Our Broken Family (ft. Ruby, Derek & Co)

Our Broken Family

appel de Mafdet ne pouvait être que de mauvais augure. Notre druide n’appelle jamais, ou du moins jamais pour un truc heureux. D’ailleurs, elle en met du temps à entrer, cela fait bien cinq minutes qu’elle a coupé le moteur de sa moto. Même Ian a deviné que c’est elle qui est arrivée.  Je sors voir ce qu’elle fabrique. Elle est toujours assise sur la selle de sa moto, comme prête à repartir. Mon cœur se sert. Est-ce si terrible ce qu’elle a à dire ?

Ruby patiente assise sur un sofa. Son visage est fermé, elle, si souriante dans le passé, si généreuse de tendresse débordante, affiche une froideur que je ne lui ai jamais connue. Quand Mafdet passe la porte, la féline fait presque un détour pour aller se poster vers la cheminée. Elle n’est pas facilement impressionnable, mais son attitude montre qu’elle craint la réaction de Ruby.

- J’ai trouvé l’origine du problème de Ruby.

Je la regarde avec espoir. Elle a trouvé ! J’imagine que le remède va être désagréable, d’où son attitude sinistre, mais qu’importe le prix si cela peut sauver Ruby de cette folie violente où elle s’enferme jour après jour.

Mais elle ruine mes espoirs en quelques mots. Ruby doit retourner dans son monde sinon elle mourra. Ian s’agite, il se prend de plein fouet nos tensions. Ruby n’est pas en état de calmer son fils, je l’attrape et le serre contre mon torse. Je regarde Ruby, la tristesse dégouline de mon regard. Elle est plus que mon alpha, elle est une amie de longue date, presque une sœur. Chad et Mick arrivent à leur tour. Mafdet leur annonce les faits avec la même rudesse. Je souffle par le nez. Elle pourrait y mettre les formes. Je n’arrive pas à comprendre cette femme. C’est une druide performante, une alliée de poids, mais à part Ian qui semble lui arracher quelques sourires sincères, elle ne nous a jamais montré une affection débordante. À Mick peut-être qu’elle a aidé. Enfin arrive Peter. Je redoute le pire. Il hurle, refuse, gronde, la féline se fait plus bestiale et rugit à son tour.

Vérité est dite. Chacun a réagi, Chad, Mick, Peter. Nous sommes deux à ne rien dire, Ruby et moi. Ruby a simplement murmuré un merci aux promesses de Mick. Que dire face à l’inévitable, au départ définitif qui sonne comme une mort ? Ils réfléchissent tous, extrapolant l’avenir, se disant si une telle faille a existé entre notre monde et celui de Ruby, il doit être possible de la recréer. Mais le savoir de Mafdet semble dire qu’une telle ouverture est néfaste pour nos deux mondes. J’offre mon soutien à Ruby par ce que j’exprime par mon regard. Elle me connaît, je ne suis pas un bavard et plutôt taiseux de nature.


Décision est prise de ne pas attendre. Ruby regagnera son monde demain soir. Elle passe ses derniers instants avec Ian et Peter. Seul sur la terrasse j’écoute la nuit en buvant un thé noir fortement infusé. Je suis inquiet pour la meute. Peter est fragile, Ruby était son gouvernail et Ian est trop jeune pour prendre le relais. Qu’allons-nous devenir sans alpha ? Trois omégas en dérive ? Je partageais le rang de bêta de tête avec Chad, mais uniquement grâce à mon lien de parenté avec Ruby. Chad est son premier bêta. Je crains qu’il n’ait aucune influence sur Peter. Oui, l’avenir m’apparaît bien sombre. Je monte dans ma chambre, la nuit sera courte.


Nous y sommes. L’endroit est singulier, une roche plate fait comme un autel. La sensation m’est familière, car je suis déjà allé dans le monde de Ruby. J’étais enfant à l’époque. Je ne sais toujours pas quoi lui dire quand elle se tourne vers moi pour l’ultime adieu. Les mots me semblent vains pour exprimer toute ma peine, tous les regrets de ce que nous ne vivrons pas ensemble.

- Prends soin de toi, nous, nous veillerons les uns sur les autres.

Ruby doit sentir mes doutes, elle me sourit doucement. Je retrouve celle que je connaissais. Elle m’embrasse avec douceur, ses lèvres se posant à moitié sur ma joue et le coin de mes lèvres. Je serre les dents pour ne pas laisser l’émotion noyer mes yeux. Elle s’est souvenue du flirt que nous avions eu adolescent. Son aura m’irradie. Je m’imprègne avec avidité de cette douce sensation de chaleur, de paix et de sécurité.

Je me tiens raide aux côtés de Peter quand elle nous tourne le dos et s’avance vers la faille. Ma main serre l’épaule de Peter. Je ne sais pas si c’est lui que je soutiens ou moi. Puis Ruby disparaît comme si elle n’avait jamais existé dans ce monde. La vie se montre bien cruelle.

- Je sens encore sa présence, c’est presque imperceptible, murmure Peter.

Je croise le regard de Chad qui s’écarquille. Il ouvre la bouche, mais se ravise. Moi aussi je sens sa présence, mais c’est loin d’être imperceptible, c’est fort, puissant et irradie depuis mon cœur. Mafdet qui s’était éloignée se retourne un bref instant. Le regard perdu, je croise le sien vert émeraude qui scintille dans son pelage noir. Elle feule et reprend son chemin. À quelques mètres de moi, faisant face à ce qui va devenir l’autel de Ruby, Peter demande à Ian s’il sent encore sa maman comme lui la perçoit. Le bambin regarde par-dessus l’épaule de son père et se tourne vers moi. Je ferme les paupières sur mes prunelles que je sais être devenues couleur Ruby.


Comment annoncer à mon oncle que j’ai hérité du rang d’alpha de la meute, comme ma sœur avant quand notre mère était morte ? Comment allait-il encaisser ce qu’il avait déjà pris pour un affront ? D’autant qu’il pense sentir l’aura de Ruby, alors que c’est la mienne qui irradie d’une puissance que j’ai déjà connue.

Arrivés au manoir, Chad me questionne d’un regard. Je bride mon aura au maximum. Il comprend que l’on ne va pas annoncer tout de suite à Peter la nouvelle configuration de la meute. Il a déjà assez à encaisser. Chad et Mick partent sans s’attarder.

Peter tergiverse devant la porte, il vacille. C’est trop difficile. Je récupère Ian et regarde mon oncle s’éloigner. C’est mieux ainsi, là il n’est pas état de recevoir un nouveau choc. Je n’ai aucune idée de comment il va réagir. Sa sœur, sa nièce et maintenant son neveu. Le rang d’alpha suit la même logique depuis le début. Je sais que je ne pourrais pas lui cacher longtemps la couleur de mes prunelles. L’avenir est loin d’être serein.