Repas entre amis || fear Tobias & Lewis

Planté au beau milieu de la librairie, il grimace quand le propriétaire des lieux lui colle le bébé dans les bras. Ce n'est pas ce contact qui lui cause cette réaction, mais simplement l'inconfort lié à ce poids contre son flanc. Contre son holster couvert par une simple chemise légère et ce qu'il contient. Son arme qui lui scie les côtes. Pourtant il ne dit rien. Le regard pas commode que vient de poser sur lui le blond lui coupant toute envie de ce genre. Le professeur resserre sa prise sur le bébé qui tête avidement un de ses doigts, son pied cogne contre le sol, signe d'impatience. Il a bien prévenu que son passage serait éclair. Mais Wesley le prend en otage, regard rivé sur le téléphone du britannique qui attend le feu vert pour déguerpir et retourner à ses obligations. Celles qu'il s'est imposé lui même en invitant Alessandro à venir manger chez Lewis. Officiellement il ne vit plus chez le rossignol, mais ce dernier l'ignore. Il passe une nuit sur deux dans le loft situé deux étages plus haut dans l'immeuble du chanteur, et comble de l'ironie ce dernier ne semble toujours pas s'être rendu compte de cette situation des plus nouvelles.

L'anglais ne désespère pas de pouvoir glisser cette information entre l'apéritif et le trou normand, compte sur la présence de l'italien pour éviter une nouvelle crise de nerfs malvenue de Lewis. Tobias inspire de façon exagérée, ses narines se gonflent alors qu'une petite main vient attraper son nez au passage.

-Jeune fille je te prierais de bien vouloir cesser. Il est déjà bien assez grand comme ça, tirer dessus ne va pas arranger ma situation.

Aucun changement dans les actes de la petite fille si ce n'est un doigt armé d'un ongle acéré qui part attaquer l'intérieur d'une narine. L'homme inspire un peu plus fort, ne tient pas compte du commentaire du libraire qui lui dit, que non, son nez n'est pas trop grand. Il retire la main du bébé qui se met à chouiner.

Nouveau regard noir du libraire, le professeur rend les armes.

-Wesley. On va m'attendre. Les souris d'agneau vont brûler si tu ne me libères pas. De plus j'aimerais troquer mon jean et mon t-shirt contre quelque chose qui sonne moins... Beatnik.


Il désigne sa tenue d'un geste du menton. Pas son style vestimentaire habituel, mais le vomi de bébé se retire mieux quand il est fait sur du vulgaire coton blanc que sur une chemise hors de prix. Et puis des chemises il n'en a plus assez dans sa garde robe pour se permettre de laisser Alice les souiller de ses rejets gastriques au rythme où elle le fait. Le teinturier commence à vouloir l'appeler par son prénom. Signe qu'il se côtoient trop pour le bien du professeur.

-Le parquet est trop sombre.

Il tend le portable à Tobias qui lui désigne le sac à langer d'un mouvement sec de la tête. Une fois l’objet rangé, le brun justifie son choix.

-C'était ça ou rose à paillettes. C'est beaucoup plus joli en vrai. Et le lit est grandiose.
-C'est une invitation ?
-Bien sur. Mais il faut que tu le saches, les pantalons ne sont pas admis dans cette pièce.

Il sourit, chose rare, privilège qu'il n'octroie qu'à une poignée de personne. Wesley lève les yeux au ciel.

-Casse toi. T'es attendu.

Le sourire de l'anglais disparaît alors qu'Alice gagne un bisou. Tobias tente une moue, le libraire l'ignore avec un talent qui ne lui sied que trop bien lorsqu'il s'agit de tuer dans l’œuf les ardeurs du quadragénaire. Pourtant une main attrape la lanière du sac à langer, force bambin et professeur à descendre d'un niveau pour que ce dernier récupère un baiser à son tour. Cette fois la petite Alice s'attaque à l'anatomie du blond, attrape une oreille à sa portée. C'est le début d'un combat de plus pour la forcer à relâcher ce nouveau jouet.

[...]

Sac à langer sous un bras, bébé de l'autre coté et clés de voiture dans la bouche, il ouvre la porte d'un coup de fesses, signifiant sa présence à son futur-ex-colocataire et son ami par un gargouillement de mots incompréhensibles. Il lâche son trousseau au dessus du vide poche, lance le sac à langer sur le piano qui occupe une bonne partie de la place du salon. Nez froncé à la recherche d'une odeur de nourriture carbonisée, il respire un peu plus calmement quand seul le parfum de la viande qui achève lentement sa cuisson lui parvient. Il progresse dans l'appartement, tente d'oublier la senteur nauséabonde provenant du bébé qui vient de souiller sa couche, avant de tomber face aux deux autres hommes.

Sourire narquois pour le piaf. Mine entre horreur et surprise pour le loup. Lewis s'échappe avant même que le professeur ne puisse lui confirmer que rien ne brûle en cuisine. Cet homme sait se montrer aussi fourbe que le charognard qui attend la fin de l'agonie de son futur repas en le regardant souffrir quand la situation s'y prête. Ce qui a bien souvent un lien direct avec un professeur de littérature et la meilleure façon de le mettre dans l'embarras. Les yeux de l'anglais se plissent alors qu'un doigt trop petit signe son grand retour dans une de ses narines. Cette gamine fait visiblement une fixation à ce sujet. L'italien attend, ne pipe mot, chose rare qui met le britannique un peu plus mal à l'aise encore.  La langue du chasseur caresse ses lèvres alors qu'il ouvre la bouche pour délivrer un semblant d'explication.

-C'est une longue histoire.

Alessandro reprend ses derniers mots. Tobias entend distinctement le point d'interrogation qui s'ensuit.

-Une longue histoire totalement légale. La génitrice du bébé a joué un remake de Trainspotting. Pas de père. Je suis ce que la protection de l'enfance a trouvé de mieux pour l'instant.

Le dire à haute voix sonne toujours comme une mauvaise blague. Il a du mal à imaginer pire personne à qui confier un bébé que lui même. Alcoolique, des antécédents médicaux désastreux, et surtout un passif sanglant et un amour particulier pour la mort. Surtout lorsqu'il s'agit de la donner. Mais il est clair que sur le papier, il sait faire le job. Changer des couches, donner des biberons, chanter des berceuses et soulager des poussées dentaires font aussi parti de son champ de compétences. Il ferme un œil quand un doigt tente de s'y glisser. Et se redresse vivement quand Lewis appelle, parle de sauce étrange. Prit de panique à l'idée de voir le repas finir détruit entre les mains du rossignol, il colle d'autorité la petite dans les bras du loup avant de s'enfuir dans la cuisine après quelques consignes rapides.

-Il paraît qu'elle s’appelle Alice.

Enfin c'est ce que dit Wesley. Comble pour le professeur qui refusait de lui donner un prénom, il lui arrive aussi d'appeler la petite ainsi. Mais heureusement trop rarement pour risquer de s'attacher sentimentalement à la petite poupée aux yeux d'azur.

-Elle est gentille. Empêche la juste de te crever un œil.

"Et elle vient de se chier dessus" Tobias sourit alors qu'Alessandro souligne ce fait, visiblement écœuré. Le professeur pousse le rossignol, ouvre le four avant de se pencher au dessus du plat. Sourcils froncés, il traque l'anomalie, goûte la sauce qu'il vient de piocher avec une cuillère avant de jeter un regard moqueur au chanteur.

-C'est à cause de gens comme toi que les anglais passent pour des gastronomes incompétents.

Il arrose copieusement les souris d'agneau de sauce, n'apportant qu'une attention limitée au propos de celui qui se pense toujours son colocataire. Ses lèvres prennent un pli moqueur tandis que le rossignol émet des doutes sur les capacités du loup à gérer un bébé. Il est vrai qu'en cet instant le professeur aimerait bien être une petite souris pour devenir spectateur du combat qui est en train de se jouer dans le salon s'il se fie au pleurs du bébé qui viennent de se calmer.

-Cette petite est adorable, même un âne saurait s'en occuper. Ne reste qu'à savoir qui est le plus compétent entre le loup et l'âne. 

Il se redresse, referme la porte du four pour se diriger vers le placard où il a rangé la bouteille de whisky hors de prix qu'il a acheté pour l'occasion. Lewis s'affaire en mettant la table, ils se croisent dans cette cuisine finalement pas bien grande, sans prononcer un seul mot. Le silence est roi dans cet appartement, le meilleur moyen qu'ils aient trouvé pour survivre dans ce lieu commun sans s'envoyer des noms d'oiseaux au visage à tout moment. La bouteille de grappa fraîchement sortie du réfrigérateur finit sa route sur la table, et c'est quand l'anglais se prépare à sortir un nouveau biberon pour le bébé que l'italien signe son grand retour. Tobias réceptionne la couche malodorante que lui lance son ami, surpris que ce dernier se soit donné la peine de changer la petite. Étonné de découvrir qu'Alessandro était capable d'une telle chose. L'italien fait certes office de figure paternelle, mais avec un jeune homme de 19 ans turbulent, pas un nourisson. L'arme chimique termine dans la poubelle sous l'évier, Tobias ouvre la bouche, prêt à dire à la petite que son biberon sera bientôt prêt, avant de se raviser, trouvant l'erreur dans cette scène qui se joue devant lui.

-Où est le bébé ?

Les sourcils du doyen de cette petite assemblée se froncent, son regard sombre fouille, cherche désespéramment la moindre trace qui pourrait dévoiler la présence de l'enfant dans les parages. Son cœur s'emballe bien malgré lui, alors qu'aucune voix enfantine ne lui parvient. Juste des explications qui ne sonnent comme rien de bon, prononcées avec un accent italien dont il se surprend à avoir envie de cogner le propriétaire.

-Qu'as tu fais du bébé ?

La réponse tombe, pas rassurante pour deux sous. Le professeur laisse bouteille d'eau minérale et lait en poudre sur le plan de travail, pique un sprint en direction du vestibule. Face au spectacle qui l'y attend, il reste muet, subjugué par la position non-sécurisée de la petite Alice. Cette dernière ne semble pas troublée par cette situation, voir presque amusée par ce nouveau jeu dont elle ignore les dangers. Avec des gestes empressés mais tendres, Tobias la décroche avant de la serrer contre lui. Elle est mal fagotée, mais semble indemne, visiblement pas traumatisée par l'italien et ses pratiques perturbantes. Amaro quitte la liste des baby-sitter potentiels avant même que son nom n'ait pu s'y retrouver inscrit. L'anglais pose ses lèvres sur les fins cheveux blonds du bébé, inspire son odeur, la cache entre ses longs bras puis disparaît en direction de la cuisine. Trop fâché pour être certain de pouvoir s'exprimer sans devenir inconvenant. S'il l'ouvre maintenant, ce sera pour déverser son venin sur le patron de bar, et ce n'est pas dans ses projets pour la soirée à venir. Pas avec ce qu'il a prévu d’annoncer. Et Lewis, au vu de ses dires n'est pas d'accord pour que son appartement se retrouve transformé en scène de crime. Petite calée contre lui, il fredonne Bashung de sa voix rauque. Peu gêné par les gesticulations d'Alice alors que de sa seule main libre il achève de faire chauffer l'eau du biberon.

Six doses de lait en poudre pour la petite gloutonne, une de farine de riz pour soulager ses coliques qui ne font qu'empirer avec les poussées dentaire. La goulue ne perd pas de temps pour se jeter sur la tétine dès qu'elle lui est proposée, Tobias chantonne toujours alors que de grands yeux azurs le fixent. Du gras du pouce, il essuie la traînée de lait qui commence sa descente le long du menton de l'enfant, sourit tendrement à la petite princesse. Ne redresse même pas la tête quand ses deux amis entrent dans la cuisine à leur tour.

-Je donne son repas à la petite, je pense que nous allons pouvoir passer à l’apéritif par la suite. L'agneau à la menthe et au miel est presque prêt.

Il reprend ses "Osez Joséphine", sourit quand on s'offusque du menu prévu. L'italien est arrivé en terres anglaises. Puisqu'il paraît qu'à Rome on se doit d'agir comme les romains, autant modifier ce proverbe pour mettre les britanniques dans leurs petits souliers.

[...]

Verre dans une main, cigarette dans l'autre, Tobias enfume la cuisine alors que près de lui l'italien fait de même. La petite est partie commencer sa nuit dans son couffin, un babyphone posé dans un coin de la cuisine indique au professeur que pour l'instant le sommeil est roi dans la chambre qu'il occupe toujours ici, du moins à temps partiel faute de mieux. Il ouvre la bouche, laisse un nuage de fumée s'envoler vers les cieux alors qu'il s’approche de la table pour aller piocher dans ce qu'Alessandro a emmené. Lewis enrage, ouvre une fenêtre en pestant contre l'odeur du tabac qui s'incruste partout et la nicotine qui va finir par tâcher les murs. Tobias soupire, répond aux questions qui n'ont pas été prononcées, mais qu'il devine être présentes dans l'esprit du loup.

-Mon psy a pensé que ce serait bon pour moi de renouer avec les couches culottes et le lait en poudre. Et comme c'est moi qui ait trouvé la petite et sa défunte mère, en me voyant en train de donner le biberon au bébé la protection de l'enfance a décidé que ce serait sympathique de me la coller dans les pattes. Mais ma peine prendra fin dans quelques jours.

Quant on lui demande pourquoi il s'inflige ça, il réfléchit un bref instant à sa réponse avant de la donner, peu certain de son exactitude. Puis avec un sourire mesquin il finit par lâcher quelques mots, sans doute un mensonge lui souffle son cœur qui vibre d'une drôle de façon lorsqu'il regarde la petite fille.

-Pour passer de fou à surveiller à fou stabilisé sur mon dossier médical.

Les plats posés sur la table, chacun prend la place qui est la sienne. Alessandro sert les verres, Lewis tend les assiettes à Tobias qui les remplit. De tout sauf de sauce, pour laisser le choix à l'italien entre le jus de viande et la sauce à la menthe qui a toujours accompagné l'agneau du dimanche dans les souvenirs d'enfance du chasseur. Puis rapidement, alors que tout le monde est servi et fixe son assiette en attendant que le coup d'envoi soit donné, le silence fait son apparition. Gênant alors que le professeur se demande s'il ne devrait pas lâcher sa bombe immédiatement, pour ensuite faire redescendre la tension à coup de tarte bakewell quand sera venu le moment du dessert. Il cogite, une de ses oreilles traînant du côté du babyphone au cas où la petite se réveillerait. Encore un vieux réflexe avec lequel il a renoué sans difficulté. Et ce quitte à remuer la merde comme vient de le souligner Alessandro. Couverts en main, prêt à goûter son morceau de viande, il se fige quand la voix du loup troue le silence.

Il observe son assiette un bref instant, puis laisse ses billes noires se diriger vers la porte qui mène au salon avant de fixer Alessandro. Puis répond, d'une voix aussi vide d'émotion qu'à l'accoutumée. Ce sujet est des plus innocents, bien loin des affaires de l'italien où des méandres de cette guerre civile qu'il entretient avec le rossignol depuis qu'il vit ici.

-Oui.

Réponse concise. Mais qui normalement devrait convenir à la question qu'on vient de lui poser. Il commence à découper sa viande, arrose sa purée de pommes de terre de jus de viande, avant d'attaquer une des asperges qui est a présent noyée sous la sauce brune. C'est quand il redresse la tête pour attraper son verre de vin qu'il comprend qu'il vient de commettre un impair. En tout cas c'est ce que semble signifier le regard que l'italien pose sur lui.

Le chasseur repose son verre sans même y avoir touché, grimace un peu à l'idée de devoir continuer lui même à nourrir cette conversation qui semble peiner à se mettre en place. Ce n'est clairement pas sa tasse de thé. Il ne fait pas parti de ceux qui parlent et préfère rester dans la catégorie de ceux qui écoutent. Et encore...

-Mes parents avaient payé des cours à ma sœur.

Quand on lui demande si Jasmine sait jouer du piano, il balaie cette information d'un geste de la main comme si ce n'était là qu'une sottise avant de rectifier.

-Amanda. Une autre de mes sœurs. L'enfant numéro deux.

On lui demande combien de membres comprend la fratrie, il se contente de lever une main ouverte, désignant par ce geste les cinq enfants Rapier avant de continuer.

-Bref, elle ne voulait plus jouer au bout de quelques semaines. Les cours étaient payés et j'ai pris le relais. J'avais 6 ans. Je chante aussi, mais juste un peu. Mon public est limité et je fais ça beaucoup moins bien que Lewis.

Lewis qui a présent rougit. Tobias scelle ses lèvres. En tout cas le sujet piano a meublé la conversation pendant quelques minutes. Le professeur attrape son verre, pousse sa sociabilité à son seuil maximal, parvenant à se montrer plus avenant en présence de ses deux amis, des visages familiers. Qui connaissent ses qualités et surtout ses défauts. Il ajoute mentalement le manque d’éloquence à la seconde liste, puis inspire, espère que cette annonce parviendra à se faire sans grabuge.

-En fait le piano ne va pas rester dans les parages longtemps.
-Tu vas quand même pas le vendre après avoir bougé tout les meubles du salon pour le faire entrer ?

Cette fois le rossignol ouvre la bouche, laisse éclater sa surprise, et même sa désapprobation. Ce sont les rares civilités qui ornent à présent leur quotidien. Tobias sent le vent tourner, se rend compte que cette idée n'était certainement pas une des meilleures qu'il ait eu dans sa vie jusqu’à aujourd'hui. Il garnit sa fourchette, baisse la tête en prévision de l'avalanche de reproches qui va lui tomber dessus dans quelques instants.

-En fait j'ai déménagé. Dans l'appartement de la famille Borwell.
-Les Borwell qui viennent de partir ?
-Tu en connais beaucoup des Borwell ?

Lewis voit rouge, Tobias se tasse sur sa chaise alors qu'Alessandro mange tranquillement, un drôle de sourire aux lèvres. Visiblement il trouve que cette scène qui se déroule sous ses yeux a des airs de joyeux spectacle. Le professeur tente de manger, alors que face à lui le rossignol semble visualiser l'ampleur de la trahison. N'importe qui entrant dans la pièce pourrait croire que le professeur s'est moqué du chanteur. Alors qu'aux yeux du chasseur il n'en est rien. Lewis ouvre la bouche, et avant que sa verve n’inonde la pièce, Tobias le coupe. Justifie ce qui ne peut l'être.

-Je viens d'avoir 44 ans. J'ai passé l'âge de la colocation et j'ai envie d'intimité avec Wesley. Tu ne me supportes plus et ce sentiment va finir par devenir réciproque. Toi et moi on a besoin d'un break.

Il n'ose plus rien ajouter, de crainte de voir ce repas tourner à la catastrophe, voir même au pugilat. Sa bombe lâchée, il préfère à présent garder le silence, car sait que tout ce qu'il ajoutera pourra être retenu contre lui. Lewis a parfois tendance à lui rappeler sa mère. D'ailleurs ils s'entendent bien ces deux là, un peu trop même aux yeux du professeur de littérature. Margaret Rapier a prit avec le temps une bien mauvaise habitude. Passer par le rossignol pour obtenir des nouvelles de son fils quand ce dernier reste un peu trop longtemps sans en donner de son plein gré.

Alessandro quant à lui semble trouver cette situation divertissante. Il mange de bon appétit, vide son verre de vin, le remplit à nouveau, son regard passant régulièrement de son employé à son ami, un sourire lui dévorant le visage. Mais quand ce dernier propose de l'aide bienvenue pour déplacer le piano, Tobias décide de ne pas répondre. Pour éviter d'enfoncer le clou, faire en sorte que ce repas ne soit pas son dernier. Un nouveau regard glissé sur le rossignol fait comprendre au chasseur qu'il a raison de continuer à garder le silence. Ce dernier s'installe quelques instants, puis se retrouve coupé par des éclats de voix malheureux. Alice vient de se réveiller, sans doute aidée par le bruit qui résonne dans l'appartement. Tobias s'essuie les lèvres d'un mouvement vif, abandonne sa serviette sur la table, avant de se redresser comme un diablotin hors de sa boite pour aller cajoler le bébé chagriné. Mais c'est finalement Alessandro qui le coupe dans ce qui pourrait ressembler à une fuite. L'italien repousse son assiette à présent vide, se dresse à son tour non sans ordonner au chasseur de rester assis. Étrangement ce dernier obéit sans demander son reste, avant de se souvenir de la scène du vestibule.

Il ouvre la bouche pour prononcer un avertissement, faire comprendre à son ami qu'une nouvelle blague impliquant un possible manquement à la sécurité de l'enfant serait du plus mauvais goût.

-Alessandro je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée au vu des qualités dont tu nous as fait démonstration tout à l'heure.

Si l'italien gère sans trop de mal un grand garçon de presque vingt ans, on ne peut pas dire la même chose lorsque la relation-adulte enfant implique un nourrisson.

Mais ce dernier étouffe tout les possibles doutes dans l’œuf, ordonnant aux britanniques de manger. Fourchette et couteau à nouveau en main, le professeur ne laisse pourtant pas passer une pareille occasion de rabrouer son ami lorsque ce dernier fait mention de son manque d'humour.

-J'entends tout tu sais.

On ne daigne lui répondre, et il en viendrait presque à croire, qu'en effet, on espérait qu'il entende cette petite provocation. C'est avec les gestes de l'urgence qu'il retourne à son repas, se décide enfin à vider son assiette, sans même prendre le temps de se rincer le gosier avec le vin qui remplit son verre. La viande est bonne, mais il ne prend même pas le temps d'en savourer les parfums. Il vide expressément sa bouche quand celui qui n'est officiellement plus son colocataire lui adresse la parole. Il ose un regard vers Lewis, se passe la langue sur les lèvres, cherche les bons mots. Ceux qui auraient le pouvoir d'apaiser un conflit et non de nourrir ce dernier. L'oiseau semble prendre les choses mieux que le chasseur ne l'aurait craint, mais sa capacité à gaffer n'est jamais bien loin. Il cherche au fond de lui ce tact, qui doit bien se trouver quelque part. Il hésite presque au moment de se lancer.

-Je ne voulais pas te blesser. Tu m'as dit un jour que vivre avec moi t'empêchais d'être seul. Malgré le fait que je sois bien souvent un mauvais compagnon au quotidien. Tu m'as aidé à chaque fois que j'en avais besoin.

Bien souvent sans que le tueur ne veuille de cette aide. Mais une chose est certaine, l'homme qui lui fait face à bon cœur. Supporte tout les caprices de son ancien bourreau. Un ange qui n'a pas besoin de ses ailes pour correspondre à cette définition.

Peu certain de pouvoir en dire plus sans s'enfoncer, Tobias achève son repas aussi vite que possible. Pose ses couverts dans son assiette désormais vide, laisse son regard noir se poser sur le chanteur, dans l'attente d'une autorisation quelconque dont il n'aurait que faire habituellement. L’approbation du rossignol ne met pas longtemps à se faire entendre. Il sait le trouble de son colocataire. L'a vu cajoler la petite, tout en jurant, que non, il ne l'aimait pas. Et qu'il n'attendait qu'une seule chose, le jour où il pourrait enfin la rendre à ceux qui lui ont collé ce colis entre les mains. Le chasseur se lève, fait un pas pour quitter la pièce, avant de bien vite revenir sur sa décision. Il s'approche de son ami sous le regard choqué de ce dernier, et comble de l'impossible en vient même à poser ses lèvres sur une des joues de l'oiseau.

-Merci. Pour tout. Tu es trop bien pour moi. Mais je pense que tu l'es aussi pour la plupart des gens.

Il prend la poudre d’escampette en direction de sa chambre avant même que Lewis ne puisse commenter son geste. Pas certain de pouvoir être capable d'assumer un tel élan affectif si on venait à le mentionner à voix haute.

[...]

Sur le seuil de sa chambre, il couve le spectacle qui s'offre à son regard, puis ose un pas. Sa voix se teinte d'une douceur qui habituellement ne le caractérise pas quand il prononce quelques mots.

-Elle commençait à faire ses nuits quand les dents ont décidé de lui causer du chagrin.

La petite et le loup redressent la tête de concert à l'entente de la voix du britannique. Ce dernier fait un nouveau pas dans leur direction, puis un second. Et enfin glisse un de ses doigts dans une des petites mains enfantines quand elles sont à sa portée. Il chuchote à présent quand il ouvre la porte à son désarroi, imagine déjà son cœur se briser un peu plus quand dans quelques jours il devra se séparer de l'enfant.

-Si j'étais égoïste je la garderais avec moi.

Son ami le fixe, un peu surpris certainement. Tobias n'a que rarement l'habitude de livrer de tels états d'âmes en public, même face à ceux qu'il considère comme étant ses proches. Une carapace qu'il a renforcé au fil des années. Pour ne plus jamais souffrir de la perte de l'être aimé. Une carapace qui se fend un peu plus chaque jour depuis qu'il vit ici. Il sait ses défauts, ceux qui l'empêchent de prendre une telle décision. Ne veut pas laisser son cœur prendre le pas sur sa raison. Les conséquences d'une erreur de sa part seraient bien trop grandes pour qu'il puisse se permettre de se laisser aller à un tel caprice. Sa voix tremble un peu quand il tente de justifier son choix.

-Je suis trop vieux. Trop cassé. J'arrive à peine à m'occuper de moi convenablement, imagine la catastrophe si je faisais entrer ce bébé dans l'équation.

Il n'ajoute rien de plus. Pour ne pas dévoiler ses failles qui se font de plus en plus visibles ces derniers temps. Il se contente de tendre les bras pour reprendre la petite, même si celle-ci semble bien installée entre les bras du loup. Pour profiter de son réveil pour prendre le temps de lui changer une couche et lui donner de quoi la soulager par la même occasion, même si les pouvoirs du loup ont l'air d'avoir fait leur petit miracle sur les poussées dentaires de l'enfant.