Mafdet est rentrée à l'appartement une semaine plus tôt en lui faisant part d'une drôle de nouvelle. Richard, sa compagne et les enfants du policier sont conviés à un repas chez l'alpha de la féline. Un type dont il ne sait rien ou presque hormis son lien de parenté avec l'ancien professeur de littérature de Joanie.

Trop prit par son métier, ses séances de rééducation avec Jay et son quotidien de père, il n'a guère prit le temps de songer à cette invitation les premiers jours, pour finalement voir cette annonce devenir une réelle source d'inquiétude alors que la date fatidique ne cessait d'approcher avec tant de rapidité qu'elle devenait impossible à ignorer. Mais ça Dick l'a tu, pour ne pas passer auprès de sa belle pour un gamin facilement impressionnable qui serait déstabilisé par la moindre nouveauté venant chambouler le fleuve déjà tumultueux qu'est son existence. Monsieur Hale ne doit pas être un homme affreux, ce méchant loup dont on conte les aventures dans les histoires que l'on raconte aux enfants. Mafdet ne compterait pas un pareil personnage dans ses proches... Quoique elle a bien cet austère anglais avec son balai coincé dans le fondement dans la liste de ses amis. Et puis, ce drôle de type qui fomentait des sales coups avec l'italien, ce dénommé Wilder concepteur de demeures pour bourges autant que de tripots illégaux est lui aussi dans cette meute. Un loup hautain doté de manières précieuses qui avait donné à Dick l'impression qu'il n'était rien de plus qu'un simple idiot.

Toutes ces informations ne sont pas faites pour aider Richard à faire fonctionner sa cervelle de la plus juste des manières. Il cogite, angoissant comme un couard dans son coin sans rien mentionner à ses proches de cette peur qui enfle chaque jour un peu plus dans son ventre. Ses nerfs sont sur le point de le lâcher quand la veille de la date prévue Mafdet lui rappelle l'existence de cette invitation, lui apprenant qu'ils doivent apporter avec eux un dessert. Il va devoir passer derrière les fourneaux s'il veut apporter un gâteau convenable à son hôte.

Ce traquenard lui donne la sinistre impression d'être sur le point de rencontrer la famille de sa belle ou en tout cas ce qu'elle possède de plus approchant de cette description. Il réfléchit, le faisant bien trop pour son bien ces derniers temps. Songeant à ses propres parents et à l'accueil désastreux qu'ils ont offert à leur belle fille quand leur fils leur a présenté. Bafouillant une vague réponse qui ne camoufle plus rien de son état de stress Dick tente malgré tout de donner le change.

-Tout va bien se passer...

C'est peu convainquant, Richard lui même ne parvient pas à croire en ses propres dires. Mafdet sourit, donnant à Dick l'impression qu'il est sur le point de se faire dévorer. Ce qui en d'autres circonstances pourrait être amusant mais le canadien n'a plus vraiment le cœur à rire depuis quelques jours.

-J'ai expliqué à Troy que je mettrais un code sur Netflix s'il dérapait. Joanie aura son portable et un bouquin. Tout va bien se passer. Je vais faire un gâteau au chocolat. Tu m'as dit qu'il aimait ça.

Dick brasse de l'air, détaillant ce qui va bien se passer pour ne plus avoir à penser à ce qui pourrait mal se dérouler. Beaucoup de choses... Et en plus ce malade vit dans un manoir perdu au milieu des bois... Sans doute pour n'avoir que peu de chemin à faire s'il lui prenait l'envie de becter un morceau de petit chaperon rouge pour le souper. Le souvenir de Lecter se rappelle au flic qui n'a jamais oublié sa seule et unique virée en tant que campeur. Merde, tout va mal se passer il en est certain.

-Il me faut un verre et ensuite je vais tenter de trouver une recette de gâteau convenable. J'veux pas que ce gars me trouve bizarre, j'ai envie qu'il m'aime bien ! J'suis un chouette gars, un type normal. À défaut de devenir son pote j'aimerais au moins qu'il ait de moi l'image d'une personne fréquentable.

Il y a peu de chances que tout cela soit aussi facile que ne l'aimerait Richard. Lui et Hale n'ont sur le papier aucun point commun si l'on fait exception de la présence d'un jeune garçon au domicile du loup.

[...]

En se garant à l'emplacement désigné par sa belle devant le manoir, Dick songe à regrets qu'il aurait été si simple de laisser le volant à sa fille. Elle les aurait mené dans le décor, les sauvant ainsi en les envoyant tous ou presque faire un petit séjour à l'hôpital de la ville. Il tait l'existence de ces mauvaises pensées qui lui parasitent la cervelle depuis des jours, remettant en place le nœud de sa cravate pour que celle-ci lui paraisse moins gênante. Il s'est déguisé en gratte-papier pour que le banquier puisse le confondre avec un de ses semblables. Troy se détache et sort de l'auto familiale sans avoir attendu que son père lui donne une quelconque autorisation, Joanie imite son frère en prenant avec elle le gâteau. Puis s'inquiète de l'immobilité de son paternel alors que la compagne de ce dernier sort elle aussi de la Ford.

-Papa ça va ?
-Moui.

Un vilain mensonge qui ne parvient pas à convaincre la jeune femme. Elle lui sourit en faisant démonstration d'une étrange compassion à son égard. Elle lui tend même une main désormais vide depuis qu'elle s'est soulagée de sa charge en refilant le gâteau à Mafdet.

-P'pa, tu vas passer pour un guignol si tu poireautes dans la voiture pendant trop de temps.
-T'as raison.

Mieux vaut ne pas empirer l'image que l'alpha a peut-être déjà de lui. Richard sort après avoir attrapé un sac à papier bariolé représentant les personnages du dernier dessin animé en vogue. Une marque de politesse, une offrande destinée au plus jeune habitant de cette gigantesque baraque dans laquelle il doit être possible de faire rentrer plusieurs fois l'appartement de la famille Turner. Un étui de feutres lavables, un cahier de gommettes et un autre de coloriages ayant pour thème les animaux de forêt. Garanti sans wendigo ni crocotta mais avec une chiée d'images de loups et de foutus lapins.

Après avoir rejoint sa femme et son fils sous le porche, Richard n'a même pas le temps de songer au pire que déjà la porte s'ouvre sur un barbu aux yeux verts et d'un petit gars blond comme les blés. Richard sourit au gamin après avoir brièvement croisé le regard de l'alpha.

-Bonjour.

Il ne remercie pas leur hôte pour son invitation et évite ainsi de se griller en commençant à mentir alors qu'il n'a pas encore franchit le seuil de cette maison.

Le prénommé Ian ne réagit pas quand son tuteur lui demande de porter le gâteau dans la cuisine. Il reste comme figé, fixant Richard sans ciller. Il a eu vent de quelques unes des mésaventures vécues par ce môme trop jeune pour connaître la dureté de la vie. Dick sourit doucement au gamin, puis enfin à l'adulte qui se tient auprès de ce dernier. Il sait qu'il n'est pas aisé de se retrouver avec de jeunes enfants à charge lorsque l'on vit seul. Richard en oublie même de se réjouir de l'absence annoncée de Wilder et se contente de frémir après être entré dans le manoir. Une puissante odeur de viande lui parvient pour lui lever le cœur. Elle se montre peu rassurante car elle trahit une partie du repas à venir. Merde Mafdet a dû omettre de mentionner le régime alimentaire de sa souris et le canadien va devoir se forcer quitte à finir la tête au dessus d'une cuvette s'il ne veut pas passer pour un homme sans manières. Il empoigne simplement de sa main libre la main de sa compagne durant un bref instant comme pour s'interdire toute possibilité de prendre la fuite, puis se présente à celui qui pourtant doit déjà connaître son prénom. Le petit garçon revient quand à lui après avoir été ranger le gâteau dans le réfrigérateur.

-Richard. Vous pouvez m'appeler Dick.

Mais Dick doute que son hôte ne se permette une telle familiarité à son égard aujourd'hui. Une prochaine fois peut-être. Enfin si prochaine fois il devait y avoir.

-Et mes enfants Joanie et Troy.
-Bonjour.
-Bonjour monsieur !

Les gamins ont bien comprit que leur père ne tolérerait aujourd'hui aucun dérapage de leur part. S'ils aiment parfois jouer avec ses nerfs, ils ont bien saisit qu'il serait mauvais de choisir que ce jour est le bon pour pouvoir déjouer l'autorité de leur paternel. Troy ne tient pas à être privé de dessins animés et la gamine aime quand à elle trop cette liberté que son père lui offre enfin pour risquer de voir cette dernière être brutalement limitée.

Dick récupère sa main après qu'elle ait été serrée par le loup, puis s'agenouille devant le petit garçon sans craindre de ne pas savoir se relever par la suite. Sa mobilité est chaque jour meilleure que le jour précédent. Jay a fait du bon travail et le policier bon élève a su suivre à la lettre les consignes données par son thérapeute. Il a même pu retourner à la patinoire avec son fils sans craindre que cela ne puisse nuire à ses efforts.

Au lieu de tendre une main à Ian, il offre le sac en papier au jeune loup.

-J'espère que ça te plaira.