Pierre Argent a été élu maire de la ville. Une élection anticipée, bien qu’il n’y ait plus de structure gouvernementale centrale pour la valider, après que l’ancien en place s’est fait prendre la main dans le sac à s’abroger de la nourriture et d’autres faveurs totalement indues et surtout aux dépens de la communauté déjà bien tendue. J’espère que notre structure va se stabiliser. Cela fait trois ans que nous sommes à la limite de la guerre civile et moi au bout de ma vie. J’ai gardé mon job de flic, je ne sais rien faire d’autre. Ces temps de fin du monde ont dévoilé le pire chez l’être humain : le chacun pour soi, la fourberie et la haine facile. Pillages, rackets armés, meurtres pour une caisse de boîtes de conserve, un bidon d’essence, ceux que le virus ne décimait pas, les hommes s’en chargeaient.
2020 fut sanglant. Il n’a fallu que trois semaines pour que les premiers pillages commencent. L’entraide était encore présente, mais l’électricité qui sautait à tout bout de champ, les chaînes de télévision qui finissaient par ne plus rien émettre, ce fut une vague de panique qui conduisit à un exode vers des refuges ou des camps militaires. Seulement, ce n’était qu’un eldorado utopique, ces camps se firent ravager de l’intérieur, les grandes villes étaient devenues des pièges. La survie de Beacon Hills tint à sa concentration de surnaturels et à leur immunité, à sa police aussi qui avait appliqué une loi martiale implacable. En plus des infectés dont les rangs grandissaient, nous avions affaire à une guerre civile et l’ordre de tirer à vue.
Certaines images me hantent toujours la nuit, des gens que je connaissais d’avant qui voulaient piller le centre commercial avec l’argument que de toute manière il n’y en avait pas pour tout le monde. Ils n’avaient pas tort, mais qui étaient-ils pour choisir qui allait vivre et qui on laisserait mourir de faim ? Stilinski avait ordonné et j’avais tiré dans le tas le ventre noué d'horreur. Ce que nous tous ne savions pas à ce moment-là, était que le virus allait s’arranger à diminuer drastiquement le nombre que nous étions. Quand les remords me torturent, je me raccroche à cela : nous avions protégé ceux qui allaient survivre à cette engeance.
Beacon Hills a survécu à cette terrible année qui marquerait les annales grâce à une palissade autour de la ville. J’avais fait le choix de rester dans ma maison qui restera non protégée jusqu’en 2022. Mon quartier était celui qui avait compté le plus fort taux de contamination dès le début de la pandémie. Je suis le seul survivant de ma rue. L’avantage d’avoir eu des infectés qui rodaient constamment dans le lotissement quand un rationnement drastique était en vigueur, m’a permis de ne pas mourir de faim en me servant dans les maisons voisines et de ne pas me faire descendre. Mon job de flic ne me laisse pas le temps d’entretenir un jardin rentable, tout juste de quoi chasser un peu. Et comme nous étions sans cesse dans un mode répressif, je me suis fait pas mal d'ennemis. Les infectés qui rodaient autour de chez moi, mes anciens voisins pour la plupart, étaient ma meilleure protection contre les représailles de ceux qui m’en voulaient d’avoir fait mon job. Stilinski tenait à ce que nous gardions la dénomination de police, mais nous agissions comme l’armée : nous tirions à vue dans les mouvements de révolte. La prison n’était plus une option dans ces temps troublés. Maintenir l’ordre n’avait jamais été aussi mal vu qu’avant l’effondrement. Ma solitude volontaire m’évitait les mauvais regards, puis il y avait Truc et Machin, et les roses aussi.
(...)
Trois années sont passées, sombres et terribles. Les liens sociaux ont éclaté pour se renouer autrement. La ville est maintenant à l’abri derrière deux palissades. La guerre civile est terminée, la construction de la deuxième palissade a aidé à faire la paix. Le virus prend encore son dû lors des attaques d’infectés. Ceux qui m’étaient ouvertement hostiles partent ou meurent, cette fois la sélection naturelle passe par l’entraîne et non en décimant l’autre. Trois années que j’ai passées à vivoter. J’ai gagné plus de cicatrices pendant cette période qu’en onze années en service actif dans la Navy.
Nous commençons à avoir des chevaux, Derek Hale s’est lancé dans l’élevage, l’alpha a eu le nez creux. Comme moi, avec mon arbalète et l’arc à poulie récupérés dans une des armureries de la ville. Je m’étais vite résigné au contraire de mes collègues, et prévu que le stock de balles allait aller en diminuant. C’est grâce à cela que j’arrive à chasse pour me nourrir. Je me suis encore amélioré cette année grâce à une discussion ouverte avec l’un des hommes de la tribu des Kawaiisu. Il m’a donné de précieux conseils pour la fabrication de mes flèches. J’ai grandement agrandi mon taux de réussite.
La fureur s’apaise enfin, j’espère que nous allons enfin récolter les bénéfices de nos actions et pouvoir vivre à nouveau. Pas comme avant c’est certain, mais sans avoir à craindre mon ombre, sans qu’on me regarde comme un oppresseur, mais comme le type qui risque sa vie pour protéger la communauté. Heureusement qu’il y a Dick et les autres au poste de police pour supporter tout ça. Notre charge est lourde à porter.
J’ai foi dans notre nouveau maire qui semble avoir la poigne nécessaire pour imposer les mutations nécessaires à notre survie. Il a édité de nouvelles règles, une nouvelle économie. Il était temps, car le stock que j’avais fait grâce aux maisons vides de mon quartier arrivait à épuisement. Le travail de flic, ou de garde comme cela devient usuel de nous appeler depuis que la brigade compte maintenant plus d’un tiers de civils, est reconnu comme un travail à plein temps. Je reçois un nombre de crédits qui me permet d’acheter de quoi vivre au magasin central qui devient le lieu de tous les échanges. Je commence à troquer ma chasse contre des légumes. Une vie s’installe à nouveau avec sa routine journalière.
(…)
Fin juillet 2023.
Une nouvelle paix s’instaure à l’intérieur des barricades, alors qu’au-delà règne le chaos total. La protection des barrières, l’organisation d’une agriculture et du système de crédits avec l’obligation à des travaux d’intérêt général apportent un répit salutaire à tous. Je pense le système viable, mais il faut que chacun mette du sien et que l’on oublie les anciennes querelles. Chaque vie est maintenant précieuse.
Ma vie est devenue spartiate sans électricité. Je lis un tas d’ouvrage sur les énergies renouvelables, l’irrigation et tous les systèmes que l’homme a déjà inventés et qu’il nous faut retrouver sans la fée internet. Je peux enfin me poser, vivre et non survivre. Les évènements nous ont malmenés, rapprochés ou éloignés. L’embryon de relation que j’avais avec Alex a souffert de ce chaos. Lui aussi n’avait pas quitté sa cabane pour la sécurité des palissades, trouvant de l’aide chez son voisin. Impossible de nous voir régulièrement avec les infectés qui hantaient les routes, une guerre civile, lui parmi les civils, moi de l’autre côté…
Il y a toujours à faire, on se croise, mais on ne fait que ça : se croiser. Maintenant que la vie est plus calme, je me décide de reprendre les choses en main et de recréer ce qui s’était tissé quand il était venu chez moi jouer au garde malade après que nous avions affronté le crocotta.
(…)
La cabane d’Alex comme le manoir des Hale sont à la limite de la protection des barricades. Je profite d’un jour de repos pour aller le visiter, une proposition en poche, celle de venir habiter avec moi. J’ai des tas de projets pour améliorer la maison et retrouver un peu de confort. Cela ne se fera pas en une année, mais avec une bonne motivation et une paire de bras en plus, je suis certain qu’à deux nous pouvons nous créer un nid sûr et confortable.
Les chevaux sont réservés pour ceux de garde, c’est donc à pied que je rejoins la cabane d’Alex. Je dois faire un détour pour éviter un infecté. La deuxième palissade reste perméable... Je le tue sans faire de bruit. Ils ne sont pas très vaillants, le risque vient du nombre. J’ai la chance de croiser Alex sur le chemin qui mène chez lui, il tient quelques lapins en main. Il a dû aller relever ses pièges. Le problème dans cette technique est de récupérer sa proie avant qu’un infecté le mange.
- Salut, comment vas-tu ?
Je suis intimidé par son regard farouche. Je montre ma besace. Maintenant, il est très mal vu de venir chez quelqu’un les mains vides. J’ai donc apporté quelques conserves et d’autres aliments payés au magasin central avec mes crédits. Même sans cette règle de bienséance, je ne serai pas arrivé les mains vides. Une manière de montrer mes bonnes intentions.
Je n’arrive pas à statuer dans la gestuelle de mon ami si je suis le bienvenu ou pas. Je lui emboîte le pas malgré tout, le cœur battant à la chamade. J’ai répété quinze fois ce que je souhaite lui dire, mais cela ne sort pas. Quelque chose cloche dans son attitude. Nous arrivons à sa cabane, après avoir passé la barrière d’alerte qui se constitue d’un fil tendu avec des boîtes de conserve qui tintent quand un infecté tente de passer. La palissade n’est pas loin. La cabane semble repliée sur elle-même, caverne muette.
- Je venais te faire une proposition.
Alex s’occupe de ses lapins avec des gestes brusques, le visage fermé. Je sais ce qu’il a vécu, il y a un an de ça, sortir de chez nous était encore potentiellement mortel.
- La vie est redevenue un peu calme et je pensais qu’on pourrait…
Quelque chose ne tourne pas rond ici. Il y a des choses qui manquent autour de la maison. S’est-il fait piller ?
Le monde était une sauvagerie, enceintes ou non. Il n’y avait, par-dessus la violence, que d’avantage de violence et de haine. Tout le monde se méfiait de chacun et de son ombre. Alex n’avait pas échappé à cette hystérie collective. Entre les départs de ses colocs et de Civet, ainsi que le repli sur soi de Derek, derrière ses murailles, Alex se retrouvait bien seul. Quand l’existence des créatures surnaturelles avait été éventée, nombre des humains étaient de ceux qui considéraient le druide comme un traître. Aussi humain qu’eux, il avait conservé le secret. Comment lui faire confiance, alors, s’il se liguait contre ceux qui lui étaient le plus semblables? Rare étaient ceux qui, comme Jenny, s’étaient montrés compréhensifs, malgré une première déception. Après tout, les deux exs de la pauvre femme avaient été de connivence pour lui mentir durant tout ce temps. Toutefois, elle les connaissait bien et leur faisait confiance. Elle comprenait que les choses étaient différentes Avant et Après et qu’il valait mieux ne pas leur en tenir rigueur.
Elle comprenait.
Les autres…
Alex sentait les regards se poser sur lui lorsqu’il allait en ville. Les gens qui l’évitaient alors qu’il aidait aux travaux communs. On le repoussait, le mettait de côté. Même Derek, dans son bastion, ne prenait plus le temps de venir le voir. Et le scientifique ne se doutait pas que, alors que sa solitude arrosait le terreau fertile du spectre de la dépression, c’était peut-être également lui qui s’était replié sur lui-même et qui s’isolait du reste de la communauté, à son propre insu. Alex ne réalisait pas qu’il s’était mis à emprunté de plus en plus rarement le chemin du manoir, rejetant entièrement le blâme sur l’alpha qui l’occupait. Quant aux rares autres amis qu’il aurait pu avoir… voilà trois ans qu’il s’en était distanciés, lorsque ses préjugés sur les agents de la paix furent avérés et ravivés à grands coups de violence policière et d’abus de pouvoirs. Il évitait Richard et Brian, et lorsqu’il croisait les policiers, il se contentait de les saluer poliment. Il avait quelques fois échangé des banalités, pour ne pas leur donner de raison d’avoir de la rancœur à son égard.
Le druide avait offert à Charlie d’héberger également Brian, lorsqu’ils avaient invités Jenny chez eux. Il avait tenté de convaincre Charlie, et peut-être de se convaincre un peu soi-même, qu’ils n’avaient jamais entendu dire que l’ex-militaire avait commis des horreurs comme d’autres gardes l’avaient fait, mais ça n’avait pas suffit. L’ours avait craint qu’ils manqueraient d’espace pour loger tout le monde, et avait avouer ne pas être à l’aise de partager son antre avec un flic. Compte tenu de son passé, Alex avait compris et n’avait pas insisté ni même abordé l’idée avec l’agent O’Conner. La distanciation s’était poursuivie au point que le fossé était trop grand pour qu’Alex ne ressuscite l’idée de l’inviter lorsque sa cabane se retrouva progressivement désertée.
***
Voilà quelques semaines que le druide avait repris contact avec son voisin. Depuis, il allait le visiter les bras chargés et rentrait chez lui les mains généralement vides, ou bien avec quelques denrées qu’il pourrait apprêter à court terme. Ils avaient discuté longuement, mais Alex était borné et Derek n’avait eu d’autre choix que d’accepter sa décision. Depuis le départ de Charlie qu’Alex passait son temps libre à étudier son grimoire à la lueur d’une lampe de poche à dynamo, et à communier avec le nemeton. Il était à la recherche non pas d’une cure, mais d’une protection quelle qu’elle soit qui pourrait lui permettre de voyager de la manière la plus sécuritaire possible. Il avait cru comprendre que Gabriel et Michael étaient toujours vivants, eux aussi enfermés dans une ville survivante à proximité d’un nemeton. Il remerciait tous les jours Mafdet de lui avoir appris à sonder ainsi la vieille souche.
Le scientifique avait recueilli les graines de son jardin dans divers bocaux identifiés et organisés aussi clairement que possible. Il avait transféré une librairie entière chez les Hale, espérant qu’elle leur soit aussi utile qu’il avait espéré qu’elle le lui soit. Des livres de jardinage, de menuiserie pour les nuls, de fabrication de savon, de cuisine, mais également des encyclopédies et des guides pour reconnaître diverses variétés d’oiseaux, de champignons, de plantes, d’arbres. Il savait qu’il n’avait pas été le seul à aller emprunter du savoir à la librairie publique, et préférait ne pas risquer que des pillards s’emparent de ses connaissances et ses biens pendant son absence. Avec un peu de chance, il serait de retour dans la prochaine année.
Le druide revenait du Nemeton, comme tous les jours lorsqu’il ne travaillait pas pour la communauté. Son plan s’affinait et il avait enfin découpé deux éclisses dans le coeur de la souche, avec toute la précision dont sa main néophyte et ses techniques artisanales étaient capables. Quelques coups de poinçon plus tard, il enfilait les fragments de chêne sur un cordon qu’il avait récupéré de vieilles godasses et l’attachait derrière son cou. Dans ses bouquins, il avait trouvé une manière de faire un nœud à la fois coulant et résistant à la fois, idéal pour un pendentif comme celui qu’il venait d’adopter. Il enfouit l’amulette nouvelle sous son chandail et profita du chemin du retour pour vérifier ses collets. Le lapin était foisonnant dans les bois, et maintenant que Charlie avait kidnappé Civet, Alex n’avait pas de raison de se tordre les sangs à en cuisiner. Ou, dans le cas présent, à le sécher, pour la conservation.
Perdu dans ses pensées, à passer au travers des listes virtuelles de tâches et de précautions, à contre-vérifier qu’il n’avait rien oublié, et qu’il serait prêt à temps. Il avait prévu ce qu’il emporterait dans son sac à dos, l’avait pesé, avait parcouru la forêt avec, en évitant les infectés, pour s’y habituer. Sa plus grande crainte était au niveau des chaussures, et de son itinéraire. La carte routière sur sa table à manger était barbouillée de feutres selon un code de couleur que lui seul connaissait, présentant les chemins à privilégier, à éviter, etc.
Tiré hors de ses pensées par le bruit de pas, il porta sa main à son couteau, avant de reconnaître une voix qui l’interpelait. En des temps passés, il n’aurait pas mis de temps à répondre, sa fougue toujours bien présente pour contre-interroger le promeneur en lui faisant bien comprendre qu’il n’avait rien fait de proscrit, et qu’il avait bien rendu toutes ses heures à la communauté. Il avait même réussi à prendre suffisamment d’avance pour qu’on ne remarque pas tout de suite son départ, au besoin. Il ne savait pas encore ce qu’il ferait des crédits qu’il lui restait. Peut-être pourrait-il voir avec Derek s’il désirait quelque chose de particulier.
Alex mit donc quelques secondes avant de répondre à Brian.
-Bien. Il y eut une nouvelle pause. Et toi?
Suite à quoi le druide se souvint qu’il était généralement plus acceptable de sourire lorsque l’on croisait une connaissance, malgré les sentiments conflictuels qui venaient de naître en lui. D’une part, il était heureux de revoir son ancien ami. D’autre part, il ne désirait pas se raccrocher à leur relation pour devoir l’interrompre presque immédiatement. Aussi agréable que soit la visite de Brian, Alex aurait préféré ne pas le voir. Ne pas devoir lui dire quels étaient ses plans pour le futur proche autant qu’à moyen terme.
Le regard de l’ermite glissa sur la besace, et il déglutit d’appréhension. Il ne pouvait accepter de cadeau qui ne ferait que l’embarrasser, mais il était impoli de le refuser. Pourrait-il le transmettre directement au loup-garou d’à côté pour sauver à la fois la chèvre et le chou? Nerveusement, Alex se gratta la nuque avant de poursuivre en direction de la cabane, pressant le pas sans même s’en apercevoir. Le silence des sous-bois comme seul accompagnement à leur promenade, ils arrivèrent éventuellement chez Alex, unique habitant de cette propriété dont il avait hérité par un triste coup du sort. Il resta devant la maison pour saigner et dépouiller le gibier. Le biochimiste ne tenait pas réellement à ce que Brian remarque le vide de son antre, ou le bordel qui y régnait : il ne savait plus quand il avait fait le ménage pour la dernière fois.Il entailla d’abord le cou, puis fit glisser sa lame le long de l’abdomen avant de virer la bête à l’envers. Il ne put s’empêcher de tiquer. Il avait beau jouer les apprentis-bouchers depuis un moment, ce geste précis le dégoûtait toujours autant. Le druide releva tout de même un œil sourcillant en direction du mentaliste, curieux de la proposition qui l’emmenait aussi loin de chez lui.
Les yeux plissés, sourcils froncés, Alex attendait de savoir ce que la vie apaisée lui avait bien donnée comme idée. Il devait admettre que ce "on" sorti de nulle part lui réchauffait le coeur autant qu’il lui pesait sur la conscience, atroce et funeste. Alex se tendit en sentant la sollicitude de Brian sur son épaule, conjugué à son regard maritime. Pourquoi fallait-il que cet imbécile soit venu maintenant lui parler, le torturer ainsi?
-Je vais bien, répéta-t-il en plantant son couteau dans une planche de la rambarde.
Sa main désormais libre, il saisit le poignet de Brian pour le retirer de son épaule, en un geste qui lui déchirait le coeur. Non, ce n’était pas lui qui c’était coupé du monde, mais le monde qui l’avait trahi et abandonné. Il était trop tard pour venir chercher à réparer ces erreurs. Quelques semaines trop tard, à peine. Mettant tous les efforts possibles pour ne plus croiser les yeux envoûtants de Brian, il tenta de retourner à sa tâche. Presque aussitôt, il observait le policier, qui jaugeait les alentours. Il devenait évident que Brian se doutait de quelque chose, qu’il ne tarderait pas à interroger l’homme des bois. D’un geste mal contrôlé, il arracha une patte du lapin. S’en suivit un soupire alors qu’il contemplait la tache de sang à ses pieds, dans la terre qui cerclait le maigre balcon.
-J’ai laissé quelques affaires chez Derek.
C’était un faible euphémisme au vue de la chambre complètement vide de Charlie, et des armoires autrement plus spartiate de la cuisine. La gorge soudainement sèche, Alex pointa la direction approximative des provisions que Brian lui avait emmenées.
-J’en aurai pas besoin. Merci, j’apprécie le geste, mais...
Sa voix se brisa. Il sentait la nervosité de Brian qui augmentait. Jugeant qu’il valait mieux percer l’abcès le plus rapidement possible, il inspira profondément et se jeta à l’eau.
-Je vais partir. Bientôt. Et je ne pourrai rien emporter de plus avec moi.
Peu importe ce dont il s'agissait, ce serait forcément plus utile à Brian. Alex n’avait plus qu’à espérer ne pas devoir relever la tête : il ne souhaitait pas que Brian voit son menton trembler de la sorte, d’un mélange d’émotions si entortillées qu’il ne parvenait pas à les identifier.
:copyright:Codage by Mr. Chaotik from Never-Utopia
Merci Matrim & Chuck!
Brian O'Conner
Meute & Clan : Clan des Gardiens Âge du personnage : 33 ans
Brumes du futur : Mentaliste Meute & Clan : Aucun Âge du personnage : 42 ans
Humeur : Troublé... Messages : 1229 Réputation : 250 Localisation : Poste de police
Sujet: Re: Quand la vie bascule || feat Alex Mar 7 Avr 2020 - 11:10
Quand la vie bascule
Feat : Alex Cormier
- Je vais partir. Bientôt. Et je ne pourrai rien emporter de plus avec moi. - Je…
Non ! Pas quand un minimum de sécurité est revenu, enfin.
(…)
Trois ans plus tôt… Impossible de refuser l’invitation, et à la tête que fait Alex en passant la porte, je devine que Dick lui a aussi sorti son grand numéro de « nous nous sommes battus côte à côte et avons vaincu, nous sommes de fait les meilleurs amis du monde. » Ce qui n'est pas si faux et m’avait beaucoup rapproché d’Alex.
Dans un coin de l’appartement de Dick, le sapin commence à perdre ses aiguilles. Le canapé a été un peu poussé pour laisser de la place à la tablée du réveillon du jour de l’an. J’aide Jo et Tama à dresser la table tandis que Troy étrenne ses nouveaux jouets. Alex s’occupe à la cuisine avec Dick pour présenter au mieux ce qu’il a apporté. Je ne pourrais pas boire d’alcool, car je suis d’astreinte, et c’est pour cela que je porte mon uniforme au cas où je devrais intervenir.
Quand Alex et Dick reviennent dans la pièce centrale avec des amuse-bouches variés, je sens une grande chaleur m’envahir. Si j’ai souvent été invité pour fêter la nouvelle année, jamais je ne m’étais retrouvé dans un cadre si familial. Même les repas de Noël chez ma mère n’avaient rien de chaleureux. Jo a fait des pliages compliqués avec les serviettes tandis que Tama galère à retenir sa masse de cheveux avec le nouveau lacet que Jo lui a offert à Noël.
- Donne ! Je vais te faire un nœud de carrick.
Au clin d’œil de Tama, je comprends qu’il connaît ce nœud marin, mais que dans la situation présente, il lui ait difficile à faire. J’ai remarqué que le maître-nageur est très à l’aise avec ce qui touche à la mer, je l’apprécie beaucoup pour ça. Il comprend mes envies de navigation.
Nous nous asseyons à table pour l’apéritif, Dick est en face de moi encadré de Troy et Tama, tandis que Jo est à ma droite et Alex à ma gauche. Troy s’amuse de me voir trinquer au Fanta alors que sa sœur a pu négocier un doigt de coureur des bois. Chez les Turner, il n’y a jamais de silence et une bonne atmosphère s’installe. Alex nous fait la surprise de mini feuilleté en forme de donuts. Je lui lance un clin d’œil, cette célèbre friandise est devenue un jeu, une complicité depuis qu’il avait passé sa semaine de convalescence chez moi. Il était repassé presque chaque jour quand son emploi du temps le lui permettait alors que j’étais encore coincé à la maison, mon bras immobilisé. J’aime ses silences ou ses remarques qui fusent comme un pet de cheval, parce qu’une association d’idées lui vient en tête.
Suite à ma question, Jo nous donne des pistes sur ce qu’elle espère faire plus tard. Dick regarde sa fille avec une admiration béate. J’effleure la main d’Alex pour lui faire remarquer discrètement la mine réjouie de notre ami. Troy casse l’ambiance, disant qu’il veut faire clown. Une marotte issue d’une soirée avec la famille de Shepherd si je comprends les explications hachées de mon collègue. La soirée se poursuit, j’en suis à mon troisième Fanta, Jo textote avec ses amies pendant que nous parlons de tout et de rien. Les sujets du moment y passent : les nouvelles élections, l’instabilité au Moyen-Orient et le climat qui semblent préoccuper Alex et Tama. Dick et moi faisons attention au quotidien à ne pas polluer la planète en triant nos déchets, mais les discours du mélanésien et du druide vont plus loin dans une démarche plus active encore que de simplement trier ses déchets : les réduire drastiquement. Cela demande des efforts supplémentaires, un changement d’habitude, mais quand Dick pose le plat principal sur la table je suis convaincu par leurs arguments. Il n’est jamais trop tard pour agir. Alex me donne des conseils sur la manière d'aménager mon jardin, c’est sans compter les turbulences de Truc et Machin.
(…)
Le courant s’est coupé brusquement stoppant la musique que Dick avait mise en sourdine. Je me lève pour regarder par la fenêtre.
- C’est une coupure générale. - Je vais chercher mes bougies.
Jo file vers sa chambre à tâtons pendant que Dick trouve une torche à la cuisine. Le courant ne revient pas, je vérifie mon téléphone, car je sens que si cela perdure, je vais être appelé en renfort. Nous continuons à manger, éclairés par des bougies aux senteurs florales, une ambiance intimiste que Troy met à profit pour jouer au fantôme. Mon téléphone sonne trente minutes après la coupure de courant.
- Et bien, je vous laisse. Des idiots profitent du black-out pour commettre des vols. - Je te garde une part de gâteau. Si tu termines trop tard, passe dans la journée. On va avoir plein de restes. - OK, merci pour l’invitation, c’était très bon.
Je souris aux recommandations de prudence, serre mon ceinturon que j’avais laissé dans l’entrée avec mon blouson et qui contient tout mon attirail de flic.
- Bonne année en avance !
Je sors, mes pas éclairés par ma lampe de poche. À ce moment-là, j’ai encore un mince espoir que le courant revienne, me permettant de rejoindre mes amis.
Charlie avait beau faire la gueule, c’était de sa faute à lui si Jenny avait poussé Alex à accepter l’invitation de Richard. En effet, l’ours avait insinué que son colocataire en pinçait pour le camarade du flic, et Jenny ne put s’empêcher de jouer les entre-metteuses, allant jusqu’à parcourir sa garde-robe afin de lui "suggérer" une tenue adéquate pour le réveillon du jour de l’an. Elle avait poussé l’audace jusqu’à lui offrir un rendez-vous au salon de coiffure et de l’accompagner, en insistant pour qu’il ait une coupe demandant le moins d’effort et d’entretien possible. C’était quasiment si elle n’avait pas dit qu’il ne savait pas prendre soin de lui-même. Et lorsque la coiffeuse fit un commentaire sur les pantalons dans leur couple, Jenny c’était empressée de rectifier qu’ils n’étaient plus ensemble, mais que le châtain allait bel et bien avoir un rendez-vous galant. S’en suivit la discussion la plus embarrassante de l’histoire de l’humanité, dont Alex était le sujet bien qu’il ne pipa mot. Les deux pipelettes surenchérissaient de compliments l’une pour l’autre, d’hommages à la bonté de Jenny, et de scénarios hypothétiques concernant cet inconnu que Charlie avait déclaré être la flamme d’Alex. Déclaration qui n’avait pu être motivée que par moquerie ou par une certaine jalousie de perdre son bon ami pour deux flics, l’un des soirs les plus festifs de l’année.
Alex avait offert à Richard d’emporter un petit quelque chose, ça ne se faisait pas d’arriver les mains vides. Suite à quoi, il avait appelé son père pour lui demander les recettes de sa grand-mère. Gabriel ne les possédaient pas, mais donna le nom des plats à Alex, qui chercha sur l’internet. Cette fois, il écrivit à son frère, priant Michael de lui traduire ces pages de cuisine dont aucune ne semblait être traduite en anglais ou utiliser un français suffisamment pauvre pour qu’Alex ne puisse le comprendre. Enfin, le druide avait écumé les poissonneries à la recherche de grosses pétoncles de l’Atlantique – la recette avait insisté sur ce point – avant de se précipiter au marché pour acheter bacon, pâte feuilletée et garniture pour celle-ci, avant de changer d’idée. Il reposa la pâte feuilletée et sa garniture dans les rayons appropriés et se dirigea plutôt dans les surgelés, où il se saisit de deux boîtes de hors-d’oeuvres pré-fabriqués. Il ne perdit pas un instant en hésitations lorsque ses yeux tombèrent sur les petits beignets feuilletés. Idée parfaite, qu’il n’aurait pas pu envisager faire de lui-même. Jamais on ne lui avait appris à travailler la pâte feuilletée, et ce n’était pas avec la folie des Fêtes de fin d’années à l’hôpital qu’il aurait le temps d’apprendre calmement.
Le druide était donc arrivé avec un sac d’épicerie contenant les encas, une bouteille de cidre pétillant et un pack de vin d’orge. À la cuisine, il offrit un coup de main à Richard, tout en enroulant le bacon imbibé d’une sauce à l’érable autour des pétoncles, le maintenant en place à l’aide d’un cure-dent. Le four ne chômait pas, et Alex laissa le policier gérer son horaire, visiblement plus habitué et meilleur dans ce domaine. Ils parvinrent donc à servir tous les amuses-gueules ensemble. Le goût des pétoncles ainsi garnis ramena le manitobain en pleine enfance, probablement aidé par l’ambiance familiale qui régnait dans l’appartement qui les hébergeait. Il devait y avoir presque 20 ans depuis qu’Alex n’avait pas connu un tel réveillon. À Beacon Hills, il n’avait droit qu’à un repas en tête-à-tête avec son père, et avant cela, Janet n’avait jamais conservé un prétendant suffisamment longtemps pour joindre leurs famille lors d’une célébration de ce genre.
C’était la première fois qu’Alex rencontrait la famille de Richard, et il devait bien avouer que sa timidité s’était effacée bien rapidement. Quant à l’ami du flic, autre géant aux airs de prince nubien mythique qui faisait sentir Alex plus petit qu’il ne le devrait, le druide ne put s’empêcher de lui jeter un regard sombre. Il ne savait pourquoi, mais ce clin d’oeil échangé avec Brian ne lui disait rien qui vaille. Alex n’était jamais très rapide pour établir des relations avec les gens, et voilà que ce nonchalant personnage agissait comme s’il était pote avec le flic depuis le berceau. En plus, il était persuadé que ce type baba-cool leur cachait ses capacités surnaturelles. Alex n’avait aucune idée de ce qu’il pourrait bien être, et ne comptait pas le dénoncer, mais au vu de la réaction que Richard avait eu lorsqu’il les avait surpris en pleine discussion sur le crocotta, ce Tama’Rangi risquait de tomber sur la liste noire du flic canadien s’il ne se dévoilait pas de lui-même. De toute manière, ce fut le Canadien qui ce mérita un clin d’oeil du policier américain, et non pas le Maori. Canada : 1 – Nouvelle-Zélande : 0.
Sirotant le verre de coureur des bois qu’il s’était vu offert après s’être enthousiasmé à savoir où diable Dick avait pu trouver un tel trésor, Alex suivait les conversations, et les frasques de Troy, en tentant de rester aussi effacé que possible. Inutile de s’imposer outre mesure, selon lui, mais il ne s’empêchait pas pour autant d’y aller de son petit grain de sel lorsqu’il le jugeait opportun. Alex tentait d’encourager Jo à suivre ses rêves. De ce qu’il avait compris des commentaires de Mafdet, c’était une élève brillante. La panthère passait pour sa part la soirée chez les Hale, dont l’invitation de l’alpha s’était également vu décliné par son voisin. À quel moment Alex était-il passé d’aucune fête où se trouver à trois? Un courant électrique traversa son corps, qui réagit immédiatement par un rougissement, lorsque Brian voulut attirer son attention sur leur hôte. La fierté transcendait le visage du père de famille, lui donnant un air encore plus bonace qu’à son habitude.
La discussion tangua éventuellement sur l’un des sujets sur lesquels Alex avait de la difficulté à s’épancher, et il se retrouva bientôt en plein débat avec le néo-zélandais. Alors que le druide prônait la consommation responsable, locale et biologique; moins carnivore, également; ainsi que l’instauration d’un réseau de compost dans la ville ou même le comté, Tama’Rangi se montrait plus drastique, et prônait un mode de vie plus humble. Sans la nommer, Alex émit toutefois des craintes au sujet de l’économie, car la déconsommation et la décroissance se traduisaient forcément par une diminution du niveau de vie, Tama arguait que ce n’était pas forcément vrai si les ressources étaient mieux gérées et distribuées et que, de toute manière, personne n’avait réellement besoin de ce niveau de luxe dont ils profitaient au quotidien. Les lobes d’oreilles d’Alex devenaient dangereusement rouges, car il ne comprenait pas pourquoi le maori lui montrait autant d’opposition alors qu’ils parlaient de faire des efforts dans la même direction. Il en développait l’impression de passer pour un fainéant qui ne parlait seulement d’environnement dans le but d’en soutirer un quelconque prestige social ou quelque chose du genre. Volant à son secours, Brian affirma une volonté de se faire un potager et demanda des conseils au druide. Pour les légumes, le principal était la luminosité, et un sol bien drainé. Vu le manque de lumière directe dans son sous-bois, le laborantin se contentait d’herbes qu’ils qualifia de fines, et de quelques légumes-racines qui n’étaient pas trop voraces en énergie solaire.
Alors que la bouche d’Alex se refermait sur sa fourchette, ce fut comme si la soirée prit une inspiration et retint son souffle un instant. Tout s’arrêta soudainement, les lumières, la musique, les gestes des convives et leurs discussion. Il y avait une panne de courant et, selon les observations du mentaliste, elle semblait généralisée. Pendant que les hôtes allaient chercher des sources de lumière d’appoint, le mélanésien plaisantait sur la tournure intimiste des évènements et Alex en roula des yeux dans leur orbite, tapi dans l’obscurité. Où avaient-il bien pu pêcher un tel spécimen? L’odeur des chandelles vint parfois couvrir les parfums du repas, et Troy profitait de la pénombre pour jouer les esprits frappeurs. Ce qui aurait pu amuser Alex, si l’autre immature ne s’était pas également prêté au jeu en l’encourageant dans ses gamineries.
Lorsque le portable de Brian résonna pour l’appeler en service, le policier ne perdit pas de temps pour répondre à son devoir. Une boule noua l’estomac du druide. Pourtant, ce n’était pas la première fois qu’il voyait Brian revêtir son uniforme, ou faire son travail, mais c’était la première fois qu’il voyait la transition entre le civil qu’il avait appris à apprécier à son chevet et l’agent de la paix qu’il respectait et en lequel il avait réussi à avoir confiance.
- Prend soin de toi. Bonne soirée. se contenta de saluer timidement le biochimiste, avant d’ajouter avec empressement. Et bonne année!
« Sois prudent, Brian. Meilleurs vœux de bonne année. » surenchérit le mélanésien. Alex lui lança un œil noir en grommelant entre ses dents. -Il connaît son boulot. Et il y était même très compétent, compléta mentalement le druide. Pourquoi le grand insignifiant en doutait-il même?
La soirée s’était poursuivie sans complications. Richard se révélait être un excellent cuisinier et leur servit de généreuses portions de gâteau. Alex offrit d’accompagner le tout du cidre qu’il avait pris avec lui. Ce n’était pas du champagne, mais il y avait tout de même des bulles. Il servit trois coupes, pour se trouver interrompu par l’accent exotique et tranché de celui qui parlait un anglais plus mécanique et académique.
« Je ne bois pas, Alexander. Merci quand même.» - C’est Alex tout court. Richard, je peux en offrir à Jo?
Après quelques délibérations, ils attendirent le coup de minuit pour trinquer. Alex envoya quelques messages à ses proches. Aucun ne sembla passer. Contrarié de ne pas pouvoir rassurer Jenny qu’il était apte à prendre sa bagnole et qu’il n’était pas un alcoolique – il s’était contenté de quatre consommations, alternées avec de l’eau –, Alex accepta néanmoins un café avant de rentrer chez lui.
***
La dernière semaine avait été infernale. Considéré travailleur essentiel, Alex se rendait quotidiennement au laboratoire, à performer les analyses pour l’hôpital. Les projets de recherches avaient été mis de côté temporairement, le temps que la situation actuelle ne se résorbe. Il profitait de l’énergie fournie par la génératrice du laboratoire pour recharger son portable, au cas où son frère aurait reçu ses textos et lui aurait répondu. Il y avait des rumeurs en tous genres qui circulaient, des plus folles aux plus effrayantes. Alex aurait simplement aimé savoir s’il n’y avait que le comté qui était plongé dans l’obscurité de cette panne technologique, ou non.
Avec Charlie, ils avaient rapidement établi un horaire leur permettant de covoiturer. Les routes étant désormais quasiment vides, ils pouvaient rapidement faire la navette entre l’hôpital et le lycée, où le cuisinier s’était proposé en tant que bénévole suite à la fermeture des services non essentiels – tels que les bars – et surtout à force d’entendre Jenny insister. Les pires scénarios en tête, ils avaient commencé à faire des réserves à l’épicerie et, réalisant que leur amie dormait désormais au lycée où elle servait également les repas et prodiguait quelques soins, les colocataires discutèrent plutôt de l’inviter à emménager chez eux.
Cela faisait deux semaines que la panne subsistait. Alex passait presque quotidiennement au supermarché et – jusqu’à ce qu’elle ne soit fermée à son tour – à la bibliothèque municipale, à la recherche de quelconque savoir qui pourrait lui être utile alors qu’il n’avait pas accès à la toile et à ses innombrables vidéos de bricolage et d’astuces de vie pour faire des choses soi-même. Au sortir de la voiture, ce jour-là, il était tombé sur quelques personnes en uniformes. Il retira immédiatement son sac à dos, à la recherche de son attestation de travail essentiel, qu’il avait reçue le matin même, sans trop être certain de la procédure à suivre à ce sujet. Il avait conscience que les vols qui avaient causé l’évasion de Brian au jour de l’an s’étaient poursuivis depuis et que, globalement, tous étaient des pilleurs potentiels. Et quelque chose disait au druide que certains flics mettaient bien la situation à leur avantage en "confisquant" les objets volés, sinon en perpétrant eux-mêmes certains crimes.
Lorsqu’il releva le nez, prêt à extirper son papier de son sac, Alex réalisa que deux des agents de la paix avaient porté la main à leur ceinturon. Le troisième, malgré ses yeux cernés et son air fatigué, était reconnaissable entre tous.
-Brian! J’ai un papier pour dire que je travaille toujours à l’hôpital. Comment va ton épaule?
Malgré son sourire crispé, Alex devait avouer qu’il n’aimait pas trop l’ambiance qui émanait de la situation. Peut-être n’était-ce que les ombres crépusculaire qui donnaient à celle-ci un air de mauvais film policier, mais le laborantin se sentait comme une proie face à des prédateurs. Heureusement que son ami venait ajourer cette situation de par sa présence naturellement bienveillante.
:copyright:Codage by Mr. Chaotik from Never-Utopia
Merci Matrim & Chuck!
Brian O'Conner
Meute & Clan : Clan des Gardiens Âge du personnage : 33 ans
Brumes du futur : Mentaliste Meute & Clan : Aucun Âge du personnage : 42 ans
Humeur : Troublé... Messages : 1229 Réputation : 250 Localisation : Poste de police
Sujet: Re: Quand la vie bascule || feat Alex Dim 19 Avr 2020 - 15:44
Quand la vie bascule
Feat : Alex Cormier
J’aurais aimé avoir eu le temps d’envoyer un SMS à Alex et Dick à minuit, mais j’étais au cœur d’une fusillade dans le quartier nord et le réseau était toujours out de toutes façons. Le black-out avait enflammé le quartier, les accusations à tort et à travers et les insultes volaient comme les balles. Mes demandes de renforts restèrent vaines : c’était la panique en ville. Le jour qui se leva calma les ardeurs pour laisser la place aux ambulances. Ce sont les traits tirés par la fatigue que je fis mon rapport au shérif. Trois morts rien que pour cette nuit et l’électricité qui ne revenait pas. Nous glissons doucement vers un record de panne d’électricité sans précédent. Quand je reprends mon service, je trouve une boîte posée sur mon bureau avec une bonne part de gâteau et quelques restes du repas de la veille : une gentille attention de Dick. Je tente d’envoyer un message à ma mère, mais le réseau reste coupé.
(…)
Une semaine de passée, la sécurité civile nous a installé des groupes électrogènes ciblant en priorité les points vitaux de la ville comme l’hôpital qui déborde de victimes du à des bagarres qui explosent çà et là. La non-information en est grandement responsable. Une sorte de grippe assez virulente semble aussi sévir. Nous n’avions pas besoin qu’un problème sanitaire se greffe au problème de panne. Le lycée est également alimenté pour accueillir ceux dont les logements sont devenus trop froids pour y vivre. Une entraide commence à s’instaurer dans la population, mais l’absence d’approvisionnement des points de nourriture créée un sentiment d’insécurité qui met les nerfs à vif. Tous les quartiers ne sont pas égaux. Nous n’avons guère plus d’informations, sinon que tout le pays semble atteint. Nous avons reçu un message rassurant du bureau central. Stilinski me l’a fait lire pour avoir mon avis.
- Ils sont dans la merde. - Qu’est-ce qui vous fait croire ça O’Conner ? - Ça ressemble aux messages que j’ai pu recevoir à la Navy quand la situation échappait à tout contrôle : trop vague, pas de date précise, pas de coordinateur désigné, pas de contact identifié pour communiquer nos propres soucis. - Hum… - En gros, c’est égal à un « démerdez-vous. » - Rien ne fuite, c’est déjà assez tendu comme ça. - Oui chef !
(…)
Deuxième semaine, je commence ma faction devant le supermarché. Un rationnement a été mis en place sur la nourriture et l’essence, les Américains sont à la diète. Cela, conjugué avec l’absence de télévision, d’internet et de réseau rend la population agressive. Il y a deux jours, j’ai dû blesser un père de famille qui forçait le barrage. La guerre civile n’est qu’à un pas. Je prends des nouvelles d’Alex quand je passe à proximité de l’hôpital. Souvent, cela consiste à un simple geste de loin, lui aussi ne chôme pas derrière les vitres de son laboratoire. Je m’assure qu’il est en forme et qu’il n’est pas fiévreux, une drôle de rumeur circule. Un message reçu sur la fréquence de la police. Certainement émis par un paranoïaque.
Il faut maintenant une autorisation de sortie qui limite les déplacements aux métiers indispensables et au ravitaillement. Le Shérif a découpé la ville en secteur. Le super marché est accessible à un secteur à la fois par jour. Nous donnons les consignes en circulant dans les rues et en les diffusant par haut-parleur.
Comme les autres, j’ai commencé à faire du stock tout en respectant les limites imposées à chaque citoyen. C’est dans ces temps difficiles que l’on voit les éléments faibles parmi les forces de l’ordre. Stilinski m’a demandé de fermer les yeux quand j’ai rapporté un abus sévère, un vol qualifié, de la part de deux de nos agents. Il dit qu’il allait régler cela d’homme à homme et éviter de jeter la disgrâce sur deux de ses hommes à un moment où nous avons besoin d’être solidaires et de faire corps. Seulement tout le monde n’est pas entré dans la police pour satisfaire des rêves de justice, mais aussi pour l’attrait de la fonction qui donne un sentiment de puissance et d’impunité.
Dans mon quartier, mes voisins sont presque tous malades et si ma fonction commence à m’attirer pas mal d’inimitié en ville, mes voisins sont contents de ma présence, car des pillages sont à déplorer çà et là. Le lotissement se la joue solidaire et ses habitants ont barricadé la rue, me laissant une barrière amovible pour que je puisse passer. J’aide les moins malades à faire leurs courses en prenant leurs commissions dans le coffre de ma voiture de patrouille. Pour le moment, personne n’ose encore dépouiller un officier de police.
Un appel du shérif m’ordonne de revenir au poste de police. Je presse l’un de mes voisins qui sort du supermarché avec la ration qu’on lui a autorisé d’acheter pour poser son butin dans mon coffre libre de mon gilet pare-balles et de mon fusil à pompe que je porte maintenant en permanence comme le reste de mes collègues. Il me fait confiance, et sait que je ne chercherai pas à lui dérober sa nourriture. Chaque sac dans mon coffre a un nom dessus pour que je ne me trompe pas quand je livrerai le tout.
(…)
Je retrouve Stilinski qui tourne en rond dans bureau. C’est vrai qu’un autre message étrange et concordant avec le premier reçu sur la radio de la police nous avait inquiétés, mais là c’est un enregistrement de la caméra de surveillance de la morgue qu’il me montre sur l’écran de son ordinateur. Ce que j’y vois retire tout le sang de mon visage.
- C’est cette grippe qui est à l’origine de la panne générale ? - Je le crains. Je ne reçois plus rien du central. Avec vos connaissances, vous pouvez vous connecter sur les fréquences militaires ? - Oui, mais ils n’émettent jamais en clair et mes codes d’accès doivent être caducs ! - Essayez quand même !
(…)
L'armée émet en clair, tout le pays est paralysé et ce qu’il se passe dans notre morgue est de la rigolade par rapport à ce qu’il arrive dans les grandes métropoles. Nous ne recevrons aucune aide. J’ai aidé à remettre de l’ordre à la morgue et veillé à que ce qui est mort, le reste. C’est un légiste qui a trouvé la parade : les atteindre au cerveau. Peu de gens sont au courant : trois personnes de l’hôpital et les flics appelés à la rescousse. Il est décidé de ne rien dire, mais j’ai lu la terreur dans le regard du type de l’entretien. Je ne suis pas certain qu’il reprendra son poste demain ni après-demain. Il parlera, ils parleront tous, à leurs proches, en disant de ne pas le répéter.
Je suis en faction devant l’hôpital. Je scrute les gens qui arrivent. Beaucoup ont une mine terreuse et sont moites de sueur. Mais l’hôpital est surchargé. On donne des médicaments aux gens et on les renvoie chez eux. Je reconnais trois personnes de mon quartier. Je les rassure en disant que dès que j’ai terminé, je leur apporterai leurs courses. Je me suis éloigné de mes collègues qui refusent qu’on les approche de trop près. C’est quand ils haussent le ton et portent leur main à leur ceinturon que je reconnais celui qui s’est approché d’eux : Alex.
- Brian ! J’ai un papier pour dire que je travaille toujours à l’hôpital. Comment va ton épaule ? - C’est bon, je le connais ! Relax ! C’est OK Alex, tu pourras passer. Mais viens là, j’ai un truc à t’offrir.
Ce n’est qu’un prétexte pour m’éloigner des deux autres et ne pas éveiller leurs soupçons. J’entraîne Alex à part et sors de ma poche une barre chocolatée. Une broutille avant le réveillon, un grand luxe aujourd’hui. Je la lui mets dans la main pour donner le change.
- Écoute-moi sans m’interrompre, c’est important. Il faut que tu te protèges des gens qui ont de la fièvre et que tu fasses un maximum de réserve alimentaire. Le virus qui se propage en ce moment pourrait être à l’origine de la panne générale. Il… il…
Je regarde Alex totalement désemparé. La situation me paraît inextricable et l’avenir bien sombre. Alors, dans un élan impulsif, je le serre contre moi, me moquant bien de ce que l’on pourrait penser de moi, de nous. Alex semble estomaqué de ma familiarité soudaine. Il tient la barre chocolatée que je viens de lui donner dans la main. Mes lèvres sont à côté de son oreille. Alors je lui dis ce que j’ai vu. Les morts qui se relevaient à la morgue malgré le chargeur entier tiré en plein cœur.
- La seule solution est de leur faire sauter la cervelle. C’est l’apocalypse, comme dans les films. Aux dernières estimations, trois quarts de la population est touchés par cette fièvre étrange. Je ne sais pas comment elle se propage, tout mon quartier est contaminé, pourtant moi je n’ai rien. Je suis fatigué à cause de mes gardes, et de mon épaule qui me lance, mais je suis en bonne santé. Il faut que tu fasses attention, ça va tourner à la guerre civile ou à pire. Ne prends pas de risques inutiles, laisse Charlie s’occuper du ravitaillement et t’accompagner au maximum. Il est fort, il peut te protéger !
Je m’éloigne un peu sans le lâcher. Je voudrais être celui qui le protège, mais nous sommes trop loin l’un de l’autre et puis quand je ne suis pas de service, je prends du repos. Enfin, je me renà nouveau fort contre moi. Je prends conscience que la vie n’a jamais été aussi mortelle qu’en ce moment présent. On n’a plus le temps pour tourner autour du pot des sentiments.
- Alex… Je t’… - Brian ! Ramène-toi !
Cela s’énerve devant les urgences. Je serre les épaules d’Alex et le lâche.
Brian avait calmé le jeu rapidement, et vint rejoindre Alex pour lui offrir quelque chose. Toutefois, par-dessus l’épaule du policier qui s’approchait de lui, le laborantin pouvait bien lire la contrariété de ses collègues sur leurs visages. Le sourcil interloqué, Alex accueilli la friandise sans un mot. Il devait y avoir une explication à ce cadeau inattendu dans une situation aussi improbable… Une explication qui ne tarda pas. Les réserves, c’était déjà l’optique qu’Alex avait envisagée en voyant la prolongation de la panne. Heureusement, son cuisinier de colocataire n’aimait pas se retrouver avec des armoires vides et avait déjà une bonne quantité de nourriture de côté. Son côté ours, potentiellement. L’œil à demi refermé, Alex voulut faire valoir que c’était quand même son boulot de se protéger des maladies et de porter l’équipement de protection individuel requis. Ça et de prendre les précautions nécessaires dans sa façon de travailler. Toutefois, Brian lui avait demandé de ne pas l’interrompre. Le druide se contenta donc de le relancer en posant la main sur l’avant-bras du mentaliste, dont l’expression faciale exprimait un désespoir certain.
- Il quoi?
Le biochimiste ne s’attendait pas à ce que lui raconta ensuite celui qui venait de le prendre contre lui. Même l’afflux de sang causé par ce rapprochement fut insuffisant pour ramener des couleurs au laborantin livide. Il aurait bien voulu demander si il était sérieux, car c’était la pire blague que Brian aurait pu lui faire, mais l’état du policier indiquait bien qu’il n’avait pas la tête à faire de l’humour douteux. La gorge sèche, Alex sembla vouloir dire quelque chose, mais ne parvint à émettre aucun son. Pourquoi n’avait-il jamais été davantage enclin à visionner les films de morts-vivants? La main qu’il avait déposée se crispa sur l’avant-bras de Brian. Il n’était ni microbiologiste, ni épidémiologiste, mais il travaillait tout de même en milieu hospitalier et avait une solide formation scientifique, ce qui lui permettait d’avoir une idée générale et de tirées des conclusions quant à ce que le policier était en train de lui annoncer. Le druide frémit en notant mentalement les recommandations de son ami mentaliste. L’idée de devoir étêter quelqu’un, a minima, ne le réjouissait guère. Ni d’apprendre le taux d’infections. Il ne dit rien, se demandant si du quart de la population restante, il pouvait s’y trouver des porteurs sains qui agissaient en somme en Mary Thyphoïde, à leur insu. Quant à Charlie, Alex aurait normalement rétorqué qu’il n’avait pas besoin que qui que ce soit ne le protège, mais il réalisa plutôt quelque chose de bien plus important que la préservation de son orgeuil.
- Il l’attrapera pas. Pas si c’est un virus, vu que c’est un garou.
Il fallut que Brian s’éloigne pour qu’Alex ne réalise à quel point il aurait préféré rester à l’abri du monde dans cette étreinte. Si le policier voulait parler de protection, voilà celle que le druide désirait. Il n'était pas aussi certain que le mentaliste soit protégé du virus, mais à en croire ce qu'il venait de lui dire sur son quartier, Alex avait de beaux espoirs.
Le monde venait de lui tomber dessus comme une chape froide, alors que les collègues du policier s’impatientaient et coupaient court à un aveu qui mit quelques secondes avant de résonner dans l’esprit du scientifique.
- Toi aussi! Et crève pas! répondit-il presque par automatisme à celui qui le lâchait sur ce trottoir gris, qui l’abandonnait suite à ces révélations infernales. Il lui fallut encore un instant avant de reconnecter avec la réalité.
- Tu me quoi? demanda-t-il trop faiblement et trop tard à celui qui ne pouvait déjà plus l’entendre.
Alex réalisa alors qu’il avait été stupide et aurait dû inviter Brian à s’établir chez eux. Ils avaient déjà fait de la place pour Jenny, ils pourraient également en faire pour le policier. Ce mot tilta dans l’esprit du laborantin. Avant d’inviter un policier sous leur toît, il devrait au moins aviser Charlie, et s’assurer d’avoir tout le soutien possible de Jenny.
À la fin de la journée, Alex avait rendu sa démission au suppléant de Macklyn. Force était de constater que les effectifs du laboratoire étaient déjà bien réduits. Certains collègues d’Alex étaient en congé pour cause de maladie, alors que d’autres n’étaient jamais revenus après Noël. Le laborantin réalisa rapidement que la plupart des employés restant présentaient effectivement des symptômes de cette étrange fièvre, et il n’hésita pas à porter un masque toute la journée, même si les probabilités voulaient qu’il ait déjà été suffisamment exposé pour être contaminé. S’il ne montrait toujours pas de symptômes, c’était qu’il était probablement l’une des Mary Thiphoïde.
Sitôt rentré, Alex réuni ses colocataires pour leur faire un topo de la situation. Il leur annonça d’abord avoir quitté son emploi, puis leur répéta les informations fournies par Brian, en leur demandant de ne pas les répéter. Comme si lui-même ne venait pas d’enfreindre cette règle élémentaire pour lutter contre la panique. La réaction de Jenny était d’ailleurs bien plus normale et effrayée que celle de Charlie. Alex expliqua qu’il préférait que son ex et lui-même restent cloîtrés à la cabane pour le temps nécessaire. Celui de cette crise. Charlie pourrait faire les allers-retours pour quérir des provisions, et faire toutes les sorties entre temps. Alex irait également visiter son voisin au manoir, mais ne partagea pas ce projet à ses amis. De toute manière, il n’en aurait pas eu le temps, car Jenny s’insurgeait, demandant pourquoi ce devrait être le cuisinier qui aille au casse-pipe et pas eux. D’une manière, elle avait raison que si l’un d’eux attrapait le virus, les deux autres seraient également contaminés, mais elle ne possédaient pas toutes les cartes dans sa main. Charlie manifesta également sa surprise et Alex leva les mains en répondant aux récriminations de Jenny.
- Il peut pas l’attraper.
Évidemment, elle voulut savoir pourquoi, et il fallut un regard sévère pour que le visage de Charlie s’illumine de compréhension. Un échange silencieux plus tard, et l’émissaire avait l’accord de son protégé.
- Il peut pas le choper parce que c’est un ours-garou.
- Vous êtes pas croyables quand vous vous y mettez. Vous savez que c’est pas le premier avril, hein? Vous pensez que c’est drôle de me faire flipper ma race pour rien? Que c’est pas déjà assez stressant par les temps qui courent?
- Je blague pas, Jenny. C’est sérieux. Je suis désolé, mais...
- Putain de merde! pointa-t-elle Charlie, qui avait opté pour la méthode directe et efficace. Même partielle, sa transformation restait imposante, et Alex alla rapidement chercher un verre d’eau pour Jenny. Ensuite, ils lui expliquèrent diverses choses qui lui avaient échappé au cours des dernières années. Elle les accusa de menteurs, de faux amis, d’hypocrites, mais accepta tout de même de rester à la cabane, sous condition qu’on lui promette que Charlie ne devenait jamais comme posséder d’une rage meurtrière envers ses amis. Il restait toutefois autre chose qu’Alex voulait demander à son ami.
- Si on est infectés, et qu’on succombe à la fièvre, promets-moi que tu vas nous incinérer.
-Brûler nos corps avant qu’on se relève. compléta-t-il en voyant l’air ahuri de son colocataire.
«J’sais ce que ça veut dire. Tu peux pas vraiment m’demander ça!»
- Et tu peux vraiment nous laisser nous transformer en zombie?
***
Durant les jours suivants, Alex était allé visiter le manoir, où l’alpha semblait déjà avoir prévu le pire et avait commencé à se préparer au pire. Il lui expliqua la situation en ville et à la cabane, et lui conseilla de confiner également les humains de sa meute. Il avait également déroché et sarclé l’entrée de gravier de la cabane, pour y creuser des sillons avec l’aide de Charlie. Avec Jenny, ils s’étaient occupés à rempoter les pieds de céleris et de salades autant que les tiges de carottes, à planter les trognons de poivrons et à recueillir, laver et sécher les graines des légumes qu’ils ne comptaient pas replanter immédiatement. Quelques livres de jardinage de la bibliothèque de son père, ainsi que l’expérience du manitobain leur servirent de base. Il restait toujours énormément à faire, même lorsqu’ils eurent installé une seconde cuve permettant la cueillette de l’eau de pluie, qu’ils eurent creuser une cave à légumes derrière la maison et qu’ils poursuivaient leurs tentatives d’autonomie la plus complète. Profitant des moments de plus en plus rares où l’électricité revenait, ils s’orientaient tout de même vers un mode de vie autosuffisant et ne reposant pas sur cette source d’énergie.
Charlie leur ramenait les nouvelles de la ville et Alex interrogeait fréquemment à sa voir si il avait croisé Brian. Il avait fallu une dizaine d’arguments favorables différents et plus d’une semaine à Jenny pour convaincre Charlie d’accepter de l’héberger également, mais Alex n’était pas certain que l’ours-garou transmettrait l’invitation de son propre chef. Les informations que glanaient le cuisinier semblaient toujours vagues ou incomplètes. Puis, un soir, il leur annonça que la ville allait se barricader derrière une palissade immense, et qu’ils en resteraient à l’extérieur. Ils étaient sidérés. Le jardin commençait enfin à produire suffisamment de légumes pour leur éviter la famine, mais il leur manquait encore tant de choses. S’ils se mirent d’accord pour préserver Civet, Alex se mit à poser des collets et des pièges dans la vicinité de la cabane. À la fois pour se nourrir et, dans le cas des plus gros pièges, se protéger. Se protéger devenait une nécessité. Une nécessité encore plus grande pour ceux qui étaient laissés pour comptes, hors des protections organisés par la ville.
:copyright:Codage by Mr. Chaotik from Never-Utopia
Merci Matrim & Chuck!
Brian O'Conner
Meute & Clan : Clan des Gardiens Âge du personnage : 33 ans
Brumes du futur : Mentaliste Meute & Clan : Aucun Âge du personnage : 42 ans
Humeur : Troublé... Messages : 1229 Réputation : 250 Localisation : Poste de police
Sujet: Re: Quand la vie bascule || feat Alex Mar 28 Avr 2020 - 15:19
Quand la vie bascule
Feat : Alex Cormier
La loi martiale a été instaurée depuis plusieurs semaines. Le maintien de l’ordre se fait dans la violence. C’est chacun pour-soi et dieu pour tous. L’électricité qui a été rétablie sporadiquement fait plus de dégât qu’autre chose. Nous pouvons voir des images édifiantes sur le peu de chaînes nationales qui tournent avec son lot d’informations et de contre informations. La pandémie semble mondiale, le monde tel qu’on le connaissait n’est plus. Nous pensions connaître le chaos à Beacon Hills, ce n’était rien à comparer à ce qu’il se passe ailleurs dans le pays. Les affrontements civils ont fini par dévoiler la réelle nature de certains des habitants. Pour calmer le jeu, Stilinski a affirmé connaître l’existence des surnaturels depuis quelques années, et que le danger ne viendrait pas d’eux. Je ne suis pas certain qu’il croyait à son discours, mais tout cela à ajouté à la confusion et à la peur. Nous sommes en guerre contre nous-mêmes. Mon statut de flic m’isole du peu d’amis et connaissances que j’ai mis à part mes voisins, où nous la jouons solidaires depuis le début.
Je me charge du ravitaillement de ceux de ma rue, enfin de ceux qui ont survécu. Trois familles sont parties tenter leur chance vers Atlanta où il est censé y avoir un centre de réfugiés protégé par l’armée. Traverser tout le pays est une utopie. Les autres se terrent chez eux, ou plutôt y agonisent. La fièvre les cloue au lit, ils mangent peu, à la limite de la survie. C’est en voyant leurs rations s’entasser que l’idée a germé. L’hôpital ne peut plus rien pour personne, faute de remède contre ce virus, faute de personnel aussi. Une sélection naturelle est en train d’opérer, je suis perdu sur ce que je dois faire ou pas. Je sers un système qui est à genoux. Le shérif motive ses troupes affirmant qu’il ne faut pas laisser l’anarchie s’instaurer, qu’il faut garder le contrôle de la ville, car si d’autres s’en chargent, l’humanité risque de perdre encore plus que ce qu’elle à perdu en un peu plus d’un mois.
(…)
C’est une débandade sans fin. La police est un peu moins touchée, non par patriotisme, mais parce qu’en restant à notre poste, on est certain de pourvoir manger. Quand nous avons rapatrié au poste de police le contenu des armureries de la ville, je me suis octroyé une arbalète et un arc à poulie avec les flèches correspondantes. Je m’entraîne chaque jour, suivant les conseils d’un fascicule trouvé avec ces armes. D’autre part, je m’applique à apporter les rations de nourriture à la poignée de mes voisins censés être trop faibles pour venir au centre commercial. De fait, le dernier est mort il y a plus de deux semaines, pourtant je fais comme si je subvenais à une dizaine de personnes. Je ne suis pas fier de moi, me console en me disant que d’autres font bien pires. Je survis, et poussé dans mes derniers retranchements, je ne me montre pas meilleur que les autres.
J’ai trouvé la meilleure des protections pour mon butin de guerre : mes propres voisins. Je les ai enfermés dans leur maison avec leur ration de nourriture. Aucun pillard ne se risque dans une maison envahie de rodeur, pensant que ces malheureux sont finalement morts de faim et qu’il n’y a rien à voler, ou que le risque de se faire mordre n’en vaut pas la peine. Mon quartier a été le premier à être touché de façon si massive.
J’aurais pu aller m’installer chez Dick, je pense qu’il me fait encore confiance, ou pas. Car voilà le corollaire à tout ça : la méfiance de tout le monde. La faim prend le dessus sur l’amitié et tout le reste. Je n’ai pas revu Alex depuis que je l’ai averti. Je sais par Crowley qu’il va bien, qu’il n’est pas malade, qu’ils se sont organisés avec une amie pour survivre, profitant du répit que leur donnent l’éloignement et l’isolement de la forêt. Je ne sais pas si s’était volontaire ou non de sa part, mais Charlie m’a fait comprendre qu’ils étaient complets. Puis ce n’est pas comme si je n’avais pas participé à des charges meurtrières de la police sur la population qui se ruait sur le centre commercial pour piller ce qui restait. Je n’ai pas tué que des morts-vivants depuis le début de l’épidémie. Je représente tout ce qu’Alex exècre.
L’homme est programmé à survivre comme n’importe quel animal, alors à défaut de vivants, je me suis entouré de morts. Quand les balles deviennent précieuses, ils peuvent devenir des armes redoutables quand on sait les manier.
Par le passé, j’avais aidé mes voisins pour des travaux chez eux, fais le manœuvre, porté les sacs de ciments, aidé aux gros oeuvre. Je connais ainsi plusieurs maisons, toutes identiques. Elles possèdent une cave accessible par l’extérieur. Je m’étais appliqué plusieurs jours de suite à camoufler ces entrées et bouger les meubles de façon à créer des caches. Les morts veillent sur mon stock. J’ai une astuce pour les coincer dans une pièce quand je veux accéder à mon stock. C’était plus sûr que ma propre maison qui a été déjà visitée deux fois par des pillards qui savaient que je ne suis pas chez moi souvent. D’ailleurs, suite à ces vols, j’avais libéré trois de mes voisins qui, bloqués par les barrières qu’ils avaient eux-mêmes érigées de part et d’autre de la rue, me servaient de chien de garde. Une longue corde nouée autour de leur taille me permet de les attacher quand j’ai besoin de circuler.
(…)
Les survivants se terrent, Stilinski décide de barricader la ville. L’idée de pouvoir sortir sans se faire attaquer par les morts est assez rassurante pour fédérer les vivants qui restent. La tâche est immense. Je tergiverse quant à savoir si je déménage à l’intérieur de ce qui devrait devenir un havre de paix. Seul chez moi ou seul en ville ? Je me suis habitué à mes voisins qui déambulent sans but dans la rue. Je me fais peut-être des idées, mais je les trouve peu agressifs envers moi comparé à ceux que j’élimine à tour de bras dans le cadre de mes fonctions. Je ne sais plus si je suis encore flic ou simplement membre d’une milice. Nos effectifs ont été renforcés par des civils.
Quand il est question d’une deuxième palissade qui mettrait ma maison à l’abri, je décide de rester chez moi. J’ai entrepris de creuser une cave sous la maison. Mon voisin du bout de la rue était un doux illuminé qui rêvait d’écologie, d’énergie non polluante et d’agriculture locale. J’ai vidé sa bibliothèque et m’emploie à mettre en pratique ce qu’il idéalisait de faire, sans avoir le courage de s’y mettre. Considérant aussi qu’il n’apporterait qu’une goutte d’eau dans un immense désert.
(…)
J’ai rapatrié mes vivres dans la maison à côté de la mienne. Vivre en compagnie de morts-vivants commençait à devenir suspicieux. Je mise donc sur le fait que les gens pensent que j’ai pillé ce qu’il y a avait à prendre dans la maison d’à côté pour en faire justement ma réserve. Je laisse la porte d’entrée grande ouverte, j’ai retourné le mobilier pour laisser penser à un ratissage en règle. J’ai camouflé la porte de la pièce de musique de mes voisins avec une armoire bricolée. L’endroit idéal : une pièce borgne, à l’abri de l’humidité et insonorisée.
(...)
Je viens d’éliminer mes voisins et leur offre un bûcher en guise de sépulture. Machin coincé sous mon coude je pleure comme un gosse : des mois que je leur parle comme s’ils pouvaient me répondre. Me voilà vraiment seul.
(…)
J’ai repris mes recherches dans les maisons voisines. Cette fois, je cherche tout ce qui peut m’être utile pour vivre. J’ai trouvé un trésor chez la vieille fille à trois maisons de chez moi. C’était planqué dans plusieurs boîtes à chaussures : des semences. Beaucoup de fleurs, mais aussi des légumes. Je n’ai jamais rien planté de ma vie. Je trouve des livres sur le sujet, mais l’enjeu est trop important pour que je joue à l’apprenti jardinier.
Des mois que je n’ai pas eu de contact direct avec Crowley, quant à Alex, il semble se terrer dans la forêt. J’avais aperçu la silhouette de l'ours une fois, il quittait la ville à pied, un sac à dos chargé sur les épaules. L’hiver arrive, ce n’est donc pas le moment de semer, enfin je le crois. Mais dans les livres, ils parlent de préparer la terre avant. Je me décide donc un matin que je ne suis pas de faction. Je glisse quelques exemplaires de graines dans des enveloppes. J’hésite à prendre quelques boîtes de conserve comme présents. Chaque boîte est un trésor, finalement je prends juste de quoi pouvoir manger deux jours au cas où je rencontre des difficultés sur le chemin. Car évidemment impossible de prendre ma voiture de patrouille pour une raison personnelle. De toute manière dans un mois, je serais définitivement à pied.
Avant de sortir, je m’équipe. Il y a un an de ça, on aurait dit que je m’apprêtais à partir en guerre. Arbalète, couteau de combat, arme de service et gilet pare-balles, un minimum que je complète avec d'autres lames, comme du temps où j’étais dans les commandos de marines. Dire que je m’apprête simplement à rendre visite à un ami…
(…)
Je salue les gens qui sont en train d’ériger la deuxième palissade. Les visages sont tirés, la fatigue bien présente et les ventres creux. La population survivante s’attaque à deux fronts en même temps : la deuxième barricade pour protéger les cultures à venir.
Le bitume de la route est jonché de débris. Çà et là, des voitures abandonnées ont été poussées dans les fossés. Au loin, je vois un infecté qui marche sans but, par réflexe je pose la main sur le manche de mon poignard. On ne se rend pas compte des distances en voiture, mais la forêt et la route forestière qui mènent à la maison d’Alex sont à une bonne trotte à pied.
En chemin, je me joue mille scénarios. A minima, je souhaite recevoir ses conseils pour planter mes graines de manière à ne pas gâcher les semences, au mieux j’aimerais reprendre contact avec lui, essayer de retrouver un semblant de vie normale, vivre pour vivre et non juste survivre.
(…)
J’ai une grande appréhension avant de passer sous le couvert des arbres. La forêt semble plus hostile qu’avant, la route forestière prend des allures de chemin. Je sursaute quand une biche que je n’avais pas vue détale soudainement. Je m’arrête et prends le temps de regarder la nature qui m’entoure. Je ne suis pas encore assez habile à l’arbalète pour une cible aussi mouvante qu’une biche, mais c’est clairement la voie pour manger un peu de viande. J’ai le vague sentiment que je serais sûrement meilleur chasseur que cultivateur. Je me remets en route guettant la présence d’infecté quand je perçois trop tard une silhouette fondre sur moi à ma droite. Je pare le coup de bâton de l’avant-bras, la douleur fuse, j’ai dégainé mon poignard de la main gauche prêt à défendre ma vie.
La perte de l’eau courante était rapidement devenue problématique pour les habitants de la cabane. S’ils possédaient déjà une cuve de récupération d’eau de pluie, destinée principalement à l’arrosage des plates-bandes, sa reconversion en réservoir d’eau potable n’était pas suffisamment efficace. Alex et Charlie devaient faire de fréquentes courses à un ruisseau profond en amont du lac. Là, le courant était suffisamment fort pour que l’eau ne stagne pas, et le lit de pierres évitait que trop de sédiments et de boues ne soient entraînés par le cours d’eau. Le biochimiste avait tout de même insisté pour établir un protocole de filtration et d’ébullition de l’eau alimentaire, et de récupération des eaux grises, afin de minimiser leur consommation et, de ce fait, les allées et venues à leur principale source d’eau.
Au-dessus de la fosse septique et du champ d’épuration de la cabane, Alex avait laissé pousser des graminées, dans l’espoir d’enrichir le sol et de pouvoir éventuellement y cultiver des céréales, s’il parvenait à mettre la main sur des grains fertiles. L’avantage de ce système d’évacuation des eaux usées autonome était qu’il avait forcé une clairière derrière la cabane, défrichée de manière à ce que les arbres soient à au moins dix mètres de son périmètre. Il fournirait également un sol raisonnablement bien irrigué pour la culture de céréales, qui possédaient des racines peu profondes et dont la partie comestible restait loin du sol, évitant les risques de contamination microbienne. En attendant, il pourrait toujours y faire croître tomates, piments, fèves ou courges. L’essentiel serait de faire une rotation des cultures, et c’était précisément la raison pour laquelle Jenny et lui avaient instauré un journal de leurs essais agricoles, où ils notaient ce qu’ils faisaient, ainsi que des astuces ou des observations qui pourraient les aider à éviter de répéter des erreurs à l’avenir.
L’âtre du salon avait pris une fonction complètement utilitaire depuis que l’électricité puis le gaz avaient été coupés. Une tôle polie à la graisse de coude et pliée à bras d’ours, anciennement capot dans une vie précédente, venait refléter les flammes derrière le feu, pour maximiser le rayonnement calorifique et lumineux dans la pièce principale. Devenu à la fois source de cuisson et de chauffage pour la résidence, Alex enviait tout de même ces gens qui avaient depuis longtemps installé des systèmes beaucoup plus efficace, à combustion lente. Ceux-ci leur permettait un chauffage plus confortable de leurs demeures, mais ne leur permettait pas d’y cuisiner. Ce n’était donc pas une option possible pour leur foyer. À moins qu’ils ne trouveraient par miracle l’un de ces poêles de fonte qui ne se dénichaient quasiment seulement dans ces villages à vocation muséale, tantôt authentiques tantôt des reproductions ou des agglomérations de bâtiments d’époque. Il n’existait malheureusement aucun de ces villages historiques à proximité de Beacon Hills.
Le temps passait lentement, Derek et Ian étant les principaux, sinon uniques, visiteurs de la cabane, tous les partis avaient dû apprendre à mettre leurs rancoeurs de côté. Le lycan leur apportait des nouvelles, complétant celles que Charlie glanaient. Les voisins avaient également établi un système de défense dont ils s’échangeaient les secrets. La plupart étaient non-létaux et servaient surtout à ralentir, enchevêtré ou attraper les marcheurs qui s’aventureraient trop près de leurs demeures, et suffiraient certainement à dissuader des visiteurs indésirables. Et si leur témérité les tuait, tant pis pour eux. Si la compassion était toujours à l’ordre du jour, et ça n’était pas une certitude, elle était distribuée avec une extrême parcimonie.
Alex avait depuis longtemps arrêté de demander à son ami si il avait croisé Brian en ville, et s’il lui avait transmis son offre. En fait, c’était Jenny, qui n’en pouvait plus de voir son ex se morfondre lorsque l’ours lui répondait que non, il ne l’avait pas rencontré, qui l’avait confronté et lui avait souligné l’incongruité de la situation. Depuis tout ce temps, ils auraient dû se voir, au moins une fois. Charlie maugréa qu’il n’avait simplement pas envie d’annoncer au druide que le flic ne viendrait pas habiter chez eux, et on n’en avait plus reparlé.
Ce dont on avait discuté, par contre, et qui était corroboré par les témoignages similaires de Derek et de Charlie, était la violence de la milice et les débordements dont ils faisaient preuve lors des altercations avec quelques rassemblements spontanés de renégats au bord de la famine. S’il aurait fallu que le scientifique soit bien naïf pour croire que ses amis avec qui il avait passé sa dernière soirée normale ait eus le luxe de pouvoir esquiver ces affrontements et se soustraire ces actes de violence aveugle, il se permettait toutefois de croire que les anciens policier, shérif inclus, ne s’étaient pas abaissés au niveau de ce que les rumeurs rapportaient de certains miliciens. Alex ne pouvait se résoudre à imaginer Richard ou Brian taxer ou piller des camarades survivants. Il ne pouvait pas s’être trompé sur leur compte, lui qui avait réussi à se convaincre qu’ils avaient joint les forces de l’ordre pour les bonnes raisons : protéger et servir la communauté. Pas pour protéger et servir leurs intérêts personnels. Alex pouvait comprendre qu’ils se devaient d’obéir à leurs supérieurs, et cette part d’offenses il saurait la pardonner, mais s’ils s’avéraient être devenus des opportunistes, Alex savait qu’il ne saurait passer outre.
Le centre-ville avait décidé d’ériger des barricades autour de celui-ci, coupant davantage encore les ermites de celle-ci. Dans les bois, on avait d’autres choses à faire que de ce soucier des conséquences de ce cloisonnement. Ils se doutaient bien qu’une ségrégation se créeraient entre ceux de l’intérieur et de l’extérieur, mais cela ne servait à rien de tergiverser à se sujet, outre s’inquiéter et gaspiller de la salive : les murs s’élevaient et ils n’y pourraient rien, sinon que d’emménager à l’intérieur de ceux-ci. Ils restaient toutefois des citoyens et, à ce titre, étaient appelés à servir la communauté, comme chacun. Si tous refusèrent de rejoindre la milice, Jenny voulut prêter main forte au dispensaire, en s’improvisant garde-malade, et Charlie fut le bienvenue lorsqu’il offrit de joindre ses forces aux maçons et constructeurs néophytes. Le plus rapidement une première palissade serait construite, argua-t-il, le plus rapidement ils songeraient à en faire une plus grande pour protéger les résidents délaissés tels qu’eux-mêmes. Pour sa part, Alex avait d’abord voulut aider au dispensaire, ce qui lui permettait également de s’assurer que Jenny était traitée convenablement, mais il fut réquisitionné pour ses connaissances scientifiques.
Il semblait que l’on valorisait tout à coût ce domaine et que son intellectualité devenait un intérêt reconnu, alors qu’on lui demandait d’aider à la production de besoins de première nécessité avant que les réserves, même sous rations, ne s’épuisent. Il n’y avait rien de sorcier à produire de l’engrais ou du savon, mais il lui faudrait les bons ingrédients ou, à défaut, un peu d’ingénuité. Il se servirait de ce qu’il trouverait, comme moules. Ensuite, on lui demanda des conseils sur la culture de potagers et, avant de ne comprendre comment c’était arrivé, il donnait des cours, ou faisait du mentorat, à des groupes réduits de citoyens qui désiraient apprendre à faire eux-mêmes divers produits et denrées, ou à établir un potager et à composter efficacement. Il aida même quelques citoyens à devenir des apprentis-brasseurs ou à entretenir leur propre levain, pour ceux qui trouvaient accès à de la farine. C’est lorsqu’on lui demanda s’il saurait comment faire ses propres pigments qu’Alex dut avouer ses limites, mais il promit de se renseigner, à la condition qu’on lui laisse accès à la bibliothèque ou à la librairie. C’est également à ce moment qu’une idée germa dans son esprit.
Les colocataires semblaient beaucoup moins chauds à l’idée d’ajouter un enclos de moutons dans la forêt annexant la cabane. Si le nouveau rêve bucolique et pastoral d’Alex n’était pas partagé par ses amis, il creusa tout de même la questions, en cherchant à savoir où et comment il pourrait se procurer des moutons. L’idée d’un gigot d’agneau avait fait saliver Charlie, qui préféra tout de même mentionner qu’ils en avaient déjà suffisamment à s’occuper pour le moment et qu’ils pourraient toujours acheter la viande à un éleveur du coin. S’il s’en trouvait un. Le projet tomba donc en désuétude presque immédiatement.
La vie suivait donc son nouveau cours, comme une rivière tranquille qui avait changé de lit suite à un glissement de terrain. Quelques mois plus tard, Alex fit une petite indigestion. Jenny se rendit au dispensaire seule. L’entente selon laquelle ils se rendraient toujours en ville à deux était tombée avec un sentiment de sécurité. Malgré son état, Alex insista pour se rendre utile. Pour éviter de contaminer ses cohabitants, il se tint loin du jardin et des corvées de nettoyage et en profita plutôt pour rafistoler une partie de la clôture en particulièrement piteux état. Il en avait eu l’intention depuis des semaines, et en avait désormais le temps. L’ours le suivit à l’extérieur et, bien qu’il ne fit mine de rien, le druide savait qu’il gardait un œil sur lui, à distance. Alors que le laborantin jouait du marteau pour repousser les billots, le rythme constant de la hache de Charlie. Puis la musique cessa nette et Alex mit un moment avant de comprendre ce qui se passait, tournant la tête au teint toujours verdâtre vers le cri déshumanisé et tonitruant du métamorphe qui avait déjà contourné la chaumière avant même d’avoir terminé de héler le nom de leur colocataire. Le druide n’eut pas de réponse alors qu’il demandait au surnaturel où diable se rendait-il en galopant ainsi. Quelque chose de terrible était arrivé et, machinalement, Alex termina sa corvée avant de rentrer à l’intérieur. Ne pouvant rejoindre Charlie et ne sachant que faire, il se permit une sieste en attendant les mauvaises nouvelles. Le sommeil agité, on ne pouvait pas réellement dire qu’Alex fut réveillé par le retour de Charlie. Seul.
Jenny avait été poignardée et serait inhumée ce soir-là. C’était pour éviter qu’elle ne se relève. Une mauvaise surprise qui avait été ébranlée lorsqu’il fut clair que des marcheurs n’avaient pas succombé au virus, mais à un type de décès différent. Qu’il soit naturel ou non. Les survivants étaient donc tous considérés comme des porteurs sains qui reviendraient d’entre les morts, et la crémation devint obligatoire. Cet arrêté rencontra une vive résistance de la part de certains groupes religieux pour lesquels l’inhumation était la seule façon de rejoindre la vie après la vie. Après quelques mésaventures au sein de leurs cercles, ils s’étaient néanmoins pliés à cette nouvelle norme. Trop faible pour se déplacer, Alex ne put que se morfondre de n’avoir pas pu revoir son amie une dernière fois et passer sa colère contre le destin injuste en calomniant le nom de cet inconnu pour les générations à venir. Charlie avait beau être présent pour lui, et ils pouvaient bien tenter de se consoler, c’était une trop grande cicatrice sur l’âme de celui qui avait toujours été gâté par la vie. Une part d’obscurité avait envahi le coeur d’Alex, qui se montrait toujours plus défaitiste et rembrunit.
Charlie voulait partir, leur trouver un oasis où ils pourraient vivre loin de cette violence. Les attaques de zombies, ils pourraient vivre avec, mais celles d’autres humains, il n’en était pas capable. Il disait qu’Alex ne pouvait pas comprendre, qu’il n’avait pas ce lien que l’ours avait avec les bestioles de la forêt, et qui s’étendait à ceux qui lui étaient chers. Il n’avait pas senti ses tripes se vider de tout sens avant même de comprendre ce qui était en train de se produire. Il ne savait pas ce que c’était que d’être considéré comme un monstre par ces assassins qui avaient exécuté Jenny. C’était eux, les monstres, ceux du centre-ville. Et Alex hurlait qu’il souffrait autant depuis ce jour, mais que rien de bon ne pouvait les attendre hors de la ville. D’un souffle, il argumentait que leur meilleure chance de survie était de rester en territoire connu, et du suivant il marmonnait que de toute manière, il n’avait plus rien à perdre. Ce fut peut-être par pitié que Charlie resta si longtemps auprès d’Alex. Ou peut-être s’inquiétait-il de le savoir se faire du mal à lui-même. L’humeur sombre du druide eut tout de même raison de lui, et il partit en catimini, un mot derrière lui pour tenir lieu d’adieu. Il semblait déterminer à trouver un meilleur ailleurs, et prit Civet avec lui. Ce jour fut également baigné de larmes.
L’ours avait raison, Alex n’était plus à même de s’occuper du lapin vieillissant, et Charlie avait déjà réfuté trois fois l’éventualité qu’était l’euthanasie. Dans sa nouvelle solitude, Alex avait des deuils à faire. C’est au néméton qu’il put trouver la force d’affronter ses démons. Si l’immense vide qui le consumait de l’intérieur était toujours présent, la souche arrosée de gouttes salines semblait y poser un baume et, comme un bosquet qui se recouvrait au printemps de feuilles timides, le trou à l’âme d’Alex semblait lentement, graduellement contenu à l’intérieur d’une fibre nouvelle qui venait le ceindre et l’empêcher de croître. Et plus Alex refaisait la paix avec lui-même, plus il en concluait que Charlie avait peut-être eu raison. Non. Il était définitivement dans la vérité. Et un plan commençait à émerger dans le crâne de l’ermite.
***
Alex revenait du néméton ce jour-là. Il venait de prendre une décision importante : transformer ce plan intangible en quelque chose de concret qu’il pourrait mettre en branle. Une lance artisanale à la main, il suivait une biche qu’il avait entrevue entre deux arbres. Charlie n’était plus là pour le gronder de vouloir chasser ainsi, au risque de tourmenter sa proie dans une agonie sans fin s’il se ratait, et Alex imaginait déjà tout ce qu’il pourrait avoir pour une telle proie, s’il n’en gardait qu’une petite part pour lui-même. Un bruit fit détaler la proie et le chasseur néophyte sursauta. Il décida de suivre ce son pour voir de quoi il s’agissait. Un prédateur qui représentait une menace à sa vie, ou un marcheur qui représentait également une menace à sa vie?
C’était une silhouette humaine. Et vivante. Elle semblait se diriger résolument vers la cabane, ce qui ne semblait rien augurer de bon. Le dos replié vers le sol comme s’il le traquait, Alex suivait l’homme en tentant de l’observer entre les arbres qui défilaient entre eux. Qui pouvait oser s’aventurer dans sa forêt? D’un regard circulaire, Alex observa le pin immense sur lequel les branches n’avaient poussé que d’un côté, et le thuya solitaire un peu plus loin. Il savait exactement là où il se trouvait, et ce sur quoi l’intrus se dirigeait. Lentement, Alex se rapprochait de lui pour arriver à sa hauteur et le reconnaître. La frayeur dans le regard, il se jeta sur l’ancien militaire et pivota sa lance dans l’espoir de bloquer la progression de Brian. Alex rabattit l’extrémité contondante de son arme devant le policier pour le forcer à freiner, mais c’était sans compter sur les réflexes du milicien qui para son barrage et pointa presque immédiatement un poignard en direction des sourcils rehaussés du taiseux. D’un geste lent, Alex ramena sa lance à lui-même, côté tranchant vers le ciel, et étira le bras pour relever légèrement le câble qui courrait au sol, sans le déclencher.
-J’aurais préféré manger le cerf. J’suis pas encore tenté par le cannibalisme.
La voix éraillée de ne plus s’en servir pour autre chose que psalmodier des supplications au chêne abattu ou grogner de courtes informations à son voisin, Alex ne se dérida pas pour autant. La mine rendue infiniment sérieuse par un mélange non stœchiométrique de solitude, de tristesse et de résignation, il était difficile de savoir si le druide rigolait ou non. Les pommettes saillantes et les cernes sous le regard fougueux de l’homme de la forêt n’étaient d’aucune aide pour résoudre ce mystère.
Ce n’était pas du style de Brian de se perdre en forêt. Si ça avait été Richard, Alex aurait pu le croire, mais O’Conner… Le biochimiste ne pouvait en tirer une seule conclusion.
-Tu me cherchais, déclara-t-il sobrement, la lance se berçant presque inoffensivement au bout de son bras.
:copyright:Codage by Mr. Chaotik from Never-Utopia
Merci Matrim & Chuck!
Brian O'Conner
Meute & Clan : Clan des Gardiens Âge du personnage : 33 ans
Brumes du futur : Mentaliste Meute & Clan : Aucun Âge du personnage : 42 ans
Humeur : Troublé... Messages : 1229 Réputation : 250 Localisation : Poste de police
Sujet: Re: Quand la vie bascule || feat Alex Ven 22 Mai 2020 - 23:55
Quand la vie bascule
Feat : Alex Cormier
Ce sont les deux billes d’agate bleu azur, noyées dans son visage assombri par la pénombre de la forêt et les heures passées au grand air, que je reconnais en premier : les yeux d’Alex. La surprise me coupe le souffle. Mon cœur bat fort, car j’aurais pu commettre un geste fatal. Pourquoi ne m’a-t-il pas hélé ? Peut-être qu’il ne m’a pas reconnu tout de suite.
Presque trois ans que je ne suis pas venu ici. Crowley avait été assez clair sans même avoir à se fendre d’une phrase construite. Tout avait été dit entre un « pas de place », un haussement d’épaules et une grimace dédaigneuse vers mon arme de service. Comment justifier la violence dont j’avais dû faire preuve contre des citoyens qui n’avaient que le défaut d’être affamés et prêts à tout, quitte à sacrifier leur voisin pour survivre. Nombre de mes collègues, surtout dans les civils qui avaient rejoint les rangs de la police devenue de fait une milice, ne faisaient ce job que pour les avantages que cela apportait et les abus qui en découlaient dans quelques cas. Une triste image qui m’éclaboussait et m’englobait ce panier de crabes.
Par lâcheté ou amertume, je n’avais pas cherché à forcer les choses, choses qui n’étaient que des balbutiements avant que tout ne vole en éclat. Par-dessous tout, je craignais son regard et son jugement. Les flics, l’autorité, les armes à feu représentaient un univers malsain pour le druide bien avant que tout parte à vaux de l’eau. Les évènements n’ont pu que renforcer ses sentiments à ce sujet. Un fossé s’était creusé entre nous sans que nous ne puissions rien y faire. Il m’était inconcevable de déserter mon poste à un moment où le shérif avait besoin de ses hommes les plus intègres. Alex avait réagi avec sa conscience et s’était isolé de cette folie avec ceux qui comptaient pour lui. Quand je ne l’ai plus aperçu en ville, ou juste en mode silhouette fuyante, je me suis renseigné autrement pour savoir comment il allait. Son proche voisin n’était pas le plus loquace et l’alpha devait avoir éventé depuis le début les raisons profondes de ce brusque zèle de ma part à lui demander si tout se passait bien pour lui et pour ses proches voisins.
Dans un mouvement commun, Alex éloigne la lame que je n’ai pas remarquée au bout de son bâton, tandis que j’incline mon poignet pour pointer mon poignard vers le sol. Puis, d’un geste délicat, il me montre le piège auquel je viens de réchapper.
- J’aurais préféré manger le cerf. J’suis pas encore tenté par le cannibalisme. - Désolé d’avoir fait fuir ton repas.
Je ris jaune au « pas encore ». S’il savait, il ne plaisanterait pas là-dessus, à moins qu’il n’ait eu vent de cette histoire sordide, il y a presque un an. J’écarte vite les images qui refont surface pour scruter Alex. Son visage est émacié, son regard dur. Je tente un trait d’humour.
- Tu pourrais mettre un panneau pour avertir du piège. Les biches n’ont pas encore appris à lire.
Je regarde le fil que je n’avais pas remarqué et qui traverse le chemin perdu dans l’herbe haute. Un peu bas pour du gibier, parfait pour surprendre un humain. Est-ce bien un cervidé qu’il cherche à stopper ? J’avais été désolé en apprenant l’assassinat de sa colocataire, un meurtre resté impuni, un parmi tant d’autres. Sans la technologie de la police scientifique et l’accès à la base de données informatisée de la police, nous étions retournés à une justice digne du Far West. Sans preuves concrètes ou flagrants délits, nous étions impuissants et quelques malins ont mis cela à profit.
Non, je n’imagine pas Alex plongé dans de telles extrémités. Ce piège sert probablement à stopper aussi les marcheurs qui ont tendance à traîner des pieds.
- Tu me cherchais. - Oui. Je suis content de te trouver en forme.
Je me relève, remue l’épaule pour remettre en place mon arbalète qui s’était décalée dans mon dos lors de cette fausse attaque. J’hésite sur la conduite à tenir. Je n’arrive pas à déchiffrer l’humeur d’Alex. Est-il content de me voir, ou furieux de mon intrusion ? Si le téléphone fonctionnait, j’aurais prévenu. S’il fonctionnait, cela aurait pu changer tout ça.
- Je profitais d’un jour de repos calme pour reprendre contact avec toi, prendre de tes nouvelles, te demander aussi ton avis sur des graines.
Un long silence me répondit. J’avais pris mon courage à deux mains pour venir ici, je n’allais pas me dégonfler maintenant. J’étais prêt à justifier mes actes, préciser le contexte aussi, la force des choses et que si on pouvait me reprocher quelque chose, arguer que je restais comme tous les autres : un homme qui n’avait pas de solution miracle pour sauver tout le monde. Il est un fait que la population devait drastiquement diminuer pour que ceux qui restent puissent vivre avec une économie qui a reculé de trois cents ans.
Aucun reproche ne fuse, juste un geste un peu brusque en direction de la cabane. J’emboîte les pas d’Alex calquant mon allure sur la sienne.
- Je t’aiderai à traquer la biche si tu veux. Sur cible mobile, j’ai encore un peu de mal avec l’arbalète, mais en statique ou vitesse lente comme les marcheurs, je suis assez précis.
Alex réagit, mais là encore je n’arrive pas à saisir si c’est un oui, un plus tard ou toute autre chose. Sa voix est devenue rauque et il avale les mots. Je réalise que depuis le départ de Charlie, une information recueillie auprès de son plus proche voisin, Alex est seul. Je le suis aussi, mais mon travail me fait voir du monde, parler et échanger. À mesure que nous avançons, je prends la mesure de sa solitude, ici dans cette forêt.
Quand je vois la silhouette de la cabane se profiler, j’ouvre la bouche, abasourdi par les changements. J’ai connu cette maison cernée par les arbres, maintenant elle se trouve illuminée par le soleil, entourée d’une belle clairière aménagée en potager et autre installation. Pour avoir fait pareil, je remarque les aérations aux pieds des murs de la cabane, trahissant la présence d’une cave qui n’était pas là avant.
Je m’arrête non loin du seuil et regarde admiratif le travail accompli. Une pointe de jalousie me serre le cœur : voilà ce qu’il est possible de faire à trois paires de bras, dont un surnaturel. Le jardin est resplendissant, rien à voir avec le mien que je gère sur mes temps libres et mes connaissances limitées en jardinage. L’envie m’étreint. Tout ce que je vois a demandé de la sueur, mais c’est toujours plus facile de déplacer des montagnes quand on est plusieurs. J’avais mis des mois à creuser ma cave, pour littéralement pleurer de rage quand j’étais tombé sur la nappe phréatique. Il m’avait fallu du temps pour encaisser cet échec et le transformer en un autre projet : celui d’avoir de l’eau presque courante. J’ai tracé des dizaines de schémas pour fabriquer une pompe à vents qui attend le matériel pour être fabriquée. Pour le moment, je draine ma cave pour ne pas avoir pelleté pour rien et dévié l’eau dans un puits standard d’où je la remonte à la force des bras.
Est-ce qu’Alex s’aperçoit de mon trouble ? Je n’en sais rien. Je tente de me reprendre. Je suis venu pour envisager un avenir commun, jalouser le passé n’apportera rien de bon.
- Vous avez géré ! C’est impressionnant. Et en voyant ton jardin, je me dis que j’ai bien fait de venir te montrer les graines que j’ai trouvées.
Je dépose mon arbalète et mon sac sur le sol, près d’un amas de bûches qui jouxte l’entrée. Alex ne semble pas parti pour être très causant. Je finis par douter être invité à entrer dans la cabane un jour. Je sors donc les boîtes de conserve que j’ai apportées. J’ai tenté de prendre ce qui pouvait lui manquer. À son regard interrogateur, je me justifie.
- En échange de tes conseils pour que je ne gâche pas mes graines.
J’aligne mes boîtes au-dessus des bûches rangées avec soin, pendant que j’explique d’où viennent ces graines qui attendent dans des enveloppes.
- Une de mes vieilles voisines avait un joli jardin de fleur très bien entretenue. Comme tu le sais peut-être, mon quartier a été l’un des premiers touchés. Je suis le seul survivant. J’ai trouvé dans la maison de cette dame plusieurs boîtes à chaussure avec des sachets de graines soigneusement rangés. Des fleurs pour la plupart, mais il y avait deux boîtes avec des légumes.
Je ne sais pas comment Alex va réagir au fait que j’ai fouillé les maisons de mes proches voisins. Toutes les maisons vides ont été fouillées pour la nourriture, puis les outils, tout ce qui peut servir et qui ne se vend plus, car il n’y a plus de magasins, plus d’usine qui fonctionne. J’ai peur de lui donner une mauvaise image au moment où je souhaite regagner sa confiance et son amitié, mais je ne veux pas lui mentir. On ne bâtit rien sur des mensonges.
- Il y avait des dates sur certains paquets. Les graines sont vieilles, au moins huit ans. Je ne sais pas si elles sont encore viables ni quelles précautions prendre pour que les semis réussissent. J’ai bien planté des trucs, mais c’est bien maladif à comparer de ton jardin !
Je suis en train de me demander si ce n’est tout simplement pas criminel que je garde ces graines avec ma si grande inexpérience. Je souris à Alex. À la lumière de la clairière, je peux mieux examiner ses traits. J’y lis une profonde lassitude, beaucoup de réserve aussi. J’ai envie de lui donner une accolade, par plaisir de le retrouver, pour tout ce qu’il se dit par le contact et non par les mots, mais je reste tétanisé sur place. J’ai l’impression d’acheter son amitié à coup de boîtes de conserve et de beaux discours sur ses capacités. En fait, c’est bien ce que je suis en train de faire.
- Ça m’a manqué de ne plus te voir…
C’est sorti tout seul. Je regarde mes pieds espérant que mon bronzage va masquer le rouge qui me monte aux joues.
Un léger craquement, sur le visage de granite – le marbre des pauvres – d’Alex, sembla indiquer que le druide avait reconnu la blague pour ce qu’elle était. Ou peut-être avait-il prise la suggestion au sérieux et l’avait trouvée risible. Il était vrai que les marcheurs avaient perdus leurs facultés cognitives et ne semblaient pas plus aptes à la lecture que le gibier qui s’aventurait de plus en plus loin dans la forêt. Contrôlant ses mimiques, plutôt que contrôlé par celles-ci, Alex préférait ne pas se donner d’espoirs vains et attendre de voir comment se développerait leur rencontre avant de ne juger la présence de son ancien ami. S’il était content de revoir ce visage amical après tout ce temps, de se sentir de nouveau utile auprès de quelqu’un de spécifique au-delà de la récolte de quelques crédits, que quelqu’un de la ville se décide enfin à reprendre contact avec lui, il était également froissé. D’avoir été si longtemps laissé pour compte, ou pour mort en sursis. D’avoir vu son hospitalité reniée. De n’être intéressant que lorsqu’on avait un conseil, une demande, ou un coup de main à venir lui soutirer. C’était probablement les restes d’un sentiment adolescent qui rejaillissait dans ces circonstances, comme une cicatrice qui élance à la vue d’une flamme vive ou d’une lame aiguisée. Alex s’était également découvert un tempérament rancunier qu’il ne s’était pas connu auparavant. Il passait tout son temps seul à remuer sa paranoïa et ruminer ces sombres conclusions selon lesquelles il ne comptait plus pour tant de gens. En fait, il n’avait probablement jamais compté pour ces gens. Sinon, ils lui auraient tendu la main pour rattraper la sienne avant qu’elle ne se replie pour de bon contre lui.
D’un signe de tête frustre, Alex indiqua qu’ils seraient mieux à même de converser chez lui, et il ouvrit la marche. Il sourit en écoutant Brian. Peut-être s’était-il raconter des chimères en se croyant froid et immuable dans ses ressentiments, comme s’il pouvait aller chercher une certaine fierté à se draper de vexation. Peut-être avait-il oublié comme il était doux d’avoir un visiteur et, plutôt que de se languir de sa solitude, il s’était convaincu que la compagnie d’autres humains n’était qu’un mal nécessaire dont il pouvait enfin être libéré. Des pensées qu’il n’osait pas partager avec Derek, par crainte de se ramasser un coup de paluche derrière le crâne. Le druide se contenta d’un signe de la main au-dessus de l’épaule pour signifier à Brian de ne pas s’en faire avec ça.
- Ne t’en fais pas pour ça. C’est une bien trop grosse prise pour moi seul. marmonna-t-il quelques dizaines de secondes plus tard, sans penser à ajuster la puissance de sa voix pour être entendu. Quand on à l’habitude de se balader dans les bois en laissant le moins de traces de son passage possible, autant visuels qu’auditifs, on risque de prendre certains mauvais plis.
***
Alex s’était contenté d’un timide merci aux compliments de Brian. Amer, il se dit qu’au final, c’était surtout ses deux disparus qui avaient abattus le plus gros du travail, minimisant sa propre contribution, et surtout, que s’ils avaient véritablement géré, il ne se serait pas retrouvé seul avec autant de boulot sur les bras pour arriver à tout faire. Il avait déjà commencé à couper dans les tâches les moins nécessaires, ou avec le moins bon rendement pour l’énergie fournie. Heureusement, il s’était lavé suffisamment récemment pour que l’on ne puisse se douter que l’hygiène personnelle avait été parmi les premières à prendre le bord.
Confus, Alex observa son ami s’accroupir pour déposer ses affaires au sol. Comptait-il les ajouter à cet enfer de cultures dont le biochimiste passait déjà le plus clair de son temps à s’occuper? Toutefois, ce furent des boîtes de conserves qui émergèrent et Brian s’expliqua rapidement, lisant probablement les questionnements sans fins sur le visage de son hôte. Double stupéfaction dont la manifestation passa une fraction de seconde dans le regard écarquillé du druide, alors qu’il réalisait que ces salades qu’il s’étaient racontées et auxquelles il avait cru n’étaient que mensonges. S’il avait pensé vouloir de la reconnaissance, il voyait à présent qu’il ne désirait pas être payé. Le cerveau humain était complexe et toujours aussi mystérieux pour le canadien, y compris le sien. Tout ce qu’il savait c’était qu’en ce moment, il avait l’impression de n’être qu’un autre citoyen de Beacon Hills avec lequel Brian venait troquer.
Le druide écouta l’histoire de Brian en gardant ses jugements, s’il en eut, pour lui-même. Il était déjà largement satisfait de savoir – ou de vouloir croire cette version – que Brian n’avait pas utiliser la force pour soutirer des vivres ou des biens à ses voisins. S’ils étaient déjà trépassé, aussi bien limiter le gaspillage, à défaut de pouvoir l’éviter complètement. Lui-même s’était glissé dans la librairie et la bibliothèque à la recherche d’ouvrages à lire pour enrichir ses connaissances autant que pour se détendre.
- Si elles ont bien été conservées : au sec et à l’abri de la lumière, les dates ne sont rien de plus que des suggestions. Après, sans artifices électriques, toutes les plantes ne sont pas forcément bien adaptées au climat nord-californien.
Alex troqua le sourire de Brian pour un clin d’oeil furtif, qui aurait pu passer pour un battement de cil dont le but n’était que de déloger une poussière. Il espérait le rassurer sur ses compétences, sans avoir à lui dire que c’était une entreprise difficile et chronophage que de cultiver son potager. Il ne voulait pas passer pour condescendant, ou moralisateur. Alex cherchait encore comment expliquer à Brian qu’il n’aurait pas eu à emmener des conserves, sans paraître ingrat ou malpoli, lorsque celui-ci le surprit par un aveu.
- Ça m’a manqué de ne plus te voir…
- Je ne m’étais pourtant pas caché, répondit-il après un court silence, pris au dépourvu par cette déclaration. Le doute germa aussitôt dans son esprit. - Je ne le croyais pas, du moins. Tu sais que tu peux venir quand tu veux?
Faisant mine de ne pas remarquer la gêne de Brian, Alex se détourna de lui pour observer les conserves. Il connaissait la valeur de telle marchandise et se doutait bien que quelques légumes germés n’était pas un échange équitable. Pas pour Brian.
- Tu n’avais pas besoin de m’emmener quoi que ce soit. Je serai toujours là pour t’aider, déclara le druide avec sincérité, sans se douter que, moins d’un an plus tard, il aurait transformé cette promesse en mensonge. Et tu prendras les légumes frais que tu veux, avant de partir. Il y en a beaucoup trop pour une seule personne. Puis, il y a un bosquet rouge de framboises, fin juin.
Puis, sans crier gare, Alex changea de ton, pour se montrer de nouveau brusque. Que faisaient-ils encore sur le pas de la porte, à se regarder comme des chiens de faïence, plutôt que de s’asseoir à l’intérieur? - Tu veux entrer, ou tu préfères prendre racines? s’enquit le druide d’une voix laconique qui ne faisait pas honneur à son état d’esprit. Avait-il oublié comment se montrer chaleureux?
Alex alla rouler des cartes qui étaient étendues sur la table, et la libérée, ainsi qu’une des chaises, de piles de livres affublés de signets en tous genres. Un instant plus tard, il jetait une bûche dans l’âtre et attisait les braises, pour réchauffer et assécher l’air ambiant. Lorsqu’il se retourna, il vit Brian toujours flanqué à quelques pas de la porte, à observer l’endroit. Sans chercher à savoir si le policier était impressionné, récalcitrant, ébahi ou sur ses gardes, Alex le hâta de nouveau avec sa brusquerie habituelle.
- Assieds-toi! Je vais chercher la bouilloire.
Pendant qu’il l’accrochait sur la potence au-dessus des jeunes flammes pour faire bouillir l’eau, Alex expliqua à Brian que certaines plantes germaient dans virtuellement n’importe quelle condition, alors que d’autres étaient plus délicates et requéraient une période de dormance, ou une température minimale et constante, et cetera.
- Si elles s’étiolent, c’est qu’elles manque de lumières. Soit elles ne sont pas tournées assez régulièrement, ou qu’elles devaient être plantées dehors en plein soleil. C’est des semences de quoi que tu as?
Alex prit à son tour place à la table, se calant légèrement sur sa chaise, par confort et par paresse à la fois, et soupira comme si cela servirait à évacuer les tensions musculaires de la journée.
:copyright:Codage by Mr. Chaotik from Never-Utopia
Merci Matrim & Chuck!
Brian O'Conner
Meute & Clan : Clan des Gardiens Âge du personnage : 33 ans
Brumes du futur : Mentaliste Meute & Clan : Aucun Âge du personnage : 42 ans
Humeur : Troublé... Messages : 1229 Réputation : 250 Localisation : Poste de police
Sujet: Re: Quand la vie bascule || feat Alex Mar 9 Juin 2020 - 20:41
Quand la vie bascule
Feat : Alex Cormier
- Si elles ont bien été conservées : au sec et à l’abri de la lumière, les dates ne sont rien de plus que des suggestions. Après, sans artifices électriques, toutes les plantes ne sont pas forcément bien adaptées au climat nord-californien.
Me voilà à demi rassuré. Les graines sont potentiellement viables, mais reste que nous n’avons plus les mêmes moyens qu’avant pour la culture, plus les mêmes artifices. La dame chez qui j’ai trouvé ce trésor semblait être une passionnée du jardinage. Il ne serait donc pas étonnant qu’elle usât en son temps de techniques élaborées pour faire fleurir sa maison. J’espère juste que cela ne s’applique pas aux légumes. Alex semble être moins sur la défensive avec un clin d’œil furtif. À moins que je me leurre et lise dans ses mimiques ce que j’ai envie d’y trouver. Cela pouvait n’être qu’une poussière qu’il a chassée d’un battement de paupière. Mon aveu sur mon sentiment en sa présence m’a collé les yeux au sol. J’appréhende sa réponse, mais ce qu’il dit ne ressemble à aucune des deux options que j’avais envisagées.
- Je ne m’étais pourtant pas caché. Je ne le croyais pas, du moins. Tu sais que tu peux venir quand tu veux ?
Je relève les yeux vers lui en proie à une grande confusion. Je veux bien que mon travail –souvent loin de la ville – et les évènements instables ne nous ont pas donné beaucoup d’occasions de nous croiser, mais je n’ai pas pu rêver ses esquives alors que nous nous rencontrions par hasard. En presque trois années, je suis tombé sur Charlie et Jenny bien plus souvent que lui. Je tais la question trop directe qui me vient en tête : qu’ai-je fait à tes yeux, qui méritait d’être écarté de la poignée d’amis dont tu t’es entouré pour survivre ? J’imagine que cela a un lien avec mon travail de flic, de la répression brutale des émeutes. Parfois, je me dis que nous aurions dû laisser les gens s’entretuer. Presque trois ans après le grand chaos, pas besoin d’être sociologue ni anthropologue pour comprendre qu’une sélection naturelle a opérée d’elle-même et que l’action ou les exactions de la police se sont montrées marginales devant les autres facteurs de destructions : le virus en premier lieu, et une société basée sur un modèle économique incapable de résister à un grand séisme. Les combines douteuses de certains de mes « collègues » ne représentent que quelques digits après la virgule.
- Tu n’avais pas besoin de m’emmener quoi que ce soit. Je serai toujours là pour t’aider. - Oh ! Je…
La surprise me rend muet. Je ne sais plus quoi penser. Je regarde le jardin, ce travail colossal d’aménagement qu’il a demandé et le vide des absents bien trop présent. Plus que jamais, l’homme est obligé de s’adapter pour survivre. Alex enterre-t-il là ses vieux griefs, car il doit faire avec ce qui se présente à lui : moi. Ce revirement me blesse, cependant je le conçois. J’ai aussi plusieurs fois réajusté mes idées, mes liens également. Les survivants sont obligés de s’entendre.
- Et tu prendras les légumes frais que tu veux, avant de partir. Il y en a beaucoup trop pour une seule personne. Puis, il y a un bosquet rouge de framboises, fin juin.
Des légumes frais ! Trop chers au magasin central, rares en troc. Il m’offre du rêve. Je m’imagine déjà devant un potage sans céréales dedans pour lui donner de la consistance.
- Tu veux entrer, ou tu préfères prendre racine ? - Euh, oui !
J’ai sursauté au changement de ton comme un gamin pris en faute. Mon caractère s’est endurci par la force des évènements, mais là, je me sens démuni. Je me maudis intérieurement d’être aussi empoté. Je joue contre mon camp à me montrer si hésitant. J’entre dans la cabane comme si je foulais une terre sacrée. L’endroit a bien changé, comme ailleurs. L’espace a été rationalisé avec les nouveaux impératifs de vie et la disparition de l’électricité dont le flux s’est tari. Les meubles sont les mêmes, mais je ne reconnais plus ce nid douillet que j’avais connu avant. La touche paisible de la cabane que j’ai connue s’est envolée.
- Assieds-toi ! Je vais chercher la bouilloire.
Je tends le bras pour fermer la porte d’entrée qui était restée entrebâillée et obéis à l’injonction, content d’avoir quelque chose à faire. Pendant qu’Alex s’occupe à faire chauffer de l’eau, je zieute du côté des cartes roulées sur elle-même qu’il a retirées de la table. Je n’ose pas poser de questions à leur sujet ni sur la pile de livres et de notes qui sont à côté. Alex étudie quelque chose, mais quoi ? Je dévie rapidement mon regard quand il se retourne. Je ne veux pas avoir l’air de fouiner, même si j’enregistre le moindre détail que mon regard chope. Le biochimiste me résume ce que je sais globalement sur la germination des graines : il y a divers degrés de besoins et de difficultés en fonction du type de graines.
- C’est des semences de quoi que tu as ?
Je sors les enveloppes de mon sac que j’ai posé à mes pieds. Sur chacune d’entre elles, j’ai recopié les indications des paquets originaux. Je les aligne de manière à ce que le texte soit à l’endroit pour Alex.
- Les indications étaient effacées, les graines sont particulières, peut-être pourras-tu me dire ce que c’est ?
Je regarde Alex se saisir des enveloppes, une à une. Regarder à l’intérieur, y mettre son nez, je suppose, pour chercher une odeur spécifique.
- Je ne sais pas ce que sont les cœurs de bœuf et les mangetouts.
Le Canadien me renseigne. Je n’aurais pas deviné tout seul. Au bout d’un quart d’heure, il a séparé les enveloppes en trois tas. Un où il y a peu d’espoir que cela germe un jour, à tester, mais sans en attendre grand-chose. Un où il est mitigé et un autre, le plus important heureusement, où avec les soins appropriés, je peux espérer obtenir de beaux légumes. Sur les enveloppes sans nom, il en a identifié deux, il ne veut pas s’avancer sur les autres.
- Tu peux me marquer au crayon comment m’y prendre ?
(…)
L’eau chaude s’est agrémentée d’un mélange de plantes séchées, et même si le sucre reste absent, je le retrouve grâce aux fruits rouges séchés qu’Alex a glissés dans son mélange. La tisane devient presque une friandise. Je mémorise l’idée des fruits. Fraises et mûres sauvages sont faciles à trouver quand on s’éloigne des sentiers battus. La conversation s’est tue, les bûches qui craquent dans l’âtre de la cheminée servent de fond sonore. Je tourne dans ma cervelle des phrases et des mots pour réamorcer la discussion.
- C’est beaucoup plus calme maintenant avec la troisième palissade. On s’approche d’un nouvel équilibre de vie.
Même si les inégalités restent. Ceux qui se sont reconvertis à la terre sont clairement les gagnants, les mieux nourris aussi. Mon statut de garde m’assure un salaire, mais se nourrir qu’avec ce que le magasin central propose revient à avoir le régime alimentaire d’une mule. Seule la chasse me permet d’agrémenter l’ordinaire pour la viande qu’elle m’apporte ou comme monnaie d’échange.
Le silence devient gênant. Je m’agite sur ma chaise, parle du soleil qui file dans le ciel, du temps qu’il me faut pour rentrer et me voilà dehors avec Alex qui remplit mon sac de légumes qu’il prend dans son potager. J’observe ses gestes soigneux, le soin qu’il met à ne pas piétiner de trop la terre. Je le stoppe disant qu’il m’en donne plus que je peux porter.
Sac à dos sanglé sur les épaules, mon arbalète par-dessus, j’embrasse du regard la vaste clairière qui niche le potager et la cabane et sa cheminée qui fume. Le décor est brut, naturel, mais malgré le chant des oiseaux, il respire la solitude.
- J’espère te revoir rapidement. Moi aussi je suis là pour toi. N’hésite pas si tu as besoin d’aide pour quoi que ce soit. Même passer une nuit à la maison si cela te permet de couper ton chemin jusqu’à la ville et ne pas devoir te presser. Tu es le bienvenu.
Voilà, c’est casé. Je suis content de moi et trouve ma proposition habile. Vient le moment de l’au revoir. J’hésite, tends la main, me saisis de celle qui m’est tendue pour me rapprocher d’Alex et lui offrir une brève accolade.
- Cela m’a fait plaisir de te revoir.
Je me traite mentalement d’idiot. J’aimerais mettre cartes sur table ses dires de tout à l’heure, qu’il ne se cachait pas et que j’étais le bienvenu. Crowley avait été clair que non. Si l’ours n’était pas parti, je lui demanderais des explications. Je n’ose pas le faire avec Alex, ayant peur de gâcher cette reprise de contact. Je vais appliquer les conseils qu’il m’a donnés sur mes graines, cela me donnera une raison de lui parler.
Une à une, Alex prit les enveloppes, à demi assis sur sa chaise, l’autre jambe comme prête à se relever pour déguerpir, ou simplement pour aller quérir la bouilloire dès qu’elle se mettrait à siffler sa chanson monotone. La plupart de ces légumes étaient des cultivars courants et suffisamment facile à faire pousser dans des conditions standards. Les semences mystères piquèrent la curiosité d’Alex et il s’y attarda en premier. Les grains minuscules, presque comme une poussière, du premier sachet étaient difficiles à identifier. Il pourrait être question de légumes-racines, ou d’un doublon de persil, mais également d’une pléthore de types de fleurs : peut-être une erreur de classification, par exemple, ou bien certaines fleurs qui, comme la marigold qui bordait le potager d’Alex, présentaient également des propriétés utiles à celui-ci. La camomille n’avait-elle pas également des graines similaires?
À leur forme atypique, Alex reconnut immédiatement les petits soleils foncés, presque noirs, de la betterave. Il ne pourrait cependant pas dire quelle variété, et Brian s’en fichait certainement. La troisième enveloppe fut moins aisée, mais Alex soupçonna des aubergines, ou quelque chose de la même famille. La quatrième enveloppe ne lui disait rien du tout. Ni la forme, ni l’odeur, ni la texture ou la couleur ne lui parlait.
- J’imagine bien que tu as pensé utiliser le don de Jansen pour essayer de comprendre leurs besoins? Peut-être que ces embryons végétaux eux-mêmes ne savaient pas ce qu’ils voulaient, ou peut-être que leur état de dormance rendait la communication impossible. Alex n’était pas vraiment surpris si cela s’était résolu en un échec. Et les plants matures ne sauraient probablement pas être guère plus utiles : Alex se souvenait trop bien que Brian lui avait expliqué que le règne végétal vivait dans le moment présent, et n’avait qu’une conscience très limité du passé ou de la notion du temps.
Le druide se saisit de la première des enveloppes préalablement identifiées, versa quelques grains dans sa main pour juger de leur état. Traces de moisissures, grains abîmés, n’importe quoi. Brian profita de ce moment pour interroger un peu plus Alex, qui ne releva pas le nez de son travail et se contenta de sourire en retournant avec milles précautions les grains dans leur enveloppe.
- Une variété de tomates italiennes, il me semble. La forme rappelle un peu un potiron. Et les pois mangetouts, c’est des fèves* dans une cosse large et très mince.
Alex poursuivit son analyse et se retrouva rapidement à séparer les semences selon leur état et les chances de succès que présentait leur utilisation. Il ne l’avait pas prévu, c’était juste arrivé. Peut-être un bénéfice de son cerveau cartésien et analytique qui, renforcé par des années de formation méthodique, adoptait spontanément une approche utilitaire et pragmatique dans ce style. Il résuma son système de classification au policier qui semblait soulagé, ou peut-être encouragé. Heureux, du moins, de trouver un peu d’optimisme en la pile de bons candidats. L’apprenti botaniste-maraîcher accepta volontiers la demande de son ami et inscrivit, d’une main hésitante et sous-entraînée, des instructions succinctes sur les sachets, les complétant sur une feuille volante correctement identifiée lorsque le besoin se présentait. Il lui indiqua également comment récolter, sécher, et entreposer les graines des plants matures.
- Ça te dérangerait si j’en garde quelques-unes pour faire des essais ici aussi? questionna-t-il en désignant les deux piles les moins propices à donner des résultats probants.
Désormais sis de manière plus convenable, Alex soufflait sur le contenu de sa tasse. L’odeur familière et apaisante respirait un bonheur qu’il avait l’impression de ne pas avoir partagé depuis une éternité. Un baume pour l’esprit, alors que son âme réalisait à quel point la vie éternelle devait être longue si l’on se trouvait seul. S’il y avait vraiment un enfer pour les âmes indignes, il s’agissait peut-être simplement d’autant de bulles vides et silencieuses dans lesquelles étaient plongés les êtres qui, de leur vivant, ne s’étaient pas montrés à la hauteur.
Comme Derek le disait souvent, les mots avaient pris une nouvelle valeur, ils s’étaient faits plus puissants, et d’autant plus rares. La conversation s’était donc naturellement tue entre les deux hommes, sans que l’un d’entre eux semble décidé à mettre fin à cette accalmie, cette trêve au coeur d’une vie mouvementée, occupée. Certes moins rapide, mais demandant ô combien plus d’endurance, de ténacité. De résilience. La société du sprint quotidien était devenue une communauté de marathoniens.
Brian semblait perdu dans sa tête, tout à ses réflexions, et Alex ne pouvait humainement pas lui en tenir rigueur. Lorsque le mentaliste lui fit part de ses pensées, le druide hocha simplement du menton, relevant les yeux pour tenter de voir ce que cachait ces paroles, mais s’abstint de répondre. La vié s’adoucirait définitivement pour les gardes. Ils avaient déjà une vie relativement facile, à ne pas devoir suer dans l’espoir de manger suffisamment pour récupérer l’énergie dépensée simplement pour produire leurs prochains repas. C’était d’autant plus vrai chez ceux qui ne se gênaient pas pour emprunter ou vérifier certaines marchandises qui semblaient systématiquement disparaître. Il était évident que Brian ne faisait pas partie de cette partie de la milice, et c’était la principale raison pour laquelle le druide ne dit rien. Alex reconnaissait également que la jalousie n’était jamais bonne conseillère, et il savait trop bien qu’il n’aurait pas le coeur de faire le travail de garde, dont la valeur découlait à la fois de son utilité et de son impopularité, mais tout de même…
Le manitobain s’interrogea un instant, à savoir si c’était son absence de réponse, diplomatie qui se voulait polie, qui rendait Brian si agité. Il réalisa avec stupeur qu’il ne savait plus vraiment faire la conversation, et que son ami était laissé à lui-même pour entretenir une discussion à base de courses solaires et de temps qui presse. Alex se retrouva à répondre par onomatopées, et à corroborer l’essentiel de ce que Brian disait puis, avant même qu’il ait compris ce qu’il venait de dire, il exprimait une pensée qu’il n’avait pas : le policier devrait probablement rentrer s’il ne voulait pas être surpris par la nuit tombée. Comme pour démentir ses propres propos, au moment où il suivit Brian à l’extérieur, Alex prit tout son temps pour étirer ce moment et le forcer à durer encore un peu. Il parvint peut-être à glaner ainsi quelques minutes, et à s’assurer que Brian ne souffrirait pas de carences alimentaires graves. Le policier l’arrêta, prétexta ne plus pouvoir porter davantage. Alex voulut s’opposer, faire remarquer que Brian était costaud et fort, et qu’il devait manger convenablement, s’il désirait le rester, mais se contenta plutôt de déposer dans les mains de son ami les courgettes qu’il venait de séparer de leur tige.
Un sourire vint friper son visage, le coin de ses sourcils tressaillit un instant, alors que Brian édictait ses au revoir. Alex entrouvrit la bouche, hésitant à partager ses recherches au mentaliste, puis se ravisa en se disant que Brian en avait déjà bien assez à s’occuper, et qu’il n’avait pas à prendre en plus une part de la charge d’Alex sur ses épaules. Ce n’était pas à lui qu’incombaient les responsabilités druidiques. Et puis, jamais il n’accepterait de l’aider avec cela; de quitter ce qui lui tenait le plus à coeur, et ses amis. Pas pour eux. Ils n’en vaudraient pas la peine, à ses yeux. De toute manière, Alex en avait certainement pour des années en planification, tant la tâche était incommensurable. Il avait le temps de changer d’idée, si un élément de leur situation venait à changer, s’ils redevenaient – ou devenaient - véritablement amis, par exemple.
- Je l’espère aussi.
Ce qu’il surnommait mentalement son pèlerinage mensuel pouvait effectivement être facilement coupé par une halte chez le policier, en plus de promettre d’être agréable. Et si Brian n’était pas là, le détour n’était pas suffisamment important pour éviter l’arrêt. Il n’était pas à quelques kilomètres près, après tout.
- Merci pour l’invitation, je passerai certainement sur mon chemin en ville, glissa-t-il alors que Brian l’entraînait dans une courte accolade. Le contact physique tira un frisson à l’introverti, qui ne savait plus à quand remontait la dernière fois qu’il avait eu un véritable contact tactile avec quiconque.
L’envie de réaffirmer qu’il ne se cachait pas, qu’il n’était pas un couard, un peureux, qu’il ne désirait pas éviter les gens et le malheur que le destin leur avait réservé; cette envie jaillit en Alex. Il voulait expliquer qu’il s’était retiré non pas par crainte, mais par prudence et nécessité. Cependant, il se garda de le crier à celui qui repartait déjà, et de l’importuner avec ses justifications. Cela ne pourrait qu’encourager et valider le mépris que la société Beacon Hillsoise lui réservait : les hommes innocents n’avaient pas besoin de clamer qu’ils l’étaient.
Ce soir là, étendu sur son lit, Alex massait distraitement l’épaule qui avait rencontré la clavicule de Brian. Le silence de sa clairière lui apparaissait totalement oppressant, tout à coup. Les ténèbres de la forêt endormie semblaient l’isoler, tels des remparts érigés autour d’un paria, et c’est à la fois émoustillé par le souvenir de ce contact, et la joue sillonnée d’une larme solitaire, qu’il trouva le sommeil.
***
C’était comme si, à chaque période de réflexion méditatrice qu’Alex avait pris le temps de faire sur la vieille souche, celle-ci avait décidé de lever des barrières. Les obstacles contre lesquels il avait ruminé et s’était cassé les dents des jours durant avaient subitement trouvé leur solution. Comme si l’on avait levé un voile de devant son regard et qu’il pouvait enfin observer le problème en question à la clarté du jour. Pas tous, il était vrai, mais ceux liés à la planification de son périple, si. Alex avait l’impression que le Néméton l’avait sommé de s’activer, d’être plus rapide, plus prêt, plus efficace. Le tronc impatient lui avait envoyé des signaux troubles, qu’un néophyte du calibre d’Alex avait eu du mal à interpréter au-delà de la surface. Et cet autre arbre, qu’il lui montrait sans cesse, presque à chaque visite... Ce chemin qu’Alex avait enfin pu tracer sur la carte, un nœud à la fois, un courant à la fois… Dessinant le trajet reliant les deux sanctuaires, comme s’il traçait les plans d’un nouveau sentier sur une carte vierge, guidé par la main mystique d’une muse. Le grenier végétal ne l’informait évidemment pas des pièges qu’il l’attendrait, et Alex était trop naïf pour s’en apercevoir. Trop enthousiaste, également, peut-être.
Dans son enthousiasme, il s’était empressé de poursuivre ses préparatifs, porté par le sentiment d’urgence de l’arbre abattu. Il avait prévenu Derek, mais avait omis d’en parler à Brian. Il ne savait plus ce qu’il en était de leur relation, après tout. Presque trois ans de silence avait durement fragilisé leur amitié. Et leurs retrouvailles étaient si récentes qu’Alex ne savait pas s’ils s’était apprivoisés de nouveau ou non. Il ne savait plus si il n’était qu’utile à Brian ou si il était plus qu’un simple outil mi-ouvrier, mi-encyclopédie.
***
- Je…
Alex ne releva pas son regard du sol, attendant la complétion de la phrase. Elle ne vint pas. Le sujet ne se retrouva pas affublé de son verbe, et c’est Alex qui reprit, un long silence plus tard, en taisant la guerre en son giron pour annoncer des propos qui lui semblaient ternes et inimportants, spécialement vis-à-vis de la promesse récente qu’il avait faite au mentaliste. Promesse de présence et de soutient encore très fraîche à sa mémoire et si rapidement bafouée.
- J’ai réussi à faire pousser quelques-unes de tes graines. Les plants vivotent, pour le moment. Si tu veux ramener quoi que ce soit chez toi, Derek pourra te prêter une charrette.
Le potager que l’ermite s’apprêtait à abandonner était dans un drôle d’état. Les plants en pleine croissance laissaient entrevoir la hâte que l’arbre coupé avait instiguée chez son disciple. Honteux de laisser ces denrées se perdre, Alex voulait encourager leur consommation, alors que certaines n’étaient encore que des fleurs requérant soins et attention. Il oubliait également les liliacées comestibles et les asperges qui referaient surface au printemps suivant.
- Tu pourras passer l’information à Richard, aussi. À qui il voulait, vraiment. Il n’était pas nécessaire qu’une trace des Cormier subsiste, en dehors du logis que son patriarche avait bâti. Alex était loin de se douter que Richard ne serait pas le Turner qui viendrait fouiller dans son jardin d’herbes.
- Je…
Cette fois, c’est la voix du druide qui mourut au fond de sa gorge. Pourquoi, après tout ce temps, avec toute cette énergie dépensée en préparatifs, l’idée d’abandonner ce projet et de rester pour toujours lui venait-elle à l’esprit, claire comme le jour, évidente et tentante comme le fruit interdit? Malgré le rejet dont il se sentait constamment la victime, au sein de cette communauté? La présence de Brian, une fois de plus, semblait suffit à faire vaciller toutes les certitudes du druide.
*:
Canadianisme; c’est des haricots… mais de toute manière en anglais c’est des beans dans les deux cas!
:copyright:Codage by Mr. Chaotik from Never-Utopia
Merci Matrim & Chuck!
Brian O'Conner
Meute & Clan : Clan des Gardiens Âge du personnage : 33 ans
Brumes du futur : Mentaliste Meute & Clan : Aucun Âge du personnage : 42 ans
Humeur : Troublé... Messages : 1229 Réputation : 250 Localisation : Poste de police
Sujet: Re: Quand la vie bascule || feat Alex Lun 22 Juin 2020 - 21:17
Quand la vie bascule
Feat : Alex Cormier
- Je…
Ma voix se meurt, vaincue par la consternation et l’abattement. Fauchée en plein vol, l’expression ne pourrait pas être mieux choisie. Mon espérance choit au sol tel un oiseau mort. J’écoute à moitié ses paroles sur mes graines qu’il a réussi à faire germer, son jardin qu’il m’autorise à piller. Ce ne sont pas quelques légumes que je suis venu chercher, mais une autre richesse que j’avais cru entrapercevoir. Rien dans ses dires ne pouvait me préparer à ce revirement.
- Tu pourras passer l’information à Richard, aussi.
Cette délégation pour annoncer la mauvaise nouvelle donne à son départ la couleur de la fuite. Suis-je le responsable de cela ? Tout ce qu’il a pu me dire avant ne serait que de la pure politesse ? « Je serai toujours là pour t’aider. » Ou des mots sincères prononcés un peu vite et regrettés après un temps de réflexion ? Suis-je si monstrueux à ses yeux ? Qu’y a-t-il dehors pour risquer sa vie ?
- Je…
À son tour de ne pas finir sa phrase. Que tait-il ? Une excuse ? Une explication ? Une accusation ? Je ne comprends pas ce revirement. J’ouvre la bouche pour demander des explications, mais me contente de faire le poisson hors de l’eau. Ne pas savoir est douloureux, mais connaître la raison qui le pousse à s’éloigner pourrait se montrer plus cruelle à entendre. Entre deux maux, je choisis le moins pire, celui de me faire des films au gré de mon humeur.
Je reste figé avec l’espoir que tout ceci n’est qu’un mauvais rêve, que je vais me réveiller dans mon lit en sueur. Mais le réveil salvateur ne vient pas. Mon sang semble refluer vers le sol quand je regarde les soins apportés à la cabane pour un long hivernage.
- Pourquoi ?
(…)
D’explications claires : aucune. Un vague « truc à faire » qui prendra un temps suffisamment long pour ne pas se dire à bientôt. Aurait-il eu des nouvelles de Charlie qui expliqueraient ce brusque revirement ? Je me dis que c’est mieux qu’il parte pour un autre qu’à cause de moi. Je commence à douter de l’embryon de lien que nous avions avant ce merdier. Me suis-je fait des idées sur cette semaine qu’il avait passée à me choyer, alors que j’avais l’épaule en miettes ? N’était-ce pas qu’une simple politesse pour m’avoir entraîné dans cette affaire qui avait failli nous coûter la vie ?
Alex me montre ce qui pourrait m’intéresser à prendre. Je secoue la tête, je ne veux rien de lui. Je ne veux pas qu’il me pense pilleur comme j’ai pu le faire dans les maisons de mes voisins morts. Est-ce comme ça qu’il me voit ? Le profiteur de la moindre occasion ?
J’ai envie de crier, de le secouer, de lui balancer ce vide qu’il a créé au fond de mon ventre. Je me contente de hocher la tête d’un geste circonspect.
- Je vais te laisser à tes préparatifs alors.
J’embrasse du regard la cabane, le potager qui va faner faute de soins appropriés, puis son occupant sur le départ. Je recule d’un pas, puis de deux. Je sens la rupture de barrage au niveau de mes yeux et dans un effort incommensurable pour dégager la boule qui me bloque la gorge, je balbutie quelques mots.
- Fais attention à toi.
Je me retourne et m’en vais sans un regard en arrière. Une centaine de mètres plus loin, je manque de me faire embrocher par son piège dont il m’avait sauvé une fois. J’ai les yeux noyés de détresse.
(…)
Je sus un mois plus tard par Derek Hale qu’Alex était définitivement parti. J’annonçais moi-même la nouvelle à Dick que quatre mois plus tard ne trouvant pas la force d’en parler avant. Cela chagrina mon collègue, mais il avait déjà assez de charges morales sur le dos pour y ajouter le choix de notre ami commun de préférer braver le danger du dehors pour une raison inconnue.
J’ai appliqué les recommandations du druide sur mes graines. Les résultats furent plutôt concluants, si ce n’est que je me fis piller les trois quarts de mes plantations.
La question était difficile. Peut-être la pire à laquelle il ait un jour eu à répondre. Pourtant, il avait déjà, dans une vie précédente aussi lointaine que surréelle, dû expliquer avec autant de détails que possible le fonctionnement du cycle de Krebbs. Le druide s’humecta les lèvres; il déglutit également. Il hésita un court moment, un vrombissement en guise de seule réponse, comme pour se laisser un instant de plus pour trouver une réponse convenable et appropriée. Mais la vérité n’était convenable pour personne et lui semblait désormais fort inappropriée. Alors qu’il se lançait et restait vague, Alex réalisait plus que jamais à quel point la vérité pouvait être cruelle. Elle lui perçait les entrailles de milles aiguilles. Il raconta à Brian qu’il avait des choses à faire, à trouver, et qu’il n’avait pas le choix. Il s’était trop engagé dans cette voie. Il n’osa mentionner la promesse à tenir, ni les gens qu’il risquait de retrouver. Ce n’étaient pas là ses objectifs véritables. Il ne partait pas pour lui-même, mais comment l’expliquer sans heurter les sentiments du mentaliste.
Brian était déjà heurté, manifestement. Alex l’aurait été à moins, il en avait bien conscience, mais les mots lui échappaient alors que déjà son ami lui laissait de l’espace pour préparer son départ et lui souhaitait, à sa manière, bonne chance, en retournant sur ses talons. Le druide eut beau faire quelques pas en sa direction, et désirer que son bras soit assez long pour rattraper celui de Brian, comme sa gorge s’était nouée dans un silence accablant. Il ne savait plus s’il désirait le vilipender d’être revenu, lui dire qu’il n’aurait pas dû, que cela aurait été bien plus simple, bien moins pénible pour chacun d’eux s’il n’avait jamais repointé le bout de son nez dans la cabane et n’avait pas raviver les tisons d’une relation brouillée. Ou si, au contraire, il voulait lui hurler qu’il n’avait pas osé lui demander de l’accompagner, et de partir avec lui, car il craignait de se prendre un refus pour seule réponse. La route lui serait sûrement plus facile s’il était accompagné, mais il était trop tard, maintenant. Ils avaient mal joué leurs cartes et avaient tous deux perdu.
- Je suis désolé, déclara-t-il à un fantôme.
Le druide resta planté là quelques minutes, ravagé, à ne rien comprendre. Comment la situation avait-elle tourné en vin de messe de la sorte? Y avait-il un point précis, un événement particulier à blâmer, qui aurait changé le cours de l’histoire? Lorsque ses jambes flanchèrent à leur tour et qu’il se retrouva sur son postérieur, à larmoyer contre ses genoux, Alex se promit qu’il reviendrait. Il le promit à Brian, mais n’eut pas l’occasion de le lui dire, y ayant pensé trop tard. Encore une fois, on se distançait de lui et le fuyait comme la peste. Au moins, Derek n’aurait pas l’occasion d’abandonner Alex à son tour. Ce serait Alex qui brûlerait ce dernier pont : peut-être que cela faisait moins mal que d’être rejeté?
***
La troisième palissade n’était plus qu’un souvenir à l’horizon, comme de la chair de poule contre le paysage, lorsque Alex, tremblant de craintes, souffla par les naseaux. Cette expédition était suicidaire. Jamais il ne remettrait les pieds à Beacon Hills, et personne ne le retrouverait, au fond d’un bois, ou pire, parmi les centaines de marcheurs régulièrement abattus. Il regrettait déjà sa décision de poursuivre cette quête, mais l’orgueil le portait à avancer, plutôt que de retourner chez lui sous les railleries des gardes, et sauver son jardin. Peut-être également aurait-il arrêté à la maison aux roses pour offrir de véritables excuses… De toute manière, il serait bientôt de retour, pourquoi rebrousser chemin immédiatement?
Dans un coin de son champ de vision, Alex vit quelque chose bouger. Il crut d’abord à un mort-vivant, mais lorsque la silhouette reparut entre les arbres, il aurait juré qu’elle lui était familière.
- Charlie! héla-t-il l’ours-garou, qui prit immédiatement la fuite. Alex tenta de le poursuivre, mais son bagage était trop lourd et encombrant. Je vais te retrouver! hurla-t-il ensuite, sans parvenir à rationaliser qu’il existait plus qu’un homme-ours.
Ainsi débuta son exil.
:copyright:Codage by Mr. Chaotik from Never-Utopia