[EVENT] Pirates of the Caribbean day - L'île au trésor

Le « moi aussi » plus soupiré que prononcé de mon compagnon m’inquiète. Il n’est pas à l’aise sur ce plancher tanguant. Pourtant la mer est belle et les alizées nous caressent gentiment. Jay frissonne à mon contact. A-t-il froid ? Est-il souffrant ? C’est un loup, à par le mal de mer il est immunisé contre la dysenterie, et les refroidissements. Je le scrute, un peu alarmé de sa raideur et de son regard perdu à l’horizon.

- Tu veux dire que je vais me résigner et me convertir à cette vie…
- Je…

Je ne sais que répondre. Je vis un rêve éveillé, tandis qu’il patauge dans un cauchemar. J’aimerais pouvoir me faire plus rassurant, seulement je n’ai pas les clés de ce qui nous arrive. Je ne lui ai pas raconté les précédentes bizarreries arrivées à la même époque à Beacon Hills. Si certaine étaient plaisante, d’autre avait été funestes. Puis, ce ne sont pas des souvenirs clairs, seulement des flashs, des fragments d’histoires qui m’échappent. Je rêve parfois d’une grande roue qui s’effondre. De morts qui ne le sont plus. Cette confusion est la raison de mon silence. J’ai le sentiment que cette aventure aura une fin. Mais je ne peux pas affirmer qu’elle se terminera dans quelques jours ou plusieurs années. Jay me livre son envie de rentrer et compare cette sublime frégate à une prison flottante. Nous ne sommes pas libres de nos faits et gestes, j’en conviens.

- Je vois que tu es heureux ici, mais n’oublie pas que nous étions tous deux heureux, ensemble, avant cette croisière maudite.

L’accusation me blesse. C’est vrai que je me régale malgré la fatigue, malgré la cambuse insalubre. Je ne me suis jamais senti aussi vivant à trente mètres au-dessus du pont. Ma capacité à agir sur l’air ne m’a jamais été aussi précieuse dans les manœuvres de ses lourdes toiles enduites que sont les voiles de l’époque. Je prends ce qui nous arrive comme une aventure, une expérience dont on parlera plus tard. Ou pas.

Jay s’approche du bastingage, me montre l’eau dans un signe sinistre. Qu’espère-t-il ? Certes les Caraïbes sont truffées d’îles et d’îlots, mais les courants sont terribles. Même avec une terre en vue, il ne faut pas s’attendre à pouvoir la rejoindre à la nage. C’est du quitte ou double, voire moins.

- Lave-toi si tu veux que je t’embrasse.

Sa tirade, dites sur le ton de la plaisanterie, n’adoucit pas le sarcasme qu’elle cache. Je me suis lavé il y a moins de trois heures, à l’eau de mer. Je grimace un sourire, serre les dents pour ne pas lui rappeler que l’eau douce est réservée à la consommation. Jay évitait les contacts rapprochés depuis quelques jours. Je m’étais persuadé que c’était par fatigue ou mélancolie. Maintenant, il n’en cache plus la raison : je pue. Comme le reste des guenilles qui peuplent ce navire.

Ce n’est plus ma peau qui pique à cause du sel, mais mes yeux. Et l’océan n’y est pour rien. Est-ce là la portée de son amour ? Sa limite plutôt. Ne sent-il pas le fauve après ses séances de sport ? Ne m’a-t-il pas déjà embrassé son maillot trempé de sueur ? Je plisse les yeux, feignant être dérangé par le vent. Je secoue la tête.

- J’y penserai dès que le spa se libère !

Je recule d’un pas, puis d’un autre. Dur constat que celui de ne pas pouvoir compter sur celui qu’on aime dans l’adversité. Son côté citadin, toujours habillé de manière stylée m’avait séduit. Son caractère enjoué, prêt à faire la fête, à me faire sentir unique au milieu d’une foule avait emporté mon cœur. Une semaine sans salle de bain et mon odeur l’incommode. Un mousse me hèle me donnant l’occasion de fuir. Je papillonne des yeux.

- Ça va ?
- Oui, une poussière.

Ça passe crème, nous sommes à une époque où un homme ne chiale pas, pas pour une affaire de cœur du moins.

- Le s’cond veut qu’on dresse le diablotin et la marquise. T’veux bien m’aider ? J’aime pas ces voiles pendues à deux mats. Faut pas s’louper.
- J’arrive.

Clair, qu’il ne faut pas se louper : les harnais de sécurité n’ont pas encore été inventés. La manœuvre est délicate, pourtant je n’arrive pas à effacer les mots de Jay : que je me lave si je veux qu’il m’embrasse… En gros tant qu’on n’accoste pas et à la condition de trouver quoi se laver. Plus jamais…

- Brian ! Attention la poulie !

Douleur fulgurante à la tempe. Je vois des étoiles, mes forces m’abandonnent et l’horizon bascule. J’évite une chute de vingt mètres à un ultime réflexe de ma jambe qui crochète une drisse. Brulure de la corde au frottement derrière le genou. D’un coup de rein, je me remets à l’endroit et viens épouser avec élan le mât d’artimon. Mon rêve tourne au cauchemar.

(…)

À mon tour d’éviter Jay. Plus parce que je sens que je vais craquer si l’occasion de nous reparler se présente que par réelle bouderie. Et quand je ne peux l’éviter, assez fréquent sur un bateau de cette taille, je me débrouille à ce qu’il ne soit pas sous mon vent pour lui épargner ma puanteur.

Mon crâne me lance. Le mousse que j’avais aidé s’est excusé une dizaine de fois. Mauvaise manœuvre, le cordage lui a échappé. Si je n’avais pas été distrait, j’aurais évité facilement le danger. Ça aussi, je ne l’ai pas montré à Jay. Ce n’est pas si difficile : suffit de tourner la tête. J’ai la pommette tuméfiée et un méga bleu d’après le moussaillon. Il n’y a pas de miroir à bord, ou alors peut-être dans la cabine du capitaine. Je profite de mes temps de repos pour m’allonger dans mon hamac. Celui du bas, proche des rats. Je m'en moque. L'accident m'a vidé de mes forces.

(…)

Un grand craquement suivi d’un coup sourd sur la coque me réveille. Le gîte anormal du bateau termine de me sortir du hamac. J’ai la tête qui tourne, ma tempe me lance méchamment. Des voies d’eau apparaissent comme si le Black Pearl était pris dans un étau. Autour de moi, ça hurle, le vacarme devient infernal. Une évidence s’impose à tous : il faut vite monter sur le pont. C’est la panique à bord. Je cherche mes amis, mais ne les trouve pas dans la cohue. Quand je vois enfin la cause de cette agitation, je m’affale par terre. Le mât de misaine tombe sur le pont broyant nombre de marins au passage. Je me relève, trop vite. J’ai des flashs plein les yeux et l’impression d’avoir la tête coincée dans un étau, une migraine atroce. Les mouvements du pont deviennent difficiles à suivre. Je compense une fois, deux fois, puis c’est le vide, le grand plongeon. J’ai le réflexe de prendre une grande inspiration. Je suis bon nageur, pourtant je coule comme si toutes mes forces m’avaient abandonnée.

(…)

Une vaguelette me chatouille le nez. J’ai du sable plein la bouche. J’entrouvre les yeux, les referme : le soleil est éblouissant. À vu de nez, il est 10h ou 14h selon où se trouve le Nord. Du sable, une plage : je n’ai donc pas coulé. Je ne me souviens pas d’avoir nagé. J’entends une voix qui m’appelle : Jay. Je décolle ma tête du sable pour mieux le voir.

- T’approche pas : je pue !

Le mouvement provoque une forte douleur au crâne. Je sombre dans le néant.

Pirates of the Caribbean Day  ω Équipage Sparrow

Je ne sais pas si c’est terminé entre Brian et moi. J’ai peut-être poussé le bouchon trop loin, mais je n’ai pas l’impression qu’il ait fait le moindre effort pour me comprendre. À sa réponse, je me suis contenté de bloquer ma mâchoire, pour ne pas pouvoir parler, et de soutenir son regard fuyant. Ce n’est pas d’un spa que je veux, mais d’une savonnette, et d’une soirée canapé devant Pearl Harbor. Ce sont ces moments qui me manquent. Il devrait le savoir, pourtant, ou au moins partager un peu cette espèce de mélancolie, cette impression de vide. Je le fixe alors qu’il recule et se fait accoster par l’un des plus jeunes membres de l’équipage, sans ciller. Je me tourne vers la mer, au-delà du bastingage. Je ne cherche ni volaille maritime ni éperon rocheux, alors que je me perds un court moment dans mes pensées.

Je sais ce qui m’a plu chez Brian, en dehors de ce qui est évident en lui voyant sa gueule d’ange. Je sais que je me suis permis de m’arrêter et de m’enraciner auprès de cet homme parce qu’il m’offrait quelque chose de différent. Parce qu’il ne me voyait pas que comme un pretty boy, déjà. Nos tempéraments sont tous deux suffisamment forts pour qu’aucun de nous n’ose faire le premier le geste vers la réconciliation. L’orgueil est une bêtise, la mienne, et je l’assume.

Le moment passe trop vite. À peine une dizaine de vagues se sont brisées contre la coque qu’une présence derrière moi interrompt mes pensées. L’envie de prendre l’intrus par la gorge et le balancer par-dessus bord m’est forte : je suis à plat, au bout de ma patience. Moi qui aime être entouré de gens, qui est sociable et trouve toujours quelqu’un pour chaque situation, voilà que la routine et les visages trop fréquentés m’irritent. Quelque part sous les couches d’odeurs variées, je reconnais Raphaël, un instant avant qu’il ne m’adresse la parole. Je me contente d’un grognement pour signifier que j’ai enregistré la nouvelle. Je trouve le destin bien effronté de me placer dans cette situation paradoxale, et manque de d’offrir une médaille à mon ami. Je me promet tout de même d’en parler avec la louve lorsque l’occasion se présentera.

« Génial. Je ne m’était encore jamais senti aussi vivant. » Cela transpire certainement le sarcasme. Tant pis. Je suis à bout et ne peut faire guère mieux. Au moins, je parviens à poursuivre avec sincérité et un embryon de sourire. « Je suis content pour vous deux. »


Depuis son accident, Brian m’évite. Est-ce que j’ai l’air d’avoir l’âge de jouer les amourettes de cours d’école? Il s’est prit un mât en pleine poire; même sans m’inquiéter pour lui, il serait normal qu’il vienne me voir. Je suis secouriste, après tout.

Il m’a fallu du temps pour comprendre qu’il se positionne contre le vent lorsqu’il me croise, et je ne suis pas certain si c’est réellement le cas ou si je me fais des idées. La solitude au coeur de cette foule nauséabonde me monte à la tête et je commence à craindre de devenir fou, ou paranoïaque à la limite.

Je me couche en étendant le bras hors de mon hamac, en une position très inconfortable, dès que le souffle de Brian est suffisamment irrégulier pour trahir son éveil. Il refuse de saisir ma main, et donc de marquer une trêve dans cette joute de comportements infantiles. Je ne sais même pas moi-même pourquoi j’y participe et, finalement, je ramène mon bras à moi pour tenter de trouver quelques heures de repos, en me disant que je me moque bien d’O’Conner.


Je n’ai pas compris ce qui nous est tombé dessus. Une créature géante, visqueuse et, pour bien changer, puante. En moins d’une minute, notre vaisseau disparaît en décombres et je me retrouve propulsé à l’eau plus que je ne m’y jette. L’odeur du sang se mêle au sinistre spectacle alors que je tente tant bien que mal de rester la tête hors de l’eau. Jusqu’à ce que je reconnaisse une silhouette qui joue les blocs de béton. Je plonge en souhaitant avoir été davantage enclin à la natation, et saisit le policier pas la taille en tentant de mon mieux de changer ma direction et de retrouver la surface. Je réalise la futilité de mon plan de partir à la nage en pleine nuit, mais ne m’attarde pas à ce constat. Hors de l’eau, je cherche une planche ou quelque chose, n’importe quoi, pour y installer Brian. Je vérifie ses signes vitaux et lui fais cracher l’excédent d’eau, puis je pousse le débris qui lui sert de radeau de fortune en battant des jambes de toutes mes forces de lycan. Si son rêve tourne au cauchemar, il est hors de question que mon cauchemar passe de Charybde en Scylla.

J’ai les jambes en feu, et ne suis pas certain d’avoir la force de pouvoir marcher dessus. Je pense que nous sommes les premiers sur cette misérable île, mais je voie d’autres naufragés qui nous suivent. Si j’espère que Kada’an et Raphaël sont parmi ceux-ci, je me fiche bien du sort des autres. Je tire Brian sur le sable, sur la plus courte distance qu’il m’est possible pour éviter qu’il ne soit noyé par une vague téméraire ou remporté par le ressac, puis je débute les manœuvres de réanimation, appelant son nom de temps à autre. La louve finit par apparaître; l’avantage d’être hybridée avec un kraken, je suppose. Les signes vitaux de Brian sont stables, mais nous le veillons toujours. Je ne sais quoi penser de son état, jusqu’à ce qu’il se relève suite à l’un de mes appels.

« Moins qu’une charogne, imbécile! »

Je ne sais pas s’il entend ma réponse, mais ma gifle le rate alors qu’il s’effondre de nouveau dans le sol. Je le toise un instant du regard, et relève des yeux noirs sur la bêta.

« S’il demande, c’est toi qui l’a sauvé. »

Lorsque d’autres rescapés s’approchent de notre petit campement, et nous demandent pourquoi on ne rejette simplement pas l’homme inconscient à la mer pour qu’il s’y noie, je suis choqué Brian est vivant, pourquoi ferions-nous cela? La réponse n’est pas prononcée autant qu’elle est évoquée, et elle n’est pas évoquée autant qu’elle devient tout à coup tangible dans l’air : moins de gens, cela veut dire moins de ressources à partager, et moins de trésors, également. L’hostilité parvient enfin à mes narines, sous l’odeur de crasse que nous dégageons tous, et je n’en peux plus de me réprimer.

Je deviens la bête. Je lacère la gorge d’un premier pirate avant même qu’il ne réalise ce que je suis en train de faire. J’attrape le second quelques mètres plus loin et abrège son cas aussi rapidement, avant de faire voltiger son corps sur leur dernier ami, qui s’écrase au sol sous l’impact. En quelques bonds je le rattrape et abrège ses souffrances : je ne suis pas un sadique qui s’amuse à jouer avec la souffrance d’autrui, mais seulement un loup qui défend sa meute ou, à défaut, ce qui me tient lieu de famille. Et puis, je ne peux pas les laisser partager mon secret à d’autres. Je ne veux pas d’une chasse aux sorcières. Enfin… C’est à voir selon la réaction à mon retour auprès de Brian.

« Personne ne le tue », imposé-je dès que je suis à portée de voix de notre bande. Je ne fais pas deux pas supplémentaires que mon énergie quitte entièrement mes jambes épuisées et que je m’effondre au sol. J’ai à peine le réflexe de porter les mains devant pour amortir ma chute, et je me retrouve étendu dans le sable, à quelques mètres de Brian. J’ai conscience de la vulnérabilité de ma position et, en ce moment, je me moque bien du jugement que me réserve les quelques survivants rassemblés près de moi.

Mes tempes pulsent presque en rythme avec le bruit des vagues. Je reste dans un état second entre vague conscience et inconscience. Au soleil qui a arrêté de me tanner la peau, je comprends qu’une main charitable m’a déplacée à l’ombre d’un palmier. J’entends des gens s’engueuler, mais je ne saurais dire si je cauchemarde ou si c’est la réalité. Je ne saisis pas les propos ni ne reconnais les voix. C’est vague et embrumé. Je pense vaguement aux mains de Jay que j’idéalise sur mon crâne pour puiser ma douleur.
Jay…
Quand il chante dans le salon, la télécommande de la télévision en guise de micro. J’aime quand il fait un one man show rien que pour moi. Il a un bon répertoire et termine toujours la chemise déboutonnée dans une pause sexy.
Jay…
Quand un Fogg londonien plonge la cuisine dans le brouillard avec une légère odeur de trop cuit et un « merde, merde, merde » de l’excellent cuisinier qu’il est habituellement qui s’est fait avoir par une conversation téléphonique qui l’a déconcentré.
Jay…
Qui fait une moue dégoûtée tandis que je plonge mes mains dans les organes de sa voiture pour décrasser une bougie.
Le même, tout joyeux que sa caisse démarre à la première sollicitation.
Jay…
Quand il a enfilé en douce mon vieil uniforme de parade de la Navy et qui défile au pas dans la maison, le menton relevé, le salut impeccable, les doigts sur la couture du pantalon.
Jay…
Quand il sèche discrètement ses yeux devant un film émouvant.
Qui balance son poing dans la gueule d’un type qui m’a traité de sale pédale.
Jay…
Qui veille à l’équilibre de ce que je mets dans mon assiette.
A poil dans le lit, une fleur sur l’oreille, qui me sourit alors que j’ai eu une journée plus que pénible.
Qui attrape Truc par la peau de la nuque et le colle dehors en veillant à le tenir à bout de bras sous prétexte que la pauvre bête perd ses poils.
Jay qui me regarde comme un héros.
Moi qui le vois comme mon héros.
Jay qui est toujours là pour moi.
Qui se bat pour moi.

J’émerge d’un rêve rétrospectif qui tourne au cauchemar. Lumière intense, brise tiède et cris. Je me redresse sur les coudes. Je mets du temps pour saisir la scène sous mes yeux. Kada’an et Raphael sont à côté de moi. Au linge humide que tient la louve à tentacule, je devine qu’elle s’occupait de moi avant que quelque chose la détourne de sa tâche. Je suis la direction de leurs regards et vois Jay affalé sur le sable à portée de voix.

- Que s’est-il passé ?

On me fait un bref topo : Jay a attaqué ceux qui voulaient me jeter à la mer. Je me mets assis, cherche à me relever. Échoue.

- Comment suis-je arrivée jusqu’à la plage ? Je me souviens avoir coulé à pic !

Kada’an fait une moue, embarrassée sur ce qu’elle doit me répondre. Son coup d’œil vers Jay me fait comprendre où est le héros de l’histoire.

- Faut comprendre, mec ! marmonne un matelot de notre équipage. Tu semblais pas vouloir rev’nir à toi ! L’île est pas si grande.

Je lève une main. C’est bon, j’ai compris ce qu’il s’était passé. Je me mets à genoux, puis pousse sur mes jambes pour me relever. Je dois à une main secourable de Raphael de ne pas tomber. Je m’avance vers mon héros toujours au sol. Il est épuisé. Plus loin, je vois des cadavres, leurs blessures ne me laissent aucun doute. Jay leur a montré la puissance d’un loup. Quelques gars traînent un peu trop près de lui. Je ne suis pas en état de le défendre, alors je bluffe.

- Vous avez compris d’où vient le vent !

Je me désigne avec Jay, puis montre Kada’an et Raphael. L’aspect de la louve plaide en ma faveur. Puis il est un fait : même si nous n’étions que de vulgaires mousses sur le bateau, notre comportement riche de connaissances du XXIe nous a fait paraître plus intelligents et plus malins que le reste de l’équipage, et ça même si mes compagnons n’y connaissaient rien en navigation. Tout était dans une façon de s’exprimer, de raisonner. Je soulève la tête de mon compagnon et colle mes genoux dessous.

- Je suis désolé mon cœur.

Je caresse ses joues, mon regard s’ancre dans le sien.

- Vous attendez quoi vous autres ! grondé-je à la poignée d’homme qui reste de l’équipage du Black Pearl ! J’en veux deux au ravitaillement d’eau potable, deux pour la bouffe. Les autres : trouvez un bon coin pas trop loin de la plage et établissez un campement. Ramassez les débris du bateau, trouvez des restes de voile, tout ce qui peut servir.
- Euh…
- Quoi ?
- T’es pas notre capitaine, Brian !
- Je suis le seul des survivants à savoir me servir du sextant qui traîne là-bas. J’ai aussi vu la carte de Barbe Noire.
- Il ne l’a montré à personne ! Tu mens.
- J’étais juste au-dessus de lui sur le mat d’artimon, quand il l’a consulté il y a deux jours. J’ai mémorisé la forme de l’île et la position du trésor ! Et vous aurez besoin de mes connaissances de la navigation pour espérer quitter cette île un jour. Je prends le commandement, matelot ! Exécution ou je demande à Kada’an de sortir ses crocs !

J’improvise. Pas le temps de faire dans la finesse. Il sera toujours temps de faire le point avec les compagnons d’infortune venus du même siècle que moi. Mais il est clair que je ne laisserai pas ceux d’ici interagir sur notre devenir.

- Et le trésor, « Capitaine » ?
- Faut d’abord rester vivant pour penser à le trouver. Organisez aussi une ligne de défense, terminé-je en montrant deux matelots de l’équipage de Barbe Noire sortir de la mer et s’écrouler sur la plage.

Je ne vois pas Ryan, Mafdet et son compagnon. Ont-ils coulé ?

- Jay ? Faut te mettre à l’ombre.

J’aide mon compagnon à se redresser. Je ne sais pas qui soutient l’autre. Une fois adossé contre un tronc, je le serre contre moi.

- Je t’aime. On va se sortir de là et rentrer chez nous. Promis ! Raph ? Kada’an ? Ça va ? Il faut rester vigilant. Je ne sais pas si ce trésor est une réalité ou pas, mais Barbe noire avait bien une carte avec une croix dessus. L’or a tendance à rendre les gens fous…

Je n’insiste pas sur l’action de Jay plus tôt. Mais c’est clairement nos vies contre la leur. Je ne serais pas contre un renfort de la féline et de son compagnon que je sais pas très net sur son passif, passif qui pourrait bien faire la différence dans notre position. Mon coup de bluff a marché, mais pour combien de temps.

pirates of the

caribbean day

Il m'a embrassé. Je ne sais plus si c'est la réalité ou un rêve, il n'empêche que c'est la chose la plus proche de ce qui s'apparente à un ancrage sur terre. Métaphoriquement parlant, étant donné que nous sommes sur un bateau pirate en quête de je ne sais pas quoi. Allongée dans mon hamac pour la nuit, je n'arrive pas à trouver le sommeil malgré la fatigue qui me prend dans tout le corps. Il m'a embrassé. Je secoue la tête et ferme les yeux. Mais le souvenir de ses lèvres sur les miennes me file un nouveau frisson et j'essaie de trouver une nouvelle position. Sans succès. C'était pourtant il y a plusieurs jours maintenant ! Mais.. Il m'a embrassé.. Je soupire, et regarde ce qui nous fait office de plafond. Le bateau tangue, il commence à y avoir beaucoup de vagues. Un haut-le-cœur me prend, et j'ai besoin de prendre l'air. Au diable les possibles règles, j'ignore même s'il est possible d'aller sur le pont la nuit. Mais j'en ai besoin. De toute façon, l'aube arrive, et l'on devrait de toute manière se remettre au travail.. Mais les vagues sont vraiment étranges.

Je me tiens à un tonneau lorsque l'une d'elles semble vraiment agressive. Danger. C'est ce que me disent soudainement mes sens. Danger. Il faut fuir. Je n'ai pas le temps d'aller réveiller les autres qu'un craquement sourd se fait entendre. Le bateau.. Les vagues sont donc si violentes ?? Mais l'odeur soudaine, qui ressemble étrangement à celle que je porte sur moi depuis cette aventure, se fait sentir. Je n'ai pas le temps de réfléchir, qu'un nouveau craquement se fait entendre, sous moi cette fois. J'évite de justesse d'être aspiré par l'eau qui s'engouffre dans la coque. Je suis séparé des autres, je ne peux plus les atteindre ! Faute de pouvoir descendre, je monte sur le pont. Est-ce une bonne ou une mauvaise idée ? Je suis incapable de le dire tant la vision de ce qui se passe m'effraie. C'est un cauchemar... Je lance un regard vers la soute, où sont la majorité des matelots, dont mes amis, des cris se font entendre, des gens arrivent sur le pont. Et c'est le noir. Un coup m'a percuté dans le crâne si fort, que je me suis évanouie.

[...]

La première chose que je ressens à mon réveil, c'est la douleur à la tête. Je vais pour porter ma main à mon crâne quand je remarque que je flotte. Mes tentacules bougent d'elle-même, me maintenant à la surface de l'eau comme un mécanisme d'auto sauvegarde. Je fronce les sourcil.. J'étais inconsciente... Comment je peux utiliser cette partie du corps que j'ai fini par considérer comme mienne depuis que nous sommes sur ce bateau. Mon autre bras engourdi semble vouloir se réveiller et je remarque alors la planche sur laquelle je suis appuyé. Ce n'étaient donc pas les tentacules.. L'eau ne me dérange étrangement pas, mais j'ai froid. Et ça sent la mort. Des gens autour de moi flottent, sans vie. Certains animaux volants croassent, heureux de ce festin. Un bout de mes proéminences semble avoir été grignoté et je fronce les sourcils. Mais c'est tout ce que mon corps est capable de faire. Puis c'est de nouveau l'obscurité...

Quand je me réveille, je ne sais pas où je suis. Mais au loin, j'aperçois une terre. Est-ce un mirage... ? Qu'importe. Je plonge sous l'eau, et nage. Pour le coup, cette malédiction est une bénédiction. En plus d'avoir une rapidité de nage plus importante, j'arrive à rester en apnée plus longtemps. Je ne fais pas attention à la flore ou à la faune marine qui m'entoure. Je veux poser mes pieds par terre... Quand enfin, j'arrive sur la plage, je reste allongée un moment. Je n'ai toujours pas fait attention à ce qui m'entoure et lorsque je regarde, où j'ai atterri. La bête sauvage est en mode survie quand des gens essaient de s'approcher de moi. Je grogne, et essaie de me redresser. Mon grognement devient un couinement plaintif et les matelots en profitent jusqu'à ce qu'ils changent soudainement de direction. Quand je tourne la tête, je vois Jay. Devant un corps inanimé. J'arrive à me redresser et finis par arriver à ses côtés.

-Jay.. Comment va Brian... ? Tu as vu Raphaël.. ? Hein ? Mais je.. Pourquoi je lui dirais que c'est moi qui a...?
Le regard de Jay me fait ravaler mes mots et je tourne un regard à la mer. Et je vois ce corps. Sur le ventre, les vagues le portent doucement jusqu'au sable.

-Raph...

Mon corps bondit, ayant soudainement perdu toute trace de fatigue. Quand j'arrive à son niveau, je le tire loin de l'eau et le retourne doucement. Il est inconscient. Je pousse ses cheveux, et la suite, c'est du mécanisme de survie. Il a dû avaler de l'eau.. Il faut lui faire recracher.. Et il ne respire pas ! J'entame alors un massage cardiaque, refusant tout bonnement de le perdre aussi tôt. Je ne m'arrête que lorsque, enfin, son corps recrache l'eau salée qui le noyait de l'intérieur. Je soupire, soulagé lorsque je croise son regard.

C'est alors que j'entends le combat qui se déroule derrière moi. Quand je me retourne, je vois Jay, crocs et griffes dehors, qui protège son compagnon. Il ne lui faut pas tant de tant que ça pour finir le lot d'idiots qui voulaient sans doute s'en prendre à Brian.. Je tire Raphaël j'ai qu'aux deux autres quand Jay s'effondre lui aussi. Par sécurité, je vérifie son pouls. Il respire, sans peine. Je suis rassurée, ce n'est que de la fatigue. À mon tour, je sens le noir arrivé pour la troisième fois depuis l'attaque, mais je pousse un grognement assez puissant pour me maintenir éveillée. Me voilà donc avec trois hommes, aussi endormis qu'une portée de louveteaux.. Sauf qu'ils sont tous mal en point..

Brian devient blafard. Dans son inconscience, il grimace. Je porte ma main à son front et grince des dents. Il à de la fièvre. J'arrache un bout de tissu le plus propre possible et vole la gourde d'eau d'un mort. J'humidifie le torchon et le dépose sur le front de l'homme. Raphaël choisit ce moment pour revenir à lui. Je suis rassurée.. Peu de temps après, c'est autour de Jay de refaire surface. Elle tend la gourde aux deux hommes, signifiant qu'il faut qu'ils boivent.

-Sa fièvre a baissé.. Il devrait revenir bientôt à lui. Dis-je en récupérant le tissu pour l'humidifier de nouveau. Il ne me laisse pas vraiment le temps de le replacer sur le front, qu'il ouvre les yeux. Nouveau soupir de soulagement de ma part. Je ne sais pas quoi répondre à sa question. Je lance un regard en coin à Jay. C'est sans doute maladroit de ma part, mais à l'heure actuelle, je ne me vois pas mentir. Alors je ne dis rien. Ma tête me lance, et je me souviens alors qu'une partie de mon corps est blessée. Je prends mon tentacule et comprends que si le sel à cautériser la plaie, elle s'est quand même infectée. Et soudainement, maintenant que tout le monde est réveillé, mon corps ne me laisse pas le temps de grogner. C'est de nouveau le noir complet.

Pirates of the Caribbean day -
L'île au trésor

Pirates of the Caribbean Day  ω Équipage Sparrow

Mon état d’éveil vacille entre l’inconscience et l’insolation. Je ne sais si mes yeux se ferment pour quelques secondes ou des minutes. Je laisse des doigts vérifier mon état sans m’en inquiéter, puis je glisse hors de mon esprit. Lorsque je reviens à moi, je voie Raphaël et Kada’an, éveillés, ainsi que Brian un torchon aux lèvres. Je souris aux réflexes de la secouriste, et saisis la gourde sans oser croiser le regard du jeune bouclé. Je me traîne vers la lisière des palmiers, à la recherche d’un peu d’ombre, et m’affale à nouveau, sur le dos cette fois.

Brian se réveille. Ma pompe cardiaque tressaute de soulagement, et je tourne la tête en leur direction. Je ne sais plus si c’est de l’épuisement ou de la paresse qui me retiennent de me relever, mais un grain de rancoeur scelle l’affaire. J’écoute de ma distance ce qui se dit. Je voie Kada’an se retourner vers moi, cherchant possiblement à savoir quoi mentir. Les restes d’équipage autour se défendent d’avoir pu penser à mal, et obtempèrent bientôt aux ordres de mon marine. Un sourire léger me fend le visage alors qu’il semble plus que jamais être dans son élément. Comme les derniers jours, en vrai; toutefois, c’est en leader que je le préfère. Ou encore en amoureux transi qui accourt vers moi. C’est plaisant aussi. Que cela ait été quand j’ai voulu jouer les indifférents, ou maintenant qu’il vient s’enquérir de mon état.

Les cuisses fermes en guise d’oreiller, je n’ai pas l’intention que je ne suis plus si mal en point, et que la rouquine qui nous a sauvés tous les trois n’en est pas innocente. J’observe, amusé, le ballet d’ordre et de remises en question qui s’effectue entre lui et ce matelot qui aurait bien pu périr en mer, selon moi.

« Je suis à l’ombre! » Ma protestation se tait lorsque je réalise que le sacripant solaire a poursuivit sa course céleste et que je suis de nouveau exposé. Nous nous remettons sur nos pieds et comme un vieux couple aux os friables, nous avançons doucement vers un tronc ombragé. Je me retrouve rapidement étreint et je me dis que je devrais lui dire que ses marques d’affection m’ont bien manqué, mais que je me sens bien.

Je soupire et observe Brian. J’ai envie de le traiter de patate ou de hareng pas frais. Il risque de mal le prendre. Au moins, nos vêtements ont eu le temps de sécher, contrairement aux corps qu’ils couvrent, et l’odeur de varech vomi sur la plage est moins intenable.

« Je t’aime aussi, mon Paul Walker. » L’idée de lui rajouter qu’il doit être fait d’or me fait grimacer. Cette fichue insolation me rend apparemment un peu ringard. « Je m’occuperai des fous. Je suis bon diplomate. »  Mon regard se détourne sur les cadavres au loin. Je ne suis pas fier du geste, mais ne regrette pas d’avoir soutenu Brian. « Un diplomate à deux vitesses », ajouté-je, mutin. Si nous n’arrivons pas à raisonner cet équipage prédatant Mathusalem, pourquoi s’embêter à les garder dans nos pattes? Ils n’ont que deux véritables options : nous aider en nous faisant confiance, ou se débrouiller seuls. Mon regard parcourt la plage et tombe sur nos deux jeunes amis. Je me lève comme un ressort – oups – et rattrape le torchon avec lequel elle hydratait Brian.

« Kada’an! Comment est-elle? », interrogé-je Raphaël sans osé le regarder dans les yeux. Il m’en voudra peut-être de lui avoir menti, mais y aurait-il réellement eu un moment approprié pour lui parler de ma qualité de lycanthrope?


Nous avions été rejoints par le couple de passagers sans manières – enfin, l’un d’eux est bien un peu maniéré –, mais n’avons trouvé aucune trace de cet étrange loup que Brian semblait connaître, et le campement s’était monté tranquillement. J’avais pu gratter la croûte de sang sur mes mains, à l’eau de mer, avant de rejoindre les moussaillons pour les aider. Ne voyant plus le besoin de cacher mes atouts surnaturels, j’ai décidé d’accélérer les choses autant que je le pouvais. Je crois que cela a été apprécié, à défaut de faire oublier entièrement les trois hommes qu’on a jetés dans une fosse commune.

La nuit a été courte et occupée, mais tout le monde me semble en de meilleures dispositions au petit matin. Le couple princier semble attendre qu’on remplisse leur gamelle – madame, à tout le moins – et je me promets bien de la botter si elle décide de se frotter à mes mollets. Comment les gens vivent-ils avec de telles créatures?  Je dois bien admettre que Truc a un côté attachant, qui ne provient définitivement pas de son nom, mais il s’agit surtout de l’exception qui confirme la règle.

Lorsque Brian recommence à donner des ordres à tout va, je m’approche de lui pour lui murmurer à voix basse :
« On est bien établis, tu as su parer au plus urgent, peut-être qu’il est temps de trouver le trésor avant que tes hommes ne se retournent contre toi ? »


À l’endroit que Brian et Mafdet jurent correspondre à la marque sur les cartes de nos anciens capitaines, nous ne trouvons d’abord rien, puis quelqu’un nous fait part d’une étrangeté : une porte, au milieu de la jungle. Je fais signe aux matelots de se tenir à distance et m’en approche délicatement, sans avoir besoin de recourir à la menace de mon regard désormais bleuté. J’ouvre la porte d’un geste brusque et plisse immédiatement les yeux à la lueur artificielle, et bien trop familière, qui émane de entrebâillement, illuminant une portion de la pénombre forestière.

Je ne sais pas si c’est la magie trop apparente de l’endroit, ou nous six, mais l’équipage reste à une distance sécuritaire. J’insiste auprès de nos compagnons d’infortune temporelle pour qu’ils retournent chez nous les premiers, et que Brian et moi fermions la marche.

J’embrasse passionnément le policier, comme si c’était le dernier baiser de l’humanité entière, ou que toute vie en dépendait. C’est presque le cas, tant ce que je m’apprête à dire m’est difficile. Une larme vient même gonfler ma paupière, mais je ne pleure pas. J’ouvre la bouche pour parler, mais l’embrasse à nouveau, en le serrant contre moi avec force. Lorsque je me libère, haletant, je dépose mon front contre son zigomatique.

« Je t’aime, Brian O’Conner. »

Je me décale doucement. Ce moment qui prend des airs d’adieux me pèse. Mes mains vont chercher les siennes, les caressent en silence pendant un moment, puis vont papillonner sur son accoutrement, tirant un peu sur l’échancrure de son gilet.

« Je comprendrais si tu voulais rester ici. Les choses sont plus… simples, tangibles. Je ne t’en voudrai pas, si tu décides de le faire, et de vivre ce rêve qui t’appartient. »

Malgré ma tristesse, je lui souris d’un seul côté du visage et, au moment où mon regard remonte pour croiser le turquoise du sien, j’ai la certitude que s’il me le demandait, je resterais à ses côtés. Ici ou ailleurs. Sans le regretter ou, du moins, sans verbaliser un quelconque regret. Il y a moyen que je m’habitue à toutes choses pour lui. Seulement, je ne suis pas assez fou pour lui dire que je suis prêt à rester de ce côté de la porte: peut-être n’y a-t-il pas pensé, qui sait...

Les premières angoisses passées depuis mon réveil, je prends le temps de mieux m’imprégner du lieu, de cette plage sur laquelle nous avons échoué. Jay s’agite, son regard caresse les hommes qu’il a tués pour me défendre. Nous défendre, car c’est une évidence : celui qui survit est celui qui s’impose. Ce siècle n’est pas à la discutions, mais à l’action.

Confronté à l’extrême, je redécouvre mon compagnon. Je suis flic, mais aussi un soldat. J’aime l’homme qui se dévoile sous sa couche de sociabilité. Je peux compter sur lui dans les pires moments ! Je ferme un peu les yeux, pour reposer ma cervelle encore douloureuse, mais aussi ressentir au maximum ce bien-être qui éclot dans mon cœur.

- Kada’an ! Comment est-elle ?

Je regarde en direction des deux plus jeunes. Kada’an a récupéré son joli visage. Le maléfice qui l’entravait avec cette apparence repoussante s’est éteint. J’y vois là un signe du destin. Un bon présage.

(…)

Cela s’affaire autour de nous. Ces hommes sont rodés aux galères. Jay ne cache plus ses capacités hors-norme, le campement prend vite forme. Un feu, du poisson qui grille avec des crabes. Des fruits. Le repas sera frugal. J’aide à enterrer les morts. Le regard de loup de Jay a changé de couleur. Je n’ai pas relevé ce détail devant lui. Je sais qu’il recommencerait, si c’était à refaire pour me protéger. On ne tue pas impunément des hommes sans en payer un tribut, même si c’est pour se défendre ou défendre un être cher, une cause. Jay ne m’a jamais posé « la » question. C’est un peu tabou chez les flics, un peu moins à l’armée. Quel est mon « tableau de chasse » ? Bien trop lourd. Aurais-je les prunelles bleues électriques si j’étais un loup ? Assurément. Comment se battre contre un enfant de cinq ans chargé de C4 ?

L’installation pour la nuit se fait avec une certaine logique et se range par époque. Il en manque un à l’appel de notre côté. J’avais arpenté la plage pour trouver des choses utiles, mais aussi pour retourner les cadavres que la mer voulait bien rendre.

Calé contre Jay, je repense à ce voyage impensable. Ce rêve éveillé. Je m’étais pris pour un oiseau dans les voiles. La griserie avait été totale. Qu’importe les nippes que j’avais sur le dos. Le vent, le sel sur mes lèvres, le parfum des embruns et ces lourdes toiles à manœuvrer. Mon corps garde la mémoire des gestes, des changements d’équilibres, de ce travail de funambule.

L’épaule de Jay qui roule sous ma joue me réveille. Je ne sais pas quand je me suis endormi. Instinctivement, j’étais resté attentif au bruit, au reste de l’équipage. Personne n’est mort, si mutinerie doit y avoir, elle aura lieu plus tard. Il faut recharger le feu en bois, cueillir d’autres fruits, poser des nasses pour attraper plus de poisson. Je m’agite, invective quand Jay temporise.

- On est bien établis, tu as su parer au plus urgent, peut-être qu’il est temps de trouver le trésor avant que tes hommes ne se retournent contre toi ?
- Mes hommes ?

La formulation a le mérite de me ramener sur terre. La veille, j’ai pris le commandement d’instinct. Maintenant, j’en saisis toute l’implication. Les marins obéiront tant qu’ils ont un espoir d’or et de richesses. D’un trésor qui sera transformé en rhum et fille de joie à la première occasion.

J’inverse la vapeur, évidemment personne ne veut rester au campement pendant que les autres cherchent et trouvent le trésor. Un regard insistant de ma part fait bouger la reine de Sabbat. À l’abri des regards, nous comparons ce que nous avons mémorisé. Nous nous mettons en route en file indienne dans la végétation luxuriante de l’île. L’écho de la mer s’atténue au profit des chants d’oiseaux et des cris des autres animaux qui peuplent ce caillou paumé au milieu de la mer des Caraïbes.

C’était une vulgaire croix sur un papier, loin de la précision des cartes IGN. Au lieu estimé par Mafdet et moi, il n’y a rien. L’équipe se disperse et vite un cri nous fait tous converger en un point. Stupeur de l’équipage, espoir du côté des voyageurs temporels. La scission n’a jamais été aussi forte entre ceux du futur et ceux de maintenant. Le présage des tentacules qui disparaissent du visage de Kada’an trouve sa réponse. La porte plantée en pleine forêt et qui ne ferme aucune maison nous invite.

Jay se risque à l’ouvrir. La nature électrique de la lumière qui fuite de l’entrebâillement termine d’asseoir nos certitudes : le trésor est notre porte de sortie de ce monde, notre ticket retour. Jay persuade les autres de passer en premier et que lui et moi fermerions la marche. J’approuve, car l’absence de trésor pourrait vite créer des tensions. Je tourne le dos à la porte et jauge les hommes. Ils ne se montrent pas vraiment agressifs, plutôt inquiets et perdus. J’ai un peu l’impression de les abandonner. Je ne veux pas leur mentir, affirmer que la porte va se changer en or, ou une connerie de ce genre. Quand mon horizon est masqué par Jay qui m’embrasse avec une passion que je ne lui reconnais pas. Un peu désespéré.

- Je t’aime, Brian O’Conner.

Je ne sais pas quoi répondre, tant il semble solennel. Il me fait face, emprisonne mes mains dans les siennes. Mon cœur s’emballe.

- Je comprendrais si tu voulais rester ici. Les choses sont plus… simples, tangibles. Je ne t’en voudrai pas, si tu décides de le faire, et de vivre ce rêve qui t’appartient.
- Oh !

Ma bouche ne sait faire que cela : un rond. Par-dessus son épaule, je regarde l’équipage qui semble danser sur un pied, complètement perdu sans capitaine. Puis je me reporte au visage de Jay. L’émotion que j’y lis me bouleverse. Il serait capable de rester si je le lui demandais. Je le serre fort contre moi, pose mon menton contre son épaule, balaye du regard l’équipage qui n’attend qu’un ordre. J’aimerais pouvoir me scinder en deux. Je regarde la porte, le dernier de nos compagnons vient de la passer. Je bouge mes orteils dans le sol sableux, le naufrage a emporté mes chaussures. Je souris à l’équipage.

- On fait quoi, C’ptain ?
- On ratisse la zone et si on ne trouve pas de trésor quand le soleil est à midi, on fabrique un radeau pour s’barrer d’ici !

Ils n’attendaient que ça : un cap. Les hommes s’éparpillent, la végétation a tôt fait de les engloutir. Je prends la main de Jay et avance vers la porte. Je l’embrasse comme un damné.

- Les mots « je t’aime » sont trop faibles pour dire ce que je ressens !

Je le tire et traverse la porte.

- Le Queen Anne's Revenge est au fond de l’eau. J’ai vécu mon rêve. Place à ceux que j’ai avec toi.

pirates of the

caribbean day

Quand j'ouvre les yeux, la première chose que je remarque, c'est l'absence de quelque chose qui m'accompagne depuis le début de ce délire. J'avais commencé à m'y faire, et maintenant, j'ai l'impression que l'on m'a retirée une part de moi. Pas que j'en sois triste bien au contraire. C'est juste perturbant. Comme un membre fantôme, j'ai l'impression d'avoir toujours cette part visqueuse de moi-même. Pourtant, je ne l'ai plus. Quelqu'un me tient la main. Mon regard trouve le visage de Raphaël. Je souris. Quand son regard croise le mien, il semble heureux et son autre main caresse ma joue redevenue lise. Sans que je comprenne vraiment pourquoi, les lèvres du garçon se pose sur mon front. Mes yeux se ferment et je profite de ce contact doux et agréable. Je suis rassuré. Jay est là également, au côté de son compagnon. Je remarque également les professeurs. Est-ce que ça fait longtemps qu'ils sont là ? Je me redresse. Raphaël m'aide puis finit par me caler contre lui sans vraiment me laisser le choix. De toute façon, je ne me sens pas vraiment en face de faire autre chose pour le moment.

Autour de nous, beaucoup trop de corps sans vie traîne un peu partout. Personne ne semble vouloir leur donné un semblant d'humilité, et franchement, je n'en ai pas beaucoup plus envie. La plupart ont voulu attaqué Brian. Je glisse mon nez dans le cou du brun, pour oublier tout ça, et fini par me rendre compte que j'ai soif. Terriblement soif. Je le dis, et une gourde d'eau fraîche atterrie dans ma main. Le sourire de Monsieur Rapier me rassure, et je bois avec toute confiance. Il nous murmure une phrase, disant que c'est bien que nous soyons toujours en vie Raph et moi. Oui, vraiment, j'en suis ravie. Je hoche la tête là où Raphaël remercie Tobias. Ce dernier ne reste pas, et part s'allonger dans son coin avant de s'endormir. Le chasseur semble .. Effacé. Absent de cette réalité. J'imagine qu'on l'est tout un peu, mais lui semble l'être d'avantage. Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne chose. Je regarde l'homme endormi avant de soupiré. Je ne serais pas vraiment quoi faire de toute façon.

Raphaël me fait un débrief sur ce qui s'est passé tantôt alors que j'étais endormi. Il me parle plus en détail de la carte et je l'observe avec curiosité. Je ne suis pas sûre de bien comprendre tout ce qu'il me raconte, mais j'écoute avec attention. Puis, on fini par faire comme la majorité des gens ici. On se s'endort.

[...]

Une caresse me réveille, et lorsque je vois le visage de Raphaël, je souris. Il m'informe qu'on va partir et c'est ce qu'on fait. Je ne le lâche pas, et il ne cherche pas à se défaire de moi.

-Tu sais, ça a beau avoir été éprouvant sous plusieurs aspects pas toujours agréables, mais je ne regrette pas les jours passé ici. J'espère que toi non plus.

La seule réponse que je reçois, c'est un court, mais significatif baisé. Je souris et on continue de marcher dans les bras de l'autre. On suit, jusqu'à ce qu'un cri quelque part nous fasse venir devant une porte. Une porte... Dans le vide. J'ouvre de grands yeux. C'est la fin du cauchemar ? Tobias semble lire mes pensées et répond à ma question. Raphaël et moi sommes tirés par l'homme et nous voilà à entrer dans une porte qui nous ramène soit chez nous.. Soit c'est ce que nous sommes morts depuis longtemps. Je ne suis pas certaine de la vérité.