Alex déposa un bisou sur le front de Max, avant de lui ébouriffer la tignasse. Il l’aidait à monter à l’avant de la charrette de son père, bien remplie, et lui répétait pour une troisième fois les diverses consignes.

- Promets-moi d’être sage. Et surveille que Brian le soit aussi.

Le druide embrassa ensuite le mentaliste, enfonçant légèrement son pouce dans la hanche de ce dernier, sans le retenir pour autant. Une déclaration d’amour et des souhaits de chance s’ensuivirent. Brian monta en selle sur Bidule et partit en direction du centre-ville, en promettant de rentrer avant le repas crépusculaire. Galilée gambadait derrière la charrette attelée à Chose première, la queue battant l’air, jusqu’à ce que Dean le rappelle. Le chien galopa du coin de la rue qu’ils venaient d’atteindre à son jeune maître, la langue en étendard.

- On va commencer par le plus fatiguant, avant qu’il ne fasse trop chaud pour travailler. On pourra avancer dans les corvées plus faciles, à l’ombre, cet après-midi. Qu’en dis-tu ?

La question n’était que rhétorique. Alex était enchanté que Dean ait demandé de rester avec lui lorsque Brian avait partagé son intention d’aller au centre-ville. Le louveteau était plus difficile à déchiffrer que son frère, et le druide ne savait pas toujours avec quelles pincettes l’approcher. Aussi était-il rassuré de savoir que Dean considérait sa présence aussi agréable que celle de Brian, dans les pattes duquel il était généralement, d’une manière spontanée. Max avait accepté d’accompagner le garde sans broncher.

Outre le troc qu’ils comptaient faire au centre-ville, Brian voulait également tenter de recruter parmi ses amis des gens qui pourraient les aider dans l’emménagement d’un étang artificiel connecté au réseau de canaux. Les besoins en eau de la maison aux roses ayant quadruplé, c’était bien nécessaire, et le gouverneur avait accepté la demande sans y poser d’entraves. Ça s’était avéré être la partie la plus facile. Le pote kitsune de Brian avait promis de donner un coup de main, ce qui était non-négligeable au moment d’effectuer le branchement au réseau existant. Toutefois, Alex trouvait des airs trop bohèmes à cet homme pour avoir confiance en sa fiabilité. Il n’en avait pas pipé mot, par contre, trop conscient qu’on pourrait aisément lui rappeler qu’il était lui même disparu après s’être retranché chez lui, pour rester couper du monde de Beacon Hills un total d’une dizaine d’années.

- Non Galilée! Arrête de creuser.
Les poings sur les hanches, la mine grave, il y a quelque chose de mignon dans le sérieux avec lequel Dean gronde son ami à quatre pattes. Alex attira l’animal à lui pour l’empêcher de poursuivre son geste, sous le regard inébranlable de Truc, qui se prélassait au soleil.
- Je pense qu’il a besoin d’une pause, lui aussi. On a presque terminé, ensuite on en prendra une.

Quelques minutes plus tard, ils terminaient de renforcer un morceau de clôture. Truc disparut en un miaulement étranglé alors que le druide faisait signe à son fils de le suivre. Ils devaient encore aérer le tas composé de fumier et de déchets de table, puis ils seraient au bout de la première série d’objectifs qu’ils s’étaient donnés.

- Il y a quelqu’un à la porte, Alex! s’exclama l’enfant. Sans attendre de réponse, il détala sur la véranda et ouvrit la porte de la cuisine comme s’il avait le diable à ses trousses. Il laissa à peine au druide le temps de lui lancer un ordre :
- N’oublie pas de fermer la porte derrière toi, Dean! Je m’occupe du compost, j’en ai pour un instant.

Dean fit deux pas de recul, claqua la porte plus qu’il ne la fermât, et reprit son envolée. Un sourire aux lèvres, Alex parcourut les quelques mètres qui le séparait des bacs qui devaient être remués. Dean appelaient toujours Brian autant qu’Alex "M’sieur", alors que Max avait rapidement perdu cette habitude. Ils n’étaient pas certain s’ils croyaient que c’était par pur esprit de provocation, parce qu’il désirait sciemment mettre une distance entre ses nouveaux tuteurs et lui-même, ou simplement parce qu’il avait été moins rapide que son frangin à accepter la réalité de leur nouvelle situation. Il n’en restait pas moins que Dean s’était récemment mis à laisser tomber cette barrière lorsqu’il vivait une émotion vive. Ça, c’était quelque chose qui avait le don de réchauffer le coeur de l’ermite bourru.

Alex se mordit la lèvre en refermant à son tour la porte de la cuisine derrière lui. Il venait à peine d’essuyer une perle de sueur. Reconnaissant la voix de leur visiteur, il en sentit aussitôt d’autres monter en lui.

Alex n’avait pas été fier de son comportement au mariage de Richard. Ni durant le mois qui avait précédé celui-ci. Ni, si l’on était entièrement honnête, au cours des dix dernières années. Et même avant la fin du monde, il n’avait pas toujours été aussi sympa qu’il aurait pu l’être envers celui qui était alors un flic. Le scientifique ne comprenait pas pourquoi ce malaise avait fondu instantanément lorsqu’il avait félicité l’épouse de Richard, mais ne s’était qu’amplifié, le même jour. Il y avait beaucoup réfléchi, quand il faisait de menues tâches, ou accompagnait les enfants à l’école, un œil distrait occupé à les surveiller.

La théorie qu’il trouvait la plus probable, ou qu’il était désireux de croire, était que Mafdet avait été une personne importante pour lui, à la fois mentor, collègue et supérieure hiérarchique, mais que leur relation était toujours restée neutre, en quelque sorte, malgré le respect qu’il avait pu éprouver pour la panthère. Et l’inverse qu’il espérait également vrai. Mafdet n’avait toujours été qu’une connaissance, peu importe leur niveau de proximité, ou d’intimité, tandis que Richard, au moment où tout était parti en vrille, était dans une zone grise. Malgré sa nature profonde et son refus d’alors de l’admettre, Alex savait bien qu’il était en bonne voie de considérer Richard son ami, et que l’inverse était probablement déjà vrai. Il avait entièrement conscience de sa propre lenteur en la matière, et savait que le policier canadien l’avait invité à ce qui deviendrait la version moderne de la dernière cène non pas en tant que conjoint de Brian, mais en tant qu’Alex. Une nuance importante, et peu subtile. Davantage investit dans cette relation, il l’avait donc, en quelque sorte, plus endommagée que celle qu’il avait avec la dame éternelle. En conséquence, il se disait que réparer ses torts demanderait plus d’efforts. Un chemin de croix auquel il ne croyait pas avoir la force de survivre, et cela le paralysait. L’avait paralysé.

Or, voilà que Richard se trouvait là. Jeu du destin, s’efforça de croire Alex, car s’il se mettait à imaginer que le garde avait fait exprès de venir au moment où Brian était absent, deux choses en découleraient. D’une part, il serait venu lorsque Brian était à la barricade. Ensuite, ça impliquerait que Richard cherchait un conflit, et Alex ne réagissait que rarement bien quand on lui cherchait exprès des noises.

- Bonjour vous deux, salua-t-il un peu trop machinalement à son goût ses visiteurs, tout en évitant le regard du géant canadien. Voulez-vous aller jouer dans le jardin, les enfants?

Dean se saisit aussitôt de la petite main de son amie. Avec enthousiasme, il la guida à l’intérieur de la maison, traversant la cuisine pour sortir sur la véranda. Alex se disait qu’entre le jeune chien qui y était toujours, la basse cour et quelques jeux, ils auraient suffisamment de quoi rester occupés.

- Viens, Sue! Je veux te montrer les plantes chouettes de Brian!
Encore une fois, pas de "m’sieur", mais Alex n’en sourit pas pour autant. Il n’avait évidemment pas penser aux rosiers surnaturels.
- Doucement avec, Dean. Tu connais la...
La porte de la cuisine claqua à nouveau. Les roses avaient elles aussi adopté les jumeaux, et même leur chien, mais elles ne connaissaient toujours pas Suzannah.

Les yeux fixés sur Canuck, les sourcils en panique, Alex s’adressa à son compatriote.
- Euhm. Entre. Tu dois avoir soif. Tu veux un verre d’eau ?

Cette fois, ce fut Alex qui n’attendit pas de réponse et rebroussa chemin pour servir un verre d’eau à son ancien camarade de chasse aux aberrations. Il le laissa sur la table de la cuisine et s’en servit un. Il prit une longue gorgée, avant de se tourner vers la table. Il appuya le bas de ses reins contre le comptoir et fixa une miette de pain sur ladite table, en reprenant la parole.

- Je, euhm. Je te dois des excuses, Richard, débuta-t-il d’un ton hésitant. L’abcès crevé et l’un des trois mots les plus difficiles à dire prononcés – avec Worcestershire et demander de l’aide – Alex poursuivit en ce qui lui apparaissait devenir un torrent.

- Je n’aurais pas dû partir sans t’aviser, ni te laisser tomber et te traiter en fantôme pendant trois ans. Et je voulais venir te voir quand je suis rentré, mais j’ai eu peur que ça se passe mal, alors j’ai remis au lendemain, et plus j’ai attendu, plus j’ai eu honte, et je ne savais pas quoi faire, et j’ai été une merde à ton mariage. Je suis désolé, mec, tu ne mérites pas ça. Je comprends que tu puisses m’en vouloir.

Alex eut envie de dire qu’il était humain, et savait qu’il avait été horrible de couper les ponts ainsi, et de ne jamais tenter de les rétablir, mais les mots s’étaient tus dans sa bouche. Il se contenta de chercher prudemment le visage de son ami, pour voir s’il avait échappé à la noyade. Il croisa le regard brun de Richard, son visage brouillé, et réalisa qu’il ne s’était pas aperçut du moment où les larmes s’étaient mis à couler.

- Fuck! Désolé.

Alex se détourna rapidement pour essuyer ses joues avec la base de son pouce. Il déposa son verre, par précaution. Il savait depuis sa réconciliation avec Brian qu’il devait des excuses, sinon des amendes honorables, à tous ceux qu’il avait abandonnés. Heureusement, s’était-il dit, il n’avait eu que peu d’amis durant sa vie ici, car c’était vachement rude comme moment.

Alex sentait le bout de son sourcil frétiller sous sa tempe, d’angoisse et d’appréhension de la réaction de Richard, autant que d’embarras. Ses paupières étaient toujours inconfortables et un brin gluants suite à son accès lacrymal. Il sentait son cerveau sur le point de perdre pied aux abords de l’abysse de ses inquiétudes pour plonger dans un océan d’incertitudes qu’il avait pourtant eu la confiance optimiste d’avoir scellée une demi-douzaine d’années auparavant. Son retour lui avait plutôt appris qu’il ne s’était débarrassé de rien, mais avait laissé ses bagages là où ils avaient un sens : avec les gens qui lui importaient. Les déballer ainsi rendait seulement le poids de ses peurs plus lourd, comme si elles en avaient profiter pour proliférer, loin de son attention.

Il était si facile de se croire invincible quand on se persuadait qu’on était imbu d’une mission divine. Si facile de se croire plus mature, et plus capable d’oublier ses failles lorsqu’on ne croyait plus rien avoir à perdre. Se croire…

La voix de Richard ramena le druide sur le plancher des vaches. Ça y était. Il avait fait fâcher son invité avant même de songer à lui demander quel bon vent l’emmenait. Il n’aurait pas dû se montrer aussi frontal dans son approche, car on le semonçait de se taire. Le tressaillement dans le sourcil s’arrêta quand il se tendit comme un arc au-dessus de l’oeil vert moussu du canadien. Si l’occiseur du Crocotta ne le considérait pas comme un monstre, c’était probablement bon signe, n’est-ce pas? Ou alors servait-il simplement au laborantin sa propre pseudo-sagesse, celle qu’il avait trop souvent répétée, de ne pas nommer les créatures de la nuit des monstres. Pas quand ils sont humains ?

Un moment se suspendit entre les deux hommes, alors que les yeux embués d’Alex clignaient à quelques reprises. Il ne savait trop comment répondre. Que dire, ou quoi demander. Surtout, il ne voulait pas passer pour un dramaturge qui se morfondait sur soi-même, car si Richard croyait qu’il ne cherchait que de la pitié, il croirait Alex moins sincère. Il laissa donc le garde poursuivre, tant par humilité que par vacuité d’esprit. Le biochimiste baissa le menton. Ils étaient tous deux heureux du bonheur qu’il apportait à Brian, et Alex s’empourpra sur la fin de la réponse de son ami.

- Non… Enfin… C’est certain, mais...
Mais quoi ? Qu’avait-il donc à dire, d’intelligent ou même de pas très intelligent ?

Voilà que Richard renversait la vapeur et se flagellait verbalement à son tour. Ça n’était peut-être pas aussi intense que lorsque le druide le faisait, mais ça n’était pas un concours, et ça suffisait à faire s’insurger une partie d’Alex : celle de son jugement éthique, qui prônait des valeurs telles que la justice et la vérité.

- T’es trop dur envers toi-même, trancha le druide à demi-voix sans en remarquer l’ironie.
- Tu avais un mariage à préparer, et une famille de laquelle t’occuper, énuméra Alex.

Il avait toujours été bon pour rationaliser des excuses. Surtout pour les autres. Il ne mentionna pas les rumeurs qu’il avait entendu sur la contamination de son compatriote, non plus qu’il ne rebondit sur le sujet de Troy. C’étaient des choses dont on parlait au calme, pas au coeur d’une tempête, fusse-t-elle dans un verre d’eau. En d’autres temps et d’autres circonstances, il aurait peut-être même osé une farce sur l’arrière-train de son invité.

L’ambiance se détendait doucement, en totalité grâce à l’attitude conviviale du policier. Un sourire piteux, désolé autant que rassuré, perçait enfin sur le visage fruste du Cormier. Un étonnement moins manifeste passa sur son visage alors que Richard dévoilait la raison de sa présence, ainsi qu’à la mention d’un remboursement pour la cueillette que sa fille aurait faite à la cabane. Un drôle de raisonnement pour le manitobain qui se disait : autant que ça serve. Surtout qu’ils le croyaient certainement tous mort.

- Merci Richard. Ce n’était pas nécessaire. Alex hésita un court moment, avant de décoller son dos du comptoir et de basculer sur la pointe des pieds. Viens là, grand bêta.

Ne sachant comment exprimer autrement qu’il espérait le câlinator plus que ses généreuses offrandes, Alex força Richard dans une étreinte un brin désespérée, un bras dans son dos, et l’autre derrière son crâne. Il se sentait comme un gamin dans les bras rassurants d’un parent protecteur, le front enfoui contre la chemise du garde. Lorsqu’il relâcha légèrement son étreinte pour rendre à Richard sa mobilité, et une posture plus naturelle, Alex sentit deux mains s’accrocher à sa taille. Deux petites mains avec, chacune, une énergie différente. Il n’eut aucun mal à reconnaître les nombreuses bouclettes de Suzie, et passa sa main dans le dos du garçon de l’autre côté des hommes. Le druide reposa ses talons au sol, trop concentré à tenter d’interdire un déluge à ses glandes lacrymales pour dire quoi que ce soit.
- Alex a dit qu’il ne repartira pas. Je le crois : il est gentil.

Comment pourrait-il même songer abandonner Beacon Hills une fois de plus, quand il se sentait autant apprécié, se demanda le druide! Il relâcha son ami et passa cette main dans la frimousse de Suzie, mais garda contact avec son fils adoptif, une main sur son épaule. Les enfants étaient-ils revenus en sentant la tension entre les adultes, ou en entendant leurs propos ? Car les jumeaux passaient généralement plus de temps avec les rosiers. Dean se montrait souvent protecteur, mais c'était exclusivement au bénéfice de Max : commençait-il à s'attacher à son tuteur, ou Alex lisait-il trop la situation?

- As-tu vu ce que mon ami Richard vous a emmené, à Max et toi ? Veux-tu le remercier ?
- Merci, m’sieur Dick.

Dean hocha de la tête avec retenue et s’avança vers les sacoches comme si on lui avait promis qu’elles étaient pleines de mines antipersonnelles. Alex échangea un regard avec Richard pour vérifier si le gamin pouvait ouvrir le sac aux trésors, et s’avança pour ouvrir le premier sac ensemble. Une fois que le garçon semblait à l’aise il se releva et tendit la main à son ami.

- Et félicitations encore pour votre mariage, sincèrement. Mafdet est une femme chanceuse. Et toi, un saint.

Le druide envoya un sourire chafouin à la mention de cette référence aux propos tenus un moment plus tôt. Il replaça ensuite derrière son oreille une mèche de cheveux qui s’était dégagée du lacet de cuir derrière son crâne. C'était probablement mieux que de s'élancer pour un nouveau câlin. Définitivement meilleur. Il avait une image à conserver, après tout.

- As-tu aimé les roses de Brian, Suzannah ? fit-il en une tentative peu subtile de réorienter la conversation.

- Interdiction de vous liguer contre moi, tous les deux! menaça-t-il l’homme et le garçon avec un amusement ému dans la voix. Si ses mains n’avaient pas été aussi occupées à cajoler Suzie et Dean, il aurait peut-être bien même enfoncé son coude dans les côtes de son grand ami. Richard répondit plutôt à son devoir grand-paternel et saisit la petite koala contre lui.

Les quadragénaires observèrent les enfants hésiter puis choisir le premier paquet à ouvrir ensemble. Nouvelle hésitation du louveteau, nouveaux encouragements. Alex profita de cet intermède de déballage pour offrir à nouveau ses vœux au couple nouvellement mariés, avec une sincérité nouvelle. Richard détournait le regard, visiblement gêné, et son compatriote sourit, les sourcils en liesse. Sa deuxième main vint serrer celle du Saint avant de la relâcher :

- C’est moi qui te remercie.

Voilà que le druide s’empourprait comme un druidon néophyte. S’il avait hoché du menton en direction des sacoches, il était reconnaissant envers Richard pour bien plus que ces trésors qui sauraient profiter à ses garçons. L’ami vancouverois n’avait jamais abandonné Brian, et Alex avait la conviction que la présence de son collègue et bestie avait été un bénéfice pour le mentaliste. Sans le soutien de Richard, Brian aurait pu s’effondrer dans une solitude malsaine : bien que tranquille, il n’avait pas le tempérament d’un ermite. Et puis même l’ermite avait subi de mauvaises conséquences de son pèlerinage solitaire, entrecoupé de quelques rencontres souvent regrettables.

Peut-être pour attirer l’attention ailleurs que sur lui-même, ou peut-être pour se changer lui-même les idées, Alex s’était adressé à Suzie, et lui avait demandé comment elle avait trouvé les roses. Une question qui aurait pu sembler bien genrée, si on ne connaissait pas la particularité des filles du dru Jansen.

Un éclat de rire traversa les lèvres du manitobain. La candeur fraîche de l’enfance lui faisait du bien, et l’enfant gagnait des points à grande vitesse, dans le cœur du druide. Il ne regrettait pas d’avoir choisi les jumeaux, mais était content que l’orpheline se trouvasse dans une famille telle que celle des Turners. C’était vrai qu’il y avait quelques… étrangetés dans la maison aux roses. Enfin, des charmes inusités, dirons-nous plus franchement.

La réponse de Dick arracha un sourire à Alex, qui échangea avec lui un regard, sous un sourcil arqué, comme bombé par la masse de non-dits. La fillette entre dans le jeu et commente également, soulignant ce que Dean seul ignorait et usant d’un titre que jamais le druide n’aurait cru entendre pour décrire sa mentor.

- Truc est parfois farceur et un peu peureux. Si tu es patiente, il sera câlin.

Comme s’il savait que l’on parlait de lui, Truc apparut en un petit pop caractéristique, et se frotta entre les jambes du châtain. Alex pouvait sentir le ronronnement de la bête vibrer dans son tibia, jusqu’à ce que Truc n’en décolle pour attaquer le second mollet d’un coup de boule maladroit.

La voix de Dean, interrogative et perplexe, rappela la petite assemblée à l’ordre. Une question primordiale, vu ce qu’il tenait dans ses mains. Alex se retrouva pris au dépourvu, ne sachant par où commencer pour décrire ces jeux qui avaient bercé sa jeunesse et celle de tant d’autres. Des monstres à attraper ne semblait pas extrêmement judicieux à dire à un gamin qui, deux mois plus tôt était terrorisé par le monstre dans leur chambre. Celui-là même qui miaulait pour avoir l’attention d’Alex. Heureusement, Richard trouva une réponse, sans même sembler avoir besoin d’y réfléchir. Une explication claire, simple et, surtout, succincte : tout ce qui était difficile à exécuter pour le laborantin.

Dean avait suggéré d’apprendre immédiatement comment y jouer. Les mains dressées, Alex avait dû admettre qu’il n’y connaissait rien, mais omit évidemment de parler de la version électronique de l’univers des monstres de poches. Ce fut donc Richard qui expliqua les règles et le fonctionnement aux trois autres alors qu’ils passaient à l’intérieur. Spontanément, Dean défia le grand-père en combat. Une fois qu’ils furent installés, Alex offrit une partie à Suzie. Il saisit les cartes mises de côté et répéta la mise en place aussi bien qu’il le put.

-J’ai un chat ! s’était exclamée la puce, et Alex crut immédiatement à un Miaouss.

Il lui rappela de ne pas dévoiler les cartes dans ses mains et déposa son premier pokémon, un Mystherbe. Suzie exhiba alors son Flamiaou, qui calcina tour à tour le Mystherbe, l’Aspicot et le Rozbouton d’Alex. N’ayant plus de cartes pokémon en main, il capitula. La gagnante offrit d’observer le match entre l’expert et le nouveau propriétaire du jeu, ce qui soulagea Alex de se voir subir une seconde défaite éclair. Il n’était heureusement pas du genre revanchard.

Il était clair, évident même, que Richard allait perdre. Alex ne pouvait s’empêcher de sourire au vu de la contrariété de son ami. Contrariété qui avait été la sienne quelques vingt minutes plus tôt.

Le glas sonna la fin du match et Suzannah ne perdit pas de temps pour chercher à travers la pioche du garde quelques cartes intéressantes. De son autre main, elle tentait quelques caresses sur Truc. Silencieusement, Alex les observait, un sourire paisible aux lèvres. Il n’avait rien à dire et cela lui convenait entièrement. Richard annonça éventuellement que d’autres sacoches contenaient des vêtements Pokémon. Ainsi que des jouets et des livres et moults autres affaires. Alex leva les yeux vers lui.

- C’est très généreux, merci, grommela-t-il de son ton bourru devenu naturel, alors que son doigt glissait au coin de ses paupières. Depuis quand était-il si émotif ?

Richard expliqua dans ses mots que ces affaires ne servaient pas, et ne serviraient pas avant une dizaine d’années encore. Qu’il aimait mieux les passer aux jumeaux que de les savoir prendre la poussière. Alex ne sut qu’acquiescer en se mordant la lèvre. Il était à court de mots. C’était devenu une chose facile pour celui qui avait réussi à oublier sa propre voix quelque part entre 2028 et 2029.

Les enfants s’installaient pour jouer une seconde partie, et un silence tomba entre les adultes à la mention du fils Turner. Alex n’était pas certain de ce qu’il était supposé savoir ou non, ni de la façon dont une intervention ou une opinion de sa part serait reçue. Après tout, il n’avait jamais eu d’enfants, ni vu celui-ci grandir. Richard poursuivit en parlant de son enfant qui n’avait pas pris la trajectoire d’un train déraillé.

-Joanie va bientôt accoucher, elle a eu des contractions toute la nuit.
- Elle a eu quoi ? Vous ne devriez pas être avec elle ?
- J'ai pris Suzie avec moi pour qu'Eric et Jo puissent se reposer.
- Oh!

Soudainement rassuré, Alex se détendit. Pour un peu, il aurait déjà pris son manteau et son chapeau de la patère. Mais il n’avait ni chapeau, ni patère. Il avait été sur le point de presser Dean à l’aider à défaire les sacoches illico presto, mais n’en fit rien. Il laissa plutôt les enfants jouer.

- Vous pouvez donc rester jusqu’au retour de Brian et Max.

Ça n’était pas une question, et à peine une invitation, mais plutôt une observation légèrement autoritaire. Alex fit signe à Richard de sortir avec lui. Ils pourraient prendre le temps de défaire les sacoches dans le salon, y trier et ordonner ce dont il doutait que Richard ait jeté pêle-mêle dans les grands sacs, mais qui avait été brassé dans le voyagement. À moins que le gaillard ait perdu les traces de maniaqueries qui caractérisait sa personne.

- J’espère que l’accouchement ira bien. Tu leur passeras mes félicitations, et laisse-nous savoir quand on pourra venir les visiter.

Alex laissa à Richard l’initiative de décrocher les sacoches de la selle, se contentant pour le moment de recueillir celles que sa force lui permettait pour les rentrer.

- J’ai compris que Joanie s’intéresse aux propriétés des plantes. Je forme la relève avec Max. Je pense qu’il ferait un bon druide, et je veux bien partager mes connaissances avec ta fille aussi. Je sais que Mafdet est beaucoup plus expérimentée, mais ça peut aider d’avoir plus d’un mentor.

Là-dessus, il pouvait parler par expérience.

- Et dis-leur à toutes les deux que ça me fera plaisir de partager nos cultures si le besoin surgit.

Le potager d’Alex était encore humble et peu varié : il l’avait rapidement étendu, la seule section mature étant la parcelle que Brian avait cultivé durant une décennie.

- Ou quoi que ce soit d’autre. Je veux être là pour vous, cette fois.

Alex n’avait certes peu à offrir, mais il avait également tout perdu et recommençait de presque rien. Sa seule famille habitait désormais la maison aux roses. Son frère vivait toujours, quelque part entre l’ancien Oregon et l’ancien état de Washington, mais il avait dû en faire le deuil : même avant de décider qu’il resterait à Beacon Hills, il doutait d’un jour remettre les pieds dans la colonie où son paternel était mort en héros. Dans ce monde sans queue ni tête, il ne serait pas si fou de considérer que Richard puisse remplacer le rôle de Michael, en quelque sorte, sans le suppléer.

Alex avait choisi exprès de ne pas utiliser une formule convenue telle que "Je vous dois bien cela", car il ne s’offrait pas ainsi par redevance ou sentiment de dette, mais de plein gré, par amitié. Il voulait éviter qu’une piètre formulation pousse Richard à comprendre l’inverse.

Les vêtements s’empilaient doucement sur le coussin du sofa ; les jouets et les livres de part et d’autre de la cheminée, au sol. Il attendrait que Max soit présent pour passer au travers les présents et leur attribuer un rangement convenable. C’était spécialement vrai pour les vêtements : il était hors de question que Dean fasse la sélection en priorité sur son frère. Quant aux jeux et livres, Alex voulait simplement qu’ils aient tous deux l’occasion de voir l’ensemble pour en connaître le contenu.

Alex aidait Richard à débarrasser les sangles des charges de l’équidé. Il jetait parfois un regard en coin qui se désirait subtil à celui qui agissait comme si dix années ne s’étaient pas écoulées. Le druide se demandait comment le garde parvenait à agir ainsi et garder la tête aussi froide. Une bonne qualité, certes, pour un flic. C’était apaisant et rassurant pour la créature nerveuse qu’était le laborantin. Peut-être était-ce justement parce que Brian partageait ce trait de caractère qu’ils se complétaient aussi bien.

Le druide parlait affaires, incertain des autres sujets à aborder. Il ne s’était jamais considéré excellent pour faire la conversation, et sept ans de mutisme en exil n’avaient certes pas jouer en sa faveur. Alex rougit légèrement lorsque son ami mentionna le bonheur qu’il avait induit par sa simple présence aux noces de cet étrange couple. Il grimaça ensuite, et se pencha pour que la bête le dérobe de la vue du géant, quelques instants. Il savait bien, ou se doutait et voulait savoir, que Richard ne disait pas ces mots par malice, mais ils blessaient Alex, lui rappelant les torts qu’il avait causé à son mentaliste adoré.

Peut-être que Richard s’en était rendu compte, car il ajoutait que lui-même aurait pu se montrer plus présent pour le biochimiste. Le scientifique voyait bien que tous oubliaient doucement les détails du début de la décennie passée, la paranoïa, l’anxiété, le stress et l’épuisement de toujours devoir être sur ses gardes, de devoir réapprendre des techniques millénaires quasiment perdues, et d’être occupé du matin au soir sans avoir accès au confort que les loisirs d’antan venaient procurer comme un mirage. Alex se redressa en haussant les épaules. Il n’en voulait pas à Richard qui, de toute manière, mentionnait avec justesse l’endroit où se trouvait désormais le passé.

- J’hésite à retourner à la cabane. La déconstruire. Avant que quelqu’un s’y abrite et qu’elle ne s’effondre dessus.

Un projet qui s’était manifesté doucement dans son esprit, de manière éthérée, et que les propos de Richard venaient de cristalliser, sans que le druide ne sache exactement pourquoi.  Il n’avait pas parlé de ce projet à Brian, et devrait trouver l’angle juste pour ne pas que cela ne semble être qu’une lubie. Il pourrait même y installer quelques croix, en mémoire des gens qu’il y avait perdu, et de Civet.

Ils rentrèrent sans guère attendre. Le spectacle devant eux émouvait Alex qui n’avait jamais été très matérialiste, mais voyait dans les objets empilés une quantité immense d’amour. Richard mentionnait une similarité avec Noël, et Alex opina.

- Merci.

Les enfants allaient quérir avec empressement quelques jouets dans la pile, les observaient tantôt avec questionnement, tantôt avec émerveillement, sous le regard des deux hommes qui discutaient de tout et de rien. Enfin. Alex, devenu taiseux, laissait la plus grande part du dialogue à Richard. Galilée était venu se rouler en boule au milieu de la pièce, pour être certain que les gamins aient à le contourner à chacun de leurs passages. Les bras du druide se croisèrent sur son torse alors que Richard mentionnait l’état de la ville où ils s’étaient rencontrés. Alex pinça les lèvres avec fermeté alors que des souvenirs douloureux ou effarants lui revenaient en mémoire.

- Très bien, oui.

Mieux qu’aucune autre colonie qu’il n’ait croisée, en vérité. Même ces autres villages habilement nichés à proximité d’un néméton semblaient avoir subit sinon la mégalomanie d’un dirigeant, des épidémies ou des attaques de bêtes, quand ce n’étaient pas des inondations, des feux de forêt ou quelque autre cataclysme. L’attention d’Alex n’était plus à écouter les mésaventures de cet ami de Richard que le druide aurait pu se souvenir avoir rencontré. Sa langue passa sur ses lèvres asséchées alors qu’il marmonnait une réponse fort peu convaincante.

- Je l’espère pour eux.

Richard poursuivait son quasi-monologue sur les pérégrinations de Mafdet. Ça avait l’avantage de rendre Alex un peu plus attentif, bien qu’il se contentait d’entendre les mots sans en comprendre immédiatement le sens.

-Et elle s'est enfuie. Alors je lui ai couru après.
- Quoi ?

-Cette femme est indéfinissable. Et c'est en partie pour ça que je l'aime. Comme au premier jour. Elle me donne envie d'être vivant et à mes yeux c'est son plus grand talent.
- Oh.

C’était un moment d’introspection pour Alex, qui réfléchissait à ce que Brian lui apportait. Quelque chose de similaire, définitivement, et de salutaire. Alex était moins kamikaze depuis leur  réconciliation. Peut-être un peu moins zélé, aussi. Sa foi en le néméton n’avait pas flanché, mais il croyait désormais que son rôle allait peut-être au-delà de la simple restauration d’un réseau tellurique.  Il ne voyait plus sa vie prendre fin dans la forêt de Humboldt, autant figurativement que littéralement, mais était toujours décidé à s’y rendre pour compléter sa tâche divine. Il faudrait seulement qu’il en parle à Brian, et à ses amis. Qu’ils sachent qu’il reviendra et ne les abandonne pas. Surtout les enfants.

- Répète-donc ça? demanda Alex en s’ébrouant mentalement, pour reconnecter avec l’immédiat.

Richard lui répéta l’histoire de sa supplication à Mafdet de rester en ville, qui avait mené à leur mariage. Le druide ne savait pas si les détails étaient les mêmes qu’auparavant, mais il souriait désormais. Certes, un œil extérieur pourrait croire que leur mariage était au final une ruse pour retenir Mafdet en ville, mais ce serait bien mal connaître l’indépendante panthère et le candide rescapé des morts. Le biochimiste balança sa tête de droite et de gauche.

- Vous êtes dingues.

Dean vint les interrompre. Alex n’était pas certain de ce qui pouvait avoir ainsi détourner son intérêt des présents, mais n’en fit pas de cas.

- M’sieur Alex, je peux montrer la guitare de m’sieur Brian à Suzy ?
- Oui, mais tu dois être délicat avec.
- Je saaais ! râla le garçon, ce qui tira un sourire au druide. Il se tourna immédiatement vers son amie, une expression grave mêlée de fierté au visage.
- Brian nous a appris trois accords! Max a encore du mal avec le mi mineur.

Le laborantin s’était avancé de quelques pas lorsque son regard tomba sur un objet qui, en temps normaux n’aurait certainement pas provoqué une telle réaction. Toutefois, avec la situation riche en émotions, les souvenirs qui allaient et venaient dans son crâne comme dans un moulin, sa vulnérabilité émotionnelle prit le dessus. D’une voix blanche et crispée, il sourit à Dean.

- Veux-tu aller la chercher ? Faites très attention.
- Oui ! Oui, oui...

Les gamins à peine dans l’escalier, Alex alla récupérer le jouet d’un geste sec et distant, comme s’il craignait d’être contaminé par la peste. En quelques pas pressés, il rejoignit à nouveau son ami et prit connaissance de son attitude étrange et certainement irrespectueuse. Sans lever le menton ni décrisper ses mâchoires, il annonça d’une voix peinée :
- J’peux pas avoir ça chez nous.
Alex fourra l’objet dans les mains de Richard. Il se mordit la lèvre et s’efforça de ne pas laisser sa voix trembler, alors qu’il précisait :
- Pas un ours.

Non. Si la honte devait ressurgir en lui à chaque fois qu’il voyait le jouet, il deviendrait fou. Ou peut-être devrait-il apprendre à l’apprivoiser. Peut-être bien, mais pas aujourd’hui.

Si Richard semblait conscient de leur dingueries, à son épouse et lui-même, et l’admettait même, le druide doutait que sa comparse scientifique n’en ferait de même. Elle était indéfinissable, et fière. Entre plein d’autres qualités qui la rendait aussi effrayante que dangereuse. Et aimable, dans le bon angle, en contre-jour, parfois. Peut-être.

Les enfants avaient apporté une distraction musicale, et Alex dut s’avouer amusé de la réponse de son ami au malin qui voulait jouer les vantards en profitant de l’absence de son frère. L’expression flétrit rapidement alors qu’il posait son regard glauque sur un ourson en peluche. S’ensuivirent des mots secs sous leur tristesse, troublés par un passé alambiqué; un geste pas plus doux, empli de sa sauvagerie si récemment passée. Un silence s’étira quelques instants alors que Richard rangeait la peluche hors de la vue du druide. Les sourcils toujours attristés, ou peut-être étaient-ils honteux, à demi-retournés à la manière d’un beagle, Alex attendait un mot du garde, ne sachant pas s’il espérait le silence ou des questions. Son trop-plein se résorbait rapidement dans un malaise qui croissait en lui avec la furtivité d’un tentacule. Ce kraken interne glissait entre son foie et son estomac, comme un chatouillis d’appréhension : une pression presque indiscernable tout juste avant de les broyer d’un mouvement véloce.

Richard reprit la parole un moment avant que les tripes du laborantin n’explosent métaphoriquement. La voix basse, posée, aurait pu laisser croire qu’il tentait de ne pas être entendu par les louveteaux à l’étage. Ou qu’il tentait de calmer une bête sauvage. Une voix qu’il utilisait possiblement même avec son épouse. Alex se dégorgea, renâclant presque à la manière de bidule, tant la tension en lui se dissipa violemment.

- Eurhm, ouais, on est chanceux. C’est des bons p’tits gars.

C’était tout ce qu’il avait trouvé à dire? Vraiment? Comme s’il ne vivait pas avec eux depuis quelques semaines, n’avait pas appris à connaître leurs tempéraments respectifs. Certes, les jumeaux étaient bien élevés, et loin des enfants-rois des générations précédentes : à savoir si c’était là une question de personnalité, d’éducation ou de destinée, Alex gardait ses questionnements internes pour des sujets plus futiles, comme cet ourson dont il devrait peut-être discuter avec Derek.

Il commençait à bien les connaître, pourtant. La manière avec laquelle Max jouait ses deux accords plus précisément que Dean qui n’avait pas son sens du rythme. Dean qui était taciturne et préférait passer à l’action, détestait pourtant avoir les mains sales et se les lavait dès qu’il le pouvait.

Tous deux étaient vaillants, et Alex aimait croire qu’ils appréciaient les moments de détentes que leurs nouveaux parents leurs permettaient. Certes, ils grognaient tous deux de temps à autres et testaient les limites de deux pères suffisamment complaisants pour concéder quelque fois, mais à la morale suffisamment stricte pour ne pas plier à tout va.

Richard trouva peut-être également que la réponse d’Alex était étrangement courte, car il poursuivit en mentionnant la petite à l’étage. Les pincements des cordes se faisaient entendre entre les voix étouffées des gamins et le son des griffes de Galilée sur le parquet de l’étage. Un son sourd indiqua d’ailleurs qu’il s’était laissé tomber au sol pour un instant de repos.

Alex affichait à nouveau un sourire ou, à tout le moins, son ombre. Évidemment que Richard était le papy gâteaux. C’était généralement ce qui arrivait aux papas poules. Quant à Pierre Argent, le druide ne le connaissait pas vraiment, et s’il était devenu personnage de comptine, ça ne devrait qu’ajouter un peu de douceur à l’aura de bureaucratie austère. Le regard du druide se fit fugueur au moment du compliment.

- J’apprécie ta certitude. Ça fait du bien de savoir qu’on est pas seuls, et ce malgré le quartier déserté qui s’étalait autour d’eux, ruine post-apocalypte au charme étrange qui se plaisait à leur rappeler quotidiennement leur sort.

- Truc leur a fichu la trouille à leur première nuit, mais ça va mieux maintenant. Je crois que ça aide qu’ils dorment ensemble avec leur chien.

Le vieux matou préférait encore occuper la moitié du lit matrimonial, lorsqu’il revenait de ses chasses en extérieur. Max demandait encore de temps à autre à ce qu’un des adultes passe une partie de la nuit dans la chambre avec eux; une demande qu’il vocalisait en son nom comme en celui de son frère. Alex s’endormait généralement par terre, n’ayant pas perdu l’habitude de dormir n’importe où, et Brian se contentait de revenir une heure plus tard, sur la pointe des pieds.

- Je suppose qu’un jour ils voudront leur propre lit. Ce sera signe qu’ils se sentent chez eux. Tout comme ce qu’un besoin grandissant d’intimité indique chez tout le monde.

À l’étage, il y eut quelques éclats de rire et les échos étouffés se faisaient plus fébriles. Avant qu’ils ne se fassent turbulent, Alex suggéra :

- Je devrais aller surveiller. J’ai perdu le numéro du luthier.

L'ermite balança un clin d’oeil en direction de son compatriote et prit la direction de l’escalier, dans lequel Truc le devançait, disparaissant à répétition pour réapparaître chaque fois deux marches plus haut.  Sans hésiter, il se dirigea vers sa chambre, où logeait la guitare.

- Dean, tu as offert à Suzannah d’essayer également? demanda-t-il avant même d’être entré dans la pièce.

Richard acquiesça à la suggestion d’Alex, bien nouveau dans l’aventure de la parentalité et satisfait de l’appui du doyen. Galilée était un bon chien. Ça ne serait jamais Machin, mais Truc s’habituait tout de même à sa présence. Mieux que le pauvre clebard qui aboyait de surprise lorsque le chat le surprenait avec ses manèges, sous les regards amusés ou empathiques de Max et Dean, respectivement.

Un silence pensif s’était installé entre les deux hommes, avant que Alex ne décide de le rompre pour que les amis aillent voir ce que préparait la jeune cohorte. Trop tranquille. Certes trop jeunes aux yeux du druide averti pour qu’il ne craigne que cette tranquillité ne cache des jeux moins innocents, les enfants n’en étaient pas moins trop sages. Les quelques notes qui emplissaient le palier lorsque les marches y menant se taisent laissent présager que la cavalerie n’était pas arrivée trop tard. Alex posa une question dont la réponse le fit froncer du visage, non pas courroucé, mais simplement déçu que le rejeton devenu sien n’ait pas su se montrer poli. D’un geste du sourcil, il intima à Dean de passer l’instrument à son amie, qui n’avait visiblement pas plus de talent naturel pour la guitare que les jumeaux.

Ce n’était pas grave : la fierté de la petite éclairait la pièce et assoupli les traits du canadien, qui lui sourit tout en écoutant l’explication de Richard. Le scientifique avait eu vent du différent entre Richard et Troy : même cloîtrée au milieu de badlands, l’humanité semblait être restée une fervente des potins. Alex n’avait rien d’un fervent de psychologie, ni d’un mec populaire, mais ça n’empêcha pas son esprit de tremper un orteil dans la psycho-pop : il se demandait si le justicier de carrière ne projetait pas ainsi légèrement le manque causé par l’absence de son fils, ou n’enjolivait son gendre pour combler cet abandon. Le consensus populaire semblait donner raison à Richard, mais il existait toujours quelques voix pour soutenir que Troy avait voulu agir en héros, en respectant un code qui s’en était retrouvé ébranlé. Alex n’en savait rien. Il vivait pour Ses règles, bien au-dessus de celles des humains. Des règles qui ne comprenaient pas les liens de sang de la même manière, mais ne leur accordait pas pour autant une importance moindre.

Le laborantin posa la main sur le bras de Richard, avant de la passer derrière ses épaules pour l’étreindre de côté.

- Il a rejoint la bonne famille, alors. De bonnes personnes, pour la plupart. Mafdet ne comptait pas réellement, puisqu’elle tenait davantage de la divinité que de la personne, et Troy avait révoqué son droit familial. Ne restait que le père et la fille : c’était suffisant pour généraliser, au yeux du biochimiste qui n’aurait jamais tiré de conclusions à partir d’une courbe à deux points.

Probablement lassé de se sentir mis en plan, Dean fit un geste vers la guitare. Alex ouvrit immédiatement la bouche, mais se tut en voyant qu’il ne cherchait pas à se réapproprié la caisse de résonance acoustique. Richard sembla vouloir profiter de la progression de sa petite-fille en position assise. Alex ne songea même pas à le rejoindre. Huit ans de cavale lui avaient bien bousillé quelques articulations, et il avait parfois l’impression d’être un pantin un peu rouillé et grinçant. Heureusement, l’inconfort ne semblait pas avoir décidé de cheminer plus en profondeur, la où la douleur serait plus aigue. Un moment plus tard, le doux moteur du chat enchanté vient s’ajouter à la musicalité de la pièce.

Alex guetta la réaction de Dean au paroles de Richard. L’humeur du louveteau sembla s’assombrir légèrement, mais il se passa de commenter le départ hâtif de son amie. Alex lui fit un sourire qui se voulait encourageant et se prit une grimace en réponse. D’accord…

- Brian sera jaloux, taquina-t-il,mais je lui rappellerai qu’il a quelques années d’avance sur moi.

Quant à l’invitation de venir souper, Alex serait bien pris au dépourvu s’il devait admettre publiquement qu’il n’y a que Mafdet dont il n’avait jamais douté qu’elle apprécierait de le revoir vivant. Sinon d’un point de vue personnel, au moins pour les découvertes et observations purement druidiques qu’il avait eu l’occasion de faire. Lui-même ne cessait de remettre au lendemain le jour de leurs retrouvailles – réelles – car il savait qu’ils auraient une longue discussion à avoir. Pardi, il devrait peut-être même prévoir d’emmener un pyjama de Brian, au cas où ils manqueraient de temps pour tout se dire.

Alex éclata d’un rire rauque à la réponse à sa précédente blague.

- Je n’avais pas osé te demander, mais tu me rassures, là! Le plus simple sera que Brian et toi décidiez d’une date ensemble, comme vous vous croiserez aux murs.

Le museau moite de Galilée vint se poser contre la main ballante et insoucieuse du laborantin. Un instant plus tard, la langue gluante du chien y cherchait quelques traces de nourriture résiduaire, probablement attirée par une quelconque odeur, ou par la mauvaise habitude du druide de gâter leurs bêtes à quatre pattes.

- On ira bientôt ? s’enquit soudainement le louveteau en affectant un air détaché.
- Autant que possible, mais il faudra que la maison soit en ordre, le jardin également, et toutes les tâches accomplies.  C’est compris ?

Dean lui lança un regard méfiant, comme s’il devinait la présence d’un piège sans le voir. Il répondit par l’affirmative, n’en ayant de toute manière pas trop le choix. Alex ne le tortura pas davantage en inventant une corvée impossible, bien que l’idée l’en prit, et invita plutôt la compagnie à redescendre. Il préférait quitter les lieux immédiatement, pendant que la guitare était encore intacte.

- Aimeriez-vous une infusion avant de repartir ?

Alex n’aurait pas mis son ami à la porte, mais il était vrai qu’il saurait bien profiter du temps libérer ainsi pour poursuivre l’entretien de la cour arrière. Il repoussa une mèche de cheveu derrière son oreille : depuis qu'ils avaient été coupés, elle était trop courte pour tenir dans le chignon qu'il laçait derrière son crâne.

- On va jouer à Pokemon! répondit le louveteau en son nom et en celui de son amie, qu’il tirait par la main, le chien, excité par cette résurgence d’énergie, sur leurs talons.

- Eeet toi? demanda Alex en tournant son attention, amusé, vers l’invité qui présentait le plus petit écart générationnel avec lui.

Comme tout dans cette vie, l’infusion prenait son temps à être préparée. Le temps que l’eau bout, d’abord, pendant que le druide s’affairait à chercher les plantes dont il avait besoin et, surtout, envie. Il manqua d’oublier de demander au garde ce qui lui plairait, à lui, encore pris dans ses vieilles habitudes d’homme solitaire, mais tenta tout de même de tenir compte de ses préférences alors qu’il sélectionnait quelques feuilles séchées de menthe et de framboisier – il avait abandonné l’idée de préparer des framboises séchées pour venir adoucir les thés des bois et autres mélanges maisons, mais s’était promis de faire la part belle aux pommes une fois l’automne venu – pour ajouter un goût fruité à la base sèche qu’ils s’apprêtaient à boire. Il fredonnait en s’affairant, reclus dans ses pensées et forçant ainsi son ami à se perdre dans les siennes. Les jeux des enfants ne lui étaient qu’un bruit de fond indistinct auquel il ne portait guère attention, se contentant de lever un œil sur les orphelins lorsqu’ils en venaient à effleurer son champ de vision.

- C’est chaud, avisa-t-il inutilement Richard, alors que la tasse toquait contre le bois de la table.

Le garde se redressa, droit comme un piquet, ou comme les jumeaux lorsqu’ils étaient pris en flagrant délit de mauvais coup. Un sourcil écarquillé, Alex ne sourit pas : il n’y avait pas de plaisir à avoir déclencher un instinct de proie chez autrui. Il était bien trop familier de cette peur en arrière-plan pour trouver civil de s’en amuser. Il marmonna un mot pour exprimé sa désolation et laissa le policier prendre la parole. La culpabilité se volatilisa, remplacée par un chaleureux sentiment de  bonheur.

- Chaque chose en son temps, tenta-t-il d’encourager son ami, je n’étais pas encore vraiment prêt. Je n’aurais pas su apprécier le moment comme je l’ai pu aujourd’hui : je suis également heureux que tu sois passé.

Alex se méfiait désormais de l’alcool, mais il n’était pas du style à empêcher qui que ce soit de vivre sa vie : la preuve avait été le retour de Brian, les pieds ronds comme des quilles. Au moins, le mentaliste avait pu quitter l’air grave qu’Alex lui connaissait désormais pour une certaine légèreté, l’espace d’un soir. Les tasses se vidaient avec une lenteur irrégulière, sous le silence des adultes qui ne semblaient pas vouloir gaspiller de précieux mots l’un davantage que l’autre, car parfois, une présence sympathique est tout ce que l’âme désire.

Lorsque les enfants échangèrent quelques cris de victoires contre d’autres de déception, les chaises raclèrent sur le parquet,  sonnant le départ, et Alex recueillit les tasses pour les porter à l’évier. Il les rinça sommairement avec un peu d’eau du cruchon posé là, avant d’escorter ses invités à la porte. Ses genoux grincèrent alors qu’il se mettait à hauteur de câlin de la petite Suzannah. Une fois le bisou déposé sur sa joue, il la retint un instant par l’épaule.

- Et tu diras à ta mamie de venir me visiter. On a plein de choses à se dire.

Une fois les enfants étreints, ce fut au tour des embrassades des adultes, cordiales avec une ascendance fraternelle. Sans ses réticences d’antan, Alex se montrait plus convivial, malgré son faciès devenu bourru. Il laissa partir Richard d’une claque amicale sur l’épaule, et resta sur le porche à observer le duo s’éloigner pendant un moment, jusqu’à ce qu’ils ne deviennent qu’une tache floue dans son champ de vision.

- Tu viens? On va retourner s’occuper de l’entretien du potager.
- T’es pas mon père ! s’insurgea subitement le jeune loup-garou qui claquait des talons et retournait à l’intérieur, son tuteur sur les talons, déconcerté. Truc s’évapora et Galilée courut se terrer sous la table de la cuisine voisine.
- Je le sais, Dean. Nous avons eu cette discussion : ni Brian ni moi ne cherchons à remplacer tes parents.
- Bah! Alors t’as pas à me dire quoi faire!
- Je, débuta Alex qui ne savait pas trop géré cette rébellion inattendue. Après un court hiatus, il tenta une nouvelle approche. Je comprends que tu aurais préféré que Sue...
- Tu comprends pas, l’interrompit Dean avec véhémence.  Tu comprends rien. Tu connais pas Sue, ni Max ou moi. Tu t’en fiches de nous. Tu connais personne ici parce t’as fichu le camp.
Alex se mordait l’intérieur de la lèvre, estomaqué par le ton incisif autant que par le sentiment de rejet qui venait de le submerger.

Les accusations de Dean se faisaient de plus en plus diffuses, étouffées par les sanglots du grand enfant, jusqu’à ce que Alex ne sache plus résister à cette torture et ne gronde d’une voix blanche.
- Ça suffit! Je vais me débrouiller seul sans problème. Fais ce que tu veux, mais si les cadeaux de Richard ont cet effet sur toi, ils ne resteront pas longtemps ici!

Alex traversa la cuisine d’un pas furibond et claqua la porte de la véranda derrière lui. Il lui fallut un moment pour retrouver son calme, après qu’une vague de honte ne l’ait étreint. Un instant plus tard, il avait fait l’inventaire mental de leurs tâches matinales et se dirigeait vers celles qui les auraient attendues après la pause qu’ils avaient méritée et s’était montrée plus longue que prévue. Armé de cisaille de jardins, il alla s’attaquer aux gourmands des plants de tomates qui longeaient l’une des clôtures.

La voix de Dean tournait encore en boucle dans sa tête quand il rentra pour se servir un verre d’eau. Alex jeta un coup d’oeil dans le salon pour vérifier que le louveteau y jouait toujours, intrigué par le silence. Aucune trace de Dean, mais il était indéniable que du rangement avait été fait.
- Dean? appela Alex en montant à l’étage, son verra abandonné sur l’âtre de la cheminée. La chambre des jumeaux était vide.
- DEAN? cria-t-il encore à deux reprises, en détalant l’escalier d’abord
puis en arrivant quelques pas devant la maison. Quel crétin il faisait, de le laisser ainsi sans surveillance! Il ne se le pardonnerait pas si le louveteau avait fugué.

Un reniflement au milieu des caquètements attira l’attention du druide. Il s’approcha de la basse-cour pour y trouver Dean qui caressait une poule tétanisée. Il essuyait son nez morveux du revers de la main entre deux caresses.

- Dean? J’étais inquiet. Que se passe-t-il?
- J’ai rangé le salon, annonça le gamin, et nettoyé le clapier.
- J’ai vu ça. Je t’en remercie, hésita le biochimiste qui ne savait pas du tout où se dirigeait la conversation.
- Alors tu ne vas pas me mettre à la porte ? s’enquit l’enfant.
- Quoi? Mais... bien sûr que non, mon grand. Alex était tétanisé. Où une telle idée avait-elle pu naître? Je suis désolé que si j’ai pu te faire croire ça. Je n’aurais pas dû m’emporter contre toi : je m’excuse. C’est chez toi, ici, maintenant.

Il y eut un moment de silence alors que le druide s’asseyait de l’autre côté de la clôture à poule, pour être à hauteur égale avec son pupille. C’était le moment de piler sur son orgueil un peu.

- Je ne compte plus aller nulle part. Ça m’attriste que tu ne le crois pas, mais je le comprends. Mon passé n’est pas mon meilleur garant.

Pourquoi tout le monde n’était pas aussi simple que Richard? Le garde avait tu les possibilités de défections et de rancœurs en un instant.

- J’ai menti, murmura piteusement Dean. Encouragé par l’expression interrogative d’Alex, il poursuivit en rigolant. Tes sourcils sont drôles quand ils font ça. Je sais que tu vas rester. J’ai menti parce que je sais que tu disais la vérité quand tu nous l’a dit.
Alex ne se souvenait pas d’avoir entendu une telle accusation, plus tôt. Ce n’était pas vraiment grave, il faut dire : ça le deviendrait, par contre, s’il se mettait à tenir des comptes.

- Je ne t’en veux pas, mon grand. Tu traverses une période difficile. On dit parfois des choses qu’on ne pense pas réellement ou qu’on regrette dans ces moments. Savoir l’admettre et s’excuser est déjà très bien.

Dean libéra le gallinacée, qui se réfugia immédiatement à l’intérieur. Quelques minutes de silence suivirent avant qu’Alex ne se dégorge.

- Qu’en dis-tu si ce soir tu me racontes une histoire de tes parents, au lieu que moi, je vous en raconte une?
- J’aimerais bien. Je m’ennuie d’eux.
- Est-ce que je peux te faire un câlin, Dean?

Le garçon hocha doucement de la tête et ils se levèrent tous deux. Alex le hissa par-dessus la clôture basse en prenant soin de ne pas abîmer leurs vêtements, et le garda un peu moins de deux secondes contre lui, avant d’opter pour une étreinte quatre pieds au sol. C’est que Dean n’était pas si léger, et le dos d’Alex pas si jeune.

- Tu as bien travaillé. Si tu veux te reposer, je ne serai pas fâché.

Un bras autour du cou d’Alex, Dean grommela quelque chose en s’essuyant les yeux, quand soudain il s’agita et se libéra de l’étreinte, reniflant l’air.

- Max! Ils arrivent! Tu ne leurs diras pas que j’ai pleuré, n’est-ce pas? Ni qu’on s’est chicanés.
- Je n’ai pas de raisons de leur dire, promit Alex, car déjà les yeux bouffis de Dean ne mentaient pas. Par contre, j’ai promis à Max et à toi d’être honnête : s’il me le demande, je ne peux pas lui mentir, tu comprends?

Dean opina rapidement et étreignit à nouveau Alex en le remerciant. Le garçon échangea un regard pour signifier – ou, moins possiblement pour demander la permission – qu’il allait rejoindre son frère. Alex accepta d’un mouvement de tête et indiqua qu’il serait à nouveau dans la cour. Il aimerait bien accueillir le reste de la famille, lui aussi, mais il était en retard sur son planning.

Le druide traversa la maison en se demandant où diable il avait bien pu laisser son verre d’eau. Son questionnement changea une fois sur la véranda : il devrait trouver le bon moyen d’indiquer à Brian qu’il vaudrait mieux rendre visite aux Turner plus tôt que tard. Il avait bien le temps d’y songer en désherbant le rang de choux où il était rendu.