Deux semaines de congés loin d'un quotidien agité, le canadien avait cru que cela suffirait pour qu'il puisse oublier tout ses soucis. Un vœu tant pieu que vain. Si Richard a eu l'audace d'imaginer que tout ses problèmes sauraient disparaître comme par magie, il a bien vite été rejeté dans le grand bain d'une cruelle réalité. Sa mère ne cesse d'inonder sa messagerie, furieuse de ne pas avoir revu son fils ou même ses petits enfants avant qu'ils ne retournent en Californie. Jamais elle ne fait mention de cette belle fille face à laquelle elle s'est montrée odieuse. Nulle part elle ne mentionne la manière dont elle s'est effacée, ne donnant aucunes nouvelles à son unique progéniture. Dick agacé par toutes ces manigances préfère à présent jouer à l'autruche. Le policier s'est contenté d'envoyer son adresse à sa mère, lui rappelant ainsi qu'elle savait où le trouver si le besoin de renouer des liens qui ont été malmenés par le comportement qui fut le sien mais aussi celui de son époux se faisait ressentir par ces derniers. Il ne veut plus être celui qui a sur les épaules le poids de cette paix à préserver. Il aura fallu à l'homme atteindre ses trente-huit ans pour enfin oser couper le cordon qui le relie à sa mère. Un moment difficile à passer mais nécessaire.

Hank et Vanessa sont devenus des sujets tabous, des noms que nul malheureux n'ose prononcer dans l'appartement de la famille Turner. Les colères du policier même si elles demeurent rares sont à craindre et ses enfants en sont bien conscients. Mafdet quant à elle semble se complaire à faire comme si ces gens qu'elle a brièvement rencontré n'étaient rien de plus que des noms inscrits sur l'extrait de naissance de son compagnon. Richard fulmine, posant son cellulaire sur la table basse pour se saisir d'une bouteille de bière brune déjà presque vide. La troisième ce soir, sans doute celle de trop mais il n'a pas prévu de sortir et la féline n'est pas présente pour voir le sinistre spectacle qu'il pourrait avoir à lui offrir. Le policier rote bruyamment, fouille dans les tickets de caisse qui jonchent la table basse pour trouver la preuve de la dernière désobéissance en date de son ainée. En offrant à sa fille une inespérée voiture il espérait faire éclore en celle-ci une certaine maturité. Mais la jeune femme n'a pas jugé utile de partir en quête d'un premier travail et se contente de dilapider l'argent de son paternel lorsque vient le moment de faire le plein de son carrosse.

Dick pose son addition au dos d'une facture qui lui rappelle que l'électricité n'est pas gratuite, blêmit quand les chiffres s'alignent.  

Assurance, contredanse et essence s'allient pour mieux lui faire la nique. Son maigre salaire ne tiendra pas le coup bien longtemps quand l'appareil dentaire dont Troy va avoir besoin d'ajoutera à cette misère. Il ferme les yeux un bref instant, s'offrant ainsi le temps de la réflexion. Il sait comment régler ce soucis qui pointe le bout de son nez avant que ce dernier ne puisse affecter leur quotidien. Les gamins ne doivent pas savoir que papa est sur la paille. Joanie est bien trop naïve pour saisir que ses poches percées contribuent à cette débandade que subit chaque mois le compte bancaire de son père. Troy est quant à lui bien trop jeune pour se voir imposer de telles responsabilités. Il aura tout le temps dans quelques années d'apprendre que son père n'a pas un arbre à fric personnel planqué au fond de sa penderie. Richard serre les poings, presque heureux d'avoir une occasion de retourner dans ce lieu qu'il s'était pourtant promit de ne visiter qu'une seule fois.

Amaro ne cesse de lui filer entre les doigts et la date de son calvaire à Sacramento approche bien plus vite qu'il ne le voudrait. Son ennemi y a gagné un nom depuis sa brève entrevue avec son paternel : La Camorra. Même si le canadien sait qu'il ne pourra régler ce soucis lui même, il ne désespère pas de voir quelqu'un reprendre cette affaire pour s'occuper de ce bébé impoli qui s'est permit de menacer ses progénitures. Il faut qu'il trouve un moyen d'évacuer cette pression qui lui scie les nerfs.

Richard range les reflets de sa pauvreté dans une vieille boîte à chaussure qu'on croirait appartenir à Pandore, siffle le fond de sa bière avant de se relever. Sec son poing cogne contre la porte de la chambre de sa fille et c'est sans attendre d'autorisation de la part de la rouquine qu'il pénètre dans ce temple maudit qui pue la rose et la poudre bon marché.

-P'pa, on frappe avant d'entrer.
-C'est ce que j'ai fait. Je sors, surveille ton frère et envoie moi un message en cas de problèmes. Si je réponds pas, tente le coup avec Maf'.

Le regard émeraude de Joanie glisse sur la silhouette de son père pour s'attarder sur les larges cernes qui bordent les yeux de ce dernier. Les lèvres de celle qui se pense adulte avant l'âge prennent un vilain pli, elle juge alors sans vergogne celui qui l'élève seul depuis tant d'années. Attaché à son silence, Richard ne cille pas et coupe la parole à celle qui s'apprêtait à faire remarquer à son paternel son air épuisé.

-Bonne nuit Jo.

[...]

Le type à la mine patibulaire qui garde la porte du hangar l'a laissé entrer sans se donner la peine de lui poser la moindre question. Avoir mit une fois un des tauliers de cet endroit à terre suffit visiblement à se faire un nom, ou en tout cas un visage aisément reconnaissable dans ce lieu. Un fait qui n'arrange pas le policier qui aimerait conserver une part de son anonymat pour éviter que ses frasques ne remontent à des oreilles indiscrètes qui connaissent sa profession voir même une large part de son CV. Il a bien songé à la possibilité qu'un jour il pourrait croiser Amaro dans ce lieu mais ce type a su lui faire une impression qui même si elle n'est pas bonne sonne juste dans l'esprit du père de famille. Un fanfaron, un paon qui doit aimer se pavaner dans ce qu'il juge être son territoire. Un sale con à la langue plus longue que la bite. Mais nul italien à l'horizon ce soir, comme la dernière fois d'ailleurs. Richard entre, mirant le sol pour se faire tout petit. Il ne prête pas attention à ceux qui se retournent sur son passage.

Un type qui ne doit pas être à son premier verre l'alpague. Dick se fige et tente de se faire invisible, sans succès.

-T'es le gars de la dernière fois ! Le pote de Frank.

Le terme utilisé n'est pas le plus juste qui soit, mais Richard ne pipe mot. Une poigne s'abat sur son épaule, le fait chavirer un bref instant.

-Tu m'as fait perdre pas mal de fric en jouant les danseuses !

Dick est certain de ne pas être navré d'avoir bouleversé les projets de celui qui a plus de poils qui lui sortent des oreilles qu'il n'en a sur le caillou.

-Viens donc que je te paie un verre ! Une bière ?
-Un verre d'eau peut être.

Le silence se fait une place de roi tandis que tout les regards environnants tombent sur le père de famille. L'indécision laisse pourtant vite la place à de grands éclats de rire tant gras que graveleux. Richard se tasse sur lui même, gêné d'être la cible de tant d'attentions.

[...]

La bière a finit dans la cuvette d'un toilette étrangement propre. Il est de retour dans le bureau qui surplombe le hangar, sur la même chaise inconfortable. Crasseux le matte tandis qu'il se passe la langue sur les lèvres. Se fait alors entendre une ritournelle, semblable à celle de la première fois.

-Salut, j'ai besoin d'argent. Et je suis prêt à cogner une trogne volontaire pour en avoir et puis venir ici c'est comme la levrette on y prend goût.

Après un trait d'humour douteux s'harmonisant à la perfection avec celui que vient de faire le canadien, le comptable de ces lieux désigne une chaise au policier qui comme à son habitude fait preuve d'une grande docilité. C'est là une des plus grandes qualités de Richard, en tout cas c'est ainsi qu'il nomme ce talent qu'il a, celui de plier sans rechigner lorsqu'il est face à ce qui lui semble être une forme d'autorité suprême. Le type de l'autre côté du bureau ne paie pas de mine mais sa première venue dans cet endroit a suffit à Richard pour saisir que le grand chef, c'était bel et bien le mec qui distribue les billets lorsque le spectacle a prit fin. Dick n'est toutefois pas assez naïf pour croire que celui qui joue présentement avec son crayon de bois trop taillé, vraisemblablement le même que la dernière fois, puisse être l'instigateur de tout ce qui se trame de malhonnête dans ce lieu.

Le père de famille demeure silencieux, redresse l'échine lorsque monsieur crayon reprend la parole. Débutent alors de longues explications qui ressemblent à un cours de mathématiques accéléré. Trop pour que Richard ne puisse saisir quoi que ce soit. Il n'a jamais été premier de la classe et n'a jamais été motivé par l'idée de devenir l'intello de son quartier. Les maths et les matières scientifiques de manière générale ne sont pour lui rien de plus qu'une langue obscure. Un sacré bordel dans lequel x est un chiffre et où les inconnues peuvent se faire multiples. C'est sans chercher à feindre la compréhension que le flic écoute celui qui ne devait pas passer à son temps à sécher les cours durant ses années lycée. L'audace de Richard le pousse toutefois à opiner du chef lorsque la calculette humaine s'enquiert de sa compréhension.

Dick Turner est un vilain menteur mais il pourrait affirmer sans craindre de se fourvoyer qu'on ne lui en tiendra pas rigueur dans ce lieu.

La suite suffit à ravir le père de famille qui n'en demandait pas tant en revenant dans cet endroit. Une carte de fidélité avec un cadeau bonus s'il échappe à trois volées. Seule la mention de ses coordonnées le fait légèrement tiquer, son œil gauche jouant à la corde à sauter dans son orbite durant un bref instant. Sa cervelle fourmille tandis qu'il cherche une solution qui pourrait lui permettre de ne pas avoir à offrir cette vue sur sa vie privée à ce type dont il ne sait rien. Joanie même si elle est propriétaire de son propre cellulaire aime dérober celui de son père pour mener quelques affaires douteuses dont le policier ne veut rien savoir. Sa gamine l'espionne et il peine à retrouver la confiance de cette dernière depuis qu'il lui a avoué la véritable raison de leur arrivée précipitée à Beacon Hills.

Dans le doute le canadien laissera le numéro qui va avec la carte prépayée qu'il garde précieusement en cas de besoin. Ses erreurs passées lui ont apprit une leçon, à la dure certes, mais il sait à présent qu'il doit protéger sa vie privée coûte que coûte. C'est finalement un large sourire enjoué qui fait son apparition sur le faciès épuisé du policier.

-C'est bon pour moi.

Dick griffonne au crayon gris sur un coin de papier ce numéro qui n'a rien de personnel. Puis c'est sans se faire prier qu'il met les voiles hors de ce bureau après avoir prit connaissance des ultimes recommandations de monsieur maths.

L'homme dévale les escaliers puis file en direction des cabinets, la bière consommée en quantité lui donnant envie de pisser.

[...]

Les fesses posées sur une table installée dans le vestiaire, il mire cette masse de combattants à laquelle il ne veut se mêler. Les deux appelés pour le troisième combat sont partis faire les beaux sur le ring quelques minutes plus tôt, ce qui permet enfin au canadien de jauger celui qui doit être son adversaire. Un véritable mastodonte qui donne des airs de fétu de paille au père de famille. Plus impressionnant encore que ne l'était Donovan. Conscient que sa seule et unique victoire dans cet endroit avait des airs de coup de chance, Richard pâlit. Demolition Man le regarde d'un air moqueur, conscient lui aussi de ce que semble être l'issue inévitable de ce combat qui n'en méritera peut être pas le nom. L'énergumène est imposant et possède une carrure plus inquiétante que celle de l'homme de loi. Dick va devoir se montrer fourbe s'il espère repartir d'ici avec plus de cent billets.

[...]

Il est de retour sur ce ring où il espérait malgré tout ne pas avoir à remettre les pieds. Ses pieds dénudés frôlent ce sol de bois, y cherchant un appui qui permettra au canadien de demeurer droit. Face à lui on fait le beau et joue les coqs pour impressionner le public mais également celui qui sent que toute cette histoire prend un bien mauvais départ. Richard tente pourtant de demeurer imperturbable. Piètre comédien mais bon menteur, le flic joue la carte d'une assurance voulue sans faille.

Dans les gradins ça piaffe et ça piaille. Une vraie basse-cour qui fait se questionner le policier. Se tromperait-on depuis le début sur l'identité des poulets dans cette lutte incessante entre ceux qui font respecter la loi et ceux qui aiment en enfreindre les limites ? Dick soupire, un sourire niais de fausset faisant son apparition sur ses lèvres sèches tandis que la foule hystérique lui fait prémonition d'un futur qu'il ne veut avoir à vivre. L'apprenti boxeur n'a guère l'occasion de tergiverser plus longtemps. La cloche sonne.

Dick se met en garde. Priant ce Dieu dont le nom change en fonction des lieux de culte. Avant de bien vite se souvenir qu'il est le seul qui saura mener sa petite personne sur la voie de la victoire.

Turner est seul face à l'adversité. Avec ses poings nus, son calebard et son vieux jean.

Prit par la folie du moment, il esquive un coup tout en doutant de savoir renouveler l'exploit à l'infini. Puis il lance une jambe en hauteur. Jambe rapidement interceptée. La montagne se saisit de l'agaçant membre virevoltant, s'en sert pour attirer à lui son propriétaire et faire chuter ce dernier au sol.  

Sale soirée pour le Canada.

Sur le ring le canadien fait de son mieux pour esquiver les attaques de ce roc qui lui fait face. Il n'a guère fallu de temps à Richard pour saisir que c'était là la seule stratégie sur laquelle il pouvait tout parier s'il souhaitait avoir une chance, aussi maigre soit elle, de se tirer victorieux de ce combat. Luisant de sueur, le flic se protège avec une garde malhabile mais pas dénuée d'assurance. Il virevolte, agaçant serpent tandis que la montagne perd de sa superbe au fil des passes, puis des rounds qui s'enchaînent. Parfois, trop souvent pour son bien il tarde cependant trop longtemps avant de se mouvoir. Lorsque les poings du mastodonte heurtent son corps Dick a l'impression que ce dernier se brise sous l'impact. Les quelques hématomes dont il avait hérité à la suite de son premier exploit dans cet endroit lui paraissent bien lointains à présent. Son œil droit peine à demeurer ouvert. Le sang qui s'écoule de son arcade blessée l'aveugle, coule le long de sa joue pour échouer près de ses lèvres. Le métal de cette rivière pourpre envahit sa bouche. Bouleverse ses sens et le transforme en fauve aux instincts primaires.

C'est en déjouant les pronostics gracieusement offerts par cette foule dont il parvient à présent à faire abstraction que le flic évite le tapis plus souvent qu'on ne l'avait prédit. Pire même, il frappe quand il le peut. L'homme face à lui perd de sa superbe ce qui arrache un grognement rauque de satisfaction à Richard. La montagne a perdu la sûreté de ses appuis, boitant tout en se tenant le flanc que son adversaire prend pour cible dès qu'il en a l'occasion. Dans les gradins la rumeur n'a plus rien de comparable avec celle qui faisait vivre ce lieu lorsque Dick a posé ses pieds nus sur le ring. Sentant la fin du round approcher, voulant mettre un point final à cette rencontre qui prend des airs de supplice, le père de famille lève une jambe trop vive pour que son adversaire puisse l'intercepter. Cela fait bien longtemps que la montagne n'est plus en capacité de renouveler cet exploit. Son pied frappe. Deux fois. Une oreille qui suffit à achever d'étourdir celui qui peine à tenir debout. Puis un second qui fauche les jambes devenus vacillantes de son adversaire.

La montagne rejoint le sol, incapable de se redresser tandis que Jo décompte. L'euphorie du policier, celle qui fait battre son coeur plus vite qu'à l'accoutumée, celle qui lui a fait don d'une rage de vaincre, se voit bien vite être rejointe par celle qui fait vivre les gradins. Les pieds claquent contre le bois, tabassent la mélodie de l'hystérie collective. Richard laisse un sourire écorcher ses lèvres, il pousse un cri tant rageur qu'inhumain. Son pas est chaloupé et il manque de s'écrouler lorsque l'arbitre se saisit de sa main ensanglantée pour la dresser vers un ciel illuminé par des lumières jaunâtres.

S'extirper du ring est une épreuve, ne pas chuter sous le poids des accolades lui paraît plus pénible que ce combat dont il est miraculeusement parvenu à se tirer victorieux. La canadien râle tout en prenant la fuite en direction des vestiaires.

[...]

Il actionne le robinet du lavabo où il vient de lâcher un glaviot dans lequel se mêlent glaires et sang. Le rouge se dilue sous le jet de flotte gelée. Dick coupe l'eau avant de lever les yeux pour mieux ancrer son regard chocolat dans le miroir de fortune accroché au dessus du point d'eau. Son arcade a cessé de saigner pour mieux laisser place au marbre de ce qui promet d'être un bel hématome dont le policier devine qu'il sera ardu à dissimuler à ses proches. On ne fait pas d'omelettes sans casser d'œufs et malgré sa victoire le poulet a eu les plumes secouées par les assauts de son adversaire. Le flic grimace un sourire, tâte l'intérieur de sa bouche pour chercher s'il ne lui manquerait pas une dent ou deux.

Quelques secondes de fouille buccodentaire lui prouvent que rien ne manque à l'appel et que rien ne vacille plus qu'il ne serait raisonnable de le faire. Dans son dos on l'appelle. Une voix féminine, celle de la jolie Katie qui jusqu'ici manquait étrangement à l'appel. Comme lors des premières mésaventures de Richard dans ce lieu la docteure semble débarquer telle une fée dans les vestiaires pour rafistoler le policier après son combat. Dick tourne la tête, trop vite pour son bien ce qui lui arrache un grognement de douleur accompagné de quelques jurons bien sentis.

-Je compte mes dents et je suis tout à vous.

[...]

Assit sur la même table que lors de sa première rencontre avec la brune, le père de famille laisse cette dernière tâter à loisir et tartiner ce qui doit l'être. Il n'a su esquiver la piqûre, s'est contenté de grogner pour la forme lorsque la seringue est entrée dans sa peau sans crier gare. C'est silencieux, enfin presque si l'on fait abstraction de quelques gémissements de douleur, qu'il observe celle qui s'attèle à présent à désinfecter son arcade sourcilière. Le policier ouvre la bouche lorsque la brune se détourne de sa personne pour jeter dans une corbeille des compresses souillées de carmin.

-C'est toujours agréable. Votre douce compagnie après avoir joué du bourre-pif.

Il n'est guère compliqué de sembler douce lorsqu'on l'on passe après celui qui restera la montagne dans l'esprit du policier. Le sourire de Richard rencontre celui de Katie qui revient près de lui.

-Mais je trouve tout de même ça étrange. De vous voir arriver seulement maintenant alors que d'autres gars se sont fait cogner dessus avant moi ce soir.

Le goût de l'investigation n'a su épargner le policier plus longtemps. Il a apprit au fil des années et des enquêtes à ne jamais croire aux coïncidences. Richard reprend, imperturbable il questionne.

-C'est monsieur Crayon qui vous appelle ? Il craint que je ne revienne pas si je sors d'ici avec une tête à faire peur ?

Un investissement, c'est là tout ce qu'il est aux yeux du type qui distribue les billets à la fin des combats qui ont lieu dans cet endroit. Même si l'idée d'être considéré de cette manière pourrait vexer Dick, cela ne la rend pourtant pas moins juste. Il faut dire qu'il n'a guère fait d'efforts pour se montrer charmant ou encore cordial face à monsieur Crayon. Enfin Largo. Ce type aux étranges manières a désormais un nom. Une bonne chose car ce sera plus simple ainsi pour Richard qui aime pouvoir nommer directement ceux sur qui une part de sa destinée repose. Largo Crayon est de ceux là à présent. Le policier en est bien conscient, il ne faudrait que peu de choses pour que sa présence qui semble bien partie pour devenir régulière dans cet endroit soit un fait connu du poste de police. Il suffirait qu'il contrôle les papiers du mauvais gars, un de ceux qui l'a vu suer et cogner sur ce ring pour que son anonymat chéri prenne fin. Un flic dans un pareil endroit, un lieu créé pour le pugilat, cela ferait mauvais genre. Sa carrière pourrait prendre fin avant d'avoir su véritablement prendre son envol.

Les rumeurs vont vite car il est toujours plaisant de les offrir à de nouvelles oreilles. L'humain est un trou du cul qui aime avoir ce pouvoir, celui qui lui permet de pourrir la vie de son prochain. La plupart des gens ne tardent pas avant de saisir cette occasion lorsque celle-ci se présente à eux. Surtout s'ils sont certains de ne pas avoir à payer le prix des sales coups dont ils pourraient être responsables. Cette ville n'étant pas bien grande, Richard prend toute la mesure de ce jeu dangereux qu'il est en train de mener. À chaque coin de rue il peut croiser un de ceux qui parient leurs pécules ici tout en chérissant des rêves de richesse. Le rêve américain n'est pas réservé à ceux qui choisissent Hollywood comme point de départ. C'est silencieux qu'il laisse Katie terminer de lui administrer les soins qui lui permettront de retrouver sa belle gueule habituelle de flic modèle dans quelques jours.

-C’est gentil de revenir, cela me donne du travail.
-Gentil c'est mon second prénom.

À moins que ce ne soit Ducon. Agent Ducon. Ou mieux encore si le canadien était sujet aux rêves de grandeur : Lieutenant Ducon. Katie note une évidence de plus en précisant que l'illégalité paie bien plus que le droit chemin. Dick en est bien conscient car c'est ce combat qui va, comme l'avait fait le précédent, lui permettre de mettre sa famille à l'abri du besoin durant quelques temps. Son métier, cette vocation qui l'animait déjà alors qu'il était tout minot ne sert qu'à nourrir ce foutu syndrome du héros dont il souffre depuis des années. Le salaire de misère qu'on assorti à cette fonction ne sert à rien, sinon permettre au père de famille de voir la fin de chaque mois arriver et ce sans que son compte ne soit à découvert plus qu'il ne serait raisonnable de l'être. Et que dire du prestige, ce cadeau bonus que l'on agite sous le nez des bleus... Tout cela n'est que poudre aux yeux. Le port de l'uniforme attire plus de mépris qu'autre chose. Pareille à une cible qu'on vous collerait sur le front, cette tenue caca d'oie peut vous faire passer de vie à trépas en un rien de temps si vous avez l'audace de vous pointer au mauvais endroit pour y imposer une loi parfois injuste.

Katie s'en va et Dick se contente d'agiter une main faiblarde à l'intention de cette femme trop belle pour traîner dans un endroit de ce genre en guise d'au revoir. C'est l'esprit vide, encore plus qu'à l'accoutumée, que le canadien se relève. Le pas lourd il se dirige vers le reste de ses affaires qui l'attendent dans un casier. Il passe un t-shirt, serrant les dents lorsque cet effort pousse ses frais exploits à se rappeler à lui. Puis enfin il se saisit de sa veste et de sa paire de baskets. Enfiler ses chausses lui arrache un grognement, surtout lorsqu'il lève une jambe pour tenter de soulager son dos en évitant d'avoir à se baisser.

L'adrénaline n'est plus et seuls restent des hématomes ainsi que des courbatures qui lui rappellent qu'il n'a plus vingt ans. S'il faisait preuve de souplesse tandis qu'il paradait sur le ring, Richard peine à présent à quitter les vestiaires tout en conservant une démarche digne.

La foule n'est plus qu'un souvenir, tout comme les hurlements hystériques qui faisaient vivre ce lieu trente minutes plus tôt. L'arbitre astique son ring à grand renfort de javel, Largo attend dans son bureau. Dick ne tarde pas plus longtemps avant de le rejoindre.

-T'as perdu ton pari, je ne suis pas celui qui a fini à quatre pattes. Plus ils sont gros, plus ils mettent de temps à bouger.

Le père de famille prend place sur la chaise qui fait face au bureau. Il ne veut plus que trois choses : Son argent, une date pour un prochain combat et retrouver le confort de son lit.  

Dans les vestiaires l'homme de loi attend que son heure sonne. Cela ne devrait guère se faire attendre plus longtemps s'il se fie à la clameur qui vient de se réveiller dans les environs. Comme à chaque fois lorsque le combat prend fin ce lieu s'embrase, en proie à un vent d'hystérie. Les hommes semblent toujours plus nombreux dans ces gradins, appâtés par un gain qui intéresse le plus grand monde. L'argent facile. Dick ne peut juger ces gens qui viennent ici pour parier quelques billets dans l'espoir de multiplier leurs mises à l'infini. Ou presque. Richard comme ces hommes dont il aurait pu juger le vice quelques mois plus tôt vient ici pour s'assurer d'avoir de quoi remplir son frigo et le réservoir de sa Ford, et ce même à la fin du mois. En tout cas c'est avec cet objectif en tête qu'il est monté sur le ring lors de ses premiers passages dans cet endroit où la déviance est de mise.

Un dépucelage à la dure et parfois humiliant. Si lors de ses débuts il était en proie à la culpabilité, cette amie trop portée sur la bonne conscience et ses vertus n'accompagne plus le canadien. S'il est revenu, si la dernière fois encore il a vaincu, c'est parce qu'il aime cet instant. Un moment de grâce perdu au milieu d'un monde sans sens. Pendant ces quelques minutes, un quart d'heure à tout casser, il oublie sa vie de père, sa carrière de flic médiocre et toutes les responsabilités qui sont livrées avec. Ses poings vivent, son corps se mêle à celui d'un autre. Nourrit par une adrénaline qui fait parfois défaut à son quotidien, le policier oublie alors qu'il n'est qu'un grand gamin qui s'est perdu trop vite dans le monde des adultes. Dick sourit, presque fier de son échec après avoir voulu pendant tant d'années suivre obstinément des règles dont il ne saisit pas toujours les fondements.

Les portes du vestiaire s'ouvrent, un signe de plus s'il en fallait un que son instant de gloire est déjà là. Ici on l'acclame, d'une manière différente de celle qu'a son fils de lui souffler qu'il est son héros tout les soirs. Deux visions du monde qui ne sont pas faites pour se lier, mais elles semblent être ce qui définit le mieux Richard ce soir.

-Tu vas pouvoir y aller vieux.

Dick remercie celui qui vient de gagner son combat d'un large sourire. Il ôte ses baskets d'un autre âge, y fourre sa paire de chaussettes avant d'abandonner le tout sur une chaise. C'est sans avoir besoin qu'on l'appelle qu'il sort des vestiaires. L'odeur qui embaume l'air et lui sature les sens est plus forte que celle qui encombre l'endroit qu'il vient de quitter. Le mauvais alcool, le sang, la sueur : Toute cette scène semble tirée d'un mauvais roman de genre. Les gradins paient le poids de la folie de ceux qui les occupent. Un jour tout ce fatras finira par se casser la gueule. Alors qu'il se prépare à grimper sur le ring pour rencontrer celui avec qui il va clore cette drôle de carte fidélité dont il a pu bénéficier, le canadien lève enfin son regard chocolat sur celui qui s'y tient déjà.

Une boule amère obstrue sa gorge tandis que son front prend un vilain pli. La douce naïveté laisse place à la nausée. Devant lui se tient celui qui ne peut être que le grand seigneur de ces lieux. S'il avait douté sur ce point, s'il avait osé croire que cet homme n'avait rien à voir avec toutes ces histoires, le policier se rend bien vite compte que sa naïveté lui a une fois de plus joué un mauvais tour. Sans jamais penser à se défaire de cette grimace qui habille à présent ses traits, le policier ne perd pas une seconde de plus avant de grimper à son tour pour rejoindre Amaro et l'arbitre qui ne se doute peut être pas de la véritable teneur de ce combat.

En cet instant le canadien se moque de l'argent, de finir KO ou non. Il ne veut qu'une chose : Faire avaler son sourire suffisant à celui qui joue avec ses nerfs depuis trop longtemps. Il est déjà fichu. Amaro ne tardera pas à divulguer la présence du policier sur ce ring. Foutu pour foutu, Dick compte bien se décharger de toute cette colère que lui inspire son vis à vis.

Un doigt se lève, le sien. Insolente salutation ou joli retour de politesse pour celui que lui avait adressé le truand lors de sa visite du bureau du shérif. Richard ne sait plus vraiment et décide de se moquer des convenances autant que des conséquences qu'il devine déjà être funestes pour son train-train quotidien. Il range son impoli majeur pour mieux pointer l'italien de son index.

-Le pire c'est que j'y ai pensé. Je te pensais assez con et arrogant pour te montrer tout de suite. Comme quoi... Je n'ai d'un voyou que les manières et pas le mode de pensée qui va avec.

Ses doigts se rangent, ses mains se font poings fermement serrés. Furieux de s'être fait berner avec tant de facilité et de voir sa destinée lui filer entre les doigts, Richard attend que le début du combat résonne. Il fait cogner ses poings contre ceux de celui qui est un parfait rival, à la ville comme sur le ring. Lui déclame la flamme de sa rage par un clin d'œil faussement aguicheur. Le torchon brûle par les deux bouts et le policier vient de verser de l'essence dessus pour en accélérer l'embrasement.

-Tu sais qu'ils vont me virer s'ils me choppent ici. Peut-être même me coller en cabane. Mais j't'assure que tu m'y suivras mon vieux. T'as mes couilles en main mais la réciproque est vraie.

Comme lors de son bref passage en cellule, il se trouve face à un homme qui n'en est pas vraiment un mais qui semble expert dans le décryptage de l'humain. Un type qui semble vouloir le voir se mettre en colère, mais Richard ne compte pas lui offrir ce plaisir. La colère n'a jamais été d'une grande aide lorsqu'il était face à un problème qui lui paraissait insondable. Bien au contraire les coups de sang du canadien ne lui apportent que des ennuis. Stoïque Dick se contente donc d'attendre que le préposé au gong fasse retentir le debut du premier round.

Les deux combattants se tournent autour, se jaugent du regard et des poings. Prémices d'une danse qu'on peine à imaginer sensuelle. À tord. Ici comme dans un lit on a bien vite le souffle coupé et le corps couvert de sueur. Mais ce temps perdu dans d'étranges préliminaires n'est pas ce qui intéresse le policier dans cette histoire. Finalement il se demande si retrouver Amaro sur ce ring n'est pas une bonne chose. Il va pouvoir frapper celui qui joue insidieusement avec ses nerfs depuis des mois. Cette ville prend un mauvais chemin, certains flics ne semblent pas être aussi intègres qu'ils ne devraient l'être. Les ripoux sont comme les bons flics, on en trouve partout. Et l'italien semble avoir les moyens de graisser les pattes de quelques agents peu scrupuleux.

C'est d'ailleurs le loup qui lance les hostilités. Amaro attaque à trois reprises. Si Dick parvient habilement à esquiver les deux premiers coups, le troisième vient s'imprimer sur son torse pour lui couper brièvement la respiration. Richard ne s'en inquiète pas car s'il a apprit une chose lors de ses premières venues dans ce lieu, c'est qu'il ne peut échapper à quelques coups avant de jouer un rôle qui lui convient mieux. Il est grand, dépassant la moyenne d'une poignée de centimètres. Une carrure qui n'est pas sans points faibles car sa taille est aussi fine que fragile. Il compte comme à son habitude sur un épuisement de son adversaire, une certaine lassitude dans les gestes de ce dernier. Un essoufflement général qui lui permettra de passer les défenses de l'italien en souplesse.

C'est d'ailleurs ce qu'il tente de faire en osant une attaque haute. Sa jambe part pour ouvrir une voie qu'il espère sécuritaire pour son poing droit. Bloqué dans son élan, coincé contre son gré il demeure impuissant alors que son flanc devient une cible parfaite pour des coups qui lui arrachent des râles douloureux. Il se pourrait même que quelques sacres impolis passent la barrière des lèvres du canadien sans que ce dernier ne sache en retenir l'évacuation lorsque l'arbitre vient à son secours en mettant fin à cette étreinte dénuée d'affection. Désormais chancelant le père de famille lance un regard noir à son adversaire. S'il n'était pas si déterminé à venger des affronts dont il se juge victime, il compterait sur la fin d'un round qui ne semble pas prête de se faire entendre. Histoire d'avoir quelques secondes pour retrouver son souffle qui se fait fuyard.

L'instant offert à cette réflexion ne dure guère plus de temps. Richard passe à l'attaque, offensif. Tardif. Le gong sonne mais le canadien ne sait couper son élan. Il termine pitoyablement sa charge dans les cordes.

-Reste avec moi, mio amore.
-Va te faire foutre chéri !

Richard s'écroule sur son tabouret, récupère une bouteille d'eau tendue par une main bienveillante. Il la déleste de longue gorgée de flotte parfum javel, crache le tout au loin sans se douter que ses actions sont en partie similaires à celles de son rival. En faisant ses recherches sur Amaro il n'a pu passer à côté des nombreux points qu'ils ont en commun. À une différence près, le père de Richard était flic et non-voyou de bas étage mort en prison. Il ne faut parfois que peu de choses pour que des chemins de vie se dessinent.

Si la vie avait été autre, Amaro aurait peut-être même pu s'attirer l'amitié de Dick. Une constatation étrange qui arrache un sourire douloureux au policier. C'est sans regrets et plus déterminé que jamais qu'il se redresse pour un nouveau round.

Le père de famille a apprit de ses cuisantes erreurs. Il prend garde à rester hors de portée des attaques de son adversaire tout en observant ce dernier. Nul doute que le loup sait tout des premiers combats de Richard, de cette souplesse qui l'anime. Son vis à vis l'attend probablement sur ce terrain là. Le canadien amusé mime une obscénité puis charge sans chercher à dissimuler sa mire. Sa jambe s'élance, mais ne se montre pas où l'italien l'attendait. Généralement friand des attaques en hauteur, le policier fauche les jambes du loup. Déséquilibré l'italien flanche suffisamment pour que Richard puisse lire une invitation dans ce comportement.

Dick se redresse, esquive un coup puis un autre avant de se prendre celui qui suivait. Visiblement le loup aime les choses qui vont par trois. Sans s'attarder sur cette pluie de coups dont il est la cible, le canadien élance sa tête dans un coup de tête plus majestueux que celui dont il avait fait l'impulsive démonstration devant la caméra de sa voiture de patrouille. Son crâne tout entier vibre suite à cet assaut. Étourdi, Alessandro ne voit pas la suite arriver. Un coup dans le nez, vulgaire par sa simplicité, suivi d'un lever de jambe qui frappe l'épaule de celui qui avait prit le dessus lors du premier round. Le flic est joueur, sourit de toutes ses dents parfaitement alignées.

Il retrouve son coin de ring avant que les conséquences ne puissent lui tomber dessus. Retrouvant sa garde habituelle, le policier attend la suite des évènements. Lorsque Amaro revient sur lui, ce dernier a perdu de sa splendeur. La provocation semble avoir changé de camp tandis que Richard esquive avec grâce les coups de son adversaire. La foule est en délire, hurle dans l'espoir d'en voir plus. Un appel au pugilat que Dick ne demande qu'à satisfaire. Un coup donné dans l'abdomen suffit toutefois à lui raccrocher les pieds sur terre, lui donnant l'impression que son corps se brise en deux. Sa respiration est ardue, brûlante et c'est avec bonheur qu'il entend le gong résonner.

Le pas hasardeux il retrouve son tabouret, la même bouteille remplie d'eau du robinet lui est rendue. Le canadien la vide avant de reprendre.

-Allez mon lapin me lâche pas comme ça. Tu tamponneras ma carte de fidélité quand tu te réveilleras ?

L'intermède entre deux rounds est trop court pour que le canadien puisse réellement retrouver son souffle qui semble s'être fait la malle depuis qu'Amaro a pu le toucher. Il sait pertinemment qu'il doit esquiver, éviter de se retrouver sous une pluie de coups qui seront toujours plus puissants que les siens s'il veut espérer se tirer vainqueur de cet affrontement. Ses dernières passes sont parvenues à faire mouche car elles étaient mariées avec un effet de surprise qui a su déstabiliser son adversaire. Mais la donne change à présent, en effet le loup sait que le policier peut modifier ses vieilles habitudes lorsque celles-ci peinent à donner un résultat satisfaisant. Le père de famille se noie dans sa bouteille d'eau, son abdomen brûlant se rappelant à lui à chacune de ses gesticulations. Le gong retentit, Richard se lève, le défi éclairant son regard tandis qu'il fixe celui qui lui fait face.

Ses mâchoires se crispent sous le poids de la détermination qui l'habite. Il se cherche une garde, traque une faille inespérée chez le loup qui se remet de ses blessures bien plus vite que le canadien ne saura jamais le faire. Cette injustice est fort heureusement pour le policier la seule qui le différencie de son adversaire. Ici on sait donc faire combattre surnaturels contre simples humains dans une équité presque parfaite. Le flic teste ses appuis, joue de ses jambes et de ses talents de danseur dans un pas dont il bat pour l'instant la mesure en solitaire. Dans quelques secondes cette prestation deviendra un tango à la sensualité discutable.

Amaro se lasse de ce petit jeu, s'élance pour trouver l'affrontement. Dick esquive, inlassablement. Se faufile comme la souris qu'il est. De ses poings serrés il frappe, dans le vide la plupart du temps. Cet exercice n'use pas que les nerfs de l'italien. La respiration du père de famille vire à l'erratique. Mais cela n'empêche pas sa jambe de prendre de la hauteur lorsqu'il lui semble avoir trouvé une mire qui lui paraît comme étant sécuritaire. Son pied droit frappe. Une épaule, la même que durant le round précédent. Le râle que cela arrache à Amaro touche au jouissif. Peu amène à l'idée de sortir de ce ring avec le poids d'une défaite à porter sur les épaules Richard tente d'user son adversaire en lui créant un point faible. Il saute, virevolte pour échapper aux conséquences de ses actes. Perd soudainement son souffle lorsqu'un pied heurte son torse. Son adversaire mime ses techniques et parvient à le faire chavirer un bref instant sans lui offrir le moindre répit. Alors qu'il cherche encore ce qu'on vient de lui dérober, le canadien a l'impression que sa mâchoire se décroche lorsqu'un poing entre en collision avec une zone encore intouchée de sa personne depuis le début de ce combat. Un bleu, une marque de plus sur son corps qu'il sera compliqué de dissimuler au poste de police. Une fois de plus il devra éluder les questions, les éviter pour demeurer loin des soupçons de ses collègues.

Si demain sa vie ne part pas en vrille, si la première chose faite par les larbins de l'italien n'est pas d'aller le dénoncer pour sa participation à des combats clandestins lorsqu'il quittera cet endroit.

Ce brusque retour à la réalité n'est pas pour arranger l'actuelle situation de celui qui ignore s'il sera encore flic ou non demain. Il a le temps de recevoir deux autres coups avant de parvenir à esquiver suffisamment longtemps pour pouvoir se ranger hors de portée des poings rageurs de l'italien. Les prunelles chocolat du canadien glissent sur l'adversaire de ce dernier. Sa garde devenue faiblarde ne le protège pas assez longtemps pour qu'il puisse espérer que le gong salvateur résonne une fois de plus avant qu'il ne finisse à terre. Sa jambe se lève, une fois de plus. Un échec. Amaro vient de se saisir de l'agaçant membre, le tirant brusquement en avant.

Plus que la chute en elle même, c'est la rencontre du bois dont est fait le sol et du crâne de Dick qui blesse l'ego de ce dernier. Il ne bouge plus, le sang remontant la pente de sa gorge. C'est la voix de l'arbitre qui l'éveille. L'homme décompte, impassible. Richard se tend pour se redresser, mais plus aucune énergie n'anime son corps. Pas même celle du désespoir. Il lui paraît être devenu sourd un bref instant, les hurlements étouffés de cette foule qui acclame le vainqueur sont comme mit en sourdine en comparaison avec le rythme fou de la pompe à sang du policier. Un son rassurant qui lui rappelle qu'il est en vie même s'il s'évertue à lui broyer les tympans.

Il ferme les yeux qu'il ignorait avoir gardé ouverts. Inspirant aussi profondément que difficilement lorsque sa main en saisit une autre tendue pour l'aider à se redresser.

-La... La prochaine fois on échange les rôles...

Difficilement il se redresse avec l'aide de celui qu'il s'est pourtant promit de détester et ce dès son arrivée en ville ou presque. Amaro fait parti de ces hommes à qui Richard pourrait trouver des défauts et ce sans jamais se lasser, pourtant ce gars se révèle être en cet instant bien plus droit que pas mal de sales types que le policier a côtoyé dans le cadre de son travail. La foule en délire hurle le nom du vainqueur mais également celui du perdant. L'esprit sonné le canadien ne cherche pas à étouffer le grognement qui passe la barrière de ses lèvres quand le loup lève son bras bien haut, trop pour que le geste soit agréable. L'intention d'Amaro aussi bonne puisse t-elle être abîme le corps meurtri de celui qui peine à se tenir droit sur ses jambes. Pourtant un sourire rayonnant habille les lèvres de Dick accompagné par un rire écorché qui éclot dans sa gorge.

-Tu me voles la vedette, enfoiré !
-Les gens adorent les grands nigauds...

Et Richard en est un bon exemplaire. Il se prend peu au sérieux, ou plutôt mime un constant détachement face aux turpitudes de la vie. C'est ce qui lui permet de ne pas perdre la tête quand dans son métier il doit faire face à ce qui ressemble à un théâtre des horreurs. Il ne sait qu'elle serait la réaction de ceux qui l'acclament s'ils savaient quel est son métier. Ou plutôt il refuse de l'imaginer. Sa profession même si elle touche à la vocation est certain jour un fardeau qui l'éloigne de ses congénères. Les flics attirent la méfiance, une situation qui ne s'arrange pas lorsque les faits divers sont remplis de bavures policières. Presque porté par celui qui vient de remporter le combat, Richard quitte le ring avec difficulté. Au dessus de sa tête tournent 36 chandelles hurlantes, d'agaçants gyrophares qui lui donnent l'impression que le monde bouge autour de lui. Dans un râle douloureux Dick se repose de presque tout son poids sur le gars qui est venu l'aider à s'extirper du ring pour le guider vers les vestiaires.

Le canadien sourit en apercevant Katie qui l'attend près de la table de leurs retrouvailles. Comme toujours la jolie brune est présente pour cet étrange rendez-vous qui ferait grincer les dents de Mafdet si la belle du policier était dans les parages. Entre ce que la féline sait et est prête à accepter il y a tout un monde. Mais comme Dick ne compte à aucun moment inviter la docteure dans un restaurant exotique pour participer avec elle à un massacre sanglant, il se dit qu'il est encore sage dans ses fréquentations. Le sujet Rapier est sensible et la jalousie dont peut faire preuve le policier sans limite lorsqu'il craint pour son couple et que la colère lui arrache le peu de raison qui lui reste.

-Bonjour Docteure Katie.

Il prend place sur la table, comme à son habitude il fait preuve d'une parfaite docilité tandis que la jeune femme s'occupe de lui. Sans frémir lorsqu'une aiguille rentre dans son bras, il se contente de fermer les yeux et attendre que les choses se fassent. Il hausse toutefois un sourcil quand la porte des vestiaires s'ouvre sur le loup. Il n'a nul besoin de voir l'intrus pour deviner sa présence. Ce qui vient de se produire sur le ring ne peut demeurer plus longtemps sans explications. Des explications qui devront toutefois attendre car en cet instant le policier a l'impression d'être passé sous une moissonneuse-batteuse. Trop éreinté pour fuir, Richard se laisse faire quand des mains miraculeuses enserrent son crâne douloureux. Il ouvre la bouche, expirant un râle de bien-être lorsque la douleur se met en sourdine avant de disparaître. Bénissant le silence ambiant, le policier sursaute lorsqu'une main glisse sur sa poitrine. Katie prend finalement le relais, distribuant des boîtes de pilules à celui qui va une fois de plus connaître un lendemain difficile. Richard ouvre finalement les yeux quand la voix du véritable patron des lieux se fait entendre.

Muet et pareil à un gamin qui vient d'être prit sur le fait alors qu'il était en train de commettre une bêtise, le flic garde le silence en étant certain que chacune de ses paroles pourra lui porter préjudice. Il craignait de perdre son job, voir sa vie être chamboulée mais il n'en est rien. Méfiant malgré tout, le canadien se contente de souffler une vague salutation à l'intention de Katie lorsque cette dernière met les voiles.

Si ce soir Amaro a su remonter dans l'estime du père de famille, la réciproque semble vraie. Mine fermée et regard dans le vague, Richard ouvre enfin la bouche pour énoncer une évidence.

-Sur un ring.
-Te casser le pif sur un ring suffit à mon bonheur. J'suis pas compliqué comme mec.

Après un clin d'œil, puis un sourire pincé de la part du canadien, l'italien prend à son tour le chemin du départ. Dick demeure alors seul un long moment, il cogite en songeant à ses actes et leurs possibles conséquences. Des conneries qui en effet le placent du côté des voyous, des sottises que jamais un flic équilibré n'irait commettre. Ce lieu a des vertus qu'on ne saurait lui soupçonner car depuis qu'il vient ici de manière régulière Richard a su voir un certain changement dans son comportement. Il s'emporte moins, dort mieux lorsque vient le moment de retrouver son lit. Cet endroit où l'on vient pour se prendre quelques beignes de manière hebdomadaire est un havre de paix hors du commun.

[...]

Dick passe les portes du hangar, fourre le billet de cent donné par Largo dans son portefeuille. Ce soir il n'était pas venu dans ce lieu pour faire fortune mais uniquement pour s'offrir une bulle de quiétude hors de son quotidien souvent oppressant. Ce billet n'est toutefois pas inutile car il suffira à payer les courses de la semaine, remplir un frigo régulièrement vidé par cette meute d'adolescents que sont les amis de sa fille.