Alex était heureux, et ce n’était ni les commentaires cyniques de Charlie, ni les migraines qui persistaient à lui empoisonner le quotidien ne semblaient pouvoir y changer quoi que ce soit. L’ours se montrait suffisamment respectueux pour ne rien dire devant Brian, mais pas assez subtil pour flouer qui que ce soit. Le druide savait très bien qu’il y avait quelque chose entre les deux, un passif qu’il ne connaissait guère mais qu’il lui faudrait un jour percer. Alex trouverait un moment approprié pour leur demandé, un à la fois, pourquoi ils ne pouvaient plus se sentir.  Si Charlie ne trahirait pas son employeur, il était passé du côté de la légalité et ne trempait plus dans les affaires louches du mafieux. Du moins, c’était ce qu’il disait, et l’une des conditions de leur cohabitation. Alex lui faisait confiance et le croyait.

L’ours semblait accepter une trêve, qu’il nourrissait manifestement en séduisant l’estomac du policier.  Cela avait le don d’amuser le laborantin. Une fois qu’ils faisaient la vaisselle entre cohabitants, sans Brian ni carnivore pour écouter aux portes, Alex lui fit tout de même la remarque qu’il finirait bien par se demander si Charlie n’essayait pas de lui voler son copain, en référence à l’adage voulant que le meilleur chemin pour séduire un homme passe par son ventre. Charlie avait répliqué en se moquant de Brian, narguant qu’il ne faisait pas tant le fier poulet quand il se lovait dans les bras du druide. Laissant son assiette en plan, Alex enfonça un doigt sec entre les côtes de l’ours.

- Jaloux! Tu m’expliques comment Jenny faisait la grande cuiller alors qu’elle fait une tête de moins que nous?

Non, leur ex commune n’avait jamais dévoilé de tel secret, mais Alex avait visiblement vu juste, si l’on en jugeait par le silence buté de l’ours. Alex brilla d’un sourire victorieux.  Pour tout dire, il avait aussi apprécié les moments où Jenny s’imposait en renversant les rôles préassignés, et il ne voyait pas comment quelqu’un pourrait ne pas aimer être, de temps à autres, protecteur ou protégé. N’empêche, il avait peut-être mis le doigt sur quelque chose : non pas que Charlie soit jaloux du partenaire d’Alex ou de Brian (soyons honnête, toutefois, il y avait bien moins à envier à Brian ici qu’à Alex), mais simplement qu’il soit envieux de trouver lui également quelqu’un avec qui il pourrait se lover sur le sofa. Le biochimiste se promit d’aider son ami à se maquer, si ça pouvait lui faire plaisir.

- T’en fais pas, tu vas trouver quelqu’un, Charlie. Je continue de croire que Derek et toi avez plus en commun que...

Crowley interrompit, scandalisé qu’on puisse l’imaginé avec le loup chapardeur de miel.  Il usa même du mot honni, et toute tension retomba dans la cabane, où la dynamique normale était rétablie. Outre se genre d’incartades dont Alex était infailliblement l’unique bénéficiaire, Charlie se montrait respectueux du jeune couple, et se mêlait de ses affaires.

***

Alex s’était offert pour être chauffeur désigné, et avait prétexter qu’il serait plus rassuré si Brian ne conduisait pas en fin de soirée pour l’inviter à dormir. L’invitation s’étendit directement à Truc et Machin. Certes, Alex aurait pu déposer Brian chez lui, et ça aurait été plus simple pour tous, d’un point de vue logistique, mais les bêtes aimaient la cabane, où elles pouvaient se délier les pattes, et l’ours qui les gâtait presque autant que Civet. Fallait-il réellement nommer l’avantage que trouvait Alex dans cet organisation?

Par la fenêtre, Alex vit la voiture se garer, soulagé. Ce n’était pas qu’il épiait l’arrivée de Brian, mais il avait reçu son message disant qu’ils partaient et, ayant estimé le temps nécessaire pour se rendre à la cabane, il avait commencé à lancer des coups d’oeil réguliers au stationnement de terre battue et de gravier. Il portait toujours les pantalons de jogging qu’il avait enfilé pour aller courir, et renfiler après sa douche.  Par paresse, jurerait-il, mais également pour se donner une occasion de juger du code vestimentaire en voyant l’habillement de Brian. Le laborantin n’avait jamais été très doué à ce jeu des civilités, et il était plus qu’enchanté d’avoir un modèle sur lequel il pouvait se fier.

Alex leva le pouce en voyant le progrès du bras de l’éclopé. Il espérait sincèrement que Brian retrouve toute sa mobilité, et le plus rapidement possible!  Après tout, Brian avait beau le réfuter, c’était entièrement la faute du druide si le policier se retrouvait dans cet état.  Et ses assurances ne le soutiendraient pas éternellement, estimait le scientifique, sans avoir jamais osé aborder le sujet auprès du principal intéressé.

Surpris, le biochimiste se laissa prendre dans l’étreinte spontanée de son tourtereau.  Le nez collé contre la clavicule du policier, dont il humait toutes les fragrances et se les appropriait doucement, Alex ferma les yeux et laissa le temps les bercer un moment, ses propres bras enroulés autour de Brian.  À la grande surprise d’Alex, qui s’était attendu à une taquinerie féline ou un jappement imminent, ce fut le mentaliste qui rompit d’abord le silence, puis leur étreinte. Le scientifique tressaillit au contact de la phalange sur sa maxillaire, réfrénant un grognement content. Ne cédant pas immédiatement, Alex resta la joue contre le torse de son partenaire, alors qu’un sourire naissait sur ses lèvres et dans sa voix. Il était heureux que Brian laisse des choses ici. Ça démontrait le sérieux de leur relation.

- J’ai des brosses à dents supplémentaires, si tu veux en conserver une ici. On pourra la ranger dans ma chambre.

Pour éviter les railleries de Charlie, principalement, mais aussi par précaution d’hygiène. Le druidon rompit le contact à son tour, lançant un regard mutin à son petit ami.

- Sauf si c’est trop habituel et barbant à ton goût.

Alex offrit d’aider à décharger la voiture, et insista pour récupérer le plus lourd des sacs de croquettes, ainsi que les affaires de l’homme. Ce qui laissait à Brian un coussin et le second sac de croquettes. Rien de trop lourd, mais rien non plus qui laisse croire qu’Alex le prenait pour un handicapé. Après tout, le bras valide était toujours aussi fort qu’avant, et l’autre saurait s’occuper du coussin. Le druide se fichait de savoir si les bêtes grimpaient sur les meubles, mais il appréciait tout de même l’effort de Brian de respecter les biens de Gabriel.

Sitôt la porte refermée derrière eux, Alex s’étira le cou pour plaquer un baiser sur la joue de Brian. Il passerait la journée entière à faire ce genre de gestes affectueux, s’il le pouvait. Toutefois, il s’en voudrait également s’ils arrivaient en retard à l’anniversaire de Richard.  Un coup d’oeil au pendule lui indiqua qu’ils avaient encore du temps avant de partir vers l’appartement de ce dernier.

- Je te tout pareil, déclara-t-il avant de prendre la main de Brian pour l’entraîner vers sa chambre.

Avant que Brian ne se fasse des films et ne craigne qu’Alex brûlait des étapes, le druide s’expliqua. Ou, plutôt, il interrogea. Il avait l’impression d’être un gamin, et ne savait pas si cela lui plaisait ou non.

- Je dois encore me changer. Tu veux m’aider à choisir mes fringues? Ça prendra pas des lustres...

En effet, le garde-robe du laborantin n’était pas très rempli, et cela lui convenait bien.  Brian avait probablement déjà vu l’ensemble des t-shirt et jeans du biochimiste, et Alex venait de sortir ses trois chemises -dont deux affichaient un motif à carreaux- et son unique polo ,qu’il plaça tous sur le lit.

Aussitôt la sélection faite, Alex s’apprêtait à retirer son t-shirt lorsqu’il arrêta son geste, l’air alarmé. Il lança un regard mal à l’aise à Brian, incertain de l’attitude à avoir. Cela ne le dérangeait pas que le policier reste pendant qu’il se déshabillait et se rhabillait, mais il ne voulait pas le forcer à joueur les voyeurs non plus. Le druide força un sourire en tentant de ne pas songer auquel des deux hommes serait le plus cramoisi.

- Je sais pas si tu préfères m’attendre au salon, ou pas. Perso, ça me dérange pas si tu veux rester.

Alex voulut ajouter quelque chose. Qu’il avait confiance en Brian, ou qu’il n’avait rien à lui cacher, peut-être. Il ne savait pas trop, et laissa plutôt place au silence et à la réponse du principal intéressé.

***

Les deux cadeaux, joliment emballés de papier recyclé, étaient calés entre la banquette arrière et le siège de Brian, ce qui obligerait Richard à s’asseoir à l’avant. Le policier avait choisi le poste de radio, et la discussion se faisait à faible débit, de longues minutes de musique entre chaque flopée d’intervention. À la sortie de l’autoroute, Alex interrogea Brian.

- On devrait offrir le siège passager à Richard, tu crois?

La question n’était pas tout à fait innocente, tant la référence à leur première rencontre était évidente, mais elle n’était pas maline non plus. Au plus, c’était une moquerie, sinon une attention gentille. Quelques minutes plus tard, ils étaient sur la rue du policier canadien, dans un quartier bien différent de celui de Brian, et Alex questionna de nouveau, la voix bien plus sérieuse.

- On veut lui dire? Pour nous, je veux dire… Si t’es à l’aise et tout… Comment on…?

Incapable de former des phrases complètes, Alex se tut. Il était heureux d’avoir trouvé Brian, et de voir ses sentiments rendus.  Il était loin d’en avoir honte, mais désirait aussi que Brian soit à l’aise autant qu’il craignait que Richard ne se sente comme la troisième roue du carrosse.

Un moment plus tard, Brian indiqua qu’ils étaient devant et Alex gara Betsy. Ils sortirent et verrouillèrent les portes.  Puis, ils allèrent appuyer sur le bouton de sonnette correspondant au numéro de l’appartement du fêté.

La réponse de Brian avait rassuré Alex. Ils semblaient être sur la même longueur d’onde, tous les deux. Il opina donc du chef, avant de se reprendre. Verbaliser sa pensée était important, après tout, même lorsqu’elle lui semblait évidente à l’expression qu’il devait avoir.

- Ça me convient parfaitement!

Ainsi, cela leur évitait à la fois de devoir faire de grandes annonces façon crieurs publiques, et ils n’avaient pas besoin de déterminer qui des deux aurait la corvée de trouver les mots justes pour indiquer qu’ils étaient un item.

***

Alex saisit furtivement la main de Brian dans la sienne, pour la libérer dès qu’ils eurent toquer à la porte. Il avait eu besoin de ce contact. C’était un peu taré, mais une bouffée de chaleur venait de le submerger, et il sentait ses oreilles rosir. Il avait le trac, ou un truc du genre. C’était pas mal leur première sortie en couple, en dehors du navettage entre leurs chez soi, et le cercle restreint des gens qui les savaient ensemble était sur le point de s’agrandir.  Considérablement.  Le druide n’en avait pas honte. Il craignait seulement le regard des gens, et leurs réactions. C’était totalement injustifié compte tenu de son vécu, mais le sentiment était tout de même présent, et la main de Brian venait de lui insuffler suffisamment de courage pour sourire lorsque la porte s’ouvrit.

La mention d’un bordel absent vint générer chez le laborantin un rire nerveux.  D’une part, il songea qu’il ne devrait jamais inviter Richard chez lui. D’autre part, il se sentait plus détendu, étrangement, et osa même une taquinerie.

- Tu aimerais ma mère. Ce doit être la seule autre personne au monde qui serait d’accord. Ça va?

Alex tenta de ne pas trop froncé les narines à l’approche du parfum bon marché et se détourna plutôt dans la direction du regard de Brian. Les valises donnaient le goût de voyager, et le biochimiste était presque certain de comprendre pourquoi elles les lui avaient été signalées. Ce n’était pas pour prévoir la teuf de l’année chez les Turner durant leur absence.

Richard attira leur attention sur les mini-Turner. Il salua celui qui semblait avoir des gênes de tornade, ou de koala à le voir grimper sur Brian, puis rougit un peu en saluant l’élève qu’il connaissait déjà.

- Bonjour m... Joanie. V… tu vas bien?

Un grognement adolescent, digne des plus formidables trolls de corridors en gage de réponse, Alex se tourna vers la présence qui venait d’entrer dans la pièce. Un géant aux cheveux décolorés, dont les tatouages dépassaient de son t-shirt. C’était ça l’image que Richard avait d’une nounou exemplaire? Un mec qui semblait pouvoir casser en deux la moitié des gens présents dans l’appartement? C’était certain qu’il ne devait avoir aucun mal à se faire respecter par les mômes et qu’il devait aussi dissuader les malfaiteurs, en cas de besoin.  D’une voix basse, ce Tama les salua en quelques mots et Alex s’empourpra de plus belle, le regard fixé au sol. L’homme semblait effectivement doux, et Alex réalisait qu’il l’avait peut-être jugé prématurément. Encore une fois. Cette mauvaise habitude qui aurait pu lui coûter de ne jamais rencontrer Brian. Cette fois, Alex avait honte, et ce n’était que de lui-même. Le scientifique n’eut pas le temps de s’apitoyer sur son sort qu’on lui offrait à boire. La voix de la sagesse répondit par la bouche du mentaliste et Alex se contenta d’approuver silencieusement, en observant son amoureux, le gamin dans les bras. Ému, il observa le duo sans réaliser qu’un sourire guilleret s’était formé sur ses lèvres. Complices d’un instant, voilà que le gamin murmurait à l’oreille de Brian des informations confidentielles. Un instant plus tard, Troy toucha terre à trois reprises et se retrouvait dans les bras de sa nounou, pendant que le trio quittait l’appartement.

***

Le trajet s’était bien déroulé. Richard avait apprécié leur petite blague et semblait excité de voir quelles surprises ils lui avaient emballés. Peut-être touché, également.  Après tout, il venait d’arriver en ville et Alex pouvait concevoir qu’il ne s’était pas attendu à rencontrer aussi rapidement des gens qui souligneraient son anniversaire avec lui. Sauf que c’était Richard lui-même qui les avait "forcés" à devenir potes, et Alex comptait jouer ce rôle de manière convenable.

Presque inévitablement, à chaque fois que le canadien regardait dans son rétroviseur, le visage de Brian, en avant-plan du paysage qu’ils avaient déjà dépassé, lui déposait un léger sourire aux lèvres. Un sourire qui devint cramoisi, lorsque Brian lui envoya un clin d’oeil. Avec un peu de chance, Dick était trop occupé à regarder par-dessus son siège pour s’en apercevoir.

Alex avait déposé les policiers devant le restaurant avant d’aller se garer. Là, il sorti une couverture du coffre arrière et la jeta en boule sur les cadeaux. Ce n’était pas le truc de l’année au niveau de la dissimulation, mais c’était toujours mieux que rien. Un instant plus tard, Alex rejoignait ses amis dans l’entrée du restaurant, et on les dirigeait à leur table. Le plus naturellement du monde, le biochimiste s’assit en face de Brian, sans la moindre réflexion. Ainsi, le fêté se trouverait au centre, encadré de ses amis. Et Alex aurait une vue agréable.

Sitôt assis, la serveuse, dont la voix était accentuée, leur donna la carte et leur offrit un breuvage, "pour commencer".  Alex haussa un sourcil, ouvrit promptement la carte à la recherche de la section désaltérante et réalisa soudainement qu’ils s’étaient déjà entendus à ce sujet.

- Trois tequilas s’il-vous-plaît. On verra ensuite si on veut partager un pichet de sangria ou de bière!

L’employée repartit aussitôt en leur affirmant qu’elle était disponible s’ils avaient des questions sur le menu, et Alex se mit à le parcourir. Il le parcourut environ quatre secondes, jusqu’à ce que son cerveau ne parte galoper dans des pensées lointaines et qu’il se mette à discuter, oubliant le livret. Si bien que lorsque leur hôtesse vint porter les consommations et leur demanda s’ils étaient prêts à commander, le laborantin envoya un regard paniqué à Brian, puis à Richard. Il réalisait bien qu’il était en train de figer, mais ne savait pas que dire ou faire. Après tout, si ses comparses avaient déjà choisi, il saurait bien improviser!

Personne n’osa d’abord se lancer. Était-ce latin de la demoiselle qui les avait bouche bée, ou plus certainement la surprise. Les yeux de merlan frit d’Alex se posèrent sur son compatriote lorsqu’il posa enfin une première question. Les sourcils du druide se froissèrent un instant.  Voilà qui défiait encore un peu ses préjugés sur les flics. La réponse de la demoiselle vint faire faire un grand écart aux sourcils du laborantin, qui croisa le regard amusé de Brian. Le biochimiste lui répondit d’un timide sourire avant d’opiner prestement du chef pour confirmer que la commande de Richard lui convenait.  Alex s’humecta inconsciemment les lèvres, plus affamé qu’il ne l’aurait soupçonné, et entreprit de feuilleter le menu à rebours à la recherche d’une image qui pourrait bien lui indiquer ce qu’étaient ces chichimangas. Il ne porta pas attention au reste des commandes, ratant à la fois l’ajout de seconde tequilas et l’assiette choisie par Brian.

Il fallut un léger raclement de gorge pour qu’Alex ne relève le nez de la carte. C’était déjà à lui de commander?  Et il n’avait rien choisi.  Il hésitait toujours entre le quesadilla et les enchiladas. Voilà qu’il était persuadé que tout le monde pouvait sentir la sueur qui lui coulait le long de l’échine, alors qu’il refermait prestement le menu et tentait de conserver son air le plus zen.

- Pareil, s’il-vous-plaît.

Le châtain hésita une demi-seconde avant de clarifier sa pensée.

- Je vais tout prendre comme Brian.

Nouveau flottement, ett Alex repéra son erreur au moment où un frémissement des lèvres de la serveuse trahissait qu’elle était sur le point de laisser passer un commentaire acerbe. Aussitôt, l’index et le menton du druide pointèrent Brian d’un mouvement simultané.

- Lui.

La serveuse repartit et Alex se sentit immédiatement plus détendu.  Au final, ça c’était plutôt bien passé, après tout.  Il n’avait ni bafouillé ni hésité pour répondre à quarante-douze questions sur le type de pains, condiments ou autres accessoires il voudrait dans son assiette, déjà. Son regard glissa sur l’homme en face de lui, comme s’il était attiré par son charme magnétique. Il l’observa un instant alors que tous trois se préparaient à l’ingestion rituelle de cet alcool typique. Sel. Citron. Tequila. Le laborantin loucha un fragment de seconde, mais s’efforça à ne pas perdre la face derrière sa grimace, s’attendant à une réaction digne de parangons de virilité de la part de ses comparses. Sauf que ce n’était pas exactement le cas. Il se laissa alors aller à hocher violemment la tête de gauche à droite, comme si s’ébrouer aller chasser la sensation dans sa gorge.

- Trente-huit? Je...

Alex s’interrompit. Il connaissait l’âge de Joanie, à un an près, et effectua donc un rapide calcul mental pour réaliser qu’il allait dire une bêtise. Cela faisait déjà de lui un père suffisamment jeune.

Soudainement, le coeur d’Alex s’accéléra alors que le temps semblait venu de dévoiler à Brian la pensée qu’ils avaient eue pour lui. Le mois de mars était en train de bien remplir la carte de crédit du laborantin, et il était content que sa mère ait concédé à lui faire un petit prêt. Le châtain avait l’impression que le temps avait ralentit et s’était fait mélasse. Il retenait son souffle en attendant de voir la réaction de l’être cher, et fronça d’abord les sourcils, incertain d’analyser correctement les éléments que lui renvoyaient ses sens, jusqu’à ce que son ouïe ait l’occasion de s’en mêler. Le druide sourit alors, satisfait d’avoir aidé à créer du bonheur sur le visage de son policier.

Rapidement, Alex passa de l’apaisement à la surprise lorsqu’il sentit la main de Brian saisir la sienne. C’était bien la première fois que cela arrivait en dehors de leurs logis respectifs. Le coeur du canadien s’enflamma en un mélange de fierté et de félicitée, avant de déceler la nervosité de son brun. Alex se contenta de lui sourire en raffermissant l’étreinte de leurs doigts.

- Richard a tout le mérite. Il a eu l’idée et fait les recherches.

C’était vrai, mais si d’aventure Brian n’aurait pas été aussi enthousiaste, Alex aurait eu la pudeur de ne pas le mentionner. La prise de leurs doigts se défit doucement et Brian partagea à voix haute la nouvelle inquiétude qui venait de naître en lui.

Entre deux chips de tortillas, Alex balança un regard espiègle aux deux poulets, et étira la jambe pour aller taquiner celle de son commensal favori. Enfin, celui qui occupait une place particulière dans son coeur, surtout.

- Au fait, Richard, je sais pas si Brian te l’a dit, mais...

Alex prit le temps de croquer dans la chips fromagée, alors que son mignon passait au cramoisi.  Une fois l’entrée de maïs avalée, le druide poursuivit sa pensée en ramenant ses jambes sous sa chaise, pour s’éviter un coup malencontreux.

- Il est quasi implacable au mille bornes!

Ce n’était probablement la déclaration à laquelle ils s’attendaient, mais Alex n’avait pas envie de mettre un mot sur ce que Richard était suffisamment intelligent pour avoir compris lui-même, comme si nommer l’amour risquait de le faire faner. Aussi, le druide fut pris d’un fou rire un peu crétin et hoqueta un simple remerciement à la serveuse lorsqu’elle leur déposa de nouveaux shooters.  Elle était déjà bien loin, occupée à une autre table, lorsque le laborantin réalisa ce qui clochait.

- Hey! Mais je conduis ! s’opposa-t-il alors que son bras allait déjà quérir la salière au centre de la table.

Soit ils devraient rester encore un bon moment, le temps que l’éthanol soit métabolisé, soit Alex ne prendrait pas part au pichet qui serait partagé par la suite avec les policiers.  Ce n’était pas réellement un problème, dans un cas comme dans l’autre, n’est-ce pas?  Pour le moment, il se contenta de trinquer avec ses convives.

Le regard brillant, Alex était amusé des réactions qu’il avait suscitées. Autant celle de Brian, sous la table, que celle de Richard, au-dessus de celle-ci.  Bien heureusement qu’il n’était pas leur mère. Au minimum parce que le druide de sentirait sale de briser les tabous et de ressentir des papillons dans l’estomac en repensant à la fougue dont son copain avait fait preuve, plus tôt, dans sa chambre. Sa hanche lui semblait comme de nouveau engourdie alors qu’il repensait au baiser de son ami. Sans trop s’y attarder, le canadien se doutait que cette pensée avait ramené de vives couleurs à ses lobes d’oreilles, alors que les trois petits verres se cognaient  ensemble.

L’exclamation de son compatriote tira un éclat de rire au laborantin. Pour un instant, il songea à lui promettre des photos commentées à la sortie, mais s’abstint. Il n’était pas assez saoul ni assez proche de Richard pour aborder de tels sujets qu’il jugeait intimes. Si savoir que son système était normal lui semblait encourageant, là s’arrêtait la discussion.

- Comment je fais quoi? demanda-t-il d’un ton innocent. Ça fait partie de l’entraînement de Maf et mon père : le stoïcisme. Elle trouve que j’en suis toujours loin… Je préfère penser que je choisis mes moments.

Alex lança un coup d’oeil furtif à Brian avant de retourner son attention sur son collègue, à qui il envoya un clin d’oeil. Les mains se remirent à piocher dans l’assiette au centre de la table et le caprice fromagé les occupa suffisamment pour les englober un moment d’un confortable silence, suivi par une requête du fêté. Ah! Ah! Richard voulait son autre cadeau d’anniversaire, en fin de soirée. Plutôt que de faire un commentaire imbécile, Alex opina simplement du chef, répondant en simultanée avec Brian, et demanda ensuite au poulet s’il pourrait simplement le guider, ou lui envoyer l’adresse immédiatement.  Il serait peut-être plus sage de se fier aux algorithmes des intelligences artificielles qu’aux intelligences altérées en fin de soirée…

De nouveaux plats vinrent encombrer un peu davantage la table qui semblait perdre en taille au rythme des minutes qui s’écoulaient, et la conversation reprit, guidée par le fêté et son voyage prochain au pays. La moquerie de Richard lui valut de se voir l’épaule repoussée par le plat de la main d’Alex, un "Hey!" protestataire et faussement outré filant au-dessus de la table.

Ils échangèrent sur les quartiers de leur ville commune, leurs plages favorites – pas celle nudiste, évidemment, dans le cas d’Alex – et les restos de quartier qui leur faisaient du bien. De temps à autre, Alex offrait un sourire à Brian, pour s’assurer qu’il ne s’ennuyait pas. Le militaire était discret dans ses commentaires autant que sa présence, mais semblait suivre leurs échanges avec intérêt. À quelques reprises, le biochimiste le surprit à contempler le cadeau commun que lui avaient offert ses deux amis. Le druide mentionna, entre deux commentaires disparates, que Brian aimerait un jour voir le chapeau des États-Unis, où il n’avait jamais mis les pieds, sans mentionner la compagnie avec laquelle il avait envisagé de faire ce périple. De temps à autres, l’un des deux convives initiait quelques mouvements du mollet pour glaner, ou donner, quelques caresses au ras du plancher.

Les joues du laborantin rosirent lorsque Brian lui attrapa la main. Le coeur bien plus chaud qu’après les shooters de tequila, il leva les yeux dans sa direction, craignant que Brian ne trouve pas l’opportunité de parler, entre les deux pies dont les langues s’étaient déliées. Signe s’il en fallait un que la compagnie était agréable pour Alex. Ce n’était heureusement pas cela.  Le druide avait complètement oublié les cadeaux!

- On reviendra vite! Sois sage!

Un clin d’oeil en direction de Richard, et Alex se releva dès que sa cheville fut remise en liberté. Sa main, quant à elle, se retrouva rapidement entre les cinq barreaux que la douce geôle de Brian lui offrait. Un frisson les parcourut au moment où ils mirent les pieds dehors, et Alex en profita pour se rapprocher un peu, suffisamment pour passer son coude derrière celui de Brian et sentir sa chaleur près de lui. Très près même lorsque, joueur ou possessif, Brian le plaqua contre sa voiture. Un gémissement fut soupiré hors des lèvres du druide, qui rendit le baiser après un flottement de surprise. Les yeux dans les yeux, ils s’observèrent un instant, pendant que le monde se mettait sur pause. Un sourire naquit sur les lèvres d’Alex, à la déclaration de Brian, et ils s’embrassèrent de nouveau, plus passionnément.

- Et tu t’amuses à faire durer sa torture! s’amusa le laborantin avant de plonger dans un nouveau baiser.

Sans savoir comment il s’était retrouvé sur la pointe des pieds, à demi cambré, Alex continuait de laisser glisser ses mains le long du dos du marine, jusqu’à ce que l’une d’elle ose enfin suivre le galbe de son jeans et pétrir du bout des doigts le postérieur de Brian. Des pensées salaces fusaient dans l’esprit du biochimiste, qui souhaitait bien se retrouver dans un endroit plus intime, et plus romantique. Lorsqu’ils rompirent le baiser, la seconde main d’Alex se positionna derrière la nuque de Brian, pour empêcher leurs visages de s’éloigner de trop. Il en voulait plus, et plus longtemps. Il continuait de tâter les fesses du policier, bien qu’un lampadaire qui clignotait lentement semblait vouloir lui signaler où ils se trouvaient.

- C’est moi qui te fait cet effet ou c’est l’alcool? s’enquit le scientifique d’un ton joueur.

Si Alex était passé à une marque méconnue de boisson gazeuse d’Amérique Latine après la deuxième téquila, Brian en était pour sa part à sa quatrième consommation, tout comme Richard.

La réponse fut instantanée et tira un grommellement affectueux au druide alors qu’il sentit ses jambes ramollir au contact des langues. Agrippé à Brian comme à une bouée de sauvetage, Alex expira quelques souffles de buée le temps que son cavalier admette qu’il y avait peut-être un peu des deux dans sa fougue. Des deux mains, Alex se mit à caresser le crâne de Brian, alors qu’un ange passait. Ou un petit démon de désir, plutôt. Au bout d’une bonne dizaine de secondes, il fit un bisou sur la joue de son amoureux, fit retrouver le sol à ses talons, et embrassa le carré de la mâchoire de celui qui le rendait dingue, avant de rougir jusqu’à la pointe des cheveux.

- On devrait peut-être y retourner avant de se faire griller?

En vérité, c’était surtout des railleries de Richard qu’Alex se méfiait.  Il n’avait pas envie de passer pour une belle paire de betteraves au moindre commentaire du Vancouverois. Doucement, Alex repoussa Brian par le bassin, ses sourcils ayant adopté un air coupable. Le druide se redressa au même rythme, ce qui ne changeait ultimement rien à la distance entre leurs deux corps, et se plaqua contre Brian pour lui faire une étreinte.

- Merci d’exister murmura-t-il.

***

Alex déposa le paquet qu’il avait ramené sur la table, étrangement grande comme elle était désormais libérée de leurs fastes repas, et s’excusa pour aller au petit coin. En route vers les toilettes, il croisa leur serveuse et lui glissa à l’oreille que c’était l’anniversaire du type qui avait des airs de Wade Wilson en réalisant trop tard que c’était aussi évident que le poulet dans le nachos au poulet. Il se prit le commentaire de la serveuse avec un sourire forcé et ajouta rapidement qu’il paierait pour les trois convives, avant de s’éclipser vers les toilettes.

Les joues gonflées et rosées par son sourire, Alex se dirigea vers l’urinoir. Alors qu’il était à sa besogne, ses doigts glissèrent sous son chandail, à l’endroit qui lui apparaissait encore particulièrement présent depuis le moment de fougue de Brian, à la cabane.  S’il avait su alors que ce n’était rien en comparaison aux langoureux baisers qu’ils s’étaient ensuite échangés contre la voiture garée sur une rue transversale… Brian avait constamment ce charme timide et mignon, que l’alcool semblait décuplé tout en lui prêtant des qualités qu’il semblait d’ordinaire restreindre. Le druidon referma sa braguette et se dirigea vers les lavabo, sa main migrant lentement sur son ventre. Une moue vint supplanter son sourire alors qu’il se lavait les mains, l’esprit projeté en un endroit différent et un futur possible, anxiogène.

Le laboratin coupa l’eau pour se savonner les mains avant de réaliser qu’il l’avait déjà fait. L’image furtive de Brian, avec une tête à rivaliser avec Machin alors qu’il admettait que l’alcool l’aidait à se montrer entreprenant, s’imposa à l’esprit du biochimiste, chassant ses sombres augures d’un même coup. Leur relation allait bien et était partie sur des bases à peu près saines. Ils avaient un rythme que d’autres jugeraient lent, mais qui leur convenait lorsque Alex ne se mettait pas à culpabiliser de mettre la pression sur le policier. Ils étaient heureux, et il ferait tout en son possible pour qu’ils le restent.

Le sèche-main se mit automatiquement en fonction. Après quelques secondes de recherche de l’angle et la distance parfaites pour être détecté par le capteur. O’Conner était une bonne motivation pour mettre de l’ordre dans sa vie et en reprendre les rênes. Il ne vivait ni dans la misère ni dans la déchéance, mais il avait toujours navigué à vue, et il avait désormais envie de faire des plans plus concrets. Il suffisait de trouver lesquels, et de prioriser ensuite.

- Pardon.

Le laborantin manqua de se prendre le tranchant de la porte en plein visage alors qu’il s’ouvrait énergétiquement. Par réflexe, il s’était calé contre le mur alors que le type qui semblait empressé de se soulagé ne lui accordait pas la moindre attention. Le regard du druide observa le bras couvert de motifs jusqu’aux phalanges, et son sourcil se haussa de lui-même en un jugement silencieux, alors que la porte se rabattait aussi violemment devant lui qu’elle ne s’était ouverte. Agacé, il sortit de la petite pièce et se dirigea vers la table où ses compères étaient touts rires.

Alex pinça les lèvres sans s’en apercevoir immédiatement, alors qu’il reposait son fessier sur son siège.  L’impression familière d’être mis de côté parce qu’il n’était pas dans la blague s’était insidieusement installée en lui, mais il préféra faire mine que c’était autre chose qui l’avait rendu perplexe. Ses deux amis répondirent en redoublant de gloussement, haussant des doigts comme ils distribuaient des contraventions. Malgré l’amusement qui venait courber ses lèvres, Alex fronça les sourcils d’un air faussement accusateur. Brian voulut le rassurer et cette fois le sourcil parti à la recherche de sa tempe. Il était vrai qu’ils ne devraient pas boire davantage si ils ne voulaient pas que la serveuse s’impatiente, et ils feraient bien de ne pas traîner trop longtemps sans consommer…

- Le dernier ici, oui.

Il était hors de question que le druide ne ramène Richard chez sa mentore à vingt heures, vingt-heures trente! C’était une idée pour finir en croquette. Et encore, c’était en restant optimiste. Alex prit une courte gorgée du soda, dont la douceur commençait à lui tomber sur le coeur*. Les desserts choisirent ce moment pour apparaître sur la table avant qu’Alex n’y ait reposé son verre, qu’il décida de ne plus toucher.

La serveuse leur tourna aussitôt le dos et repartit s’occuper de ses tables, laissant vaguement l’impression à Alex qu’elle ne désirait pas s’attarder auprès d’eux. Il n’était même pas certain si elle avait baragouiné un vœu d’anniversaire ou de bon appétit.

- Bonne fête, Richard !
- J’vais jeter l’ancre, matelots !

Un fou rire vint fendre le visage d’Alex, dont les sourcils ne savaient plus quelle position adopter.

- Bonne chance, capitaine !

Alex observa son petit copain se diriger vers les latrines sans tanguer, mais d’un pas ralenti qui ne trompait personne, à l’exception peut-être de Richard qui semblait pour l’instant fasciné par son dessert. Alex porta son attention sur le sien, puis sur l’assiette de Brian, posée au centre de la table. Affublée, également, de deux cuillères à dessert. Le rouge remonta aux joues du druide, qui se demandait si c’était Brian qui avait demandé une seconde cuillère, ou si c’était une initiative de l’employée. Une troisième cuillère, se rectifia-t-il en saisissant celle qui venait avec sa coupe de fruits. Ce débat interne attendrait à plus tard.

Le druide venait de voir passer l’homme qui avait failli l’assommer avec la porte des toilettes. Alex dut tirer une drôle de tête, parce que le poulet suivit son regard. Voilà qui était gênant. L’agent Turner irait-il croire que Alex profitait que son petit ami était absent pour mater le premier venu. Tout d’abord, ce n’était pas le cas. Ensuite, le type avait une gueule de minotaure déchu ! Il fallait rectifier la situation avant même qu’elle ne dérape.

- Désolé, je sais que c’est pas poli de fixer. J’ai croisé ce gars en sortant des toilettes. Cette quantité de tatouages, ça m’impressionne toujours. Je veux dire… Ça doit faire mal, nah?

Alex prit une seconde pour scruter les bras de Richard alors que celui-ci demandait au scientifique s’il savait qu’il avait lui-même été tatoué. Parfois, c’était assez subtil, ou joli, ou bien intégré pour ne pas vraiment attirer l’attention. L’autre option était que sa chemise cachait son tatouage. Richard n’était pas du genre à mentir seulement pour un peu d’attention.

- Non... répondit prudemment le druide en allongeant l’unique syllable qui manifestait son ignorance de cette particularité de son ami.

*:

Alex tentait toujours de comprendre ce que Mafdet aurait pu lui dire, précisément, et ce qu’elle aurait bien pu mentionné. Ils n’avaient pas une relation hostile, ni même neutre s’il fallait être honnête, mais le laborantin ne se sentait pas non plus à l’aise de potiner avec la Sentinelle. La simple idée d’imaginer la panthère en train de déballer des ragots ou de répandre des qu’en-dira-t’on était déstabilisante en elle-même. Est-ce que c’était le genre de choses que les flics se racontaient entre eux? Brian irait-il dire à Richard qu’Alex avait un grain de beauté flanqué en plein sur l’éperon de son épaule droite, comme on parlait d’un problème de bagnole ou d’une série télé?

Une fesse.  La gauche. Pourquoi diable Mafdet parlerait de cette région à Alex, autrement que pour le faire rougir et surchauffer comme un fourneau? En soi, ça rendait la conversation plausible. Vil chat noir qui aimait torturer les gens qu’elle appréciait. Évidemment que, compte tenu de la coupe de l’uniforme, couleur marécage, de la police de Beacon Hills, Mafdet avait certainement maté tous les membres des forces de l’ordre. Diantre! Alex lui-même devait avouer avoir déjà flâner du regard dans cette direction, et c’était sans compter leur escapade en forêt. Toutefois, il y avait une sacré différence entre une observation factuelle et silencieuse et le partage de telles informations.

Parlant d’informations, ça entrait le cerveau du druidon à une vitesse fulgurante. Tenté de commenter sur l’habitude probable de Dick aux griffures de chat, Alex parvint à s’en abstenir. Principalement parce qu’il ne craignait ouvrir la porte à des discussions encore plus inconfortables sur les habitudes intimes de son couple d’amis – il venait de réaliser que c’était ce qu’ils étaient… deux amis en couple, donc un couple d’amis – et donc à ne plus parvenir ensuite à les regarder en pleine face.

Les sourcils en doubles accents circonflexes, Alex tentait de démêlé ce qui était le plus choquant: le tatouage ou la fessée à l’âge de quatorze ans. Dans le premier cas, ça lui semblait fichtrement jeune, dans le second, fichtrement vieux. Sans compter les douloureux souvenirs de la main militaire sur son arrière-train. Ça n’était pas arrivé souvent, mais Janet était ferme. Gabriel aurait probablement été plus doux. Dans tous les cas, Alex était certain qu’il n’aurait jamais pensé se faire tatouer à un si jeune âge : angoissé et paranoïaque qu’il était, il aurait bien trop eu peur de tout regretter aussitôt et de rater sa vie pour cette raison. Rien de moins.

Alex allongea le bras pour saisir le verre de Brian et lui en voler une courte lampée. Il était certain que le policier ne lui en voudrait pas.  Il n'avait plus l'habitude d'être chauffeur désigné, avec Derek, Andy et Charlie. C'était tout de même un peu plus amusant de ne pas avoir à modérer sa levée de coude!

Le plus choquant ne se fit pas attendre. Alex avait beau avoir compris, plus tôt dans la soirée, de quel sordide quartier Richard était issu, il n’en restait pas moins atterré de savoir que des gamins de cet âge étaient saouls. Certes, la base militaire ne lui aurait jamais fourni l’occasion de faire de tels écarts de conduite, mais Alex n’y aurait pas pensé non plus.  Sans dire qu’il pensait encore à jouer aux billes, il n’avait pas non plus hâte de vieillir à ce point.

- Tu m’étonnes, se contenta de rétorquer Alex, qui n’était pas non plus à l’aise de parler finances entre potes, et certainement pas en public.  Il en déduisit donc que le tatoueur avait dû être un amateur, pour accepter d’injecter de l’encre dans un enfant sans le consentement parental… et la qualité de l’artiste transparaissait donc dans l’oeuvre.

Le druide se redressa instinctivement en entendant le nom de Brian. Qu’allait-il en dire? Les lèvre pincées, Alex s’apprêtait à le défendre, mais ses sourcils s’arrondirent plutôt alors qu’il saisissait une évidence à laquelle il n’avait pas plus tôt penser. Les douches. Communes. Au poste de police. La main du laborantin se glissa hors de la table pour s’enrouler contre son estomac, en signe de malaise.  Alex se souvenait bien des douches au lycée, puis à la fac. Il n’en gardait pas de souvenirs particulièrement bons ou mauvais.  Prude et timide, il s’organisait autant qu’il le pouvait pour passer avant ou après les autres, mais avait également toujours eu l’impression que cette fuite du regard de ses camarades n’était pas très naturelle. Bien moins, en tout cas, que ceux qui semblaient confortables dans ces situations. Il ne trouvait donc rien d’alarmant à songer que les collègues se soient vus nus dans le cadre de leurs fonction. Un corps n’était qu’un corps, tant qu’il n’y avait ni attirance ni désir.

Et c’était ce qui fit tilté Alex.

Parrish partageait ces mêmes douches. L’ex de Brian. Cette idée, ce concept était déplaisant; écoeurant, même. Tiraillé entre la honte et la jalousie, Alex aurait aimé demandé à son copain s’ils prenaient simultanément leurs douches, mais il savait que cela serait enfantin et puéril. Il devait avoir confiance en Brian, et l’avait en réalité. C’était de Jordan qu’il se méfiait. Si le molosse infernal continuait de mater le marine, ou pire s’il le harcelait, il y avait des chances que l’adjoint finisse sa vie au panier, dans une cage de sorbier à destination de l’antarctique.

- C’est obligé d’imaginer? grinça-t-il entre ses dents, en tentant de chasser les images brumeuses qui se formaient dans son esprit. Comme tirées de ses souvenirs de vestiaires et de son imagination, les corps adolescents affublés des têtes adultes des poulets qu’il connaissait. Alex tressaillit en reconnaissant la tronche de Noah, cherchant comment chasser ces images sans changer de sujet trop vivement et impoliment.

C’est la chaise de Brian qui le sauva en raclant sur le sol. Alex refléta un sourire tout aussi gêné à son petit ami. Un sourire qui se métamorphosa en une reconnaissance infinie dès la mention des présents. Brian passa d’abord à Richard le petit paquet contenant la tasse "Mafdet". Ils étaient à peu près certain que la druidesse aimerait également ce clin d’oeil à leur relation, et à en croire l’enthousiasme de Richard, lui aussi.

Quant au tapis de bain, Alex voulut expliquer ce dont il s’agissait, à en juger de l’incompréhension – ou peut-être l’hébétude – sur le visage du réel fêté. Le mainois y alla d’une petite explication qu’Alex approuva d’un mouvement de tête avant de froncer les sourcils. Pourquoi le marin venait-il de passer en mode timide-et-mal-à-l’aise? Le laborantin parcourut du regard la distance entre les collègues et la plus grosse des boîtes, à la recherche de cette raison, sans trouver. Peut-être s’imaginait-il simplement que Richard n’avait pas le temps d’aller au centre commercial, vu sa situation familiale.

- Je suis certain que tu peux trouver un vidéo sur le web, sinon.

Sans trop comprendre, Alex s’était retrouvé, toujours assis, plaqué contre le torse de Richard, après que Brian ait subit le même sort. Cramoisi, Alex empala deux raisins et un cube de melon sur sa fourchette avant de les engouffrer. Il n’était pas certain s’il devait attendre que Brian lui offre de partager ou s’il pouvait déjà se servir de la cuillère en doublon pour piocher dans la tarte. Sa bouchée avalée, Alex réalisa qu’il devrait peut-être répondre au remerciement du plus âgé des policiers.

- Ça fait plaisir, Richard. On dirait qu’on a bien fait de pas prendre la tente, alors!

Alex envoya un clin d’oeil à Brian, qui semblait toujours absorbé par le Queen Anne’s Revenge. Il fallait peut-être le ramener de ce côté-ci de la réalité et Alex retint un sourire alors qu’une idée venait d’éclore dans son esprit.

- Brian? Richard me parlait de son tatouage. Je lui ai dit que j’ai un bison sur le rein gauche.
Dans un effort de démonstration, Alex se tortilla pour saisir l’arrière de sa hanche; celle sur laquelle les lèvres de Brian ne s’étaient pas posée, en poursuivant d’un ton qui se voulait le plus naturel au monde :
- Mais j’ai pas eu le temps de lui demander si toi aussi t’en avais un?

Pour ce qu’il avait pu en juger en jouant le garde-malade, Brian n’en avait ni sur le torse, les bras ou les mollets. S’il fallait qu’il ait un pygargue sur le fessier Alex n’était pas certain à quel point il lui serait permis de se moquer du patriotisme de ses amis. Il ne lui restait qu’à espérer que Richard jouerait le jeu et ne trahirait pas l’absence de drapeau manitobain sur le corps d’Alex.

*:

Richard n’était pas seulement satisfait de ses cadeaux, car son enthousiasme montrait bien qu’il en était même ravi. Alex sourit aux commentaires du policier qui lui faisaient penser à une fable célèbre. Son compatriote ne semblait guère prêteur pour le moment et, si ce n’était le cas de sa stature, Alex ne doutait pas qu’il pourrait lui trouver plein d’autres points en commun avec l’insecte travaillant.

Le druide réalisa un peu tard que son approche mettait potentiellement Richard mal à l’aise, alors qu’il restait le nez collé dans son dessert aux pêches. Quant à la réaction de Brian… Alex s’aperçut de sa bourde : son poulet semblait mal à l’aise davantage qu’autre chose, et il y aurait eu milles meilleures façons de le faire rougir. Il valait mieux oublier l’incident pour de bon. Certes, il savait désormais que le marine n’avait – aussi étrangement qu’il le reconnut lui-même – aucun encrage sur le corps. Alex goba rapidement sa coupe de fruits après en avoir offerts à Brian, et bouda la tarte, trop occupé à se triturer les mains sous la table. Persuadé qu’il avait causé un froid, il ne réalisa même pas qu’il s’était mis à mordiller sa lèvre inférieure.

L’arrivée des trois cafés leur sauva la mise et Richard argua avec justesse qu’il devait être en état de leur indiquer la route vers la demeure de sa belle. Un rire nerveux s’échappa des lèvres du manitobain en entendant le qualificatif choisi pour désigner la panthère. L’ambiance s’était à nouveau détendue et Alex en profita pour rappeler à Brian qu’ils ne seraient pas seuls non plus cette nuit.

- C’est un bel euphémisme, ça, Richard!

L’ambiance resta bon enfant alors que les cafés les réchauffait en se vidant doucement. L’heure de l’addition vint rapidement et Alex se leva pour aller payer. Il fut soulagé de voir le fêté prendre sa part et empêcher Brian de dépenser pour ce qui s’était avéré être également la célébration de son anniversaire.

Alex avait conduit tranquillement. Non pas par prudence, mais simplement parce qu’il était d’humeur détendue et ne ressentait aucun empressement pour quoi que ce soit. Malgré tout, il rata par deux fois son virage et dut prendre la voie panoramique en discutant avec ses passagers. Rien de grave, donc.  Le druide avait coupé le moteur à l’adresse indiquée par Richard, et il observait celui-ci se dandiner avec ses paquets en direction de la porte d’entrée. Il fallait espérer qu’il n’échapperait pas la tasse, ce serait un peu ridicule de la briser déjà ! Le tapis de bain risquait d’être plus difficile à abîmer que la porcelaine enveloppée d’un papier dans un boîtier de carton…

- Attends qu’il soit entré avant de démarrer.

Le biochimiste envoya un clin d’oeil à son matelot. Ce n’était probablement pas judicieux de lui faire remarquer que c’était précisément ce qu’ils étaient en train de faire. Ni que Brian s’entendrait définitivement bien avec Janet, qui lui avait répété as nauseam ce conseil élémentaire lorsqu’il allait reconduire des amis. Il faut dire qu’Alex aurait bien aimé attirer Brian à lui pour l’embrasser encore un peu, mais il préférait ne pas profité de l’état alcoolisé du flic. Il se contenta donc de repartir en déposant sa main sur le genou de Brian.

- Je veux voir ton bison !

Alex lança un regard en coin à Brian, qui semblait sur le point de somnoler. Pourquoi Alex aurait-il un bison? Ce n’était pas de la viande d’élevage, et ça ne vivait pas du tout dans la forêt californienne!

- Hein? Euh… Oh!
- Ben… Je… C’était une bêtise en fait.  Je voulais juste voir la tête que tu ferais.

Pour le coup, c’était Alex qui était mal à l’aise. Sa main rejoignit prestement le volant alors que le sang affluait à sa tête. Il devait clore le sujet le plus rapidement possible.

- Je suis comme toi.  Pas tatoué, je veux dire.

Une publicité de dentifrice jouait à la radio. Le slogan résonna dans l’habitacle.

- J’aimerais plutôt te montrer autre chose.  Il y a une enveloppe dans la boîte à gants. Ouvre-la.

Ils venaient de quitter les routes bordées de réverbères de la ville pour s’enfoncer dans les territoires qui la bordaient. Alex étira donc le bras pour allumer la petite veilleuse au-dessus de la tête de Brian et le laissa ouvrir la petite enveloppe. Elle contenait la preuve d’inscription d’un cours d’initiation à la voile, au nom d’Alex, et un certificat attestant qu’il avait réussi l’examen théorique en ligne. Alex avait passé le plus clair de son temps libre des dernières semaines à étudier les terminologies et à pratiquer des nœuds à l’aide de vieux lacets, motivé par l’envie de faire plaisir à Brian. Le tout était une gracieuseté de madame sa mère, beaucoup trop heureuse de l’encourager à faire quelque chose qui le sortirait de ses livres et ses expériences de laboratoire. Il avait beau lui répéter qu’il faisait également du sport, c’était comme si la vision de sa génitrice était bloquée sur une idée fixe.

- Bonne fête* en avance, mon poulet.

Le druide déglutit alors qu’il signalait à gauche avant d’aborder le prochain virage.

- Je me suis dit que tu serais peut-être content d’avoir un moussaillon à bord, la prochaine fois que tu seras sur l’eau. Ça vient aussi de ma mère, elle a avancé l’argent, sous condition que…

Alex pinça les lèvres et signa des guillemets de sa main droite, avant de la redéposer sur le genou du mentaliste. Elle y était bien, après tout. C’était comme si elle avait été moulée pour s’y retrouver.

… "Que ce Brian soit bien réel". Je ne suis pas certain comment elle compte juger de ça.

Alex fit la moue. Il espérait qu'une conversation vidéo suffirait. Elle n'invitait généralement ses fils à la maison que pour Pâques, Thanksgiving - Américain, pas l'Action de Grâce canadienne qui était avec Gabriel - et Noël. Enfin, vu la distance, ils s'arrangeaient et trichaient généralement sur les dates. Sauf que Pâques était pour trop bientôt pour qu'Alex soit à l'aise de présenter sa famille à Brian, et il se doutait que son amoureux n'en était pas plus pressé que lui.

*:

Alex s’était garé et avait coupé le moteur, mais la clé pendouillait toujours dans l’interrupteur. D’un geste complice et silencieux, Brian avait indiqué qu’il n’était pas pressé de quitter la quiétude de la carrosserie. Betsy en témoin de leur maladresse mignonne, ils restèrent un instant à se regarder dans le blanc des yeux. Le surnom choisi par Brian pour désigner Alex lui fit écarquiller des sourcils. C’était inattendu, mais finalement peu surprenant : cela rappelait au druide le passé du mentaliste, qui avait évolué dans des sphères où les mecs donnaient de tels noms à leurs conquêtes. Heureusement, ce terme-ci n’était pas péjoratif ou réducteur. Une simple contraction de Babe. Un sourire émergea comme la conclusion naturelle de ces réflexions, alors qu’il succombait à l’attrait des mains qui encadraient sa tête. Le laborantin tendit les lèvres, croyant prévoir ce qui l’attendait maintenant, mais Brian se confia plutôt. Alex tendit le crâne pour frotter le bout de son nez contre l’arête de celui de son partenaire, tendrement, pour le rassurer.

- Il n’y a pas de pression à les rencontrer. Quand on y sera tous les deux prêts, on avisera. Et si tu veux que je sois là pour discuter avec ta mère, je le serai.

Brian n’avait aucune obligation de ressasser les traumas de son passé et de les dévoiler à sa mère. Nombre d’adultes conservaient des souvenirs de jeunesse enfermés en eux, pour protéger leurs parents de vérités qui pourrait les blesser. L’inverse était par ailleurs tout aussi vrai, davantage, même, probablement. Toutefois, il y avait toujours le risque qu’un mauvais commentaire vienne heurter une corde sensible et ne cause une explosion, si par exemple Brian venait à reprendre un contact régulier avec sa mère.  Il était drôle de voir comment tous deux craignaient davantage de présenter leur mère à leur conjoint que de rencontrer la mère de celui-ci. Quant à Gabriel, Alex ne savait pas si Brian l’avait déjà croisé. Possiblement.

Brian vint embrasser Alex, son haleine éthylique chatouillant les narines du biochimiste, avant d’expliciter ce que le druide avait pu mal comprendre.  Il n’avait effectivement pas vu juste, et soupira.

- Tu pourras peut-être la connaître sous un nouveau jour. Une relation entre adultes, pour changer de ce que tu n’as pas vraiment eu avec elle.

Alex posa ses lèvres sur la joue de Brian et récupéra ses clés avant d’ouvrir la portière. Il était temps de rentrer, et de se cajoler dans un endroit plus confortable. Ils avaient migré de la cuisine au salon du grand espace ouvert, une tasse dans les mains. Quand Charlie fit son arrivée, Machin dormait déjà devant l’âtre. Alex s’étira le cou pour saluer son ami, et ramena les gobelets vides dans l’évier avant de rejoindre Brian dans leurs quartiers. Là, ils attendirent timidement le calme dans la seconde chambre et, dès les premiers coups de semonces de l’ursidé, Brian eut comme son deuxième souffle. Joueur, il menaça de vérifier l’absence d’encrages sur les flancs du druide, qui protesta uniquement pour conserver les apparences, avant de glisser ses doigts à toute vitesse sur les hanches du policier. Un instant de chamailleries plus tard, et ils se retrouvaient au sol.

- Désolé! Tu t’es pas fait mal?

Ils restèrent un instant sur place, laissant le temps au colocataire de retrouver le sommeil. Des ricanements enfantins agitaient le corps d’Alex, comme s’ils étaient en train de faire un truc particulièrement défendu. Lorsque le flic suggéra de rejoindre à nouveau le matelas, Alex plaqua sa bouche contre celle de Brian en se redressant.

- Tant que je suis dans tes bras, je serai bien, fit-il, conscient de toute la quétainerie de ses paroles.

Étendu sur le ventre, Alex attendait que son matelas personnel ne revienne le retrouver. Il suivit son trajet du mieux qu’il le pouvait, détournant la tête en une caricature de hibou, et un instant d’inattention suffit à ce qu’il se retrouvât plaquer sur le lit, presque immobile. Pied pointé, il plia le genou et tenta de passer quelques orteils à l’intérieur de la chemise de celui qui était en train de lui découvrir les hanches. Il fallut que la pointe du feutre ne touche sa peau pour qu’Alex comprenne ce que Brian avait en tête lorsqu’il parlait de remédier à la situation. Le druide se cambra, voulut se débattre, mais réalisa bien rapidement qu’il était préférable d’attendre sagement que l’artiste ait terminé son œuvre pour ne pas se retrouver avec un barbouillis sur les reins. Il protesta tout de même pour la forme, usant de ses membres libres pour embêter le marin, et tenta à nouveau le yoga lorsque vint l’heure du grand dévoilement. Impossible d’y voir quoi que ce soit! D’un geste vif, Alex bascula prestement son bassin, se donnant le temps de récupérer son portable, qui ficha dans les mains de Brian.

Le biochimiste profita que son petit ami prenait la photo pour récupérer le feutre. Il se doutait bien que le flic n’avait pas laissé tomber une arme aussi destructrice hors de sa vigilance sans que ça ne soit un accord tacite sur la vengeance à venir du druide. Alex songea lui peinturlurer une ancre sur le biceps, ou un coeur en lequel il pourrait inscrire leurs initiales. Trop fleur bleu et, surtout, Alex ne voulait pas que ses collègues ne se moquent trop de lui. Un autre cliché serait d’inscrire "mom" dans ledit coeur, mais c’était plutôt pour les motards, et cela ferait mauvais genre vu leur discussion précédente.

Après avoir rigolé du bovin qui ornait temporairement le flanc d’Alex, celui-ci déboutonna la chemise de Brian pour avoir un accès plus libre à son canevas. Il en repoussa un pan par-dessus l’épaule gauche du militaire. Son geste se suspendit un instant alors que son visage se crispait d’un air vaguement triste. Le laborantin se reprit rapidement, chassant ses complexes à l’arrière-plan de son cerveau. Sans être gras, Alex n’avait pas une physionomie qui mettait en avant ses activités physiques régulières, et il trouvait que son ventre avait davantage l’air du bide d’un buveur de bière du dimanche que d’un sportif. Il ne pouvait s’empêcher de craindre la réaction de Brian lorsqu’il découvrirait son corps quelconque, bien loin de la plastique qui peuplait les postes de police autant que les casernes militaires et la navy. Ils avaient une belle relation et Alex ne pouvait qu’espérer que ce type de considérations superficielles ne lui coûterait pas de perdre son amoureux.  Chassées, donc, à l’arrière de son crâne, ces pernicieuses pensées qui avaient rejailli au restaurant laissèrent place à une concentration appliquée, alors que le biochimiste posait sa langue entre ses dents et débutait le tracé sur le ferme pectoral de son petit ami.

- Mais arrête de bouger! Ça ne peut pas vraiment te chatouiller, voyons!

Une ligne flanquée de deux triangles rectangles, un arc de cercla à ses pieds et un rectangle à son faîte, Alex avait achevé son chef d’oeuvre. Il s’étira pour récupéré un stylo noir, gribouilla sur le dos de sa main jusqu’à ce que l’encre s’active et inscrivit trois lettre sur le petit navire qu’il venait de dessiner : Q.A.R.

- Voilà! Comme ça tu pourras savoir si tu la veux tatouée sur toi ou pas.

Quelques minutes plus tard, ils s’accordèrent pour dire qu’il était l’heure de dormir. Alex se saisit de son pyjama et se rendit à la toilette où il en profita pour se changer en plus de sa routine habituelle. L’alcool avait rendu Brian plus fougueux et cela ne lui déplaisait pas réellement, mais il craignait que si le policier n’était trop désinhiber, il devrait réfréner ses ardeurs. Lui dire simplement qu’il préférerait attendre que Brian soit sobre, sans avoir besoin de dire qu’il craignait autrement que l’ex-marine n’ait des regrets, ou que le biochimiste n’ait l’impression d’avoir répété l’histoire.

Alex s’était retrouvé à faire la grande cuillère, sans trop savoir comment c’était arrivé. Du bout du nez, il chatouillait la nuque de Brian, réprimant des bâillements de plus en plus fréquent. Finalement, il embrassa l’endroit que son nez avait exploré depuis de nombreuses minutes et se dégagea.  Brian tourna la tête pour que leurs lèvres se rencontrent et Alex retourna dans une position qui lui était plus confortable, habitué qu’il était à dormir seul. Truc grommela son mécontentement d’être dégagé de l’oreiller d’Alex et poppa aux pieds de son maître.

- Rêve bien.

Alex sentit quelque chose glisser sous les draps et, au moment où O’Conner lui saisit la main, il fut persuadé que son sommeil serait serein.