Les premiers plats leurs sont rapidement apportés et cela pour le plus grand plaisir du policier qui aimerait ne pas s'attarder plus que nécessaire sur le sujet de ces combats illégaux dont il doit bien avouer ne pas savoir grand chose. S'il peine un peu à assurer sa gestuelle avec ses baguettes, ce n'est pas le cas de Mafdet qui maîtrise l'instrument à la perfection. Elle vient lui chiper un peu du contenu de son assiette, vite imitée par le canadien lui même. Ils se contentent alors de déguster ces mets au goût d'ailleurs. Richard savoure cet instant de quiétude, ce moment passé à deux loin de sa vie de père, ou même de policier. Tout comme il l'avait fait la veille en compagnie de ses amis, il profite du moment présent. Dick enchaîne les sourires tout en refusant de songer à ses enfants ou même sa mère qui a su se montrer acariâtre qu'ils vont pourtant devoir retrouver dans quelques heures.

Ils sont plus proches de la fin de leur repas que du début de celui-ci quand un type armé de son bouquet de roses rouges pénètre le restaurant pour imposer aux braves gens venus manger son baratin habituel. Il y a deux types d'escrocs dans la vie : Ceux que l'on peut un jour coller en prison, réprimer pour qu'ils cessent de nuire à autrui. Et les autres. Ceux qui vous gâchent l'existence d'une manière trop subtile pour devenir répréhensible. Le vendeur de roses fait naître de la gêne, entre ceux qui finissent par accepter de payer le prix fort pour une fleur qui sera comme morte dans trente minutes, et ceux qui passent pour des pingres en refusant d'acquérir ce présent fallacieux pour leur dulcinée. Le fleuriste en mousse finit par s'approcher de leur table sans saisir que c'est là une bien mauvaise idée. La promesse crue de Mafdet surprend l'homme qui visiblement ne s'attendait pas à se faire accueillir de cette manière, Richard peine quant à lui à réprimer une expression moqueuse. Il choisit alors de ne rien cacher de son amusement, souriant simplement à l'homme dont les ficelles du commerce fleurissant viennent d'être dévoilées.

De la beauté éphémère, c'est là tout ce que sont ces fleurs. Belles certes mais trompeuses. Nigaud prend la poudre d'escampette, les malheureux qui ont déjà payé pour une rose se contentent d'afficher des mines défaites. Le canadien ravale son hilarité naissante, se tend un peu lorsqu'un pied cajole une de ses chevilles. Sourire resplendissant rivé aux lèvres, il donne alors sa complète approbation pour la suite du plan qui vient d'être évoquée par Mafdet.

-J'ai vu d'autres choses sur la carte que j'ai envie de goûter. C'est quoi du funa ?

[...]

Les voilà arrivés au dessert. Dick savoure une coupe glacée aux parfums typiques de l'Amérique du nord. Il doit éponger le goût de ce poisson fermenté qu'il a fait l'erreur de commander. Pour accompagner leurs desserts on leur a également servit du saké. Dans le fond du verre du policer se dessine une vision des plus... Intéressantes. Tant que l'homme presque pudique qu'il est sent ses joues s'échauffer. Le verre de Mafdet est d'un autre genre, plus perturbant encore. Une activité ludique faisant naître des sous-entendus que la bible n'approuve pas. En soufflant au bon endroit l'engin siffle, ce qui ne laisse que peu de place à l'imagination naturellement débordante des deux adultes.

La brune s'empresse de tester la chose. Avec beaucoup d'entrain ce qui vaut à Richard le droit d'être aspergé d'alcool. Les excuses de sa belle font rire le père de famille. Il sait que l'endroit qui les accueille est un peu guindé, mais les employés du restaurant figés dans un professionnalisme parfait ne prennent pas la peine de noter ce comportement qui ne sonne pas couleur locale et qui est celui du couple. Ce qui n'est pas le cas des gens installés à la table d'à côté. Une dame d'un certain âge affiche et assume son aigreur.

-Un peu de tenue ! On est pas au cirque.
- C'est évident. Au cirque les gens sourient madame.

Richard ne se démonte pas, encouragé par l'expression amusée de sa compagne. L'aigreur sur pattes imite la carpe tandis que son compagnon bien plus jeune qu'elle tente de se faire tout petit. Agacée par la joie de certains de ces congénères, la dame se contente à présent de marmonner dans son verre d'eau tandis que Richard plonge sa cuillère à dessert dans la commande de sa compagne.

[...]

Il se fait tard. En effet le couple a décidé de prolonger cet intermède en allant dans un bar des environs tenu par une connaissance du policier. Moins guindé certes que le restaurant dans lequel sont allés diner, mais bien plus chaleureux. C'est la féline qui cette fois a réglé cette ultime note.

Dans la maison des parents de Richard, seul le ronronnement de la télévision résonne. Dans le salon ils retrouvent Vanessa qui ne prend même pas la peine le lever les yeux vers eux.

-Il est minuit passé. Ton père s'est endormi dans notre lit avec Troy qui voulait un bisou de son papa.

Le reproche est clair, la mère du policier ne prenant pas la peine d'édulcorer ses propos. Dick est certain qu'elle n'attendait que leur retour pour enfin aller rejoindre le confort de son lit. Tout en se promettant de faire un détour pour aller souhaiter une bonne nuit à Joanie qui ne doit pas dormir à cette heure et pour aller embrasser son fils, le policier s'essaie à la douceur mais aussi au sarcasme.

-Bonne nuit maman. Tu aurais pu aller dormir, on aurait su trouver le chemin de notre chambre.
-Je sais bien Richard. Il paraît que tu es un adulte après tout.

Le policier grimace tandis que sa belle ne camoufle rien de son amusement. S'il ne regrette rien de sa fraîche émancipation, il aimerait toutefois ne pas en entendre parler durant toute la durée de leurs congés.  

Le bruissement du cachet d'aspirine qui se dissout dans son verre d'eau est une cacophonie pour les oreilles du canadien qui peine à se montrer d'attaque. Il se peut qu'il ait abusé des bonnes choses la veille. Finir fortement alcoolisé et cela deux soirs d'affilée n'était peut être pas la plus grandiose de ses idées. Au fil du temps Dick était parvenu à oublier les conséquences que peuvent avoir des soirées bien arrosées, et il paie à présent ses abus. Le presque quadragénaire regarde son fils qui dévore, songeant à Mafdet qui dort encore. Il n'a pas eu le cœur de réveiller sa belle, ce qui aurait été une bien mauvaise idée de toute façon. On ne réveille pas un chat qui dort, en tout cas pas si l'on est doté d'un peu d'instinct de survie.  

En parlant de marmotte Joanie est elle aussi absente. Son père ne sait à quelle heure l'adolescente a éteint son téléphone, mais il est certain d'avoir entendu la voix de Tobias Shepherd jusque tard dans la nuit. Hank est parti faire quelques achats pour le repas de midi et ceux qui vont suivre. Une tâche qui lui a été imposée par sa femme. Vanessa a comprit que son fils ne toucherait pas aux repas carnés qu'elle lui proposerait durant ces deux semaines de congés, cela force donc l'assistante dentaire à mettre en place des plans B. Peut habituée à devoir laisser la main à d'autres, la mère de Richard se montre revêche.

-Elle dort encore ?

Dick vide son verre d'eau, grimace lorsque le médicament mal dilué se dépose sur sa langue. De son regard chocolat il fixe sa mère, lèvres pincées durant un bref instant avant de prononcer une phrase qui pourrait sembler anodine pour celui qui ne saurait pas discerner les subtilités de cette mise en garde.

-M'man. Elle te respecte. Fait de même. Mafdet est quelqu'un de bien.
-Je suis encore chez moi.
-Papa l'aime bien. Et moi je l'aime tout court.
-Moi auchi ch'aime bien Machdet. Elle chait raconter des chichtoires.
-Troy Turner on ne parle pas la bouche pleine !

En tout cas pas pour aller contre l'avis de sa grand-mère. Dick passe une main dans les cheveux de son fils avant de s'atteler à la préparation du petit déjeuner qu'il compte bien aller partager avec Mafdet, et cela dans son lit. Encore une règle de cette maison qu'il s'apprête à enfreindre. Il brasse des œufs, dégote un mélange à base de poisson dans le fond d'un placard. Tout en vérifiant la date de péremption inscrite sur le bocal renfermant sa trouvaille, il observe son fils qui achève de vider son verre de jus de fruits. Le gamin ne paraît pas lui en vouloir pour son absence de la veille. Le garçon trouve un plateau rouge vif puis le fait claquer contre la table. C'est en voyant son fils remplir un grand verre de lait que Vanessa se fend d'une moquerie à l'encontre de cette belle-fille qu'elle va devoir apprendre à apprécier.

-Elle n'est pas encore sevrée ?

Richard sourit à sa mère. De trop bonne humeur pour laisser les sarcasmes de cette dernière souiller son allégresse. Si Mafdet est réveillée, elle ne doit rien louper des dires de Vanessa ni de ce que cette dernière doit qualifier comme étant des effronteries de la part de son fils chéri. Troy ajoute une fleur sur le plateau et finalement le policier quitte l'antre de la cuisine. En grimpant les escaliers il croise sa fille qui tient plus du zombie que de l'être humain normalement constitué.

-Il faut dormir la nuit !

La seule réponse que reçoit le policer est un grognement de sa douce progéniture. Visiblement avoir l'audace de parler à sa fille de bon matin fait de lui le pire père de la Terre aux yeux de cette dernière. De la Terre entière et peut être même de l'univers. Sans se départir de son expression béate, Dick pousse la poignée de la porte de sa chambre du coude, puis se fige en voyant sa belle étalée au centre du lit. Les cheveux en bataille et le museau dissimulé par les draps, la professeure se donne des airs de belle au bois dormant. Richard demeure figé sur le seuil de sa chambre, soutenant son plateau d'une seule main et ce quitte à prendre le risque de voir ce dernier se faire vacillant. Le tableau est parfait, enfin presque. C'est avant même que la voix de la féline ne se fasse entendre dans la pièce qu'il devine l'éveil de cette dernière. Le tapis qui fait office de descente de lit a bougé.

-Room-service. J'ai fait le vide dans les placards et j'ai trouvé des choses sympathiques. Mais pas de Royal Minou.

Il a bien mit un sachet de croquettes dans sa valise mais préfère garder cette surprise pour apaiser les tensions en cas de situation de crise. Les offrandes faites à sa Bastet personnelle sont à distiller avec méthode. Richard prend place sur le lit, pousse du coude celle qui occupe encore toute la place ou presque. Le plateau se retrouve callé avec un livre de cuisine ainsi qu'un mauvais polar et quand il semble au policier que rien de bougera plus que nécessaire il se rue sur sa tasse de café noir. Dans sa tête bat encore la sombre mélodie de la migraine, il ne sait combien vont mettre de temps les cachets qu'il a ingéré à agir. Tout en savourant son café qui a commencé à tiédir, il marmonne quelques mots.

-Faut que j'arrête de boire.

Sinon il va finir par voir son appendice nasal grandir de manière disgracieuse et il va gagner un accent anglais par la même occasion. Mafdet sourit, se moque puis s'extasie sur ce qui se révèle être d'assez bonnes rillettes de saumon. Tout en laissant le temps à sa belle d'achever de s'éveiller, le policier sent son regard se perdre dans le vide. Depuis le rez de chaussée leur parvient des sons. Un générique de dessin animé, la voix de l'homme de la maison qui vient de rentrer de sa mission. Richard rote sa caféine puis dépose ses lèvres sur le front de sa belle qui ne cesse d'engloutir. Des coups donnés contre la porte font sursauter le couple. On pousse le panneau de bois et c'est la tête de Hank qui fait son apparition. Tout sourire le jeune retraité annonce.

-Bonjour vous deux ! Fiston, tu manges et tu te douches. Ensuite il faut qu'on cause boulot.

Une fois son annonce faîte, le père de Richard s'en va aussi vite qu'il n'était arrivé. Le cœur du policier s'emballe. Déglutissant avec difficultés, il fixe ses mains. Il n'a jamais prit le temps de parler avec son père des déconvenues qui ont eu lieu à Sacramento. Et cela lui convenait parfaitement. Son paternel qui fut aussi son supérieur hiérarchique durant des années est très attaché à la notion de règlement et au respect de la loi dans son plus simple appareil. Bouche bée, Dick peine à réagir.

-Il va me zigouiller. J'suis une souris morte.

Assuré de pouvoir être secouru par Mafdet en cas de problèmes, le policier ne s'est pas offert le luxe de prendre son temps pour se doucher et se vêtir. Moins de quinze minutes après que son père l'ait invité à venir discuter d'un sujet qu'il devine délicat, voilà Richard qui se pointe dans le garage. Hank attend déjà son fils, bière à la main. La cervelle toujours en proie aux conséquences de ses excès de la veille, Dick refuse celle que lui tend son paternel. Il n'aime pas l'idée de devoir parler boulot avec son père. Conscient d'avoir cumulé les entorses à la loi ces dernières années, le canadien se fait souris timide pour ne pas s'attirer les foudres de celui qui fut un jour son supérieur hiérarchique. Gardant en tête le code à utiliser mentionné quelques minutes plus tôt par Mafdet, Richard se tend lorsque son père lance les hostilités.

-Tu peux berner ta mère, tes gamins, ton nouveau patron et même ta copine si tu veux mais je sais que t'as merdé mon fils. T'as pas quitté Sacramento pour le bonheur d'aller vivre au grand air.

Cette accusation est énoncée sur le ton de l'affirmation. Dick se tasse sur lui même, certain de ne rien pouvoir dire pour assurer sa défense. Son père habituellement souriant et rieur affiche une expression dure. Mafdet sait ce qui s'est passé à Sacramento, même si Richard n'a pas prit la peine de s'épancher sur ses bêtises. Joanie a elle aussi quelques informations en main sur ce point, car il y a quelques jours est venu le moment de dire la vérité pour mieux mentir sur d'autres sujets. Englué dans les conséquences de ses échecs, embourbé dans un tissu de mensonges qu'il profère depuis trop longtemps, le père de famille courbe l'échine pour ne pas avoir à supporter le jugement de celui qui lui fait face.  

-T'as déconné gamin. Et le pire dans tout ça c'est que tu continues. Joanie m'a appelé y a quelques mois. Pour me dire que tu étais sorti furieux. Un de tes "amis" avait été cueillir Troy à la sortie de l'école. Tes conneries te suivent et tu t'entêtes à vouloir jouer le rôle de juge en même temps que celui de flic.

Le ton monte dans cette discussion à sens unique. Tout en sachant qu'il pourrait s'offrir une porte de sortie à tout moment, Dick n'use cependant pas du mot magique. Il peut assumer ses choix seuls, aussi déplorables soient-ils. Même si dans la bouche de son père ses manquements à la prudence semblent plus graves encore. Ayant conscience que sa défense sonnera toujours comme étant trop maigre aux oreilles de celui qui a fait de lui un homme, le policier en congés ne pipe mot. Se contente d'attendre que la foudre et même le ciel lui tombent sur la tête.  Une expression de paix traverse les traits usés par une vie passée du bon côté de la loi de Hank. Mais Richard trop occupé à se chercher un argumentaire viable ne la discerne pas.

Le couperet tombe alors. Imprévisible, presque risible.

-J'ai été faire un tour là bas y a quelques mois.
-Et maman ?
-Elle croit que je suis allé à la pêche avec Marcus. Elle préfère ne pas savoir.

Chez les Turner le mensonge est une vilaine manie qui se transmet de père en fils. Mais il est vrai que Vanessa a toujours préféré ne rien savoir des affaires liées au travail des deux hommes de sa vie. C'est d'ailleurs de cette manière qu'elle définit toutes ces histoires : Des broutilles destinées aux hommes et eux seuls, trop sombres pour qu'une femme puisse vouloir y être mêlée.

-Alors ?

Cette fois Richard s'agace du comportement de son père qui semble tourner autour du pot pour mieux jouer sur l'effet de ce qu'il a à lui annoncer. Bouche tordue par l'impatience, Dick peine à retenir une expression de joie lorsque son père lui affirme qu'il titillait un gros poisson.

-C'est la Camorra. Tu es allé chercher des poux à la Camorra espèce de petit crétin. Petit flic que tu es, t'avais aucune chance. T'es pas plus con qu'un autre et tu sais que c'est pas en restant un grouillot que tu changeras les choses. En tout cas t'es pas plus con qu'un autre flic. Passe des concours, voit pour... Bordel mais qu'est ce que vous fichez là ?

Hank vient de se figer tandis que Mafdet suivie de Vanessa fait son apparition dans le garage où les deux hommes avaient élu domicile. La mère de Richard, plus blême qu'à l'accoutumée gémit qu'elle ne voulait en rien les déranger mais que c'est là Mafdet qui tenait à les rejoindre. Inquiet Dick s'approche de sa mère pour mieux s'enquérir de l'état de cette dernière tandis que son père noie dans sa bière sa colère d'avoir été dérangé en pleine discussion.    

-Maman ? Est-ce que ça va ?

La ménagère tremble. Et c'est par la bouche de Mafdet que se fait entendre la raison de cet état. Un air faussement soucieux collé au visage, celle qui s'est visiblement vengée des mauvais traitements infligés par sa belle-mère joue la carte de l'innocence, poussant même le vice à gratifier le ton de sa voix d'une inquiétude que le policier sait faussée. Il s'approche de sa mère, doucement la serre entre ses bras. Vanessa sanglote, trop perturbée pour parvenir à aligner deux mots sensés. Richard berce sa maman, puis bien vite donne ce fardeau à son père.

-Maman. Tu es sûrement fatiguée. Tu n'aurais peut être pas dû autant veiller cette nuit.

Sans le vouloir, il remue ainsi le couteau dans la plaie en rappelant son absence de la veille à sa mère. C'est le regard de Vanessa rougit par des larmes qui semblent non loin de poindre qui font mettre le doigt à Richard sur cette énième erreur qu'il vient de commettre. Hank coupe court à cet instant de malaise, traînant sa femme hors du garage tout en lui promettant une tisane réconfortante. Lorsque mention est faite du cellier, la maîtresse de maison achève de retenir ses larmes, laissant de lourds sanglots lui échapper.

Dick attend quelques instants. Puis lorsqu'il juge que ses parents doivent être suffisamment éloignés du garage, il pointe la féline du doigt.

-Eh ben bravo ! Elle va se penser dingue maintenant ! Papa va la penser dingue ! La méthode douce tu connais pas ? Tu fais ce coup là aux gamins quand ils sont pas sages en cours ? C'est ma mère, elle est peut être agaçante mais toi aussi tu as un sale caractère !

Mafdet ouvre la bouche, surprise de voir sa souris se mettre dans un pareil état suite à ce qu'elle serait capable de juger être une vengeance innocente. Dick se passe une main sur le visage, se faisant violence pour ne pas hurler sa frustration. Son père et cette discussion qui vient d'être avortée alors qu'elle commençait à se faire instructive, sa mère et sa vilaine manie de se mêler de ce qui ne la regarde pas, les manières de reine de Saba de sa compagne, Jo qui prend ce même chemin. Seul Troy parvient encore à être dans les bonnes grâces de son père, et cette porte de sortie est celle que le policier décide de prendre.

La souris rebelle ouvre la bouche tout en inspirant profondément.

-Vous me faites chier. Je prend Troy et on va au parc lui et moi. Démerdez-vous avec ma mère.

C'est sans se retourner et sans se laisser le temps de regretter son coup de colère que le policier quitte le garage pour rejoindre la maison sans même se soucier d'abandonner Mafdet seule face aux conséquences de cette vengeance malsaine dont elle a été l'instigatrice.

-TROY ! Prend ta veste on va se promener !

Hank braille sur son fils, Vanessa pleure en comprenant que sa progéniture habituellement dévouée à ses désirs met les voiles pour éviter ce qui se trame dans cette maison remplie de dégénérés. Richard n'a pas le temps de s'impatienter, son garçon pressant le pas pour le rejoindre sans jamais oser croiser son regard. Le gamin a au moins cette bonne habitude, celle de savoir décrypter les humeurs de son père. Si le flic est normalement rieur et patient, aujourd'hui ses nerfs sont à fleur de peau et il se sait incapable de tolérer plus longtemps la présence de ses proches. La porte claque tandis que père et fils se dirigent vers le parc. Dick marche doucement, voulant faire durer cette fugue aussi longtemps que possible. Il serre les dents puis se pose sur un banc installé à l'angle d'une rue. Il tend le bras pour attirer son garçon à lui. Futé Troy garde le silence pour ne pas attirer sur lui les foudres paternelles.

D'une main tremblante le policier sort son téléphone, cherche dans son répertoire celui ou celle qui pourra l'aider et cela sans le juger. Willem est la première personne à laquelle le canadien songe, puis bien vite cette idée s'efface. Son alpha ne va pas bien ces derniers temps, il ne veut ajouter plus de troubles dans la vie de son ami. Alex et Brian doivent être ensembles à cette heure et se noyer dans la guimauve qui décrit à la perfection tout début de relation intime entre deux adultes consentants.

Puis l'idée éclot dans l'esprit fatigué du policier. Un de ces coups de génie qui pourrait sembler foireux. Mais il n'a rien à perdre dans toute cette affaire. L'index du canadien écrase un nom. À la troisième sonnerie une voix lasse se fait entendre.

-Dickey je suis au boulot.
-Désolé... J'ai Troy avec moi.
-Bonjour madame !

Troy se tortille, ne saisissant rien de l'identité véritable de cette personne qu'il vient de saluer en usant d'une voix enjouée. Gloria répond un timide "Bonjour" après un trop long silence, Richard se contente de soupirer. Son ex-femme ne perd pas de temps à comprendre où se situe le problème.

-Ta mère a grogné sur ta nana ou bien c'est le contraire ?

[...]

Les conseils de Gloria ont été plus précieux que Richard n'aurait su l'espérer. La prothésiste ongulaire n'a jamais beaucoup aimé Vanessa et même si le policier a fait l'impasse sur cette histoire de panthère cachée dans le cellier, il a su sans mal évoquer cette mauvaise entente qui règne entre deux des trois femmes de sa vie. En parlant de panthère, voilà qu'un chat bien connu du canadien débarque. Se collant entre ses jambes, Mafdet ronronne. Troy reconnaît la boule de poils qui suit régulièrement son père.

Dick grogne quelques mots douteux sur les chats, leurs vilaines manies et celles des femmes en général.

-Les minettes t'embobinent avec des ronrons et des sourires. Comme les bonnes femmes. Troy, reste célibataire.

Mafdet s'échappe pour ne pas se faire attraper par la queue.

[...]

Troy tourne sur la toupie en poussant de grands cris. Il y a des moments où le policer se demande si son gamin va bien, sur le plan purement psychologique tout du moins. Puis Richard se remémore sa propre enfance et se souvient alors qu'être turbulent est le propre de n'importe quel enfant en bonne santé. Dick sourit à son petit bonhomme, son expression de bonheur toutefois faussée par les derniers tracas en date. Il redoute déjà le moment où il devra revenir chez ses parents.

Il la voit arriver avant même qu'elle ne quémande le droit de poser ses fesses sur le banc. Les mains encombrées par du sucre sa belle emmerdeuse le regarde. Visiblement peu habituée à s'excuser. Dick soupire, tapote le banc du plat de la main.

-Bien sûr que tu peux.

Sans croiser le regard de sa compagne, le canadien prend toutefois une des barbes-à-papa que lui tend cette dernière. L'appel du sucre fonctionne aussi sur Troy qui ne tarde à pointer le bout de son nez. Le petit remercie Mafdet avant de retourner sur sa toupie, le visage déjà couvert de sucre rose et pelucheux. Sans le savoir le gamin joue la meilleure des cartes qu'il puisse avoir en main en cet instant. Celle de la discrétion. Sa nouvelle casquette bien enfoncée sur la tête il profite de ce bol d'air pollué que lui offre la ville. Le canadien demeure silencieux, les confiseries apportées par Mafdet lui permettant d'avoir une bonne excuse pour ne pas avoir à prononcer le moindre mot. À défaut de se montrer loquace, le policer fait preuve d'une politesse exemplaire en ne parlant pas la bouche pleine. C'est lorsque la féline s'apprête à couper ce bienveillant silence qu'il réagit enfin.

-Rien de ce que tu pourras dire ne m'aidera à me calmer plus vite.

La messe est dite et le sermon est on ne peut plus déplaisant. Richard déglutit longuement. Lèche ses doigts poisseux de sucre.

-J'ai appelé Gloria. Elle sera pas là pour Capilano car son copain travaille ce jour là. Elle doit donc garder leur petit. Elle propose une bouffe dans un resto sympa vendredi soir.

Appeler son ex-femme, l'avouer sans filtre à Mafdet... Si Richard enchaîne les maladresses on ne pourra cependant pas l'accuser de jouer le jeu de la dissimulation. C'est à peine sarcastique qu'il prononce un des rares conseils dont lui a fait don la rousse.

-Selon elle maman est bonne à interner. Elle l'aimait pas beaucoup non plus et à cette époque je laissais faire. J'ai pas l'impression d'agir de cette manière depuis hier. Tu aurais pu te venger d'une autre manière. Tu es brillante, je suis certain que tu aurais trouvé comment faire. Je suis venu ici pour me reposer, pas pour jouer au flic entre vous deux. Will m'avait dit de te mettre de l'herbe à chat sous le nez pour éviter tout problèmes.

Les deux adultes échangent des sourires timides. Richard soupire, murmure alors que déjà Troy revient vers eux après avoir aperçu un carrousel un peu plus loin.

-Papa cachait plein de trucs à maman. Il continue. Il est allé voir à Sacramento, ce serait la Camorra qui pose problème là bas. Je pense y jeter un œil quand je devrais aller là bas.

Cet aveu est presque inaudible car déjà voilà Troy qui grimpe sur les genoux de son père.

-Papa ! J'ai le droit au manège ? Tu as dit que j'étais drôlement sage à la dame du téléphone.
-Oui mais s'il y a une licorne c'est moi qui grimpe dessus.

Dick devine qu'il a dit une sottise lorsqu'il voit sa belle se lever puis tapoter la poche arrière de son jean. Une intuition qui devient une certitude avant même d'avoir eu l'occasion de se transformer en doute. Bouche bée et gamin lové contre lui, le père de famille fait travailler sa cervelle. Cherchant comment retenir sa compagne et ce sans se mettre à rugir. La colère et l'agacement ne mènent à rien mais il semblerait que les deux amants ne soient pas sur la même longueur d'ondes. Si Vanessa est loin de se montrer sous son meilleur jour, cela ne justifie toujours pas au regard du fils de cette dernière cette petite blague de mauvais goût dont Mafdet s'est faite instigatrice.  

-Tu te fiches de moi ? On est un couple. Normalement les solutions se trouvent à deux et c'est ainsi qu'on évite les débordements comme celui qui a eu lieu ce matin !

Le policier tourne autour du pot. Certain de ne pas pouvoir aller droit au but alors que près d'ici traînent les oreilles innocentes de son fils. Troy toujours aussi étrangement calme se colle contre le torse de son père. Le petit marmonne et quémande des explications que Richard ne saurait comment lui offrir. S'il est évident que bientôt Joanie devra savoir pour le surnaturel le policier compte cependant protéger l'innocence de son petit garçon tant qu'il le pourra. Neuf ans c'est bien trop jeune pour apprendre que les loups garous existent autre part que dans les livres et les dessins animés. Dick décide finalement de se lever, soulevant son fils comme s'il n'était qu'un simple fétu de paille. Mafdet est déjà en train de presser le pas pour rejoindre un taxi.

-Elle va où Mafdet ?

Richard serre les dents pour ne rien dire d'inconvenant. Sans son fils avec lui nul doute qu'il aurait prit la décision de suivre la brune, de courir après elle pour lui faire rebrousser chemin. Elle est pourtant celle qui a mentionné le besoin d'équilibre dans leur couple quelques mois plus tôt, mais visiblement ces mots pleins de bon sens prennent leur envol à la moindre dispute.

-Papa ?

Dick se force à réagir alors que le ton de voix dont use son fils se fait plus inquiet qu'il ne l'était déjà. Le policier s'ébroue pour mieux encaisser le départ de sa compagne puis observe son petit garçon avant de marmonner.

-Elle va...J'en sais rien. Mais Nessa n'a pas été gentille et je crois que j'aurais dû réagir plus vite.

[...]

C'est avec le cœur lourd et le portefeuille allégé d'une dizaine de dollars que le policier revient vers la maison de ses parents. Il n'a pas grandit entre ces murs et peine donc à concevoir ce lieu comment étant sa demeure. Sa source, celle dont il puise ses origines, se trouve un peu plus loin. À peine quelques rues à traverser et se dévoile un décor bien différent de celui qui s'impose à son regard dépité. Il faut dire que cette maison qu'ont acheté ses parents est plus grande que l'appartement que ces derniers ont longtemps occupé. Leur nouveau quartier peut paraître plus sécurisé mais ce n'est là que de la poudre aux yeux. Un cache misère. Le vice est toujours le même et ces rues accueillent elles aussi leur lot de prostitution et de trafic de drogues. Troy presse le pas pour s'éloigner le plus vite possible de son père maussade depuis ce début de matinée.

Tout avait si bien commencé. Un calme qui ne présageait en rien l'ampleur de la tempête qui s'apprêtait à leur tomber dessus. Richard franchit à son tour le seuil de la demeure de ses parents, se déchausse avant de lever les yeux au ciel quand sa mère affublée d'un tablier de cuisine bariolé vient à sa rencontre.  

-Et bien ce n'est pas trop tôt ! On allait passer à table. J'aurais pu t'appeler mais il paraît que je dérange quand je le fais.
-Maman...
-Je ne peux plus rien faire dans cette maison de toute façon. À croire que je ne suis plus chez moi depuis qu'elle est là.

Richard passe près de sa mère sans chercher à ajouter quelque chose. La fuite pour ne pas hurler sa fureur au visage de celle qui l'a élevé dans un cocon de bienveillance. C'est sans compter sur la présence de son père qui s'ajoute immédiatement à cette équation dont le résultat ne peut que déplaire à celui dont les mathématiques n'ont jamais été la matière favorite. Nessa s'étonne de l'absence de sa belle fille tandis que Hank commence à réprimander son fils.

-Tu l'as perdu en chemin ?
-C'est à cause de toi maman ! Tout ça par ce que je suis incapable de cesser de prendre ta défense.
-C'est vrai qu'hier soir tu as su te montrer charmant avec ta mère !
-J'aurais aimé que ma colère fasse un effet. Ta femme prend un malin plaisir à faire fuir les miennes !

Il tait sa propre culpabilité dans cette affaire, ses parents n'ont pas à savoir que la dernière discussion que Dick a entretenu avec Mafdet n'a rien arrangé à cette situation qui ne cesse d'empirer au fil des minutes qui s'écoulent dans cette maison de fous. Dick se passe une main sur le visage tandis que son père vient de faire claquer la porte d'entrée de la maison, signant là une évidence de plus : Si Nessa ne prend pas de gants pour montrer à sa bru qu'elle ne veut pas d'elle chez elle, Hank se montre bien plus perfide. La vue de ce sourire qui effleure le faciès de l'ancien policier suffit à briser les derniers barrages qui retenaient la colère de Richard. C'est plus furieux qu'ébahi que Dick fixe son père en le pointant du doigt.

-En fait t'es pas mieux que maman !
-Dickey si elle est partie c'est que visiblement ce n'était pas la bonne. Il vaux mieux que ça arrive aujourd'hui qu'après un mariage et deux gamins de plus.

Non loin d'afficher sa détresse sans filtre devant ses parents, Richard se contente de reculer tout en saisissant l'ampleur de cette imposture. Un tableau des plus clairs s'offre à son regard soudainement brouillé par la douleur. Sa mère a à présent les yeux rivés vers le sol, peut être y cherche t-elle une forme de rédemption ? Hank quant à lui conserve une posture étrangement fière que son fils ne lui a connu que dans le cadre du travail. Les rôles viennent de brusquement s'inverser, celui qui paraît être un homme gentil et sympathique a joué son rôle à la perfection depuis la veille. Faisant passer sa prise de position pour un simple soutien offert à son épouse.

-Vous... Vous êtes cinglés. Je ne sais pas pourquoi vous avez fait ça, je ne suis même pas certain de vouloir le savoir. Je suis adulte ! C'est à moi de choisir comment mener ma vie.
-Cette femme n'est pas faite pour toi et elle ne fait que le prouver depuis qu'elle est arrivée chez nous. Regarde ce qui s'est passé ce matin bon sang ! On s'est simplement dit que ce serait agréable que tu reviennes à la maison. Nous voulons simplement que tu sois heureux et ce ne sera pas avec cette femme gamin.
-C'est hors de question !

Richard grimpe les marches qui mènent aux chambres. Il ouvre une porte pour trouver son fiston avachit en travers d'un lit qui n'est pas le sien. Le gamin affiche une mine triste, jouant sans y prêter attention avec sa casquette neuve. Dick se love contre son fils, soupire avant de murmurer.

-Je suis désolé.
-Mafdet l'a dit tout à l'heure et ça t'as pas rendu plus gentil... Est-ce que Nessa aussi est désolée ?
-J'crois pas...

Dick dégaine son portable, cherche dans son répertoire un numéro qu'il n'a pas contacté depuis plusieurs années. Il pourrait appeler sa belle, s'excuser, s'expliquer pour finalement tenter de raisonner mais cela ne servirait sans doute à rien. Il se doit d'assumer les erreurs de jugement de ses parents et trouver lui même la solution pour permettre que ces vacances se déroulent paisiblement.

Il pianote alors un bref message.

"Salut c'est Turner. Tu as toujours un appart en ville ?"

Nul besoin d'user de mots édulcorés pour contacter celui qui fut la brute de l'ancien lycée du policier. Tout ce dont il se souvient c'est que les parents de son ami étaient aisés sur le plan financier. Callum avait fini par atterrir dans le pire lycée de la ville après avoir été à de nombreuses reprises expulsé de ses précédents établissements scolaires.

Sur l'écran du cellulaire du policier trois petits points dansent, preuve que son ancien ami est déjà en train de lui répondre.

"Salut le flic. Même 2 vu que mes vieux ont quitté la ville. Pkoi ?"

Le policier envoie un bref message à son ami, puis finalement se décide à redonner un signe de vie à la féline.

"Je suis désolé. D'être aussi con et pour le reste aussi. Je t'aime"

L'attente se fait bien vite insoutenable. Aux aguets le policier fixe son portable. La culpabilité le dévore de l'intérieur, il a refusé les excuses de Mafdet en bloc et ne s'est pas donné la peine de lui courir après lorsque la féline a opté pour la fuite. À chacune des vibrations émises par son cellulaire Dick ne peut s'empêcher de sursauter pour mieux espérer par la suite. Tout cela pour rien. Envoyer un nouveau message serait une chose tentante mais il devine sans trop de mal que sa belle a besoin de temps. Du temps qu'il se doit de lui accorder. Un message de Callum arrive et avec lui une proposition qui suffit à ravir le canadien durant un bref instant. Son ancien camarade de classe n'a pas cherché à en savoir plus et lui accorde sans se perdre en négociations le logis pour les deux semaines à venir. La petite frappe devenue coach sportif lui cède les clefs de l'ancien appartement de ses parents. Le poids qui pesait encore sur les épaules du policier s'allège. La prochaine bonne nouvelle qui pourrait lui permettre d'accrocher un nouveau sourire sur ses lèvres serait un message de Mafdet.

Richard soupire, ignorant avec superbe les cris de sa mère qui indique en usant d'une voix criarde à toute la maisonnée que l'heure de passer à table est arrivée. Troy grogne et se colle contre son père. L'enfant est bien trop jeune pour qu'il soit utile de lui expliquer que tout ces drames ne sont que les conséquences des actes d'adultes manipulateurs et pas assez matures pour exprimer clairement le fond de leur pensée. Fourrant son nez dans le cou de son fils, faisant glisser son souffle chaud contre l'oreille de son garçon Richard marmonne un ordre sans parvenir à égailler le ton de sa voix.

-Allez file manger.

Ebahi Troy fixe son père. L'homme qui lui demande obéissance au quotidien est en train de tenir tête à ses propres parents. Donnant ainsi un exemple que le petit garçon peut difficilement juger comme étant le bon.

-File. Après on va aller dans un autre endroit. Ce serait pas vraiment des vacances si on restait ici avec tes grands parents.

Le joueur de pipeau reprend son spectacle pour un nouveau morceau qu'il ne joue pas en solo cette fois. Hank était bien plus cachottier que son fils ne peut l'être par le passé. Pire encore, c'est sans sembler avoir de soucis avec sa conscience que le retraité continue à mentir à son épouse. Si Richard aime lui aussi fourrer son nez dans des affaires qui ne le concernent pas, il juge toutefois important d'avouer ses péchés à sa compagne. Nessa hurle une fois de plus. Impatiente et visiblement inconsciente du poids des actes qui ont été les siens. Troy descend, Dick ne loupe rien des exclamations de son père qui se font entendre à travers toute la maison. Si l'homme a su être un héros aux yeux de Richard durant des années, il vient de perdre tout crédit auprès de ce fils qui se demande si tout ce temps passé à aduler son paternel n'était pas rien de plus qu'un beau gâchis. Serrant les dents pour ne pas pleurer sa fureur et son désarroi, le canadien donne un coup rageur dans le matelas lorsque son portable vibre une fois de plus.

Sans trop y croire, il déverrouille son écran. Son sourire revient lorsque le message et son expéditrice apparaissent.

" too. J’ai trouvé un hôtel sur la 7th avenue. Possible en couple avec ou sans enfants. Pas encore réservé."

Il répond dans la foulée avant de se ruer sur les bagages qu'ils n'ont pas eu le temps de défaire totalement.

"J'ai trouvé un appartement. Réservé. On te rejoint près de l'hôtel dans deux heures max."

[...]

Sa mère pleure. Hank quant à lui garde le silence, se contentant de serrer les dents tout en dardant son fils d'un regard assassin. Devant cette maison que le canadien ne peut se résoudre à considérer comme étant la sienne vient d'arriver le taxi qui va mener Richard et ses enfants à l'hôtel devant lequel Mafdet et lui ont prévu de se retrouver. Joanie ne dit plus rien, trop troublée de voir son père prendre les choses en main de cette manière pour savoir encore commencer prononcer un mot. C'est une bonne chose car Dick n'est pas d'humeur à tolérer les sarcasmes de sa progéniture qui tente de se montrer douce en cet instant. Troy câline sa grand mère. Il faut dire que Richard n'a pas jugé utile de trouver des arguments pour annoncer son départ à ses parents, des gens qu'il pensait à tord bons et qui aujourd'hui ont su dévoiler une facette qui ferait passer des types comme Amaro et son acolyte Rapier pour des enfants de cœur.

Lorsque sa mère vient se lover contre lui, Dick peine à retenir une évidence. Un mesquin "Vous l'avez bien cherché". Dans le regard chocolat de sa mère si semblable au sien il voit le regret qui bientôt laissera place à la résignation.

-Je... Ce n'était pas contre toi.
-Bien sûr que si. En lui faisant du mal tu m'en as fait à moi. Au revoir maman.

Sans un mot pour son père Richard retrouve ses enfants déjà installés dans le taxi. Il s'interdit alors les remords et les tristes songes. Il sait ou plutôt il espère que dans quelques mois si ce n'est dans quelques jours ses parents auront su retrouver leur jugeote. La voiture démarre. Dick pianote sur son portable.

"On arrive"

Mafdet les rejoint au lieu qu'elle leur avait indiqué. La féline se glisse sur la banquette arrière, calée entre Troy et la portière. S'ensuit alors la joie des retrouvailles, un instant de bonheur que le policier se contente de vivre en demie teinte de son côté. Il profite d'être seul à l'avant avec le chauffeur pour mieux dissimuler les restes de sa colère. Il ne peut s'empêcher de songer à ce début de journée lourd en émotions et en révélations. Dans son esprit s'impose une image qu'il ne parvient pas à ignorer. Son père et le sourire suffisant que ce dernier a affiché en avouant ses péchés. Les femmes se voient déjà revenir au salon de massage, Richard se retourne brièvement pour mieux mirer ce tableau que lui offrent les siens. Silencieux il les observe. Mafdet secoue la tête pour l'intimer à demeurer muet. Dick affiche une parodie de sourire pour tenter de rassurer celle qui l'aime et qui aujourd'hui lui donne un courage dont il n'aurait pas cru pouvoir faire preuve un jour. S'il est un homme qui sait affirmer et assumer ses convictions, se dresser contre ses parents est une épreuve qu'il aurait aimé ne jamais avoir à traverser.  

Richard frémit tandis que des doigts viennent titiller sa nuque puis soupire lourdement lorsque Troy brise la grâce de ce moment avec ses gros sabots. Le policier grogne pour la forme quand on lui rappelle à voix haute ce lien étrange qu'il entretient avec sa mère en temps normal. Un grand gamin de presque quarante ans qui n'a jamais su couper le cordon qui le relie à celle qui l'a mit au monde. Le canadien renoue immédiatement avec sa moue refrognée, fixant la route. Il ne rêve que de calme et de silence. Un souhait idyllique et visiblement incompatible avec les tempéraments des trois rigolos qui l'accompagnent.

[...]

L'appartement de Callum est simple et fonctionnel. Troy ne parvient pas à comprendre qu'elle est cette raison qui les a fait quitter la demeure de ses grands-parents. L'enfant a beau avoir été témoin de disputes, il y a des choses qui ne doivent rester que des histoires d'adultes. En conservant le silence et à grand renfort de câlins le canadien tente de rassurer son garçon. En vain. Joanie est plus facile à gérer, enfin disons plutôt qu'à son âge elle sait qu'il est parfois préférable de faire profil bas. La rouquine se contente d'exprimer sa joie en constatant que dans cet appartement elle n'aura pas à partager une chambre avec son petit frère.

La famille quitte l'appartement et se balade à travers la ville. Le quartier n'est pas celui que le policier connaît le plus, il a presque l'impression d'être un touriste dans la ville qui l'a vu naître. Ils décident de s'arrêter dans un grand parc, celui de Charleston. Troy trop silencieux pour son bien boude la possibilité d'aller se délier les jambes en courant avec d'autres gamins. Assise sur un banc, cette famille liée par le cœur à défaut de l'être entièrement par le sang observe cette vie qui défile inlassablement. Joanie parle avec son petit ami sur une application de messages, Troy tente de se fondre et ainsi fusionner avec son père. Un repère aussi stable que possible dans cette débâcle. Mafdet baille comme une bienheureuse. Richard lui sourit. Profondément heureux.

Sa vie n'a jamais été parfaite. Et c'est une bonne chose car cette perfection que personne ne peut atteindre semble être sacrément ennuyante. Donc non, sa vie n'est pas parfaite et aujourd'hui il a prit une décision qui lui aurait paru comme étant folle la veille, mais il se fera à cette idée avec le temps. Ses parents ne lui veulent pas que du bien. Prendre une certaine distance avec eux était donc un choix qui s'imposait. Richard soupire son aise. Tend une main au dessus des cuisses de troy pour saisir une de celles qui appartiennent à sa belle.

-Je vous aime.
-Moi aussi papa !

Joanie crachote son dédain, Mafdet sourit à son homme.

-Elles vont être chouette ces vacances.

[...]

Jour 4.

Il a fallu que Richard arrache des mains de sa fille le cadeau qui lui a été fait par Brian et Alex. La furie rousse avait été fouiller dans la valise de son père pour dégoter ce qu'elle pensait être son précieux. Le policier peu prêteur a su se battre pour ne pas avoir à partager son tapis balneo pour baignoire. À présent lui fait face une adolescente colérique qui le fixe comme s'il était un démon.

-Un père sympa partagerait.
-Une fille gentille garderait sa virginité jusqu'au jour de son mariage. On n'a pas toujours ce qu'on veut dans la vie.

Joanie rougit furieusement avant de quitter la pièce pour retourner se cacher dans sa chambre. Mafdet perd du temps dans la salle de bain pour se faire belle alors qu'elle n'a pas besoin de se tartiner le visage pour être resplendissante aux yeux du canadien. Ne reste alors que Troy qui dévore tartine sur tartine. Le petit ouvre une bouche pleines de miettes.

-T'avais dit qu'on irait à la patinoire.
-Oui je me souviens avoir dit un truc dans ce genre là.
-On y va aujourd'hui ?

Richard sourit à son fils, sa digne progéniture. En voilà enfin un dans cette famille qui partage quelques centres d'intérêts avec lui. Dick vide son bol de café avant de se lever pour cogner à la porte de salle de bain.

-Dépêche-toi là dedans !

[...]

Les femmes tirent la tronche tandis que les représentants de la gente masculine achèvent de nouer leurs patins. Après une dernière vérification, Richard se lève et se dirige avec la grâce d'une danseuse vers la sortie des vestiaires. Il est évident que venir dans cet endroit n'était pas dans les projets de ces dames. Mafdet grogne à propos du froid et Joanie se morfond au sujet de cet éloignement forcé avec son téléphone portable que son père est en train de lui imposer. De mauvaise grâce elles finissent par suivre le mouvement.

Troy file sur la glace, agile dans cet élément qui n'est pourtant pas le sien. Dick rejoint sa progéniture et éblouit les spectatrices grâce à un simple axel parfaitement maitrisé. Cet exploit fait son petit effet. Richard rejoint sa belle, lui tend la main pour l'inviter à le rejoindre.

-Le hockey n'est pas juste un sport de brutes. Allez vient.

Mafdet manque d'aisance sur la glace ce qui ne surprend guère le canadien. La féline tente toutefois de mettre les conseils que lui offre Richard à l'épreuve. Même si elle frôle la chute à plusieurs reprises, elle parvient tout de même à esquisser quelques gestes. À deux, main dans la main ils font le tour de la patinoire sans se lasser tandis que Troy joue les malins au centre de celle-ci. Joanie ne décolère pas, restant quant à elle accrochée aux rambardes. Pourtant le policer sait bien que sa fille a les capacités pour patiner si elle parvenait à mettre un peu de bonne volonté pour se prêter à cet exercice simple qu'il impose aux siens depuis des années. Imperméable aux sourires de jeunes demoiselles à peine plus âgées que sa fille, Dick peine à intérioriser sa joie lorsque Mafdet annonce être en proie à un besoin tout aussi naturel que pressant. Il la guide jusqu'à la sortie de la patinoire, la laisse rejoindre Joanie qui a depuis belle lurette rejoint le confort tout relatif des gradins.

Richard se retourne, cherchant alors le seul soutien qui lui reste dans les parages. Son fiston est en train de faire le beau des glaces devant une môme qui doit partager son âge. Souriant le père de famille s'approche de sa progéniture pour freiner brusquement en arrivant à son niveau. Troy lève les yeux vers lui, ébahi et heureux de ce moment passé hors de l'appartement de l'ami de son unique parent. Ces vacances ont débuté sous de mauvais auspices mais parviennent à s'arranger au fil des jours qui s'écoulent. Dans un peu plus d'une semaine il leur faudra reprendre l'avion et retrouver une vie quotidienne dans laquelle le policier est malheureusement trop absent. Avec le soleil de la Californie reviendront aussi les factures à régler, cette histoire de stage de maîtrise de la colère à faire à Sacramento. Si Dick a hâte de revoir son ami Will et la famille de ce dernier il aimerait que ses problèmes deviennent poussière et puissent sombrer dans l'oubli à tout jamais. Remettre les pieds dans cette ville infernale est un crève-cœur pour celui qui a mit les voiles en sachant qu'il avait failli à sa mission.

En cet instant, il fait de son mieux pour tout oublier. Nier être un adulte, redevenir aussi insouciant que son fils puisse l'être. Richard se saisit de la main de son petit garçon puis file sur la glace avec ce dernier. Les femmes n'ont pas remontré leurs jolis minois, visiblement bienheureuse d'avoir pu échapper à ce qu'elles doivent voir comme une corvée. Si elles ne rêvent que de massages et de jolies balades, le policier a quant à lui besoin d'évasion. Dick se fige tandis que la musique d'ambiance s'efface pour être remplacée par une voix si joyeuse qu'elle donne un entrain nouveau au cœur déjà vibrant de plaisir du policier.

Les mots qui résonnent dans la patinoire font s'éveiller des étincelles pleines de joie de vivre dans le regard chocolat de l'homme de loi. Richard pousse son garçon avec tendresse pour lui faire comprendre que le moment de presser le pas est venu.

-On a bien choisit notre jour ! On est des champions et on va voir des super-champions.

Il ne faut que peu de temps au duo pour rejoindre les femmes dans les gradins. L'apparition de Bo Horvat mène père et fils sur la voie de l'hystérie. Du coin de l'œil Richard trouve une pièce manquante dans ce puzzle qui lui semblait alors être idyllique, son expression de bonheur pur se fane légèrement. Dick alpague sa fille en constatant l'absence de sa compagne.

-Où est Maf ?
-Pa ! Maf’ va disputer le match !
-Non ! Elle ne sait même pas patiner seule.
-Voilà ! Je lui ai aussi dit que c'était complètement fou comme idée. Mais elle ne m'a pas écouté. Il paraît qu'elle a des envies de meurtres.

Richard ouvre la bouche, prêt à incendier sa fille qui n'avait pas jugé bon de le mettre au courant de cette petite farce que lui a préparé Mafdet. Pourtant il se ravise bien vite en saisissant que Joanie craint que celle en qui elle voit plus une amie qu'une simple belle mère ne soit blessée à l'issue de ce match. La raison de la terreur du canadien est tout autre. Il craint pour l'intégrité physique des autres joueurs amateurs, de ces pauvres Canucks qui ne savent pas dans quoi ils viennent de s'engager. Mine pincée, le père de famille dirige son regard dépité vers la patinoire. Le début de la rencontre vient de sonner.

[...]

Une catastrophe suivie d'une victoire pour l'équipe de Mafdet. Rien de surprenant là dedans, même si Richard n'a pu s'empêcher de grimacer lorsque sa belle se propulsait avec certains de ses compagnons de débâcle contre les rambardes de protection. Pourtant peu agile sur cet élément qui n'est pas le sien, la féline a su user d'un avantage qu'elle était la seule à avoir. La force. Brute. Douloureuse également pour les autres malheureux qui étaient sur la glace. Mafdet a foncé dans le tas sans toujours prêter attention aux équipes de ses partenaires. Il se peut que quelques hématomes ornent à présent les corps de ceux qui auront eu le malheur de se trouver sur le chemin de la furie brune. Dick affiche un sourire de circonstance, savourant malgré tout cet instant que lui offre cette drôle de coïncidence. Il peut rencontrer des hommes qui sont ses héros, une équipe dont il suit toujours les exploits même s'il a quitté le territoire canadien depuis déjà plusieurs années.

Un simple match rediffusé sur sa télévision accompagné d'une bière suffisent à adoucir ce mal du pays dont souffre parfois le père de famille. Un baiser déposé sur la joue de Richard suffit à réduire à néant les derniers bastions de sa colère. Il observe cette femme qu'il sait capable de tout. Le pire comme le meilleur. Il sourit, use de sarcasme hésitant pour affirmer son désaccord suite à ce qui vient de se passer.

-Tu as abimé mes hockeyeurs. Je te prive de patinoire pour les 10 ans à venir.

Cette punition semble ravir celle qui vient d'en écoper. Dick manque d'éclater de rire lorsque Nathan conseille à Mafdet de rejoindre une équipe féminine. Certes la professeure de chimie sait charger mais il lui manque toutes les autres notions. Comme celles qui impliquent de savoir patiner sur une longueur de plus de trois mètres sans manquer d'aller biser la glace avec son postérieur. Troy ne perd pas de temps avant de venir à leur rencontre, une sucette dans la bouche et trois autres dans une main. Cet enfant parfois hyperactif est également accro au sucre. Il se pourrait que ces deux points soient liés.

-Maf' ! T'es super forte, je vais raconter ça à tout mes copains ! Et aussi à oncle Will.

Dick ne peut s'empêcher de grimacer en songeant à Willem. Pourtant il est certain que son ami malgré les terribles épreuves qu'il vient de vivre saura forcer l'apparition de l'ébauche d'un sourire sur ses lèvres pour le bonheur de celui qu'il considère comme son neveu.

[...]

Troy a été intenable et il fut ardu de pousser le petit garçon sur la voie du sommeil. Sur la table résident des restes de leur dernier repas, un mexicain qu'ils ont commandé en rentrant de la patinoire. Cette soirée était celle durant laquelle Joanie devait préparer le repas et la jeune fille a choisit l'option de la facilité. Ce n'est donc pas ce soir qu'ils auront à appeler le centre anti-poison.

Richard se lève du canapé pour se diriger vers le couloir qui mène aux chambres. Il ouvre une porte pour rencontrer la mine épanouie de sa fille. Casque sur les oreilles, la demoiselle parle doucement, de crainte d'être entendue par des oreilles indiscrètes. Jo lève les yeux au ciel en voyant la mine moqueuse de son père. Un coussin vole et s'écrase sur une porte refermée juste avant que le prévisible ne puisse se produire.

Dans la chambre suivante, un petit bonhomme ronfle. Pouce enfoncé dans la bouche et dinosaure en peluche serré contre lui, Troy dort du sommeil des justes... À moins que ce ne soit celui des petits garçons qui ont vécu une journée trop riche en émotions fortes. Exceptionnellement Richard a permit à son fils de troquer son haut de pyjama contre le maillot des Canucks que Mafdet a remporté suite à sa participation pendant l'affrontement qui a eu lieu dans l'après-midi. Sans faire de bruit Dick referme la porte. Puis se dirige vers la dernière chambre. Celle qu'il partage avec sa belle.

[...]

-Mademoiselle ? Votre dos ne serait-il pas endolori suite à vos exploits plus discutables que sportifs ?

Richard fauche le livre tenu par la féline et le remplace par le cadeau qui lui ont offert ses amis. Un présent auquel il ne s'attendait pas et qui a su faire naître en lui un puissant sentiment de gratitude.

-On a un dormeur, une asociale... Une baignoire. Je pense que les gars avaient des idées pures en m'offrant cette merveille. Mais ce qu'ils ignorent ne peut pas leur faire de mal !

L'idée du policier a su plaire à sa complaisante compagne toujours partante pour se lancer dans un projet fou. Fou, il ne semblait pas l'être tant que ça avant que les galères ne fassent leur apparition. Le tapis dont le canadien ne doute pas qu'il puisse se montrer performant refuse de demeurer au fond de la baignoire, ce qui force le policer à le piétiner pour le maintenir en place. L'eau chaude caresse les chevilles de l'homme de loi qui manque de chuter lorsque Mafdet enclenche le mécanisme sans prendre le temps de le prévenir. Richard se rattrape au mur couvert d'un carrelage beige dont les jeunes années sont passées depuis longtemps.

Dick tend une main à Mafdet pour l'inviter à le rejoindre, puis ils s'installent tout deux au fond de la baignoire. L'engin fait un bruit assourdissant qui les mène sur la piste de l'hilarité. Les chatouilles deviennent mains baladeuses, les corps se pressent, l'ambiance glisse vers quelque chose de bien plus graveleux qu'un simple bain prit à deux. Dick profite de l'instant, savoure ce moment de douceur et d'allégresse. Il n'a pas eu une vie facile et ses deux enfants ont longtemps été ses seules priorités. Il était compliqué pour une femme de se faire une place dans cette vie chargée. Jamais Richard n'aurait cru que cet exil forcé lui apporterait tant de joie et d'amour. Il fronce les sourcils en entendant la proposition de la féline. Enjoué il encourage ce qui lui paraît être une bonne idée.

-Et en plus ça sentira bon !

Une bien mauvaise idée qu'il a approuvé. Quelques secondes seulement après que Mafdet ait reposé  le gel douche parfumé à la barbe à papa de Troy, voilà la mousse qui fait son apparition. Une mousse qui refuse de se désagréger et qui bien au contraire s'accumule. La féline rit au début alors que déjà le policier songe au fait qu'il va devoir nettoyer après leur passage. La mousse déborde, recouvrant le sol de la pièce d'un épais matelas blanc d'une cinquantaine de centimètres. Mafdet déchante et c'est le flic qui s'esclaffe.

-T’es où ?
-Ici.

Il fouille à travers la mousse, tâtonne à la recherche de sa belle. Il ne met guère de temps à la retrouver. La saisissant par la taille pour l'attirer à lui, il les fait finalement tout deux chavirer sous la mousse. Richard tousse lorsque le goût du savon vient titiller son palais. Il recrache bulles et miasmes avant de crachoter quelques mots.

-Une prof de chimie aurait dû savoir que c'était une mauvaise idée. Un flic c'est un peu con. C'est ce qui le rend attendrissant, mais une professeure c'est sacrément futé en temps normal.

C'est donc à la professeure présente dans cette pièce que va revenir la tâche de nettoyer toutes traces de leurs enfantillages. Cette conclusion convient à celui qui en est l'auteur. Il se redresse, sa tête dépassant de cette mare de mousse dont ils sont responsables. On a toujours dit au canadien qu'il ne fallait pas jouer avec l'eau du bain, que les salles de bain n'étaient pas des pataugeoires. Des phrases  de parents aux nerfs usés que le flic sert à ses enfants lorsque sa fatigue prend le dessus sur sa patience. Dick glousse tandis qu'à l'aveugle une des mains de sa compagne frôle un endroit sensible.

[...]

Ils ont migré vers leur chambre, savouré les cris catastrophés de Joanie découvrant l'existence de cette soirée mousse improvisée. Les grognements de la jeune femme leur ont indiqué qu'elle avait prit le temps de nettoyer après s'être brossé les dents. Dick se calle contre le corps musclé tout en finesse de sa belle, souffle sur la mousse encore accrochée à la longue chevelure de sa compagne. Les jeux reprennent, divertissements d'adultes cette fois. Les corps déjà dénudés se réchauffent tandis que les esprits s'échauffent.

[...]

La fin des congés se fait sentir. Troy tente de mettre ses nouveaux trésors dans sa valise, il est même parvenu à y dissimuler le maillot de hockey remporté par Mafdet suite à ses exploits sur la glace. La féline sait que c'est le gamin qui lui a chipé son maillot, mais elle n'a pas été réclamer son bien. Le môme est honnête, ce n'est donc qu'une question d'heures avant que n'arrive le moment où il avouera son forfait. Cette fin de vacances n'est pas sans regrets pour le policier qui n'a cessé d'espérer entendre retentir la sonnerie de son portable durant ces derniers jours. Ses parents n'ont pas jugé bon de venir vers lui, restant visiblement accrochés à leurs convictions aussi mauvaises puissent-elles être. Gloria n'a pas donné signe de vie depuis ce bref appel dont le flic avait été l'instigateur. Dick est déçu même s'il lui semble à présent que ses vains espoirs n'étaient basés que sur du vent.

Un vent glacial, un vide pour Troy qui ne saura jamais poser un visage sur cette femme qui a été sa mère avant de fuir toutes les responsabilités que ça pouvait impliquer. Chaque jour des couples se marient et presque autant choisissent la voie du divorce. Dans certains cas les choses se passent bien, les adultes parviennent encore à réfléchir et agir comme s'ils étaient des êtres raisonnables. Mais Gloria n'est pas raisonnable, elle se contente d'être furieuse et craintive à la fois. Un mélange douteux qui n'augure rien de bon.  

Dick se cambre, attrape le bras de son fils qui passe près de lui. Le petit n'a pas quémandé après ce fantôme dont on ne parle que rarement chez les Turner.

-Troy ? Donne moi le coussin s'il te plaît.

Le policier a le postérieur endolori depuis son frais passage chez le tatoueur. Sur sa fesse gauche un chat noir joue avec une feuille d'érable. Une œuvre personnalisée à la signification claire pour ceux qui savent que la boule de poils du poste de police n'est pas un minet lambda. Richard se redresse légèrement, assez en tout cas pour pouvoir glisser le cousin entre la chaise et son arrière train. Troy vient se glisser près de son père, le collant pour finalement lui dérober son verre de jus de fruit.

-Ton chat du travail va être content de voir le dessin que tu as choisi. J'aimerais bien que tu le ramènes à la maison, je serais gentil avec lui. Et je serais tout le temps sage pour lui montrer des exemples qui sont bons.

Les femmes sont absentes, parties toutes deux retrouver ce salon de massage que Mafdet a déjà visité. Une aventure qui n'a pas tenté les garçons qui ont préféré rester dans l'appartement pour jouer à la console. Richard sourit en songeant que cela fait déjà plusieurs mois qu'il a ramené cette minette chez eux et cela sans que ses enfants n'en sachent rien.

-Troy, imagine que ce soit le chat qui ne soit pas sage...

Richard avait malgré tout espéré recevoir un message d'un de ses parents, apercevoir sa mère à l'aéroport. Voir dans le regard de celle qui l'a élevé et aimé le remord, une certaine repentance. Mais à présent les voilà sur le point d'embarquer pour retourner en Californie et aucun de ses proches vivant dans cette ville n'est venu lui offrir une dernière accolade. C'est déçu que Dick attrape la main de son fils, le serrant contre lui pour ne pas le perdre dans cette foule désordonnée constituée de voyageurs. Le gamin est ravi et sourit à tout ceux qui ont la chance de poser un regard sur lui. Il arbore fièrement le cadeau que lui ont ramené Mafdet et Joanie, un maillot de hockey qui cette fois est à sa taille. Ils sont beaux ainsi, tout les quatre assortis. L'image même de la petite famille parfaite. Mafdet semble se prendre au jeu, elle qui craignait au début de rencontrer les enfants. Avec Joanie elles n'ont pas tardé avant de devenir des amies, un duo que Dick craint tant il paraît être soudé. Les manigances féminines sont dangereuses car bien souvent elle savent prendre les traits d'un charmant tableau.

Richard et Troy doivent donc apprendre à faire front. C'est ainsi qu'ils parviendront à leurs fins, comme ce fut le cas pour la sortie à la patinoire. Le policier hausse un doigt autoritaire, fixant les femmes de sa vie avant d'annoncer.

-Pas de chantage à la casquette cette fois. Pas de bonbons pour Troy. Pas de sucre pour cet enfant qui s'excite déjà trop facilement.

Il a su apprendre des erreurs de leur premier voyage, cette fois il choisit donc de limiter les dégâts. Troy boude pour la forme, Mafdet lève les yeux au ciel tandis que Joanie se contente d'agiter une main nonchalante. Heureux de parvenir à imposer sa loi pour au moins quelques instants, le policier sourit aux siens. Jo ne sait pas quelle surprise l'attend à Beacon Hills. La jeune femme vient d'avoir son permis de conduire et ne cesse de se morfondre sur le fait qu'elle n'ait pas encore la voiture faite pour aller avec ce précieux sésame. Dick est réticent à l'idée de confier les commandes de sa propre automobile à sa fille, conscient du danger. Il faut dire que les premiers exploits de la demoiselle laissaient à désirer. Willem ne voudra plus jamais monter dans une voiture conduite par celle qui quitte l'adolescence pour entrer dans le monde des adultes. L'ami de Richard a eu peur et le flic n'est pas près d'oublier l'élan de panique qui avait eu lieu lorsqu'ils étaient tous allés au cirque.

[...]

Installé entre sa compagne et son fils, Richard plonge le nez dans son bouquin au contenu culinaire. Il n'y avait pas retouché depuis leur arrivée à Vancouver. Mafdet s'est endormie, bien vite imitée par Joanie. Troy s'extasie devant un Pixar. L'enfant peine à dissimuler sa tristesse depuis qu'il a saisit que cette femme qui l'a porté et mit au monde ne désire pas le rencontrer, et cela même pour la durée d'un simple repas. Gloria a déçu son ex-mari, une fois de plus. La dernière également. Joanie ne veut plus avoir de contacts avec cette femme qui a fait pleurer son petit frère, cette génitrice qui les a à nouveau abandonné.

Ces enfants n'ont pas besoin d'une mère, d'un fantôme dont le souvenir pèse sur leurs existences. Pourtant Richard ne regrette rien de cette amourette de jeunesse qui lui a permit de devenir père à deux reprises. C'était comme un essai au bonheur, une tentative qui n'a su se transformer en réussite. Cette vie dont il rêvait à l'époque est celle qu'il mène à présent. Dick remonte ses lunettes de lecture, son regard chocolat coule sur sa belle. Inconsciemment il sourit.

[...]

-On ne va pas à la maison.
-En effet.

Les voilà de retour à Beacon Hills, une ville dans laquelle résident ceux que Richard considère à présent comme ses proches. Ses parents ont joués aux grands absents, son ex-femme n'a su se montrer à la hauteur de ses maigres espérances. Richard a saisit que son pays ne lui manquait pas réellement s'il ne pouvait y retrouver le confort d'un cocon familial soudé. Il voulait rentrer chez lui, retrouver des parents qu'il pensait à tord bienveillants. C'est à Beacon Hills que se trouvent à présents ses proches, une famille à laquelle il n'est certes pas lié par le sang mais qui sait le soutenir et s'abstenir de juger ses décisions. Dick traverse la ville, et enfin se gare sur le parking d'une concession automobile.

-Papa ? Qu'est ce que tu fais ?

Imperturbable l'homme de loi coupe le contact avant de faire sauter sa ceinture de sécurité.

-Alors elle n'est pas neuve. Elle a même eu plusieurs vies, mais c'est la seule qui entrait dans mon budget.
-Tu m'as acheté une voiture ? Tu m'as acheté une voiture !

Une affirmation en partie faussée car cet achat est celui qui le met sur la paille. Une fois de plus. Jo saisit de quoi il en retourne. Se prépare à quitter l'habitacle de la familiale de son père pour rejoindre son carrosse personnel dont elle ignore encore tout. Dick verrouille les portes avant que sa fille ne puisse tenter une échappée.

-L'essence sera à tes frais. Tu as l'âge de te trouver un petit boulot, ils cherchent des vendeurs de frites au McDo. L'idée est que tu prennes soin de cette voiture et que jamais un de mes collègues ne m'apprenne qu'il t'a verbalisée. C'est un jeu, celui de la confiance. Plante toi et je file ta voiture à ton frère.

Il appuie sur le bouton qui permet la libération de celle qui ne sait plus tenir en place. La jeune femme ignore quelle est sa voiture mais cela ne l'empêche pas de presser le pas en direction d'une volvo. Rouge et rutilante, trop pour que ce soit la sienne.

-Il faut qu'on la rejoigne. Au moins pour lui montrer laquelle est pour elle.

Ils laissent mijoter Joanie pendant quelques minutes. Dick désigne à sa compagne ainsi qu'à son fils quel va être le carrosse de celle qui à intérêt à s'en montrer digne. Il craint que sa progéniture ait le pied lourd et de finir par entendre parler des exploits de la jeune fille au poste de police. Richard ne veut être connu comme étant le père de la dernière folle du volant en circulation. Ce présent qu'il lui a fait est un symbole, celui d'un passage à l'âge adulte. Sa fille qu'il continue de voir comme étant petite ne l'est pourtant plus et depuis leur arrivée dans cette ville elle a gagné en maturité. S'il avait fallu à Richard se retrouver avec un test de grossesse positif entre les mains pour se mettre enfin à penser comme un adulte tant responsable que raisonnable, il semblerait que l'apparition d'une figure féminine forte dans leurs vies ait su se suffire à elle même dans le cas de Jo. Avec Mafdet dans leurs vies, Joanie a un exemple que le policier pense être le bon à suivre.

Enfin ils quittent l'automobile du canadien avec Troy sur les talons. L'homme de la famille montre et décrit sa voiture à sa fille. Un vieux modèle, presque une pièce de collection qui il n'en doute pas fera également la joie de son meilleur ami. La Dodge Charger a des airs de stars du petit écran avec sa couleur vive et son grand chiffre affiché un de ses flancs. Richard se poste derrière sa fille, caresse la douce et longue chevelure de feu de son enfant avec affection avant de justifier le fait qu'un tel achat ait pu être dans ses moyens. Des moyens brusquement augmentés par sa récente prouesse sur un ring clandestin, mais ça ses enfants n'ont pas besoin de le savoir.

-Son ancien propriétaire en prenait soin. Elle a peu de kilomètres au compteur si on prend en compte son grand âge, la plupart des pièces y compris son moteur ne sont plus d'origine. Mais elle roule et plutôt bien.

Joanie habituellement loquace peine à exprimer cette joie qui illumine son visage. Elle suit son père sans réellement parvenir à détacher son regard de ce cadeau d'anniversaire hors-norme auquel elle ne s'attendait pas.

[...]

Quelques signatures, un ultime chèque signé et les voilà à nouveau réunis devant la dernière arrivante dans la famille Turner. La question du transport des deux automobiles jusqu'à l'appartement familial n'a pas vraiment le temps de se poser que déjà Mafdet trouve une solution. Une solution qui fait froncer les sourcils de celui qui prend mesure de ce que les dires de sa compagne viennent de signifier : Il va mourir. D'une attaque ou bien dans un sordide accident de la route.

-Mais pourquoi moi ?
-Dis tout de suite que je conduis mal !

Richard ouvre la bouche pour bien vite la refermer lorsqu'il sent se poser sur lui un regard vert foudroyant. Joanie tente d'arracher la clé que son père tient toujours bien serrée dans une de ses mains. Il réagit vivement en levant bras et main pour rendre inaccessible l'objet.

-Cesse donc ! On dirait Troy.
-Mais je pourrais conduire tu sais, ce serait un chouette cadeau que de nous permettre de rentrer chez nous en un seul morceau.

Mafdet rit sans chercher à se cacher. Elle est rapidement imitée par Troy qui trouve que l'occasion est parfaite pour se moquer de sa sœur. Ou bien de son père. Dick ne sait plus vraiment sur ce coup.  Lassée Joanie le fixe en tapant du pied, puis enfin trouve une manœuvre des plus fourbes pour parvenir à ses fins. Elle fait courir une de ses mains sur le flanc droit de son père qui déjà s'agite. Les doigts se font taquins et chatouillent, les clés chutent pour atterrir dans une des mains de la féline qui tend finalement l'objet à la rousse. Ces deux femmes aussi douces puissent-elles être savent se montrer redoutables lorsqu'elles s'allient. Résigné, Richard finit par suivre sa fille non sans avoir embrassé ceux qui auront le droit au confort d'une conduite qu'il espère raisonnable de la part de la féline.

[...]

Mains crispées sur ses cuisses le policier couine en émettant un son qui ressemble à celui de la sirène d'un véhicule d'urgence. Joanie prend le dernier virage, celui qui va les mener à leur domicile. Richard souffle un long sanglot.

-Il...

Le canadien cherche ses mots pour parler de ce qui l'a choqué. C'est certain dans quelques semaines sa fille va récolter plus de prunes qu'un arbre ne pourrait en porter.

-Le feu...

Joanie se gare devant leur immeuble sans oublier de grimper sur le trottoir. Elle manque de ravaler la façade du bloc qui soutien les boîtes aux lettres, freinant brusquement au dernier moment. Les freins pleurent de concert avec le policier.

-Il était orange, comme la voiture.
-Cette voiture est rouge ! ROUGE !