Moite de sueur et la gorge aussi aride qu'un désert, le policer geint au fond de son lit tout en serrant son nouveau meilleur ami contre lui en espérant que Will ne sera pas jaloux s'il apprend ce changement. Le doudou de son fils s'est imprégné de l'odeur acide de cette transpiration qui perle le long de la nuque du policier. Monsieur dinosaure ne se plaint pourtant pas de cette situation qui ne le met que très peu en valeur. Richard râle, passe une main sur son front qu'il devine brûlant. Il lutte depuis le début de la journée pour ne pas se laisser sombrer, mais il avait fort besoin de cette sieste qu'il vient de s'autoriser à prendre. Ouvrant un œil hagard sur le décor habituellement bien ordonné de sa chambre, le malade étouffé maladroitement une exclamation de surprise. Son crâne lui paraît être de plomb, son être tout entier en proie à des courbatures qui n'auraient de raison d'être que s'il avait passé les dernières heures à courir un Iron Man.

Dick tente de se redresser pour mieux échouer. Son réveil a été débranché, aucunes indications n'apparaissant sur le cadran de ce dernier. Le père de famille devine que cette sieste a dû se transformer en nuit complète de sommeil. Il est en retard pour le travail. Ses progénitures rendues inquiètes par son état de faiblesse ayant sans doute jugé qu'il était mieux que leur père demeure au fond de son lit. Sa main tremblante et poisseuse glisse sur le chevet, manque de faire chuter au sol une bande dessinée. L'évidence parvient à se faire dans son esprit émoussé par la fièvre : Ses enfants lui ont également confisqué son seul moyen de communication avec le monde extérieur. Tout ce qu'il espère c'est que Joanie ait songé à prendre la peine de répondre lorsque le poste de police a appelé pour savoir où il avait bien pu rester coincé.

C'est avec la délicatesse d'un pachyderme que la souris quitte le fond de son lit, se dresse pour aller faire pleurer son oiseau. Le policier peu discret peine à se mouvoir, manque de chuter en trébuchant sur une tripotée de petites voitures stationnées dans le couloir. Fermant les yeux pour mieux ignorer ce foutoir, Richard se presse en direction de WC. Il vide vessie et colon, râle lorsqu'une main malveillante cogne contre le battant de la porte.

-P'pa t'es pas mort ?
-...
-Papa !
-Merde !... L'est où Maf  ?
-Au lycée.

Le policier s'essuie, remonte son boxer avant de passer son marcel par dessus sa tête.  Celui-ci pue la sueur et il préfère se sentir propre même s'il ne compte accueillir personne chez lui au vu de son état. C'est avec lenteur qu'il saisit enfin le sens complet des paroles de sa fille. Comme prit d'un doute, le policier hausse la voix tout en quittant le sanctuaire des cabinets. S'il pensait se faire autoritaire, les sons qui passent la barrière de ses lèvres sont éraillés et tout aussi tremblants que le reste de sa personne.

-T'as pas cours ?

Le silence résonne. Richard sursaute lorsque sa fille arrive dans son dos. Avec lenteur il fait volte-face.

-Si mais on gère. Mafdet me couvre.

[...]

La porte de sa chambre s'ouvre. C'est muée en général d'infanterie que Joanie se met à distribuer ordre et bol fumant.

-Fièvre ?
-... Moins de quarante.

39.8 aux dernières nouvelles.

-J'ai fait de la soupe.

La lumière du plafonnier brusquement allumé fait plisser les yeux au père de famille. De son regard chocolat rendu vitreux par la fièvre, il observe sa fille. Puis le bol de soupe que cette dernière tient toujours. Les talents culinaires de sa gamine sont inexistants, comme l'a déjà mentionné Mafdet :  Joanie serait capable de se laisser mourir de faim devant un placard plein de nourriture. L'adolescente surprotégée par un père qui se transforme à volonté en fée du logis manque sérieusement de sens pratique. L'inquiétude de Richard doit être palpable car il ne faut que quelques secondes pour que la rouquine se sente obligée de préciser que ce n'est rien de plus qu'un sachet de soupe lyophilisé.

Rassuré le malade accepte cette modeste offrande. La porte à son museau défaillant. Bien vite le doute s'installe.

-C'est du poulet ?
-Je crois pas qu'ils mettent de la vraie viande dans ce genre de trucs.  
-T'es sûre ?
-Oui. Cesse de faire l'enfant. J'ai téléphoné à un médecin.

Dick n'a rien le temps de dire que déjà sa fille prend la poudre d'escampette. Sa garde-malade n'est pas charmante et semble ne rien connaître de la définition du mot douceur. Lançant un dernier regard suspect vers son bol de soupe, le policier hausse la voix une nouvelle fois.

-T'es sûre pour la soupe ?
-Mange sinon je t'étouffe avec ton oreiller ! Ou pire, je te cafte à Maf !

Le canadien se tasse sur lui même. Puis enfin fait glisser une gorgée de soupe brûlante à l'intérieur de sa bouche. L'instant est plaisant même si de courte durée. Le contact entre sa langue et ce qui est sans aucun doute un morceau de volaille à moitié réhydraté fait naître une nouvelle flopée de frissons le long de la colonne vertébrale de Richard.

Une fois son repas carné avalé le père de famille s'ennuie. Il ferme les yeux un bref instant, sursaute en saisissant qu'il est toujours en caleçon et que le docteur va bientôt pointer le bout de son nez. Quel docteur d'ailleurs ? Le grippé se lève, fouille dans sa commode. Il y cherche un marcel, tente de ne pas semer le désordre sur son passage car il sait bien qu'il est celui qui devra tout ranger une fois qu'il sera de nouveau sur pied. Sa main descend sur un haut qui en a déjà vu de belles avant ce jour et qui peut subir quelques affronts supplémentaires. Persuadé d'être en assez bonne santé pour pouvoir aller accueillir son invité, Dick bondit tant il est surpris lorsque la porte de sa chambre s'ouvre à nouveau. Plus dénudé que vêtu il s'apprête à grogner sur sa fille. Se figeant en apercevant sa connaissance qui officie au service des urgences.

-Douglas ? Vieux ! Il faut que tu me fasses un mot pour dire que je peux aller bosser demain. Je peux pas sécher le travail.

L'esprit embrumé par la fièvre, le policer écoute celui qui n'est pas loin d'être un ami annoncer qu'il ne veut pas le renvoyer au travail. Douglas évoque les risques qui pourraient être les conséquences d'une pareille idée. Le coup de génie de Richard n'en est pas un et la manœuvre qui lui seyait le plus ne semble pas faire l'unanimité. Figée sur le seuil de la chambre paternelle, Joanie fait les gros yeux puis vient récupérer le bol de soupe vidé de son mélange tant salé que carné. Dick frémit, songe au fait qu'il n'est pas prêt de pouvoir retourner au poste si le médecin ne change pas d'avis. Le père de famille ne sait combien de temps il va supporter cette situation, lui qui s'ennuie déjà au bout de quelques jours de congés. Il aime son travail, une vocation qui le fait vivre et permet à son âme de vibrer sur la même rythmique que ses convictions les plus chères depuis qu'il a quitté le lycée pour l'académie de police.

Dick baille sa rébellion pour ne pas énoncer ce qui lui paraît être une évidence : Le shérif ne va pas être heureux non plus s'il sèche le travail durant plusieurs jours. Les effectifs des forces de l'ordre sont déjà peu nombreux si l'on prend en compte le nombre de drames qui s'enchaînent dans cette ville dans laquelle rien ne fonctionne normalement.

Abandonnant toute idée impliquant le fait de se couvrir le torse, Richard laisse son marcel choir au sol. Puis se racle la gorge bruyamment avant de bien vite regretter d'avoir commit cette action. Un flot brûlant passe dans sa gorge, rejoint ses poumons. Le tout suivi par un haut-le-coeur qui manque de lui faire rendre son dernier repas. Sentant le regard inquiet de Douglas se poser sur lui, le flic lève une main. Signe de paix, de reddition. Il est peut être malade finalement. Cela expliquerait l'existence de cette fine couche de sueur qui couvre tout son être, de ces perles de transpiration aigre qui dévalent la pente de sa nuque. L'homme se laisse finalement tomber sur son lit, se callant entre deux oreillers pour quérir une position assise qui ne lui cause pas d'inconfort inutile.

-J'ai bu de l'eau. Comme ça me fait mal de me lever pour aller pisser, j'ai décidé d'arrêter.

La bouteille métallique prévue à cet usage est d'ailleurs toujours installée sur le chevet du canadien. Une lubie de sa fille qui ces derniers temps ne jure que par l'écologie et la réduction de leurs déchets ordinaires. Ce n'est pas Dick qui se plaint de ce renouveau, au contraire il apprécie le fait de ne plus avoir à trainer les packs de bouteilles d'eau à travers les étages de leur immeuble. Il demeure toutefois amusant de voir à quelle vitesse les nouvelles convictions de sa fille sont mises au rebut lorsque cette dernière dilapide ses économies en produits cosmétiques emballés dans leur plastique à usage unique. Fantastique plastique qui referme des ombres et autres fards made in China à base de plomb..

-J'ai aussi bu de la soupe. Avec un sale goût de poulet.
-Faut pas l'écouter, il est végétarien depuis seulement trois mois et joue les vierges effarouchées pour trois bouts de fausse viande au fond d'une cup noodle.
-Hey ! Jo tu te casses !

Un oreiller vole pour mieux s'échouer dans le vide laissé par l'adolescente qui a su prendre la poudre d'escampette suffisamment vite pour échapper au courroux de son père. Les réflexes de Richard sont plus lents qu'à l'habitude. Frémissant sous le contact des mains fraîches de docteur qui se déposent sur sa peau luisante de sueur, le canadien remue légèrement. Le mal de crâne qu'il sent poindre lui arrache un gémissement douloureux.

-Je me suis couché hier pour une sieste.

Une sieste de douze heures. Troy est parti à l'école ce qui signifie qu'il est plus de huit heures du matin. Tout à son délire, le policier reprend.

-Les gamins m'ont pas réveillé pour le travail. Joanie sèche les cours avec la bénédiction de ma copine... J'suis pas sûr d'aimer l'idée. Faut pas que Jo finisse infirmière, elle est pas au point niveau diplomatie.

Cette affirmation suffit à faire sourire Douglas. Même sous la pression, lorsqu'ils étaient poursuivis par une horde de chasseurs enragés le docteur avait su garder son calme et se montrer capable d'user de courtoisie. Dick inspire profondément, l'air frais sifflant tandis qu'il traverse ses poumons. Du bout des lèvres il en dit plus sur son état, exposant cette faiblesse soudaine qui l'accable depuis la veille.

-J'ai mal partout. Comme si j'étais couvert de bleus ou que j'avais couru un marathon hier. J'ai l'impression de dormir les yeux ouverts depuis que je suis réveillé. J'crois que je suis malade...

Doug semble songer lui aussi à une grippe. Maladie banale mais qui a pourtant suffit à clouer le canadien au lit, lui ôtant toutes forces et envie de se mouvoir par la même occasion. Deux jours, puis une semaine. Plus le chasseur parle, plus cette obligation de rester chez lui qu'il impose au canadien s'allonge. Richard vit cette sentence comme une punition. Il ne peut s'empêcher de chercher quel est l'abruti qui aurait pu avoir l'idée de partager sa crève avec lui. Qui parmi ses connaissances affichait un nez morveux et un teint cireux ces derniers jours ?

La fraîcheur du stéthoscope lorsqu'elle rencontre la peau brûlante du canadien fait frémir ce dernier. Douglas s'est tu. Cessant ainsi de discourir inutilement sur une maladie que le policier a déjà attrapé plus de fois qu'il ne peut les compter sur les doigts d'une seule de ses mains. Richard respire quand le médecin urgentiste lui en donne l'ordre. La docilité est bien ancrée dans le tempérament du père de famille. Si ce trait de caractère peut être confondu avec de la faiblesse par certains de ses pairs, le représentant des forces de l'ordre sait qu'il n'en est rien. Il s'agit à ses yeux simplement d'une forme d'intelligence.  Sociale, pas celle qui permet de résoudre des problèmes de mathématiques dans lesquelles des lettres prennent une place qui revient habituellement aux nombres. Plier pour ne pas rompre. Si Willem aime se comparer à un roseau en usant de ce mantra, le flic préfère l'image de la ficelle d'un string. Élastique, tant que l'on pourrait croire que sa résistance face aux aléas de la vie est infinie.

Une erreur, car le jour où l'élastique claque éclot un coup de gueule mémorable de la part du père de famille. S'il ne se prête que rarement au jeu des coups d'éclat théâtraux, Richard sait pourtant que ces instants ne sont que plus forts encore.

Profiter chaque jour de la lumière du soleil nous fait croire que ce dernier est un acquis. C'est ce qui rend les éclipses plus mémorables encore. La patience du policier est ainsi, douce lumière rassurante dont les rayons bercent les siens. Les jours sombres sont quant à eux à craindre.

Le policer se fait violence pour ne pas réagir brusquement lorsque l'abaisse-langue fait naître un haut-le-cœur au fond de sa gorge. Manquant ainsi de lui faire rendre son dernier et maigre repas. Souriant Douglas donne son verdict qui demeure inchangé après l'auscultation. Puni, durant sept longues journées. Richard va trouver le temps long. Il espère qu'aucun de ses mômes ne tombera malade à son tour, car cela ne rendrait son calvaire que plus dur à vivre. Le chasseur s'échappe pour partir à la recherche de son thermomètre qui doit être plus moderne que celui des Turner.

-J'en ai un aussi ! Je l'ai nettoyé tu sais...

Richard parle dans le vide. Mais ne s'en offusque pas. Avec Jo et Troy il a prit l'habitude. Doug revient avec un drôle d'engin entre les mains. Saisissant son propre thermomètre, Dick compare les deux objets tandis que celui qui est presque un ami évoque un oubli.

Le jouet du docteur est plus imposant que celui du flic. Portant le sien à son nez, Richard soupire. Aucune odeur de crotte n'a su résister face au savon.

-T'emmerdes pas avec ça ! Je suis en super bonne santé tu sais.

Doug se marre, notant sans se gêner que si c'était le cas il ne serait pas ici. Dick se redresse, chavirant malgré lui lorsque ses jambes se dérobent sous l'effort. Prit d'un soudain vertige, le policier tient à préciser qu'il est sérieux.

-Joue pas sur les mots... Aujourd'hui c'est exceptionnel.

Mafdet a dit qu'elle passerait après les cours. Elle va savoir avec ses mélanges auxquels Richard ne saisit rien remettre ce dernier sur pieds bien plus vite que les médicaments prescrits par Douglas ne pourraient le faire. Le médecin revient, ignore superbement le thermomètre du policier pour préférer le sien. Moins invasif et paraît-il plus précis. Après avoir froncé les sourcils en réponse à l'apparition d'un 39,7, Doug prend la tension du père de famille.

Richard est sans surprise en bonne santé, si l'on fait exception de sa faiblesse passagère. Il offre un sourire épuisé à son ami qui lui conseille une fois de plus de garder le lit durant les jours à venir. Candy-Crush, Netflix et l'intégrale des Astérix deviennent le nouveau programme du père de famille.

-Doug ? Tu crois que tu pourrais me rendre service en déposant Joanie devant le lycée ? Faut pas qu'elle sèche les cours, elle a un devoir en littérature à rendre et une interro d'histoire en fin de journée... Même si elle passe en terminale, j'veux pas qu'elle loupe les cours.