu. Elle ne connaissait même pas le devoir de ceux-ci à l'égard de ceux qu'ils mordaient. Les liens de meute semblaient d'importance pour le trentenaire. Evelyn ne put s'empêcher d'hausser les épaules avec désinvolture.

Je crois que cet Alpha m'a sauvé la vie en me mordant. J'ai dû être perdu dans la masse des noms de l'accident... J'ai quitté New York peu de temps après. Même si il avait voulu me retrouver, je ne crois pas qu'il aurait réussi. Le regard d'Evelyn revint à la réalité et elle fixa de nouveau son mentor d'une heure : Et vous Jay ? Quelle est votre histoire ?

EPSILON

Until the firmament.

Thérapie facilitée ω Evelyn Lair

Je souris à ma cliente alors qu’elle me fait la leçon, et semble vouloir jouer les professeurs à son tour. Elle dégage l’impression d’une femme habituée à l’autorité. Pas une sévère mère de famille, mais peut-être une enseignante, ou une médecin, bien qu’elle ne m’ait pas semblé particulièrement familière au vocabulaire propre au domaine de la santé. Une ingénieure, alors? Peu m’importe, en réalité. Mon pouce vint effleurer le jonc à mon auriculaire, alors que je m’interroge à l’idée de lui préciser que la société actuelle a connoté elle-même certains termes, et qu’il est simplement naturel que je me défende de potentielles accusations injustifiées. Spécifiquement dans un contexte professionnel où ma réputation est d’une importance capitale.

« Hé bien, je lui répondrais que, si j’ai pu batifoler avec la gente féminine dans ma jeunesse, il est depuis longtemps de notoriété publique que je n’éprouve aucun désir charnel envers ses représentantes. L’inverse n’est malheureusement pas toujours vrai. »

J’observe l’annulaire que madame Lair hisse devant mes yeux. Il me faut un moment pour comprendre ce que cela signifie. Mon regard retourne ensuite dans le sien. Je ne la sens pas agressive, mais je n’ai pas envie qu’elle sorte à nouveau les crocs. À sa réflexion, j’ai le réflexe de tourner le crâne vers le dossier sur mon bureau. Nouvellement arrivé dans cette clinique, je ne maîtrise pas encore parfaitement les formulaires utilisés sur place, mais tel qu’il me le semblait, il n’y a qu’une case pour le genre, après celles du nom et du prénom. Puis ce sont les informations de contact, suivi des technicalités. Je ne me sens rien à prouver, ni même l’intérêt de perdre mon temps pour des contradictions hasardeuses. Si l’exemple que j’ai pu donné était fortuit, ce n’est qu’un hasard, potentiellement doublé de préjugés inconscients. Je préfère encore avoir jeté une pierre dans la mauvaise mare que de n’avoir tiré une flèche trop près de la cible.

Nous poursuivons la conversation et, lorsque la patiente me partage son impression d’avoir été sauvée par la morsure, je hoche sombrement de la tête. Elle a certainement raison. Ce n’est pas pour rien que son dossier la traite de miraculée. Cependant, ce genre de choses attire l’attention des chasseurs, et c’est pourquoi ma meute – ex-meute – a toujours tenu à rester discrète. Tout comme nous avions une politique sévère concernant les morsures. Cela n’a pas empêché le drame de frapper à notre porte pour autant. Je reste perplexe sur la façon dont la survivante continue de défendre l’alpha qui a changé sa vie. Mon opinion est ferme, moulée par trois décennies d’une éducation sans équivoque : il était de son devoir, suite à la morsure, de faire tout ce qui était humainement possible, et pas que ce qui était raisonnable, pour retrouver sa bêta. Comme ce fut le cas pour feu mon père. Les électrons libres sont la pire malédiction qui puisse tomber sur le territoire d’un loup. Lorsque l’attention de la femme revient sur moi, et qu’elle me relance la question, je prends une seconde pour l’observer, et réfléchir à ma porte de sortie. Je n’ai pas envie de déballer ma vie, et je ne suis pas suffisamment sot pour lui mentir en pleine face. Sa façon de parler, d’interroger, d’intervenir me confirme qu’elle n’est pas médecin, et probablement pas scientifique non plus, au sens classique du terme : sciences naturelles, sciences appliquées ou sciences de la santé. Elle démontre quelque chose de plus… intrusif.

« J’ai été chassé suite à la mort de mon ancien alpha. Un désaccord avec son remplaçant. »

C’est strictement vrai. Le fait que j’aurais dû être le remplaçant en question, ou que ce soit mon ex-frère qui ait pris la place, ou que je sois en cause de ce trépas est hors de propos.

« Ma meute a quitté l’état de Washington suite au décès de ma mère. Je n’en ai aucun souvenir, hormis des photographies que l’on m’a montré. Nous nous sommes installés à San Francisco, que je n’ai quitté que récemment. »

Le poids de tout ce qui m’a été pris et est resté derrière est lourd. Je grimace légèrement en songeant aux potes auxquels je n’ai pu expliqué la véritable raison de mon exil dans un village de campagne, ainsi qu’à Rosa et Remy. À la différence d’Evelyn, pour qui devenir oméga est presque un cadeau en lui donnant une seconde chance de vivre, ce passage est pour moi un traumatisme en ce sens où il a été subit, voir brutal, et suite auquel j’ai dû modifier profondément la vaste majorité des aspects de ma vie, sans avoir le droit d’espérer revenir un jour à la case précédente. Mon regard se pose sur la montre à mon poignet.

« Il ne nous reste plus beaucoup de temps. La réception pourra prendre votre prochain rendez-vous. Quant à moi, je peux vous offrir de prolonger notre discussion, ou vous proposer des exercices pour soulager l’inconfort à votre abdomen. Qu’en dites-vous? »

Mon travail est de m’ajuster aux besoins de mes clients, après tout. Quelques instants plus tard, j'accompagne madame Lair au bureau d'accueil et, après un rapide échange d'information avec les collègues qui s'y trouvent, je souhaite au revoir à ma patiente et retourne à mes dossiers. Terminer celui-ci, et préparer le prochain. Je suis large : il me reste huit minutes.

code by lizzou