Le jet d'eau brûlant délivré par le pommeau de douche fait se délasser les muscles tendus de son dos. Mains couvertes de shampoing, il se frictionne les cheveux avec énergie. Faire le vide, oublier le superflu pour réussir à analyser les découvertes qu'il vient de faire récemment. Il ne peut décemment pas en parler à ses enfants, cela créerait de la panique, ou peut être une jubilation un poil malsaine de la part de Troy. Le flic grimace quand le shampoing commence à entrer dans ses yeux, passe une de ses mains sur son visage pour enlever le surplus de produit, sans se rendre compte qu'il vient d'empirer la situation. Un juron lui échappe, mais c'est la porte de la salle de bain qui s'ouvre en fracas qui le fait hurler.

-DEHORS !

La porte se referme, le canadien vient de plaquer ses mains sur son abdomen, tente de dissimuler les balafres qui ne sont plus que des cicatrices en cours de guérison. Il gémit, trop brusque dans ses gestes. Pas assez habitué à devoir faire attention. La porte de la douche s'ouvre, il a le réflexe d'attraper le pommeau de douche pour mettre un coup de jet sur l'intrus. Troy crie, sa voix tremble alors que son père lui tourne le dos pour lui cacher ses cicatrices.

-J'ai dit quoi sur l'intimité ? On frappe avant d'entrer ! C'est si compliqué que ça à comprendre ? Osti ! T'as quel âge Troy ?

Seul réaction du môme, il pleure plus fort. Dick coule un regard sur sa progéniture, se sentant coupable de s'être emporté de la sorte alors qu'auparavant il n'aurait jamais haussé le ton pour une simple intrusion dans la salle de bain. Enfin pas à ce point. Son expression change complètement quand face à lui deux yeux vert surpris et baignés de larmes le fixent.

-Papa. Je vais mourir... Parce que j'ai mangé une bille !

Les sanglots reprennent sans tarder à peine l'explication donnée. Dick fixe son fils, horrifié, balbutie quelques mots.

-Mais qu'il est con ce gosse...

Seule réponse face à cette affirmation, le gamin chouine, pleurniche sur sa bille préférée qu'il vient de perdre pour toujours. Déblatère à propos d'un possible arbre à bille qui va lui pousser dans le ventre et le tuer à petit feu. Tout ce drame démontre une chose au canadien : Le gamin ne s'étouffe pas. Sinon il ne causerait pas autant. Il repousse son fils hors de la douche, donne des ordres en rapport avec le fait de mettre des vêtements secs. Rassurant le marmot. Sa bille il va la retrouver, d'une façon ou d'une autre, mais ce n'est pas certain qu'il ait encore envie de jouer avec après cette aventure.

Le flic termine sa douche, inspire profondément. Pour l'instant de calme et de relaxation, c'est foutu. C'était assez idyllique d'y croire, mais il aurait aimé avoir cinq petites minutes pour se vider la tête.

[...]

Pas de musique dans la voiture cette fois. Richard surveille son fils à travers le rétroviseur intérieur quand l'occasion se présente. Sur le siège passager avant, Joanie a le nez plongé dans un bouquin. Frankenstein ou le Prométhée moderne. Elle a dit que c'était pour un cours, son père a jeté un œil au livre avant de se décourager face à l'absence d'images. En tout cas l'adolescente à l'air d'apprécier, elle est devenue encore moins sociale qu'à l’accoutumée depuis qu'elle a commencé sa lecture.

Le canadien profite de devoir s'arrêter à un feu rouge pour poser la première question qui lui est passée par la tête lorsque son gamin lui a avoué avoir mangé une bille en guise de goûter.

-Troy. Pourquoi t'as becté une bille ?

Il sent la réponse foireuse arriver. Peut être de la curiosité scientifique, la même qui avait valut à leur défunt hamster de finir sa vie aspiré, puis broyé par la puissance de l'aspirateur. Le gamin répond, soudainement tout rouge, un sourire fier faisant son apparition sur ses traits enfantins.

-Ma copine Lauren. Elle m'a dit que je pourrais toucher ses seins si je mangeais une bille.
-Lauren a ton âge. Elle a pas de seins.

Dick sourit, puis rit. Joanie qui vient de couper sa lecture s'offusque d'un tel comportement de la part de son paternel. Celui qui a été proche de faire éclater comme une courge la tête d'un de ses camarades d'école tout ça parce qu'il avait le malheur d'être avec elle dans sa chambre, à présent s'amuse des exploits foireux de son petit pervers de fils.

[...]

Urgences rime avec patience. C'est logique puisqu'il faut être armé de la seconde pour supporter l'endroit en question. Dick a bien tenté de frauder, a été demander aux admissions si Madison Shepherd était présente. La vieille bique derrière son comptoir s'est contentée de le fusiller du regard, lui expliquant que les traitements de faveur ce n'était pas le genre de la maison. Puis a finalement avoué que la tante de Will n'était pas en service.

La même femme à mine revancharde s'est offusquée devant la raison de la présence de la famille Turner à l’hôpital. Richard sait qu'il a été catalogué comme mauvais père au moment même où il a expliqué la bêtise de son fils. Trois demandes après la maman des enfants plus tard, il a pu rejoindre un siège en plastique inconfortable. On leur a promit qu'ils seraient vus rapidement par un membre du personnel soignant. L'heure indique que cela fait presque deux heures qu'ils attendent. Troy en est à son cinquième sachet de bonbons, Jo est partie chercher du café. La patience du flic commence doucement mais sûrement à s’effriter alors que près de lui, son fils tourne les pages d'un magazine féminin bien trop bruyamment pour que tout cela soit innocent.

Quand sa fille refait surface, gobelets en carton entre les main, le père de famille se jette sur la caféine, en boit une gorgée avant de de tout recracher.

Du thé. Trop sucré qui vient de s'échouer sur le pantalon de l'homme en blouse blanche qui vient de se poster face à eux. Il s'est trompé de gobelet. Langue brûlée par la boisson infâme, le flic halète quelques secondes devant l'homme aux cheveux noirs qui le fixe comme s'il était un étrange animal.

La langue toujours brûlée, la bouche envahie par ce goût infect de la boisson qu'il vient d'ingurgiter par mégarde, Dick fixe le docteur qui s'éloigne en quête de vêtements propres. Il se sent subitement très con. Une longue attente qui au lieu de toucher à sa fin ne fait que grandir un peu plus. Près de lui une bulle de chewing-gum éclate. Il redresse la tête quand la langue de Jo se fait assassine.

-Cracher sur le docteur. La honte qu'on est en train de se payer à cause de toi...

Le père de famille ne pipe mot, vide son gobelet de café avant de se redresser quand le docteur fraîchement changé revient vers eux. Dick soulève son fils, le prend dans ses bras alors que ce dernier est en train de vider son dernier paquet de Nerds. Soit disant nécessaire pour oublier le goût de la bille qu'il a mangé plus tôt dans l'après midi. Le canadien colle son gobelet dans les mains de sa fille, et il faut bien l'avouer il est satisfait lorsque les dernières gouttes du liquide noirâtre s'échouent sur le haut aux teintes pastels de la gamine. Il lui tire la langue puis se présente à l'homme en blouse blanche qui les mène vers la salle de consultation.

-Bonjour, Richard Turner. Et c'est Troy notre avaleur de billes. Joanie active toi.

La rouquine est à la traîne, son bouquin dans une main, elle jette les détritus à la poubelle puis entre avec le reste de la joyeuse troupe dans la salle de consultation. L'adolescente se laisse happer par la première chaise qui lui tombe sous les fesses, le nez à nouveau plongé dans son pavé littéraire. On touche le niveau zéro des interactions sociales, heureusement le petit semble se porter volontaire pour jouer les bavards. Il attrape la main du docteur, la serre, avant de commencer à initier une tentative de check.

-J'm'apelle Troy. Ma copine Lauren m'a promis... Un truc génial si je mangeais une bille. Alors je l'ai fait.

Le flic est soudainement soulagé. Son fils un peu trop vif a visiblement pensé que parler de la poitrine de sa copine de classe n'était pas une bonne idée. Le gosse continue à déblatérer dans le vide sur son jouet, demandant à le récupérer. Le docteur se tourne vers Dick, confirme ses intentions vis à vis du gamin avant de rappeler au père de famille l'épisode du crachat. Le canadien pique un fard magistral, ses joues prennent feu alors qu'il bredouille des excuses, ses yeux chocolats fixant soudainement ses chaussures qui n'ont jamais été aussi intéressantes qu'en cet instant. Tout ça c'est de la faute de Joanie et de cette tasse de thé. Heureusement la voix guillerette de Troy ne tarde pas à se faire entendre à nouveau, sauvant son paternel par la même occasion. Le gamin est grimpé sur la table d'examen, balance ses jambes en cadence pour les faire cogner dans les barres métalliques qui servent de support au meuble. Mélodie aussi entêtante qu’agaçante.

-C'est quoi une radio Papa ? C'est comme pour ton boulot ? Vous savez docteur, mon papa il est policier. Il met des amendes aux gens qui se garent comme des p*tes. Et les violeurs en prison. Pareil que pour les tueurs.
-Poétique Troy. Vraiment.
-J'suis protétique si j'veux Jo ! Moi au moins j'me met pas du plâtre sur le visage pour cacher mes verrues.

Le docteur semble choqué. Dick lui sourit, aimable, fait un petit geste de la main pour lui faire comprendre que non. Il ne doit pas s'inquiéter. Ce charmant fond sonore, le canadien le connait bien. Il vit dedans quotidiennement. Les mots se font pourtant moins tendres, plus injurieux et c'est ce qui décide Richard à faire valoir sa loi.

-ON SURVEILLE SON LANGAGE OU JE COUPE LE WIFI EN RENTRANT.

Il n'a pas besoin d'attendre longtemps. Quelques secondes plus tard, le calme signe déjà son grand retour. Joanie les joues rougies de colère foudroie son père du regard, se croyant bien planquée derrière son bouquin. Troy a cessé de remuer, renifle longuement. Fixant sa sœur avec hargne.

-Troy à l'hôpital, une radio c'est comme une photo de l'intérieur de ton corps.

Une mouche vole près des fenêtres. On l'entend vivre sa vie tellement la salle est calme. Puis le flic voit son fils se redresser, sourire jusqu'aux oreilles.

-C'est trop cool ! Si j'ai une photo, Lauren sera obligée de me croire et je vais pouvoir toucher ses seins.
-Dégueu.

Un ange passe. Ou démon plutôt. C'est un nouveau round qui débute sans attendre. Dick soupire, se penche vers le médecin.

-C'est leur état normal je vous rassure. Il y a beaucoup d'attente pour la radio ? Vous pourriez pas juste lui filer un truc qui lui fera ... évacuer sa bille ? C'est que ça fait deux bonnes heures qu'on est ici, et je pense que ça aide un peu à les énerver.

Manquerait plus que le médicament magique ait un petit côté soporifique pour rendre la journée du flic parfaite. Ce qu'il veut c'est rentrer au plus vite chez lui, faire le repas du soir et coucher les petits. Pour se mettre en communion complète avec sa télévision et une bonne bière.

Pas de médocs pour Troy. Passage par la radio obligatoire pour les Turner et le docteur qui ne semble pas troublé par la cacophonie semée par les enfants partout où ces derniers passent. À l’extérieur de la pièce réservée à l'imagerie médicale, Dick attend, Joanie a délaissé son livre pour son téléphone. Elle reçoit des messages en rafale si son père se fie aux bips qui s'enchaînent, preuve d'une activité démesurée de son application de messagerie. Le flic tend le cou, joue les espions, a le temps de voir des gifs défiler, des envois à l'innocence douteuse. Il se fige quand il repère le destinataire.

Therence. Sur ce coup le canadien n'a pas eu le temps de discuter avec sa fille à propos des activités nocturnes du voyou en herbe. Il ignore si le bandit a parlé à la rousse de ses dernières frasques en date. Vu que Jo n'est pas venue l'incendier pour avoir coffré un de ses copains, le père de famille opte pour le fait que cette donnée soit toujours inconnue par sa progéniture. Il se mord les lèvres, puis retrouve une expression neutre, digne d'un grand acteur quand deux yeux verts croisent les siens. Et qu'un pied lui cogne dans le mollet.

-Qu'est ce que tu mattes ?
-J'suis ton père. J'ai un droit de regard sur les crétins que tu fréquentes. Surtout ceux avec un casier.

Il pique le téléphone de sa fille, le coince dans une de ses poches de jean. La rouquine braille à propos d'un abus de pouvoir, il ne répond rien, se précipite à la rencontre de ce Douglas qui gère leur cas quand ce dernier sort de la pièce où le môme est toujours. Le canadien sourit, en oublie presque sa fille dont la langue de vipère crache de vilains propos à son encontre. Troy et l'immobilité c'est en effet une équation qui semble foireuse avant même d'être mise en oeuvre. Sans compter le fait que le petit risque d'être surexcité plus qu'effrayé dans cet endroit qu'il ne connait pas, avec une grosse machine censée lui donner la preuve de sa capacité à foncer tête baissée dans les bêtises. La promesse de la récupération d'une preuve de son forfait à montrer à sa copine l'aidera peut être à trouver le calme nécessaire pour laisser les employés de l'hôpital faire leur travail.

[...]

Un duplicata de sa radio entre les mains, Troy fier comme Artaban montre à une infirmière qu'il a alpagué dans les couloirs la bille, enfin la petite tache qui prouve la présence de cet objet indésirable dans l'organisme du gamin. La demoiselle, trop charmante pour envoyer un enfant sur les roses, lui recommande fortement de ne plus faire cette bêtise, retient un rire quand le Don Juan en herbe lui donne les raisons de cet exploit des plus discutables.

Dick serre la main du docteur, lui promet de revenir au cas où la bille n'aurait pas daigné refaire une apparition dans les 48 heures à venir. Mains pleines de sucettes dont Douglas lui a fait don, promettant un effet laxatif en cas de surconsommation, le père de famille ne bronche pas, même quand près de lui son aînée ronchonne à propos de sa vie sociale à présent morte et enterrée.

Le père a supprimé Therence des amis de sa fille sur les réseaux sociaux, lui expliquant en quelques messages brefs que sa présence n'était plus désirée chez eux jusqu'à nouvel ordre. Trop proche d'Amaro qui a banqué dans les plus brefs délais pour libérer le gamin. Trop proche d'ennuis que le canadien ne veut plus voir dans son entourage. C'est une décision stricte et sans appel. Qui lui vaut déjà les foudres de Joanie.

-Au revoir docteur. Merci pour votre patience. Vraiment. Merci. Et pour les sucettes aussi.

Le père de famille brandit les sucreries pour appuyer ses dires.

-Troy vient manger une sucette mon grand.

Le gamin court vers son père, délaisse l'infirmière qui prend congé sans attendre. Le petit saute pour attraper une des friandises. Avec l'énergie d'un môme qui n'a le droit qu'à une quantité limitée de sucreries en temps normal. Bonbon à peine déballé et déjà en bouche, le môme se poste devant le docteur. Attend. Quand l'urgentiste tend son poing serré pour un salut avec le petit, ce dernier rétorque.

-Non c'est un bisou que je vais te faire. Parce que t'as été super cool.

Le docteur semble un peu surpris par cette demande, puis finit par se baisser pour laisser Troy coller ses lèvres poisseuses de sucre sur sa joue. C'est tout sourire que le gosse se rapproche de son père, attrape la main de celui-ci dans la sienne avant de lâcher un grand.

-À plus Douglas !
-Au revoir docteur. Et encore merci. Je passerais prévenir le secrétariat quand on aura... récupéré la bille.

Dick serre la main du professionnel de la santé, Joanie grommelle un au revoir du bout des lèvres, impossible à dérider depuis la confiscation de son portable. 

[...]

-J'te hais.
-Moi aussi je t'aime.

Imperturbable le flic trempe sa tartine couverte de beurre et de confiture d'abricot dans son bol de café alors que sa fille le fusille du regard. Leur relation a prit un nouveau tournant depuis que Richard lui a rendu son téléphone. Internet retiré du forfait téléphonique, le répertoire vidé de tout ce que le flic a pu à un moment ou un autre considérer comme des contacts indésirables.

Le flic mâche son morceau de pain détrempé sans conviction, sa seconde main partie gratter ce qui le démangeait de bon matin. La porte de la chambre de l'adolechiante claque, nouveau cri de rage en guise de bande son. Et c'est Troy qui débarque de nul part en hurlant sa joie. Main tendue qui finit ouverte sous les yeux de son paternel qui retient avec difficulté ce qu'il vient d'avaler. 

-P'pa ! Ça a fait "Floc Plouf Bang". Et voilà ma bille ! Regarde. Faut le dire à Douglas ! Il va être super content ! Faut envoyer une photo à Tama aussi !