Un cadeau venu de loin [Feat Alessandro Amaro et Tobias Rapier]

Il rejoint sa voiture, bien heureux de quitter cet endroit sinistre où il a passé quelques semaines de sa vie. Le bureau du psychologue qui s'occupe de lui depuis qu'il a mit les pieds dans ce lieu pour la première fois, ses sourires doucereux et faussement avenants quand il tente de lui expliquer ce qu'il s'est passé de nouveau depuis sa dernière visite. Rien n'a le don de l'énerver à ce point. Exception faite de la jeune Anderson.

Soixante longues minutes pour lui parler de seulement trois petites journées ou il a principalement travaillé. Temps bien trop long si on le compare à ce qu'il est prêt a raconter. Les froncements de sourcils de l'homme à chaque fois qu'il fait mention de Wesley où de ses visites plus ou moins rapprochées au bar. Cela ne donne qu'une envie à Tobias, fuir cet endroit pour ne plus y revenir. Mais faire une chose pareille reviendrait à signer pour de nouvelles vacances forcées dans l'asile, ce qui est hors de question. Donc il joue le jeu avec un talent digne d'un tragédien.

Contact mis en route, il se dirige vers la pharmacie la plus proche, son ordonnance sur le siège passager.

Cet arrêt rapide effectué il se sent déjà un peu mieux. Les boîtes de pilules entre les mains, il reprend sa place, maugréant entre ses dents quand son téléphone vibre. Il l'attrape, déverrouille l'objet d'un geste sec avant de froncer les sourcils face au texto de son ami.

"Ta journée a été bonne ?"

Il répond rapidement, excédé par cette question sans sens, surtout de la part de Lewis qui connaît son emploi du temps presque aussi bien que lui même.

"Je sors de chez le psy. J'ai passé la journée avec des idiots à peine pubères. Je suis en train d'acheter de la mort aux rats pour assaisonner le repas de ce soir. Et ensuite je visionnerais la mélodie du bonheur en me servant de ton cadavre comme tapis."

Il éteint son téléphone pour le ranger dans la boite à gant de sa voiture avant de mettre la musique, poussant le volume à la limite du tolérable. Une cigarette glisse de son paquet à ses lèvres, il l'allume d'un geste sec avant de se diriger vers un endroit ou il sait que ses soucis vont s'évanouir. Et cela grâce à quelques verres d'alcool ou les nouveaux ragots que lui racontera Alessandro.

La berline traverse la ville, un regard vers la librairie tenue par son blond favori lui apprend que cette dernière est fermée. Il pousse un soupir à se fendre l'âme en se souvenant que le matin même ce dernier lui a apprit qu'il devait fermer pour aller récupérer une livraison dans une ville voisine. Son automobile garée non loin du Pink, il en sort, ses pas le traînant vers le bar alors qu'il termine sa cigarette, la jetant au loin quand cette dernière menace de lui brûler les lèvres. Tête baissée, il entre, levant seulement les yeux vers le bar pour saluer ceux qui pourraient se trouver derrière ce dernier.

Il se fige en apercevant une masse de cheveux bouclés sombres entourés d'une horreur rouge. Il recule, reconnaissant la propriétaire de ses attributs quand cette dernière se tourne vers lui. Trahi par son ami, il imagine mille souffrances qu'il pourrait faire subir à ce dernier pour l'affront qu'il vient de lui faire alors que dans son cerveau des lumières rouges viennent de s’enclencher, le mot "DANGER" clignotant de façon agressive. Il ouvre la bouche, laissant le fond de sa pensée s'exprimer, oubliant la petite femme qui se dirige vers lui. Souriante, un peu trop même.

-Tu as laissé le diable entrer dans ton bar...

Sans qu'il ne comprenne ce qu'il vient de se passer, une main accroche sa veste, le force à se baisser et un autre appendice vient heurter l'arrière de son crâne avec force. Puis la femme se colle à lui alors qu'il étouffe un grognement de douleur.

Sa sœur s'accroche à lui, exprimant tout son mécontentement face à l’appellation charmante dont elle vient d'être l'objet tandis qu'il se fige, serré entre les bras de cette dernière. Il soupire face au refus de la brune lorsqu'il tente une nouvelle fois de l'éloigner. Il désigne la femme d'un geste du menton avant de grimacer en direction du loup. Un appel au secours qui semble totalement vain s'il se fie au sourire amusé que ce dernier affiche.

-Alessandro je te présente Jasmine, troisième progéniture de nos parents. Ils ont mit pas mal de temps à réussir un prototype valable.

Coup de pied dans son tibia, une nouvelle grimace lui échappe alors qu'il sourit à sa sœur, rictus plus qu'autre chose.

-Maman a choisi ce nom, le fait que ce soit celui d'une fille de joie ne rend mon plaisir que plus grand. C'est elle qui t'envoie ?

Leur mère serait tout à fait capable de faire une chose pareille, envoyer sa fille pour surveiller son fils. Incapable de faire un aussi long trajet, cette dernière est même sûrement la personne qui est derrière tout ça. D'une main plus ferme il finit par repousser sa sœur, manquant de la faire trébucher par la même occasion avant de s'approcher du bar, grimpant sur son tabouret habituel avant de faire signe à Alessandro que ne se départi pas de son expression hilare. Il tend la main, attrape la pinte située non loin de lui, sachant qui en est la propriétaire avant de la soulager d'une partie de son contenu.

Jasmine récupère son bien sans attendre que celui ne reprenne sa place sur le bar. Leurs regards se croisent, il hausse un sourcil l'intimant à livrer le fond de sa pensée. Il aurait pu s'en passer, car dès que sa sœur le fait, elle s'en sert pour parler d'un temps trop lointain pour qu'il parvienne encore à se trouver des similitudes avec le jeune homme qu'il était à l'époque. Il garde la bouche scellée, se passant de faire un commentaire face à la réaction de surprise de son ami. Son visage se ferme soudainement quand il entend la petite anecdote qu'offre sa sœur à Alessandro.

Il ferme les yeux sous le choc, cherchant à avaler sa salive malgré la boule qui vient de prendre place dans sa gorge. Contre son flanc son arme le démange, le fait que ce soit sa sœur qui vient de parler de sa femme est la seule chose qui sauve la vie à l'imprudente. Une petite voix persifle dans sa tête, lui disant qu'il aurait aussi évité de faire un tel carnage en public. Il se tend en sentant sa voisine se pencher vers lui, tournant le dos à celle qui vient de lui offrir un voyage malvenu dans ses souvenirs. Ses mains parcourues de tremblements se referment autour de la pinte qu'Alessandro vient de poser devant lui. Il le remercie d'un pincement de lèvres plus avenant que les autres avant de courber l'échine pour fixer l'épaisse mousse qui couvre sa bière.

Du bout de deux de ses doigts, il caresse son alliance le regard morose. Une oreille distraite écoute la leçon de savoir vivre que son ami tente de faire à sa sœur. Même avec toute la douceur du monde il y a peu de chances pour que cela fasse naître un vrai changement chez la teigne qui lui sert de sœur, il faut se faire une raison. Alessandro parle beaucoup, et pour une fois c'est un trait qui se révèle plus qu’appréciable dans sa personnalité. Jasmine aime bien, cesse de parler de sujets pouvant devenir fâcheux pour finalement attaquer les futilités, parlant de ses dessins et de sa dernière aventure sentimentale. Moqueur malgré lui, Tobias sent ses lèvres se fendre d'un sourire amusé. Il connaît la petite histoire, sa sœur lui ayant raconté au téléphone lors de leurs premiers appels, quand est venue la grande question des histoires sentimentales. Jasmine l'avait prise au mot, lui envoyant des vidéos dignes de modes d'emplois bien plus performants que ceux fournis avec des meubles suédois.

Moment gênant quand Lewis a failli le surprendre. Instant qui est même devenu mémorable quand le rossignol s'est mit à le charrier sur son odeur. Mentalement il achève de faire le lien entre la présence de Jasmine et son colocataire. Sa mère a son adresse, il l'a bien comprit quand on commencé à arriver les premiers colis de biscuits et de confiseries traditionnelles britanniques. Il ignore qui il doit accuser pour ce méfait, ses soupçons passant de son colocataire à son psy. Et il en est même venu à remercier cette personne quand le soir il grignote les bonbons de son enfance en corrigeant ses copies.

Mais une chose est certaine, seul Lewis peut être le traître dans le débarquement de Jasmine en Californie. Il est un fourbe digne de faire parti des plus grands. Tel un Pétain, il est allé voir la femelle pour collaborer avec lui.

Il boit une longue gorgée de sa bière, sa fraîcheur alors qu'elle passe dans sa gorge achevant de lui faire retrouver sa contenance habituelle.

-Tu as dit à Lewis que tu avalais l'âme et la joie de vivre des gens juste en apparaissant ?  En tout cas j'espère bien que tu as prit un hôtel pour tes petites vacances, hors de question que le salon se transforme en pension pour vieilles filles.

Nouvelle gorgée, il sort son portable, le rallume avant d'ouvrir la discussion qu'il a avec son colocataire. Il survole du regard ses derniers messages, leur courtoisie devenant un peu plus subtile à chaque fois. Ses doigts bougent sur le clavier, rectifiant le correcteur quand ce dernier souhaite inventer un nouveau mot.

"Je vais aussi aller acheter un cercueil pour piaf."

Il met l'objet en sourdine, le pose sur le bar avant de fixer Alessandro. Son sourire devenant mauvais.

-Le bar sans ton chanteur... Ça va être dur ?

Il fronce les sourcils en entendant le nouveau surnom de son colocataire, en tout cas celui douteux que sa sœur lui octroie. Mais il n'a pas le temps de se moquer car la sentence tombe de la bouche de Jasmine alors qu'elle lui apprend qu'elle n'est pas venue pour de simples petites vacances mais pour lui gâcher la vie à temps complet. Son visage perd quelques couleurs. Sa tranquillité prend fin. Et avec ce détail le risque que la chose bouclée apprenne ce qu'il est devenu au fil des années prend de l'ampleur.

L'effroi ne dure pas, et bien vite Jasmine a le don de le mettre hors de lui, ressortant de vieilles histoires, l’impliquant lui courant dans le jardin nu pour éviter la douche. Heureusement elle évite les détails, mais est ce vraiment une bonne chose maintenant que le doute est installé. Il la fusille du regard, boit une nouvelle gorgée de la brune qui repose dans sa choppe, déglutissant avec difficulté quand cette dernière passe dans sa gorge. Un silence s'installe, uniquement meublé par les sourires amusés de son ami et de la traîtresse. Boudeur, il baisse les yeux vers sa choppe avant de la reprendre pour l'alléger d'une nouvelle gorgée, tentant ainsi de s'occuper les mains pour ne pas envoyer des objets divers et variés à la tête des deux autres. Il entend le son du tabouret ployer sous le poids de sa sœur, et tourne la tête pour la voir lâcher une bise sur la joue de l'italien alors qu'elle annonce son départ. Il bougonne un peu pour la forme lorsqu'elle parle à nouveau de leur mère avant de lâcher quelques mots sur un ton moqueur suite à la galanterie d'Alessandro.

-Et dérangeante comme les chardons dans le fond d'un jardin.

Elle s'approche de lui sans commenter cette pique qu'elle n'a peut être pas entendu avant de le serrer contre elle. Il se tend par réflexe face à ce contact qu'il peut difficilement refuser au vu de l'identité  de son instigatrice.

-Je vais te trancher la langue si tu ne la fermes pas.

Aussi utile que des mots lancés au quatre vents, la seule réaction réelle de Jasmine face à cette menace qu'il ne s'imagine même pas mettre un jour à exécution, sont ses lèvres qui se posent sur son front. Son parfum n'a pas changé depuis toutes ces années, et soudain quinze ans sans la voir lui semblent avoir été de la folie pure. Pourtant ils n'étaient pas si proches que ça par le passé, ses points communs il les partageait avec Eilen, pas avec Jaz. Elle s'en va, récoltant quelques regards sur son passage, des clients qui doivent se demander d'où peut bien venir cette étrange créature qui semble avoir un sens limité des convenances.

Alessandro ne perd pas de temps à donner son avis sur la terreur déguisée en chaperon rouge qui est déjà repartie bien loin, Tobias se contente d'hausser les épaules en l'entendant. Femme n'est pas le terme qu'il aurait choisit de son plein gré si on lui avait demandé de donner son avis sur sa sœur. Mais le rythme de son cœur s'allège lorsque son ami lui dit que les petites histoires contées par Jasmine resteront ce qu'elles sont, de simple petites histoires. Et qu'il n'en sera pas fait mention. Que ce soit aujourd'hui, ou bien dans un futur plus ou moins proche.

Alessandro lui sert un nouveau verre, mais cet alcool ne peut pas finir de la même façon que sa bière, bu en quelques gorgées à la va vite. Il boit moins depuis qu'il est sorti de l'hôpital, plus qu'un homme lambda, mais sa consommation est devenue des plus raisonnées si on la compare à ce qu'elle était encore à son arrivée dans cette ville. Il trinque avec Alessandro, avant de porter son verre à son nez tandis que ce dernier part se mouvoir derrière son bar.

Un bref calcul lui indique que ses parents sont indisponibles pour qu'il les contacte pour déverser son venin. Il va devoir prendre son mal en patience. Il boit son verre, gorgée après gorgée, savourant son contenu, le laissant réchauffer sa gorge, et éloigner ses idées moroses.

Son verre tourne entre ses doigts, faisant danser la dernière gorgée d'alcool doré qui repose au fond de celui-ci. Puis il relève la tête quand son ami s'adresse à lui, poussant un soupir à se fendre l'âme en entendant ce dernier parler de trouver un local pour Jasmine. Il va pourtant bien falloir qu'il se fasse une raison, sa sœur est bien décidée à rester dans le coin, et il va se révéler très difficile, voir impossible de lui retirer l'idée de la tête.

-Il raterait une travailleuse acharnée, et aussi une casse-noix de première catégorie.

Un sourire passe sur son visage alors qu'il se dit que plus vite cette dernière reprendra une activité, moins longtemps elle sera sur son dos pour le surveiller.

-Après je suis certain qu'on peut réussir à convaincre cet homme de louer son local...

... Que ce soit avec une grosse liasse de billets verts ou quelques os brisés. Les deux solutions sont envisageables, et il se doute bien que s'il y pense son ami doit aussi le faire. Cette violence lui manque, le rendant acariâtre, instable. Son psy le sait, il lui a même dit que s'il en ressentait le besoin l'institution pourrait de nouveau lui ouvrir ses portes. Mais hors de question de retourner dans cet endroit sordide, pas avec Wesley qui a fait son entrée dans son cœur et sa vie par la même occasion. 

Il porte son verre à ses lèvres, siphonne ce qu'il y reste avant de le reposer sur le bar. Il va falloir qu'il arrête pour aujourd'hui, ses médicaments ne faisant pas bon ménage avec l'alcool. Il se redresse, fouillant dans la poche intérieure de sa veste pour en sortir son paquet de cigarettes avant d'en tendre une à l'italien.

-Tu m'accompagnes ? On pourrait parler du local. Ou d'autres choses. Wesley n'est pas en ville et je ne me sens pas prêt pour un retour immédiat à l'appartement. J'ai des doutes sur ma capacité à rester courtois en présence du rossignol.

Déjà que son humeur meurtrière des derniers jours rend la moindre situation explosive, il se dit qu'il n'avait pas besoin qu'en plus de ça son colocataire s'allie à sa sœur pour qu'elle puisse débarquer avec la ferme intention de le materner.

Cigarette coincée entre les lèvres, il tire dessus, laissant la première bouffée de nicotine envahir ses poumons, alors que sa cervelle carbure, cherchant comment gérer cette invasion dont sa vie va être l'objet. Il sait que Jasmine va découvrir des choses qui vont lui donner envie de gratter toujours plus loin. Et ce même sans réellement le vouloir. Elle est loin d'être sotte, et les changements dans le comportement de son frère sont suffisamment peu discrets pour attiser sa curiosité.

L'alcool, la violence dont il fait facilement preuve si les limites minces qu'il a érigé après toutes ces années sont forcées, la cigarette... Le facteur Rossignol avec ce que ce dernier a pu dire où non à sa sœur. Il est mal barré et va devoir la jouer très fine s'il veut que ses secrets restent ce qu'ils sont. Regard baissé, rivé sur une fêlure du trottoir, il se contente de hocher la tête quand son ami parle du matériel de l'ancien tatoueur. Connaissant sa sœur, il sait que cette dernière est tout à fait capable d'avoir emmené avec elle ce qui pouvait l'être. Le côté sentimental des Rapier. Elle est mariée à son métier depuis presque trente ans, et à son salon par la même occasion. Il l'imagine mal avoir tout laissé derrière elle, même s'il faut bien avouer qu'il ne la pensait pas capable de tout laisser sur un coup de tête pour venir le rejoindre.

Alors qu'il se demande qu'elle peut bien avoir été la place de ses parents dans cette prise de décision soudaine, il est coupé dans ses réflexions par Alessandro qui semble ne pas avoir mit beaucoup de temps à cerner la nouvelle venue. Il soupire, avant d'ouvrir la bouche laissant le fond de sa pensée lui échapper.

-Je vais être franc, c'est pas la découverte du surnaturel qui m'inquiète le plus avec Jasmine. Ce qui me fait peur c'est le moment ou elle va se mettre à jouer au jeu des sept différences avec le jeune Tobias et l'actuel. Et les déductions qu'elle finira par faire.

Il est dans une sinistre merde noire.

Le simple souvenir de Jasmine âgée de 10 ans rencontrant le pasteur en short durant un été caniculaire lui rappelle à quel point cette dernière peut vite être choquée. Elle avait fini par faire front à sa façon, boycottant l'église, mettant ainsi leurs parents dans une situation encore plus délicate que celle qu'ils connaissaient déjà. De parias dans leur petit village, ils étaient passés à indésirables, le temps que la situation se tasse. Les oreilles du petit Tobias traînant un peu trop, son cerveau enregistrant bien vite les mots d'adultes qui n'étaient que des insultes dissimulées sous des formules où le venin des bien pensants côtoyait l'hypocrisie. Il avait apprit cette leçon bien plus vite que n'aurait du le faire un enfant de son âge, se mettant à agir comme ces gens qu'il détestait tant. N'ouvrant la bouche que pour agacer, et dire des vérités sordides à des adultes déconcertés par son attitude.

Sa pensée retrouve le monde réel au passage d'une voiture, délaissant la campagne anglaise. Il tire une nouvelle bouffée de tabac, la recrache en un long filet de fumée avant de fixer le ciel, tentant de reprendre pied avant de continuer.

-Les bizarreries du coin ne sont pas un soucis. Elle serait même capable de trouver ça "cool".

Et il est certain que sa réaction ne serait pas la même si elle venait à apprendre que son petite frère est un tueur. Il a toujours réussi à éluder les question parentales, laissant comprendre à ces derniers que s'ils cherchaient trop loin ils ne le reverraient jamais, mais là le soucis n'est pas le même. Jasmine est plus têtue qu'une vieille bourrique. Et bien trop honnête pour rester sans réaction face à quelque chose d'aussi énorme. Elle finirait par le balancer aux flics, ou plus probablement le faire interner, contre son gré cette fois. Et même si tuer une personne le menaçant ne dérangerait pas sa conscience déjà souillée, il ne peut appliquer cette affirmation à sa propre sœur.

Il va falloir qu'il se protège, fasse en sorte de surveiller ses arrières, tout en canalisant ses nerfs qui parfois le poussent à la limite du faux pas, d'un mauvais geste qui pourrait tout faire flancher comme un château de cartes. Se contrôler, même si Lewis sait qu'il ne va pas fort en ce moment, et se doute peut être des raisons de son comportement borderline. Faire en sorte que Wesley ne voie rien, ne se doute de rien pour éviter que ce dernier se retrouve confronté à un Tobias dont il ignore l'existence.

Wesley. Jasmine. Sa cervelle fait le lien, l'inimaginable prend vie sous son crâne alors que ses yeux s’écarquillent tandis que la fumée emplit ses poumons à nouveau.

-Jasmine. Elle sait pour Wesley. Elle va vouloir le rencontrer. Elle va aller fouiller dans toutes les librairies de la ville.

La catastrophe s'amplifie, l'horreur défile dans sa tête alors qu'il imagine sa sœur face à son blond, débitant âneries sur âneries.

Donner Wesley en pâture à Jasmine pour occuper cette dernière, le plan sonne comme un acte affreux quand on connait sa sœur autant que lui. Mais également diablement rassurant face aux ravages que pourrait faire la bouclée laissée sans surveillance, avec rien d'autre pour occuper son temps libre qu'un frère à materner. Les choses pouvant le rendre suspect aux yeux de sa sœur sont légions.  Le fait qu'il boive pourrait attirer l'attention de Jasmine, suffisamment pour la distraire. Un vice pour en cacher d'autres bien plus nombreux, et bien plus dérangeants. Une solution qui n'a malheureusement rien de permanent. 

Il ne voit qu'une seule solution, la meilleure façon de s'assurer du silence définitif d'une personne. Les gêneurs deviennent moins dangereux lorsqu'ils sont refroidis et reposent au fond d'une boite en sapin. Il a déjà fait une erreur il y a peu de temps, laissant Gabriel en vie en quittant la Pologne. Se croyant plus futé que son ancien mentor, pensant que ce dernier n'irait pas à sa recherche ou en tout cas pas de façon suffisamment assidue pour le retrouver au fin fond de la Californie. Ses jambes brisées se sont remises trop rapidement, offrant à son ancien élève un répit bien trop court.

Lorsque leurs chemins se croiseront à nouveau, Tobias fera en sorte d'être le premier à attaquer. La meilleure des défenses. Pour éviter d'allonger la longue liste des cadavres traînant derrière McNeal.

Mais tuer sa sœur ? Il ne sait pas s'il en serait capable, même si celle-ci était sur le point de le faire enfermer. Que ce soit en taule ou plus probablement de retour chez les dingues. Sa famille le penserait fou, incapable de commettre de telles horreurs tout en étant lucide. Elle tenterait de le faire soigner jusqu'au bout. Que le traitement s'achève de façon heureuse ou bien sordide. Alessandro ouvre la bouche, laisse ce qui ressemble à un avertissement se faire entendre. Et la conclusion évidente à tenir face à l'arrivée fracassante de Jasmine dans les parages. Il tourne la tête vers l'italien, laisse échapper un filet de fumée, son regard planté dans celui de son ami. Si lui ne se sent pas capable de faire passer sa sœur de vie à trépas, il sait qu'Alessandro pourrait le faire en cas de besoin. Il ne s'offusque pas de l'évocation de la probable mort de sa frangine, et se contente d'ouvrir la bouche.

-Je sais. Mais je ne pense pas être capable de gérer ce soucis par moi même si la situation venait à dégénérer.

Il tire une nouvelle fois sur sa cigarette, puis baisse la tête.  Honteux malgré lui. Le pire c'est qu'il ne sait pas vraiment pourquoi. Est ce parce qu'il est conscient qu'un homme ne devrait jamais avoir à envisager de devoir tuer, ou faire tuer sa sœur ? Ou bien parce qu'il n'est pas certain de pouvoir parvenir à exécuter Jasmine lui même, et qu'il a peur de passer pour quelqu'un de faible à cause de ça ?

Cette colère, cette rage noire. Noire comme la peur qui est la sienne et qui régit sa vie depuis tant d'années. Du noir né dans le rouge. Celui des yeux de celui qui a mit sa main dans le ventre de son petit. Celui qui décorait le carrelage quand il est arrivé, trop tard, ce soir là.

Ça a finit par briser cette notion de bien ou de mal qu'il avait, même si cette dernière pouvait déjà s'avérer biaisée. Le choc, la peur, le besoin de se venger cumulé à l'apprentissage que lui a donné Gabriel. Il a l'impression d'avoir réussi à arrêter d'être un humain. Certains soirs il regretterait presque d'avoir souhaité le redevenir.

Il éteint sa cigarette, froissant le mégot entre ses longs doigts avant de finalement reporter son attention sur le loup. Des gens qu'il connait, il sait que c'est Alessandro qui est le plus à même de comprendre certains de ses choix, passés ou actuels. Et si ce n'est pas le cas c'est encore avec son ami qu'il a le moins de risque de se sentir jugé.

Pourtant sa voix est presque penaude quand il continue, se justifiant presque pour ce qu'une partie de lui ne peut s'empêcher de vivre comme une faiblesse.

-Alessandro. Même le diable ne voudrait pas de moi si je faisais ça.

Il hausse un sourcil en entendant son ami. Même si en effet l'enfermer ne semble pas une solution à leurs yeux, il en va différemment de la part de l'opinion publique face à un cas comme lui. Mais bon ce n'est pas comme si l'avis des autres avait un quelconque intérêt à ses yeux. En tant normal il n'y attache que peu d'importance, passant pour un sale type pédant totalement détaché du monde qui l'entoure et de ce que peuvent penser ses congénères. Toutefois, c'est l'avis de sa sœur qui est mit en cause cette fois. Sa famille n'aurait pas grand mal à le faire déclarer fou si elle devait découvrir le pot-aux-roses.

Il hausse les yeux au ciel quand Alessandro lui dit qu'en effet il ne peut pas envisager une solution aussi radicale. Là n'est pas le soucis, il est bien conscient qu'en cas de danger une balle dans la tête serait une des rares choses qui pourraient calmer une Jasmine bien décidée à fourrer son nez là ou il ne faut pas. Il tire une dernière bouffée de poison sur sa cigarette avant de l'écraser entre ses doigts, sale habitude qui fait qu'il se brûle plus qu'autre chose, puis la jette en direction du caniveau, et il suit son ami dans son bar.

Fesses de nouveau posées sur son tabouret habituel, une main qui se resserre autour de la tasse brûlante qu'Alessandro vient de poser face à lui, il fixe ce dernier, un peu choqué quand il parle de rendre Jasmine complice. Sans plus de détails, le laissant dans le flou quelques instants. Nez froncé, tic visible de son irritation face à son incompréhension, il fixe son ami dans l'attente de plus de précisions, sa main lâchant sa tasse pour attraper le sucre posé juste à côté.

Il se fige, sa main stoppant son geste juste au dessus de la tasse fumante alors qu'Alessandro s'explique. Un Alpha ? Faire mordre Jasmine en croisant les doigts pour qu'elle tienne le choc. La mettre dans ce merdier jusqu'au cou pour la forcer à tenir sa langue. Son regard noir passe d'inquisiteur à mortel, choqué par cette possibilité à laquelle il ne serait jamais venu à penser lui même. Certes il a commencé à apprendre la tolérance, comprenant que tout le loups ne sont pas des tueurs, des assassins de femmes et d'enfants. Mais il s'agit de sa sœur cette fois, et là ou il peut tolérer ce genre de choses chez ses voisins ou même amis, il s'agit cette fois de son propre sang. Il ouvre sa bouche prêt a abattre son venin sur l'italien avant de se souvenir que la seule autre solution pour s'assurer le silence de Jasmine est de la tuer avant qu'elle n'ait l'occasion de fouiller là ou il ne le faut pas, et détruire ce qui reste de sa vie pour l'instant.

Alors il baisse les yeux, sucre son café, fait plonger sa petite cuillère dans le liquide noir et fumant, avant de finalement donner son avis sur la question.

-Je la préfère louve que morte.

Bon soyons honnête, il la préférait en Angleterre loin de ses petites affaires et de ses sordides secrets. Mais elle a fait son choix en débarquant sans prévenir pour venir le retrouver, scellant là son destin sans s'en rendre compte, ignorant qu'en quinze ans beaucoup de choses avaient eu le temps de changer. Il n'aura aucune hésitation à lui jeter cela au visage si elle venait à lui reprocher ce qui se profile à l'horizon. Si elle devait ne pas survivre à une morsure, ils auront au moins essayé de trouver une solution plus pacifique. Plus en accord avec ce que la conscience du chasseur est prête a accepter.

Sans un mot de plus, il attrape sa tasse, se brûle la langue avec son café qu'il vide d'une traite avant de reposer l'objet fragile à sa place. Sa seconde main posée sur le zinc, il prend une longue inspiration avant de redresser la tête, son regard se posant dans celui du loup.

-Je te fais confiance sur ce coup, tu peux contacter cette personne.

Sa voix bute sur le dernier mot, ayant du mal à trouver une appellation non-insultante pour un alpha alors que sa haine à leur égard reste aussi forte que depuis le jour ou il a appris leur existence. Il arrive a tenir le coup avec Shepherd, leurs rapports se limitant à des regards qui se dévient lorsqu'ils se croisent dans l'enceinte du lycée. Il sait qui de lui ou l'Alpha est le plus monstrueux, et ne se fait pas l'illusion : Ce n'est certainement pas le professeur de SVT qui est le mieux placé pour obtenir ce rôle. Il sort son portefeuille, l'ouvre et part à la recherche du nombre de billets nécessaires pour régler sa note. Une fois ceux-ci en mains, il les pose sur le bar avant de reprendre.

-Préviens moi quand tu auras du nouveau à ce sujet. Et par la même occasion, essaie de voir avec Therence pour ses notes en littérature. Il est en pleine chute libre, et les conséquences pour la fin de l'année pourraient être assez moches s'il continue ainsi.

Il récupère sa monnaie dès qu'Alessandro lui rend, en laissant une partie pour le service avant de continuer, un air sérieux au visage alors qu'il reprend, livrant une information qui ne devrait normalement pas arriver aux oreilles des élèves, mais qui dans le cas du jeune Garnet pourrait se révéler utile.

-Pour Sade il est fichu, qu'il en profite pour commencer à découvrir les textes de Leprest.

Il échange un regard avec son ami, lui confirmant de façon muette qu'il vient en effet de dévoiler une partie du programme, et donc d'aider volontairement le gamin à tricher. Enfin pas vraiment, juste un petit coup de pouce pour leur assurer à lui et au petit de ne pas avoir à passer une année de plus en cours dans la même pièce. Le jeune garçon ne l'aime pas beaucoup, l'épisode du flashball restant bien marqué dans les esprits.

Il range son portable dans sa poche avant de se relever, sans réelle envie de rentrer chez lui. Mais ce n'est pas comme s'il en avait réellement le choix. Il a un tas de copies pour des élèves de seconde à corriger qui frôle l'indécence et une dispute en attente avec le rossignol.