La famiglia || Feat Andy

Si Andy ne doute pas que son père sache s'entendre avec sa belle-mère, elle craint que sa propre mère ne puisse effrayer Maria. Miranda même si elle sait se montrer bienveillante est avant tout une femme dure et parfois assez froide, au caractère bien affirmé. Parfois trop aux yeux de sa fille ou encore à ceux de son mari. Pourtant dans cette famille qui est la leur règne un équilibre qui n'a jamais perdu en stabilité et ce même après des années. Quand autour d'eux des ménages se brisent et que des couples divorcent sans s'attarder sur le caractère sacré du mariage, Samuel et Miranda savent rester unis. Et ce même après avoir subit une épreuve atroce : La perte d'un de leurs enfants. Leur famille est souvent jugée atypique car un homme y joue un rôle que l'on ne confie généralement  qu'aux femmes et ce sans que cela ne le mette dans une case où seuls les faibles et autres mous du genoux sont rangés. Andy admire son père, bien plus qu'elle ne saurait voir en sa mère un parfait exemple de réussite. Certes le parcours de Samuel n'est pas idyllique et sa tranquillité fut souvent bien relative, mais il a su devenir au fil des années un savant mélange entre celui qu'il espérait être et le père omniprésent qu'il fut lorsque ses enfants étaient trop jeunes pour savoir prendre soin d'eux seuls.

Andy a grandit, changé et murit après avoir quitté le nid. Taylor n'a malheureusement pas eu cette chance. Les mésaventures de son frère ont su donner à la jeune femme la force suffisante pour qu'elle puisse se s'extirper d'une vie dont ses parents avaient pensé chaque instant à sa place. Si aujourd'hui elle porte la robe et officie dans un domaine qui sait la passionner, c'est parce qu'elle a prit le temps de se laisser le droit à l'erreur pour être certaine de ne jamais regretter le moindre de ses choix.

Si elle n'avait pas rejoint sa compagne de l'époque dans sa campagne paumée après la mort de Taylor, elle n'aurait jamais eu la chance de rentrer dans un bar pour y redécouvrir une des sombres fréquentations passées de son frère. Son regard glisse sur son homme qui parle de son bar. Si Samuel ne loupe rien des dires de ce gendre avec qui il s'entend bien mieux que la jeune femme n'aurait pu l'espérer, sa mère se montre quant à elle plus distraite. Et même distante. Si elle est assez brillante pour ne pas montrer à son gendre qu'elle peine à l'apprécier, Miranda a toutefois du mal à monter de toutes pièces un entrain qui lui fait défaut lorsque face à elle se trouve le futur mari de sa fille.

Les premières impressions sont parfois bien cruelles mais sa mère saura se faire à ce qui pour l'instant semble lui déplaire. Ce n'est pas comme si sa fille lui laissait le luxe d'exprimer et imposer son avis. Andy sourit, soulageant son verre d'une longue gorgée de thé glacé sans rien louper du tendre sourire qui vient de faire son apparition sur le visage pourtant blasé de sa mère. Miranda a de bonnes oreilles et l'invitation à venir les visiter que vient de faire Alessandro n'avait rien de subtile.

Samuel se lève et part enfin allumer son barbecue. Un modèle moderne, sans doute hors de prix. Un cadeau qu'il s'est offert pour ne pas avoir à attendre que l'on songe à le gâter. Miranda se lève à son tour, suivie de près par son gendre, pour aller mettre la table. Une jolie nappe, de tout aussi belles assiettes et des couverts bien plus classiques mais pas moins modernes. Miranda est toujours accro à ses bouquins de décoration d'intérieur, il suffit de voir la décoration du salon qui a été modifiée depuis la dernière visite de la jeune avocate pour s'en rendre compte... Andy se fait vivement refouler lorsqu'elle s'approche de sa mère pour lui proposer son aide.

-Ne touche pas à ça. Va donc voir ton père et te resservir un verre. J'aimerais que tu profites de ton week-end de congés chérie.
-Maman je ne suis pas malade. Je peux porter quatre assiettes.
-Je sais bien.

Le regard de la pédiatre coule en direction de la cuisine ouverte, vers Alessandro qui fouille dans le placard où sont rangés les verres. Lèvres soudainement pincées Miranda semble retenir le fond de sa pensée. Elle cache difficilement son désaccord et la désapprobation que lui inspirent certaines des manières trop marquées par le patriarcat de son gendre. Andy réagit rapidement, pinçant sa mère pour lui faire retrouver sa bonne humeur. Miranda sursaute et manque de faire tomber au sol la poignée de couverts qu'elle tient encore.

-Aie ! Mais qui t'a donc apprit à pincer ?
- Ma mère, une femme géniale. Tu l'adorerais.

[...]

L'après-midi se déroule dans une quiétude confortable. Si les deux hommes qui sont dans le salon semblent être en train de régresser, les femmes sont quant à elles bien installées dans le bureau de la mère de la jeune femme. Le nez plongé dans un polar qui appartient certainement à son père, Andy reste silencieuse tandis que sa mère s'affaire en passant quelques appels précieux et en triant des dossiers que la pédiatre jugeait faussement être en souffrance.

Parfois un mot se fait entendre, une agréable rupture dans ce silence qui ne se montre à aucun instant pesant.

-Le travail se passe bien pour toi ?

Miranda lève la tête, puis se tourne vers sa fille. Sans craindre que sa progéniture ne puisse se faire juge de ses faiblesses elle les admet en les nommant sans chercher à les amoindrir.

-Je fatigue parfois. Les enfants malades ne connaissent ni les week-ends, ni les horaires de nuit.
-Tu pourrais peut-être déléguer...
-Oui c'est évident mais un bon chef est celui qui connaît la sensation de la sueur qui coule le long de son front. On ne travaille pas dans un hôpital uniquement pour le plaisir de toucher une somme rondelette à la fin du mois chérie. Et il en est de même pour les avocats.

Andy ne dit rien car elle sait que sa mère est en train de se faire voix de la raison. Sa carrière n'aura pas le temps de prendre son envol que déjà elle devra la mettre entre parenthèses pour s'occuper d'un enfant dont elle n'avait pas pu prédire qu'il serait bientôt là. Elle sait que son homme ne saura être aussi présent pour leur bébé que ne l'est Tobias pour sa fille, mais leur situation n'est en rien comparable avec celle du père d'Alice. On ne peut pas chambouler les codes qui régissent un univers comme celui de la mafia d'un simple claquement de doigts. Décidée à ne pas être une poule pondeuse comme une autre, dévouée corps et âme au soin de son logis et à l'éducation de ses marmots, Andy souhaite toutefois être une mère plus présente que ne l'a été la sienne. Créer ainsi avec Alessandro un équilibre qui leur sera propre.

Miranda reprend son travail sans se soucier plus longtemps des songes qui agitent l'esprit de sa fille. Ces quelques mots échangés entre deux longs instants de silence seront là tout ce qu'elle pourra tirer de bienveillance à sa mère pour la journée. Andy se replonge dans la lecture de ce livre qu'elle devra emprunter à son père si elle veut en connaître le dénouement. Au rez de chaussée Alessandro et son père semblent s'être assagis.

[...]

Alessandro l'a entraîné hors de la maison, lui a bandé les yeux une fois qu'ils furent tout deux installés dans la voiture et depuis la jeune femme tente de soutirer quelques précieuses informations à celui qui partage sa vie au sujet de leur destination. Elle a bien essayé de soulever le foulard qui lui barre la vue, mais sa malice n'a pas eu le temps de porter ses fruits. Depuis Andy tend l'oreille, cherchant à saisir quel est le lieu dans lequel son homme les emmène et ce avec la bénédiction de Samuel. Devenue silencieuse la féline se fait surprendre par l'arrêt de la voiture. Hésitante elle finit par quitter l'habitacle de l'automobile, secourue par une des mains de sa moitié venue saisir une des siennes.

Hésitante et craignant de finir le museau dans un poteau, Andy râle pour la forme.

-Attention. Si je chute je t'embarque avec moi.

Les gens qui les entourent rient, Alessandro fait de même. Cet étrange spectacle semble ravir ceux qui se trouvent autour d'eux. Andy doit elle même avouer qu'elle trouve ce jeu amusant.

Ils entrent dans ce qui semble être une boutique ou encore une maison et ça Andy en est certaine car elle manque de trébucher sur la marche qui en marque l'entrée. Rapidement elle se retrouve installée dans un fauteuil plus confortable que ne l'étaient les sièges de la voiture. Railleur Alessandro en rajoute une couche. Taquine la féline lui tire la langue, à moins qu'elle ne le fasse dans la direction d'une autre personne, avant de rétorquer.

-Je suis toujours sage.

Tout n'est qu'une question de point de vue dans cette affirmation...

L'attente perdure encore un instant, assez pour que ce petit jeu ne puisse menacer de lasser la jeune femme. Lorsque le foulard est ôté et que sa vue lui est rendue, Andy ne perd pas de temps avant de saisir la raison de leur venue dans cette bijouterie. La moue dont s'était paré la visage de la féline est bien vite remplacée par une bouche qui se fait bée. Sentant dans sa gorge se former une boule dont elle perd la maîtrise, Andy craint que des larmes n'en viennent à lui échapper. Son regard illuminé par l'émotion se perd dans celui de son homme et sans crier gare elle se lève pour serrer ce dernier contre elle.

Sans un mot, car bien incapable de parler sans risquer de s'emmêler les pinceaux la jeune femme soupire, inspirant profondément pour retrouver contenance et sa capacité à réfléchir par la même occasion. Après cet instant qui lui semble durer plus qu'il n'est bon de le faire lorsque l'on a un public qui ne loupe rien de nos agissements, la jeune femme se détache de son homme pour retrouver le fauteuil dans lequel elle était installée.

Son regard glisse sur ces bijoux dont elle se moque de connaître les prix. L'or qu'il soit blanc ou jaune lui paraît somptueux. Et c'est sans parler de ces diamants qui trônent sur ces bijoux délicats. Pareille à une enfant devant un alléchant bol de bonbons, Andy se demande lequel de ces bijoux il serait bon d'essayer en premier.

[...]

Elle ne sait combien de bagues ils ont vu avant que son regard ne s'attarde sur celle qui est désormais à son doigt. D'un or blanc presque discret, la bague se pare d'un charmant diamant dont la taille fut rapidement jugée parfaite par la féline. La pierre est fine, moins imposante que certaines qui lui donnaient l'impression de porter à son doigt délicat un bout de montagne. Surmontée de deux saphirs taillés avec finesse, la pierre ne fait que gagner en beauté grâce à ce juste mariage. Ils quittent la boutique après qu'Alessandro soit allé régler la bague.

Andy l'attend près de la porte, se mettant sur la pointe des pieds pour embrasser son homme sans ce soucier des regards curieux qui pourraient s'attarder sur eux.

-Tu as été très sage. Adorable pourrais-je dire. C'est à moi de te payer une glace.

[...]

Sonny a mit fin à cet instant de grâce en appelant avant même qu'il n'ait pu être vécu. À deux reprises pour que l'on daigne enfin lui répondre. Cet agaçant ami trop imposant aux yeux de la jeune femme n'a pas su totalement se faire oublier et même si l'affaire qui demandait l'attention d'Alessandro semble être en train de se régler, la jeune femme peine à retrouver sa bonne humeur. Sans râler car se doutant que cela ne changerait rien à cette situation, Andy mire son écran de téléphone pour mieux oublier celui de son homme qui sonne bien trop souvent à son goût. Elle n'ose songer à l'importance que prendra le mentor et ami de son homme lorsque ce dernier sera au vent de sa grossesse. Déjà parfois agaçant l'homme risque de bien vite devenir insupportable.

Ce n'est pourtant pas grand chose et ils auront de nombreuses autres occasions pour partager de doux moments à deux, mais parfois cette vie pèse de tout son poids sur les épaules de la jeune femme. Sans prendre le temps de peser le poids de ses mots, ni même chercher à les rendre plus doux Andy affirme une part de son avis sur la question alors qu'Alessandro les ramène à la maison de ses parents.

-J'aimerais que le bébé soit une fille. Je pense qu'elle aura une vie plus paisible si son grand-père ne met pas tout ses espoirs sur elle. Et je ne veux pas avoir à me battre avec Stefano pour faire valoir mes droits de mère et mon avis sur l'éducation de notre enfant. Je risquerais de perdre cette guerre et je ne suis pas sûre de pouvoir faire preuve d'autant de résilience que ta mère n'a pu le faire.

Maria lui a déjà fait part de certains de ses regrets sur le sujet et Andy ne veut pas avoir à partager les doutes de celle qu'elle a rapidement vu comme une seconde maman. Plus aimante et douce que ne l'avait été celle qui lui a pourtant donné la vie.

-C'est avec toi que je vis, que je veux me marier. Ils ne sont qu'un package dont je me serais bien passée. Je tolère, j'accepte et je prend le soin de bien jouer à l'autruche pour ne pas me faire parasiter par tout ça. Mais j'espère avoir une fille pour épargner ces histoires à notre bébé.

Andy était déjà consciente que son homme saurait la soutenir dans sa vision de leur situation. Certes leurs points de vue ne sont pas toujours semblables, mais ils savent s'entendre et s'écouter sur tout ce qui a une réelle importance aux yeux de la jeune femme. La fraîche découverte de sa grossesse rend leur situation plus compliquée qu'elle ne l'avait jamais été avant ce jour. Il y a encore quelques jours la féline était prête à tout accepter car elle se savait capable de donner son avis en temps de crise, mais dans quelques mois un petit être innocent trop jeune pour défendre ses propres intérêts les aura rejoint et elle devra le protéger coûte que coûte.  

Andy se terre dans un nouveau silence, moins pesant que le précèdent certes mais elle préfère taire son avis sur les intrusions constantes de Sonny dans leur vie à deux. L'homme est un ami dont Andy pense qu'il ne leur causera jamais de tord de manière volontaire mais elle aimerait qu'il apprenne à respecter leur vie privée. Elle a fermé les yeux sans avoir besoin de se forcer au sujet de ces gardes qui sont constamment auprès d'eux, comprenant cette nécessité sans que l'on ait besoin de lui expliquer. Peut-être Sonny est-il même déjà au courant pour sa grossesse, cela ne la surprendrait même pas. L'homme a à travers ce pays des oreilles et des yeux dociles à son service qui savent lui transmettre la plus moindre des informations qui pourrait l'intéresser. Sa vie a changé, subit bon nombre de bouleversements sans que jamais elle ne puisse songer à lutter contre ce qui ne lui a pas causé de tords jusqu'à aujourd'hui. L'amour donne des ailes et permet d'accepter un grand nombre de choses. Andy se sait capable de faire des sacrifices pour son homme, mais elle devine aussi sans mal qu'un jour sa tolérance pourrait arriver à ses limites. Le bien être de leur futur enfant en sera une.

Son regard coule et glisse sur son homme, sans prononcer un mot elle le dévisage. Tout était si doux avant l'appel de Sonny. Alessandro est songeur, elle le sait rien qu'en voyant ce pli qui lui barre le front. Toutes ces inquiétudes qui assombrissent leur quotidien et cette charge que doit supporter le loup vont finir par causer l'arrivée de rides prématurées sur ce beau visage.

La féline fait courir une de ses mains sur une des cuisses de son bel italien, elle sourit sereinement tandis qu'ils arrivent devant la maison de ses parents.

[...]

Andy refait couler un peu d'eau brûlante dans la baignoire. Les fragrances de rose et de jasmin ont envahit la salle de bain, le féline se délasse tout en sachant qu'il lui faudra à un moment ou un autre sortir de l'eau pour rejoindre sa moitié et ses parents. Si son père s'est montré charmant lors de leur retour, ce ne fut pas le cas de sa mère dont le visage s'est illuminé uniquement lorsque sa fille lui a mit sa bague sous le nez pour qu'elle ne puisse rien louper de cette merveille.

Elle n'imaginait pas Miranda dans le rôle du parent réfractaire à l'idée d'endosser le costume de belle-mère. Sa mère d'un tempérament parfois distant se fait glaciale depuis qu'ils sont arrivés, ne voulant visiblement pas accepter que sa fille puisse prendre des décisions sans lui demander son accord au préalable. La maman absente et parfois distante tente de se faire intrusive ce qui ne sait pas plaire à sa fille. Leur relation déjà compliquée ne prend pas la voie de la facilité, bien au contraire.

Un jour Andy osera entretenir avec celle qui lui donné la vie une discussion que tout le monde ici évite depuis trop longtemps. En tout cas elle tente de s'en persuader.

Un coup donné contre la porte la fait sursauter et renouer avec la réalité par la même occasion. Recrachant l'eau qu'elle vient d'avaler par mégarde, la jeune femme répond à son père qui lui parle avec douceur.

-C'est papa.
-Attend je me couvre !

Andy attrape une serviette, la plonge dans le bain pour se dissimuler comme elle le peut. Son père l'a certes déjà vue nue, mais tout cela remonte à il y a plus de vingt ans.

-C'est bon tu peux entrer.

La porte s'ouvre sur le visage soucieux de Samuel. Il regarde sa fille, sourit en voyant la serviette trempée sans toutefois faire le moindre commentaire. Entrant avant de refermer la porte derrière lui,  le juriste annonce la raison de sa venue.

-Faut que tu descendes. Ta mère est plus fermée qu'une porte de prison et ton homme se prend pour un pompier. Je veux pas avoir à les surveiller seul... Et en plus je commence à m'ennuyer entre ces deux là.
-Oh j'arrive papa.

Samuel penaud tend un peignoir à sa fille, puis quitte la pièce en calquant sa démarche sur celle d'un condamné.

[...]

Andy rejoint sa petite famille sans un mot, se love contre son homme dont le visage vient de s'éveiller en réponse à son apparition. Elle prend place sur le canapé, son père a sorti des bières et une canette de soda au raisin. La télévision allumée montre un épisode d'une série que la jeune femme ne suit généralement pas. Elle perd vite le fil de cette histoire dans laquelle un virus transforme les gens en zombies malgré les explications données par son père. Avachie contre le torse chaud de son homme, elle baille et ne réagit que lorsque sa mère se lève et annonce que le repas sera bientôt prêt. Il est encore tôt mais sa mère travaille demain et ces habitudes ne sont donc pas dérangeantes pour la jeune femme qui a vécu ici durant des années, en suivant les plannings rigoureux imposés par le métier de Miranda.

Demain ils prendront l'avion dans la matinée, pour retrouver une existence qui même si elle est parfois mouvementée a su se caller sur un rythme qui leur convient à Alessandro comme à elle.

Le temps de voir un autre épisode, car son père a bien du mal à éteindre ce programme qu'il dit être son favori du moment et déjà l'heure de passer à table arrive. L'ambiance est maussade et même les efforts de Samuel pour alléger l'atmosphère ne suffisent pas à rendre plus doux ce sentiment de mal être qui habite la maison. Lassé l'homme de la famille finit par lancer un pavé dans la mare entre le fromage et le dessert. Tout en fixant sa femme, Samuel énonce devant tous le fond de sa pensée sans songer un seul instant à apposer entre sa cervelle et sa langue le moindre filtre.

-Miri, sourire ne va pas t'écorcher les lèvres. Les enfants partent demain. Profite de l'instant et cesse de faire la tête chérie.
-Veux-tu que je ris comme si j'étais Bozo le clown ?
-Non. Simplement que tu fasses preuve de bonne volonté et que tu arrêtes de tout rendre dramatique. Tu as prit le rôle du vieux con que j'étais il y a encore deux jours c'est quand même fou non !

Avant qu'Andy ne puisse songer à quitter la table pour fuir cette dispute entre ses deux parents, c'est sa mère qui lui coupe l'herbe sous le pied. Miranda s'excuse, attrape son assiette vide et quitte la cuisine après avoir rangé ses couverts dans le lave vaisselle. Fixant sa moitié d'un regard ébahit, Samuel imite la carpe puis son assiette et enfin sa fille.

-C'est compliqué pour elle. On a parlé hier et elle est moins dupe que je l'aurais cru pour le côté mafia de ta famille mon grand. Elle s'y fera mais pour l'instant elle a surtout peur de ce que ça peut impliquer. Miranda n'est pas une mauvaise personne, son cœur est plus gros que cette maison. Elle est juste têtue et personne ici n'a oublié la mort de Taylor.

Le visage de Samuel s'assombrit, lui qui était proche de ses deux enfants et ce malgré les déviances de son fils ne supporte pas la perte de ce dernier. Il ne tait pas non plus la douleur que lui procure l'éloignement de sa fille qui a fuit l'état après ce drame sans prendre le soin de donner une adresse via laquelle il était possible de la joindre. Incapable de vivre son deuil tout en devant supporter celui de ses parents, la jeune femme a fait le choix égoïste de fuir le navire quand il a prit l'eau. Andy baisse le nez sur son assiette, ne sachant pas si elle doit en cet instant ignorer les dires de son père, le serrer contre elle ou bien s'excuser. Samuel coupe ce silence qui aurait pu se montrer pesant avant que ce ne soit le cas.

-Je suis heureux de vous avoir ici. Et de bientôt être grand-père cela va de soi. C'est pareil pour Miranda. Demain je vous accompagnerais à l'aéroport. Mon premier rendez-vous est à treize heures.

[...]

Andy a pioché dans la réserve de sachets de thé de sa mère. Alessandro a refusé l'offre d'une infusion bien chaude mais est resté à ses côtés. Miranda est revenue dans la cuisine après la guerre, a embrassé son enfant puis posé une main plus modeste dans le dos de son gendre. Ses parents se sont sans doute disputés mais la féline ne s'inquiète pas pour leur mariage solide qui repose sur un amour véritable et un respect mutuel. Elle scrolle sur instagram, répond aux multiples messages que lui envoie David depuis qu'il a apprit qu'elle avait remporté la plus belle des mises envisageables lors du divorce de son parrain. Son beau frère et collègue ne cache rien de ses ambitions et son envie de récupérer la pleine gérance des dossiers liés aux contrats qui relient Jason au monde de l'édition. Les chiffres prennent doucement le pas sur l'affectif.

-David veut que je demande à Jason de passer au cabinet de L.A.

Alessandro qui se tient près de la jeune femme ne semble pas être surpris de la tournure que prennent les évènements. Andy le questionne.

-Tu penses qu'ils savent déjà pour le bébé ? Graziella va vouloir organiser des fêtes pour le bébé avec ses amies. Elle s'ennuie parfois de sa vie de bourgeoise et adore organiser des journées entre femmes. Elle parlait déjà de nous traîner à Disneyland pour son anniversaire. Une troupe de femmes en pleine régression et leur armada de gardes du corps. Je lui confierais sans doute l'organisation de mon enterrement de vie de jeune fille même si j'imagine plus facilement demander à David et Alex d'être mes témoins.

Sa mère est une fois de plus durant leur bref séjour à Phœnix la cause d'un de leurs soucis. Cependant Andy ne peut pas en vouloir à Miranda qui n'a sans doute pas songé que l'on pourrait la suivre ou simplement surveiller ses faits et gestes alors que sa fille et son gendre venaient lui rendre une trop rare visite. Et cela ne risque pas de s'améliorer car la jeune femme ne supporte que très peu les crises d'humeur de sa mère. Elle ne veut pas infliger à son homme le caractère dur et mesquin de cette dernière plus souvent qu'il ne sera nécessaire de le faire.

Jamais Andy n'aurait pu croire que dans toute cette histoire ce serait sa mère et non son père qui lui causerait tant de tracas. Si elle n'attaque pas Miranda de manière frontale comme a pu le faire son père pendant le souper, elle ne lui offre pas son soutien pour autant. Son silence fait pour durer vaut mille mots et reproches qu'elle destine à celle qui fut trop absente durant son âge tendre pour désormais s'attirer sa compassion. Elle n'est pas surprise quand Alessandro mentionne un futur déménagement. Andy tolérant déjà de nombreuses choses continuera sur cette voie sans avoir à se forcer si cela peut lui assurer une vie sereine loin de son beau-père qui serait bien capable de les rapatrier à LA s'il ne parvenait pas à se satisfaire de leurs choix futurs.

Elle n'aime pas Stefano, se faisant violence pour ne pas évoquer de manière claire et distincte devant cet homme tout le bien et surtout le mal qu'il lui inspire. Un vilain bonhomme aux manières datées et poussiéreuses donc chaque sourire transpire la plus abjecte misogynie.

Sans rester plus longtemps dans la cuisine, ils s'éclipsent pour rejoindre la chambre de la jeune femme, chacun le nez rivé sur son portable. Leur nuit est chaste, ce qui convient à celle qui n'aurait pas pu faire le premier pas sur la voie de la luxure dans cette maison, cette chambre où sur les murs s'affichent encore ses passions d'adolescente.

Alessandro imite le soleil, se levant bien tôt pour descendre leurs bagages sans cacher son empressement à l'idée de quitter cette maison. Un sentiment partagé par la féline qui ne s'attarde pas  longtemps auprès de cette mère austère qui est la sienne. Andy fait leur fête aux pancakes préparés par son père, tout en empilant dans sa seconde assiette une demie douzaine de tranches de bacon bien cuites et caramélisées. Sans parler, car sa bouche est trop pleine pour pouvoir se prêter à cette activité, Andy sourit à son père tout en bavant un mélange de gras et de confiture de mirabelles. Samuel lui rend sa politesse, sans prendre la peine d'essuyer sa bouche et sa barbe couvertes de miettes. Miranda s'installe à table auprès de son mari, une bol de thé accompagné de biscottes sans sel comme seul repas. Tout cela est aussi fade que le sourire bienveillant que tente d'afficher la pédiatre qui depuis la veille ne parvient plus à parodier la mélodie du bonheur.

Ils sont rapidement prêts. Vient alors le moment où pourraient se jouer dans cette maison de larmoyants adieux si Samuel ne se montrait pas autant décidé à vouloir les accompagner à l'aéroport. Miranda attend près de la porte tandis que son gendre est déjà parti dans la voiture louée pour l'occasion. Andy se fige, puis dans un élan de naturel presque parfait se penche vers sa mère pour la serrer contre elle. Elle n'est pas une mauvaise personne, sa fille en est certaine mais elles savent également toutes les deux que durant ces quelques jours Miranda n'a pas exposé les meilleurs aspects de sa personnalité.

Andy aurait aimé que celle qui lui a donné la vie fasse plus d'efforts, comprenne qu'elle est la seule coupable dans cette distance que sa fille met entre elles sans même y songer. D'un naturel pourtant optimiste Andy craint que ce pas grand chose que lui a offert sa mère pendant leur séjour ne puisse pas s'améliorer.

Un baiser, un bref murmure et déjà les deux femmes se séparent sans qu'aucune d'entre elles n'ose faire un pas vers l'autre. Andy agite simplement une main avant de monter dans la voiture.

-Au revoir maman. Et à bientôt !

Mais pas trop tôt non plus car la patience déjà mise à rude épreuve d'Alessandro n'y survivrait pas ! Miranda fait mériter cette réputation de plaies ambulantes dont on n'a de cesse de gratifier les belles-mères à ces dernières.

La voiture démarre. Dans quelques heures, ils seront chez eux et pourront songer à leur quotidien qui est sur le point de prendre un nouveau tournant.

[...]

Samuel ne les a laissé que lorsque la seule solution pour pouvoir les suivre aurait été de devoir acheter un billet d'avion. Il a gâté sa fille, lui a offert deux polars, un livre de cuisine pour bébé dont Andy devine déjà qu'il sera culpabilisant, un nouveau casque audio et un bubble tea. Alessandro a lui aussi eu le droit à sa boisson, Samuel n'étant pas pingre même s'il a clairement favorisé sa progéniture. Confortablement installée dans l'avion, la jeune femme déballe son nouveau casque après avoir refilé le livre de cuisine à son homme. Ce combat ne sera définitivement pas le sien. Sacrifier son corps au point qu'on finisse par confondre son profil avec celui d'une madeleine, donner le sein, changer des couches et ne plus dormir elle peut le faire. Cuisiner c'est hors de question. Aucune mère douée de bon sens prendrait le risque d'empoisonner son enfant. Elle soupire son aise, laisse sa tête reposer sur une des épaules de son loup. Puis murmure une évidence.

-Je t'imposerais cette corvée le moins souvent possible. Merci. D'avoir su serrer les dents, de ne pas t'être jeté à la gorge de ma mère. On n'a pas tous la chance d'avoir une mère comme la tienne mais je suis particulièrement fière que monsieur Turing soit mon père.

Mais la jeune femme sait une chose, une autre certitude tout aussi terrifiante que celle qu'elle vient d'énoncer. S'ils ne viennent pas à ses parents, ils sauront faire seuls le déplacement.